(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre premier — Chapitre VI. Des Ballets Moraux »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre premier — Chapitre VI. Des Ballets Moraux »

Chapitre VI. Des Ballets Moraux

L’Anniversaire de la Naissance du Cardinal de Savoie, fut l’occasion d’une Fête brillante qui occupa en 1634 la Cour de Turin. On y représenta un grand Ballet, dont le sujet était La Verita nemica della apparenza, sollevata dal tempo ; ce qui veut dire, La Vérité ennemie des apparences soutenue par le temps.

Après une ouverture d’un beau caractère, on entendit un grand chœur de Chant et de Danse, qui était composé des Faux-bruits et des Soupçons qui précédent l’Apparence et le Mensonge.

Le fond du Théâtre s’ouvrit.

Sur un grand Nuage porté par les Vents, on vit l’Apparence vêtue de couleurs changeantes : son corps de jupe était parsemé de glaces de Miroir, elle avait des Ailes avec une grande queue de Paon, et paraissait comme accroupie sur une espèce de Nid, d’où sortirent en foule les Mensonges pernicieux, les Fraudes, les Mensonges agréables, les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges Bouffons, les Plaisanteries, les jolis petits Contes.

Ces Personnages formèrent les premières Entrées, après lesquelles le Temps parut. Il chassa l’Apparence, et fit ouvrir le Nuage sur lequel elle s’était montrée. On aperçut alors une Horloge immense à sable, de laquelle sortirent comme en triomphe les Heures et la Vérité. Après quelques récits analogues au sujet, elles formèrent les dernières entrées qui terminèrent ce beau spectacle.

Tels étaient les Ballets Moraux ; ils devaient leur nom à la moralité Philosophique, qu’ils représentaient sous une délicate allégorie.

Il est aisé d’apercevoir la vaste carrière que ces représentations fournissaient à la Danse, puisqu’elle en était l’âme et le fond. Ces Spectacles au surplus réunissaient toutes les parties, qui peuvent faire éclater le goût et la magnificence d’un Souverain. Ils exigeaient des recherches fines pour le choix des habits, des idées vives pour l’assortiment des personnages, de l’habileté pour donner aux Danses l’expression convenable, du génie pour l’invention générale, du talent pour la composition des symphonies ; du goût, de l’ordre, de la variété dans les décorations, de l’imagination, de l’adresse dans les machines, et une dépense immense, pour mettre en mouvement une composition si compliquée.

Plusieurs des personnages d’ailleurs étaient remplis ordinairement par les Souverains eux-mêmes, les Dames et les Seigneurs les plus aimables de leur Cour. Les Rois ajoutaient souvent à tout ce qu’on vient de rapporter, des présents pour toutes les personnes distinguées qui y représentaient des rôles avec eux ; et ces présents84 étaient offerts d’une manière d’autant plus galante, qu’ils paraissaient faire partie de l’action théâtrale.

En France, en Angleterre, en Italie, on a représenté, dans des temps différents, un fort grand nombre de ces Ballets Allégoriques et Moraux ; mais la Cour de Savoie semble l’avoir emporté sur toutes les autres, par le choix, la galanterie, et l’arrangement qu’elle a fait éclater dans les siens. Elle avait au commencement du dernier siècle, le Comte Philippe d’Aglié, le génie peut-être le plus fécond qui ait encore existé en inventions théâtrales et galantes. Le grand art des Souverains est de savoir choisir ; la honte ou la gloire d’un règne dépendent presque toujours d’un homme oublié, ou d’un homme mis à sa place. [Voir Ballet]