Adèle de Ponthieu.
Ballet tragi-héroïque, en quatre actes.
Avant-propos.
Le spectacle héroïque de l’ancienne chevalerie formera toujours un spectacle intéressant, lorsqu’il sera présenté à une nation qui aime l’honneur et qui chérit la gloire. C’est à ces deux vertus que cet ordre auguste dut sa naissance ; formé par la noblesse il fut, ce qu’il devoit être, l’école de l’héroïsme. Amour de la patrie, dévouement pour son Roi, religion, désintéressement, humanité après la victoire, respect pour les dames, dont les chevaliers défendoient la vertu au péril de leurs jours ; tels étoient les fondemens respectables de cette institution. Ce n’étoit qu’après des épreuves longues et pénibles, qu’après avoir donné des marques eclatantes d’honneur et de vertu, que l’on pouvoit parvenir au grade de chevalier.
Si les jeux institués dans la Grèce firent germer l’amour de la gloire et de la patrie ; si l’espérance d’un triomphe passager fit éclore tant de grands hommes, et donna tant de défenseurs à la république Romaine ; quels effets ne dut pas produire sur une noblesse guerrière, le spectacle magnifique des Tournois ? ils furent adoptés dans toutes les cours de l’Europe ; et la chevalerie étoit si recommandable sous le règne de François I, que ce Prince, rival de Charles Quint, voulut être fait chevalier après la bataille de Marignan.
Tout change et dégénère ; une institution si belle a subi le sort de toutes les choses humaines, elle ne subsiste plus ; mais on se souvient encore, et l’on se rappellera toujours avec regret, que les siècles de la chevalerie furent les siècles d’honneur et de la galanterie.
Après cette esquisse légère, je crois devoir tracer celle du sujet que j’ai choisi. J’espère qu’il aura d’autant plus de succès qu’il est offert à une nation qui a le courage pour armes, et l’honneur pour devise.
Sujet du ballet.
Renaud, Comte de Ponthieu, a promis Adèle sa fille à Alphonse, chevalier étranger. Raymond de Mayenne adore Adèle et n’a jamais osé lui. faire l’aveu de ses tendres sentimens. Adèle, contrainte à son tour par une inclination que son cœur a combattue, mais qu’il n’a jamais pu vaincre, aime tendrement Raymond. Alphonse les surprend dans le moment, où ils se déclarent leur amour. Ce chevalier, violent et emporte, se livre sans ménagement à tous les excès de la jalousie et de la fureur ; il insulte son rival, Adèle et Renaud. Celui-ci oubliant le poids de ses ans, veut tirer vengeance de l’affront dont Alphonse le couvre. Raymond s’y oppose ; il prend la querelle de Renaud, et défie Alphonse qui accepte le combat. Mais Raymond n’étant encore qu’écuyer, ne peut, suivant les loix de la chevalerie, se mesurer en champ-clos avec un chevalier. Il supplie Renaud de le décorer de ce titre honorable. Il est armé chevalier avec toute la pompe due à son rang. Les deux champions paroissent dans le champ-clos, armes de pied-en-cap, et après un combat aussi furieux qu’opiniâtre, Alphonse est tué par Raymond. Adèle est le prix glorieux du vainqueur.
Personnages.
- Renaud , Comte de Ponthieu, père d’Adèle.
- Adèle de Ponthieu .
- Raymond de Mayenne , amant secret d’Adèle.
- Gabrièle , sœur d’Adèle.
- Alphonse , chevalier Espagnol, à qui Adèle est promise.
- Dames de la cour d’Adèle.
- Chevaliers.
- Hérauts d’armes.
- Juges du camp.
- Ecuyers.
- Pages.
Acte I.
Scène I.
Des chevaliers et des dames magnifiquement vêtus, entrent successivement dans ce sallon. Ils précèdent Alphonse, Renaud et Adèle. Chacun s’empresse à féliciter ce couple heureux, que l’hymen doit incéssamment unir On se livre à des danses : elles sont interrompues par Renaud qui présente la main à Alphonse, comme un gage sacré de la promesse qu’il lui fait de lui accorder Adèle. Alphonse tend à son tour la sienne à Renaud, en témoignage de sa foi. Après cette cérémonie, qui étoit pour les chevaliers l’engagement le plus saint, Renaud s’approche de sa fille, pour lui ordonner de confirmer le don qu’il vient de faire de sa main ; mais au moment qu’Alphonse se dispose à recevoir sa promesse, Adèle tombe évanouie dans les bras de son père. On vole à son secours ; on la conduit dans son appartement, et tout le monde se disperse.
Scène II.
Alphonse interdit, se livre à des inquiétudes ; elles font place aux soupçons. Les premières étincelles de la jalousie semblent l’éclairer sur l’indifférence d’Adèle. Il sort dans la résolution de pénétrer un mystère, dont la seule idée le fait frémir de honte et de fureur.
Acte II.
Scène I.
Elle profite de l’instant ou elle est seule, pour écrire à Raymond. Elle l’engage à se déclarer à son père ; elle lui promet de mettre tout en usage pour le fléchir, et pour le déterminer à rompre l’hymen malheureux qui doit l’arracher pour toujours à ce qu’elle aime. Elle confie ce billet à une de ses femmes, dont elle connoît la fidélité et le zèle.
Scène II.
Dans le moment où elle lui commande le secret et la vigilance, elle apperçoit Raymond qui, instruit de ce qui s’est passé, vole à son secours. Interdite, tremblante, indécise et confuse, elle ne sait quel parti prendre ; elle balance dans son cœur les loix austères de la vertu avec les égaremens de l’Amour ; elle veut reprendre sa lettre ; mais Raymond, agité par cette impatience ordinaire aux amans, s’en saisit, en fait la lecture avec empressement, et se précipite à ses genoux, pour lui témoigner son amour et sa reconnoissance.
