(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre troisième — Chapitre IV. Vices du grand Ballet »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre troisième — Chapitre IV. Vices du grand Ballet »

Chapitre IV. Vices du grand Ballet

Le grand Ballet est un spectacle de Danse. Les vers qui exposent le sujet, les machines qui l’embellissent, les décorations qui établissent le lieu où il s’exécute, n’en sont que des parties accessoires. La Danse est l’objet principal.

Or la Danse théâtrale, ainsi que la Poésie dramatique, doit toujours peindre, retracer, être elle-même une action. Tout ce qui se passe au Théâtre, est sujet à cette loi immuable. Tout ce qui s’en écarte, est froid, monotone, languissant.

Il n’est donc pas possible de faire du grand Ballet un Spectacle susceptible de l’intérêt théâtral ; parce que cet intérêt ne peut se trouver que dans la représentation d’une action suivie.

Chaque œuvre dramatique a le sien. Le Spectateur est attaché, ou par le cœur, ou par l’esprit à la suite successive de l’événement qui se passe sous ses yeux. C’est cet attachement que l’art du Théâtre inspire ; c’est cette attention suivie et involontaire qu’il fait naître, qu’on ai nommé intérêt, et il a autant de caractères plus ou moins vifs, qu’il y a de genres d’actions propres au théâtre.

Dans le grand Ballet, il y a beaucoup de mouvement, et point d’action. La Danse peut bien y peindre par les habits, par des pas, par des attitudes des caractères nationaux, quelques personnages de la Fable, ou de l’Histoire ; mais sa peinture ressemble alors à la peinture ordinaire qui ne peut rendre qu’un seul moment, et le Théâtre par sa nature est fait pour représenter une suite de moments, de l’ensemble desquels il résulte un tableau vivant et successif qui ressemble à la vie humaine.

Il était aisé de combiner les différentes Entrées du grand Ballet de manière qu’elles concourussent toutes à l’objet principal qu’on s’y proposait, et d’y procurer aux Danseurs des occasions d’y développer les grâces de la Danse simple ; mais la Danse composée, celle qui exprime les passions et par conséquent la seule digne du Théâtre, ne pouvait y entrer qu’en passant. Les Furies, dans une Entrée particulière, par exemple, pouvaient sans doute par des pas rapides, par des sauts précipités, par des tourbillons violents, peindre la rage qui les agite ; mais ce n’était qu’un trait général, un coup de pinceau épisodique. Il en résultait qu’on avait vu les Furies, et rien de plus.

Dans une action, au contraire, où la Vengeance et les Euménides voudraient inspirer les transports qu’elles ressentent à un personnage principal, tout l’art de la Danse employé à peindre par gradation et d’une manière successive, l’intention de ces barbares Divinités, les combats de l’Acteur, les efforts des Furies, les coups redoublés de pinceau, toutes les circonstances animées, en un mot, d’une pareille action demeureraient gravées dans l’esprit du Spectateur, échaufferaient son âme par degrés, et lui feraient goûter tout le plaisir que produit au Théâtre le charme de l’imitation.

Le grand Ballet qui coûtait des frais immenses, ne procurait donc à la Danse rien de plus que les Bals masqués. Il fallait qu’on sût, pour y réussir, déployer ses bras avec grâce, conserver l’équilibre dans ses positions, former ses pas avec légèreté, développer les ressorts du corps en mesure ; et toutes ces choses, suffisantes pour le grand ballet, et pour la Danse simple, ne sont que l’alphabet de la Danse théâtrale.