(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur les fêtes nationales] — Lettre i. sur les fêtes nationales. » pp. 109-115
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur les fêtes nationales] — Lettre i. sur les fêtes nationales. » pp. 109-115

Lettre i.
sur les fêtes nationales.

Vous me parlez, dans votre lettre, de fêtes publiques ; vous êtes bien bon, Monsieur, d’honorer de ce nom ce que l’on a fait et ce que l’on a imaginé depuis quelques années. Je n’y ai vu que des processions ridicules, sans costumes vrais, sans ordre, sans caractère, sans goût, sans imagination.

Ces prétendues fêtes n’offroient que de grossières caricatures, et prouvoient combien ceux qui les imaginoient, avoient peu de talens pour ce genre.

Lorsque je vois des gens, (et j’en vois encore beaucoup) occuper des places qui ne leur conviennent pas, il me semble voir les colonnes majestueuses du louvre ornées de magots.

J’aurois quelques questions à faire sur les fêtes en général. Je demanderois dabord si les fêtes publiques doivent être exécutées par le peuple ou pour le peuple.

S’il peut en être tout à la fois acteur et spectateur ?

Si l’on s’est formé une idée bien juste des fêtes nationales ? si elles ne doivent pas, sous l’enveloppe du plaisir, cacher un but moral et politique ?

Si l’on soupçonne même la route qu’il faut suivre pour parvenir à ce double but, en n’offrant aux yeux que celui de la gaieté ?

Je demanderois encore si, au milieu de l’immoralité, de la perversité, de la licence et de l’égoïsme, des fêtes morales seroient goutées, ou plutôt si elles ne prendroient pas un caractère de farce aux yeux de semblables spectateurs ?

Les gens qui courent à celles de Nicolet, gouteroient peu les chefs-d’œuvre de Corneille.

Les fêtes publiques ont eu jusqu’ici différens objets, tantôt celui de distraire le peuple de ses maux, tantôt de capter son suffrage par d’inutiles prodigalités ; tantôt enfin, de déployer à ses yeux une magnificence qui, par un triste retour sur lui-même, lui faisoit plus profondément sentir sa misère ; mais je n’ai pas encore vu de fêtes en France, où la moralité fut unie au plaisir, où la décence et le bon goût fussent joints à la gaieté : le résultat de toutes les fêtes est, beaucoup de gens ivres, beaucoup de bourses volées, souvent des accidens graves, de la fatigue, et peu de plaisir, du moins de ce plaisir qui doit tourner au profit des mœurs, du goût et de l’esprit.

Les fêtes, telles qu’on les donne au peuple, ne sont ni bonnes ni utiles ; elles sont ruineuses pour l’état. Les fêtes qui conviennent à un grand peuple, doivent plus coûter à l’imagination, au goût et au génie, qu’au revenu public.

Colbert donnoit des fêtes qui, en attirant des spectateurs de toutes les parties de l’Europe, apportoient beaucoup d’argent en France ; mais l’orgueil national étoit seul satisfait.

Robespierre donnoit des fêtes qui ruinoient le trésor public, faisoient fuir les gens sensés, les gens de goût, trompoient le peuple, le corrompoit, et l’entretenoit dans une effervescence dangereuse.

Quand en donnera-t-on une qui l’instruise, qui l’amuse, qui fasse honneur au gouvernement, qui fixe l’attention de toutes les classes de citoyens, qui attire les étrangers, et qui donne une grande idée de la nation.

Il faut convenir d’une triste vérité, c’est que la nation Française, cette nation qui marque le plus en Europe, pour les sciences et les arts, et qui l’emporte sur les autres par l’invention, l’esprit et le goût, n’a pu imagnier, depuis cent ans, un projet de fête digne d’elle. On doit attrtibuer cette pénurie à l’ignorance des hommes en place, à la honteuse condescendance des artistes et des gens de lettres qui encensaient les idoles qu’ils auraient dû mépriser.

Ne pourroit-on pas, à là paix, donner une fête qui interessat toutes les nations ? les Ambassadeurs et les personnes distinguées de ces nations, les notables de chaque département, ne pourroient-ils pas être invités à remplir les personnages intéressans de cette fête auguste ?

Si, à cet époque, un homme oublié, respiroit encore, il traceroit cette fête mémorable et unique, qui enchaînerait à la France l’admiration de toutes les nations. C’est à cette epoque qu’elle pourroit déployer, d’une manière glorieuse et utile à ses intérêts, toutes les richesses de l’imagination et du goût ; c’est dans cette circonstance enfin, que les talens et les arts enfans de la paix, s’empresseroient, à l’envi de déployer toutes leurs richesses, et de prouver à l’Europe, que si la France est la patrie des héros, elle est encore celle du génie et des arts.

Vous sentez, Monsieur, et vous me connoissez assez pour être persuadé que mes idées sur cette grande fête, ne rouleroient point sur un feu d’artifice et une illumination ; cela convenoit aux courtes vües ; moi je n’aime point la fumée.

D’après des idées jettées au hazard et sans suite, on ne manquera pas de dire que des fêtes de ce genre, seraient très dispendieuses ; je répondrai que ce n’est point à moi à calculer les ressources et à fixer l’emploi de la richesse publique.

Je repeterai encore que Colbert regardoit comme un fond bien placé, celui qu’il destinoit à embellir la capitale ; à y encourager l’industrie, les talens et les arts ; à y attirer, par l’attrait du plaisir, le concours des étrangers.

Le temps propre à donner une grande fête n’est point arrivé. Celui qu’on avoit choisi pour en rassasier le peuple, n’étoit rien moins que propice ; d’ailleurs ces fêtes n’offroient par leur mesquinerie, que l’emblème de notre misère, de nos angoisses et d’une stupeur générale. Je reviendrai sur cet objet dans un autre moment, et je prouverai qu’une fête, (comme je l’entends), est, ou doit être un poème. Il ne tiendroit qu’a moi de donner un corps à mes idées, en mettant au jour le plan d’une grande fête ; mais il faut attendre un grand événement. Dailleurs je ne veux pas enrichir un tas de filoux qui, en s’acharnant à se disputer mes dépouilles, ne les présenteroient qu’en lambeaux ; un temps plus heureux arrivera sans doute ; il faut l’attendre.

Si le soleil, après un long et rigoureux hyver réssuscite, pour ainsi dire la nature ; si en la pénétrant de ses rayons bienfaisans, il la ranime et l’aide à enfanter des fleurs et des fruits ; de même la paix, cette fille du ciel, rallumera les feux presqu’éteints de l’imagination et de génie ; à son retour les arts sortiront de leur léthargie ; les artistes heureux et tranquilles reprendront leurs brillans travaux, en cessant d’être épouvantés par les orages ensanglantés de la révolution, et par les tableaux effrayans de la guerre ; c’est alors, qu’à l’ombre de l’olivier, ils donneront le jour à des chefs-d’œuvres immortels qui leur mériteront la véritable gloire.

En attendant ce bienheureux retour, laissons agir les sots, n’ajoutons point au chagrin qu’ils éprouvent de voir tous leurs enfans mourir en venant au monde ; ils nous laisserons à défricher un champ vaste qui n’a produit sous leurs bras foibles et incertains, que des bluets et des pavots, mais qui cultivés par l’esprit et le goût des artistes, s’embelliront des plus riches productions.

Si vous désirez que je donne à mes idées un plus grand développement, vous me le ferez connoître. Je ne saurois soumettre mes reflexions à un meilleur juge. C’est avec docilité, Monsieur, que je recevrai les conseils du bon goût.

Je suis, etc.