(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre deuxième — Chapitre II. Des Fêtes de la Cour de France, depuis 1560 jusqu’en l’année 1610 »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre deuxième — Chapitre II. Des Fêtes de la Cour de France, depuis 1560 jusqu’en l’année 1610 »

Chapitre II. Des Fêtes de la Cour de France, depuis 1560 jusqu’en l’année 1610

Les Tournois, et les Carrousels, ces Fêtes guerrières et magnifiques avaient causé à la cour de France en l’année 1559 un événement trop tragique, pour qu’on pût songer à les y faire servir souvent dans les réjouissances solennelles. Ainsi les Bals, les Mascarades, et surtout les Ballets qui n’entraînaient après eux aucun danger, et que la Reine Catherine de Médicis avait connus à Florence, furent pendant plus de cinquante ans, la ressource de la galanterie et de la magnificence française91.

L’aîné des enfants d’Henri II ne régna que dix-sept mois. Il en coûta peu de soins à sa mère, pour le distraire du Gouvernement que son imbécillité le mettait hors d’état de lui disputer ; mais le caractère de Charles IX prince fougueux qui joignait à quelque esprit un penchant naturel pour les beaux Arts, tint dans un mouvement continuel l’adresse, les ressources, la politique de la Reine. Elle imagina Fêtes sur Fêtes, pour lui faire perdre de vue sans cesse le seul objet dont elle aurait dû toujours l’occuper.

Henri III devait tout à sa Mère et il n’était point naturellement ingrat. Il avait la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l’esprit léger, le cœur gâté, l’âme faible. Catherine profita de cette vertu et de ces vices pour arriver à ses fins. Elle mit en jeu, les Festins, les Bals, les Mascarades, les Ballets, les Femmes les plus belles, les Courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce Prince malheureux sur un trône entouré de précipices. Sa vie ne fut qu’un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, et troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l’objet que je me propose ici, je crois devoir choisir, parmi le grand nombre de Fêtes qui furent imaginées durant ce règne, celles qu’on donna en 1581 pour le Mariage du Duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine belle-sœur du Roi. En retraçant l’idée de la galanterie de ce temps, elles font voir que la Danse fut un art connu des Français, avant tous les autres, comme il l’avait été autrefois des Grecs et des Romains. Je ne fais au reste, que copier d’un Historien92 contemporain les détails que je vais écrire. [Voir Fêtes de la Cour de France]

« Le Lundi dix-huit Septembre 1581, le Duc de Joyeuse et Marguerite de Lorraine Fille de Nicolas de Vaudemont sœur de la Reine, furent fiancés en la Chambre de la Reine, et le Dimanche suivant, furent mariés à trois heures après midi en la Paroisse de Saint-Germain de l’Auxerrois.

Le Roi mena la Mariée au Moustier suivie de la Reine, Princesses et Dames tant richement vêtues, qu’il n’est mémoire en France d’avoir vu chose si somptueuse. Les habillements du Roi et du Marié étaient semblables, tant couverts de broderies, de perles, pierreries, qu’il n’était possible de les estimer ; car tel accoutrement y avait qui coûtait dix mille écus de façon ; et toutes fois, aux dix-sept Festins qui de rang et de jour à autre, par ordonnance du Roi, furent faits depuis les Noces, par les Princes et Seigneurs parents de la Mariée et autres des plus grands de la cour, tous les Seigneurs et Dames changèrent d’accoutrements, dont la plupart étaient de toile et drap d’or et d’argent enrichis de broderies et de pierreries en grand nombre et de grand prix.

La dépense y fut si grande, y compris les Tournois, Mascarades, Présents, Devises, musique, Livrées, que le bruit était que le Roi n’en serait pas quitte pour douze cent mille écus93.

Le Mardi 18 Octobre, le Cardinal de Bourbon fit son Festin de Noces en l’Hôtel de son Abbaye Saint-Germain des Prés, et fit faire à grands frais, sur la rivière de Seine, un grand et superbe appareil d’un grand Bac accommodé en forme de Char triomphant, dans lequel le Roi, Princes, Princesses et les Mariés devaient passer du Louvre aux Pré-aux-Clercs, en pompe moult solennelles, car ce beau Char triomphant, devait être tiré par-dessus l’eau, par d’autres bateaux déguisés en Chevaux Marins, Tritons, Dauphins, baleines et autres monstres Marins en nombre de vingt-quatre, en aucuns desquels étaient portés à couvert au ventre desdits monstres, Trompettes, Clairons, Cornets, Violons, Hautbois, et plusieurs Musiciens d’excellence, même quelques de feux artificiels, qui pendant le trajet devaient donner maints passe-temps, tant au Roi qu’à 50 000 personnes qui étaient sur le rivage ; mais le mystère ne fut pas bien joué, et ne put-on faire marcher les Animaux ainsi qu’on l’avait projeté, de façon que le Roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu’à sept aux Tuileries, le mouvement et acheminement de ces animaux, sans en apercevoir aucun effet ; dépité, dit, qu’il voyait bien que c’étaient des bêtes qui commandaient à d’autres bêtes ; et étant monté en Coche s’en alla avec les Reines et toute la suite, au Festin qui fut le plus magnifique de tous ; nommément en ce que ledit Cardinal fit représenter un Jardin artificiel garni de fleurs et de fruits, comme si c’eût été en Mai, ou en Juillet et Août.

Le Dimanche 15 Octobre, Festin de la Reine dans le Louvre, et après le Festin le ballet de Circé et de ses Nymphes.

Le triomphe de Jupiter et de Minerve était le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de ballet comique de la Reine. Il fut représenté dans la grande salle de Bourbon, par la Reine, les Princesses, les Princes, et les plus grands Seigneurs de la cour. Il commença à dix heures du soir, et ne finit qu’à trois heures après minuit.

Balthasar de Beaujoyeux94 fut l’inventeur du sujet, et en disposa toute l’ordonnance. Il en communiqua le plan à la Reine qui l’approuva ; mais le peu de temps qui restait ne lui permettant point de se charger des Récits, de la musique et des Décorations ; la Reine, à sa prière, commanda à Lachenaye Aumônier du Roi de faire les Vers ; Beaulieu Musicien de la Reine eut ordre de composer la musique ; et Jacques Patin Peintre du Roi fut chargé des Décorations.

Le Lundi 16, en la belle et grande Lice dressée et bâtie au Jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes à huit heures du soir aux flambeaux.

Le Mardi 17, autre combat, à la Pique, à l’estoc, au tronçon de la Lance, à pied et à cheval ; et le Jeudi 19 fut fait le ballet des Chevaux, auquel les Chevaux d’Espagne, coursiers et autres en combattant s’avançaient, se retournaient contournaient au son et à la cadence des Trompettes et Clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau et plaisant ; mais la grande excellence qui se vit les jours de Mardi et Jeudi, fut la Musique de voix et d’instruments la plus harmonieuse et la plus déliée qu’on ait jamais ouïe (on la devait au goût et aux soins de Baïf) furent aussi les feux artificiels qui brillèrent avec effroyable épouvantement et contentement de toutes personnes sans qu’aucun en fût offensé. »

La partie éclatante de cette fête qui a été saisie par l’Historien que j’ai copié, n’est pas celle qui méritait le plus d’éloges. Il y en eut une qui lui fut très supérieure et qui ne l’a pas frappé.

La Reine et les Princesses qui représentaient dans le Ballet les Naïades et les Néréides, terminèrent ce spectacle par des présents ingénieux qu’elles offrirent aux Princes et Seigneurs, qui sous la figure de Tritons avaient dansé avec elles. C’étaient des Médailles d’or gravées avec assez de finesse pour le temps. Peut-être ne fera-t-on pas fâché d’en trouver ici quelques-unes.

Celle que la Reine offrit au Roi représentait un Dauphin qui nageait sur les flots : ces mots étaient gravés sur le revers :

Delphinum ut Delphinem rependat.

Ce qui veut dire :

Je vous donne un Dauphin, et j’en attends un autre.

Madame de Nevers en donna une au Duc de Guise, sur laquelle était gravé un Cheval-Marin, avec ces mots :

Adversus semper in hostem.

Prêt à fondre sur l’ennemi.

Il y avait sur celle que M. de Genevois reçut de Madame de Guise un Arion avec ces paroles :

Populi super at prudentia fluctus.

Le peuple en vain s’émeut ; la prudence l’apaise.

Madame d’Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle était gravée une Baleine, avec cette belle maxime :

Cui sat nil ultrà.

Avoir assez, c’est avoir tout.

Un Physite, qui est une espèce d’orque ou de baleine, était représenté sur la Médaille que Madame de Joyeuse offrit au Marquis de Pons, ces mots lui servaient de devise :

Sic famam jungere fame.

Si vous voulez pour vous fixer la renommée,

Occupez toujours ses cent voix.

Le duc d’Aumale reçut un Triton tenant un Trident et voguant sur les flots irrités. Ces trois mots étaient gravés sur le revers :

Commovet et sedat.

Il les trouble et les calme.

Une branche de Corail sortant de l’eau était gravée sur la Médaille que Madame de l’Archant présenta au duc de Joyeuse. Elle avait ces mots pour devise :

Eadem natura remansit.

Il change en vain ; il est le même.

Ainsi la Cour de France troublée par la mauvaise politique de la Reine, divisée par l’intrigue, déchirée par le fanatisme, ne cessait point cependant d’être enjouée, polie et galante. Trait singulier et de caractère, qui serait sans doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs, sous un Roi efféminé95, n’y avait été poussé jusqu’à la licence la plus effrénée96 ; ce qui est toujours une tache pour le Souverain, une flétrissure pour les courtisans, et une contagion funeste pour le Peuple. [Voir Fête (Beaux-Arts)]