Scène III.
Alphonse paroît ; ce chevalier d’un caractère violent et emporté, est confirmé dons ses soupçons. Sans entrer dans aucun détail, il accable Adèle de reproches ; il pousse l’injure jusqu’à attaquer sa vertu : il insulte Raymond, et se livre sans ménagement à tous les excès de sa fureur.
Scène IV.
Renaud, qui arrive, devient aussi la victime des emportemens d’Alphonse. Celui-ci, qui le croit complice de l’inconstance Adèle, le charge d’outrages ; il l’accuse de félonie en manquant à sa parole. Cette injure, la plus sensible que l’on pût faire à un chevalier, pénétre Renaud d’indignation et de colère. Il oublie le poids de ses ans, il met l’épée à la main, et s’élance sur son ennemi, pour laver dans son sang le déshonneur dont il vient de le couvrir. Adèle se jette au milieu des combattans ; elle embrasse les genoux de son père. Raymond indigné se précipite aux pieds de Renaud, et le supplie de le laisser embrasser une querelle qui est la sienne, et qui lui est d’autant plus glorieuse, que sa juste vengeance et sa victoire le rendront digne de la main d’Adèle. Raymond délie le fier Alphonse ; il lui jette son gant. Alphonse le ramasse avec mépris, et veut bien accepter le Cartel, quoi qu’il ne lui soit pas proposé par un chevalier. Il quitte la scène comme un furieux, en provoquant son rival au combat. Celui-ci se jette dans les bras de Renaud et le supplie de lui accorder le grade de chevalier.
Acte III.
Raymond n’étant point encore initié dans l’ordre des chevaliers, Renaud veut l’y recevoir. Tout est préparé pour cette auguste cérémonie. Un grand nombre de dames et de chevaliers sont invités à cette réception.
Raymond se met à genoux ; Renaud lui présente une épée nue, sur la quelle il lui fait prêter le serment usité, et après l’en avoir frappé de deux ou trois coups sur l’épaule, il lui donne l’accolade. Les chevaliers s’empressent autour de Raymond. Les dames lui présentent les différentes pièces de son armure. Adèle le pare de ses couleurs. Cette cérémonie est suivie de danses caractéristiques et guerrières.
Le nouveau chevalier, animé par la gloire, armé par l’Amour, impatient, de venger Adèle et son père, part avec la noble assurance d’un héros qui va combattre pour l’honneur et pour la beauté. Adèle inquiète sur le succès du combat, ne peut s’empêcher de montrer quelque trouble : mais rappellant son âme à des sentimens héroïques, elle remet sa défense entre les mains de Raymond, et semble ne plus douter de la victoire.
Acte IV.
Scène I.
Une marche guerrière et triomphale annonce l’arrivée des champions. Les chevaliers et les dames se placent sur les gradins. Le peuple se disperse sur l’amphithéatre. Les juges du camp occupent l’estrade. Les deux champions paroissent et sont précédés des hérauts d’armes ; leurs parrains les accompagnent. Adèle et Renaud ferment cette marche.
Les instrumens se taisent. Un silence profond qui en impose, et fait naître le trouble et l’espérance, ajoute à la pompe du spectacle. Adèle le rend surtout intéressant : soutenue dans les bras de son père, et les yeux élevés vers le ciel, elle fait des vœux pour son amant : tout le peuple en fait pour elle. Raymond par sa démarche fière et assurée semble lui promettre la victoire, et lui montrant les couleurs dont elle l’a paré, il lui jure qu’elles sont le garant de son triomphe et de son bonheur.
Scène II.
Une musique bruyante se fait entendre. On ouvre la barrière. Les deux chevaliers, accompagnés des hérauts d’armes et des parrains, entrent dans la lice. Ils se mettent à genoux ; ils jurent d’observer les loix sacrées de l’honneur et de se pardonner mutuellement leur mort. Les parrains leur présentent des armes égales : ils placent les combattans aux deux extrémités du champ-clos ; on ferme la barrière, un nouveau silence règne. Ce moment tranquille et effrayant annonce celui du combat, et redouble l’effroi d’Adèle. Le bruit éclatant des timbales et des trompettes est le signal de la mort. Les deux chevaliers armés de pied en cap, et la hache à la main, s’élancent l’un sur l’autre avec rapidité. Après des coups portés avec vigueur et pâtés avec adresse, ils parviennent à se couper mutuellement les courroies de leurs cuirasses : elles tombent à-demi : ils les arrachent avec fureur : ils jettent loin d’eux leurs haches et leurs boucliers, et mettent l’épée à la main. Raymond reçoit un coup furieux sur son casque ; il chancelle, il est prêt à tomber. Les acclamations du peuple, un cri perçant d’Adèle qui tombe mourante dans les bras de son père, rallument le courage et la fureur de Raymond. Il s’élance avec la rapidité de la foudre sur son adversaire, qui, ne pouvant résister à son impétuosité, reçoit le coup mortel. Raymond victorieux vole aux genoux d’Adèle. Elle revoit la lumière et son amant ; elle se jette dans ses bras pour n’en sortir jamais. Son père les unit. L’assemblée applaudit à cet hymen. On se livre à des danses ; et cette fête qui est le triomphe de la beauté, de l’amour et de la valeur, se termine par un pas général, qui peint la félicité des deux époux, la joie pure de Renaud, et l’intérêt tendre que les chevaliers et les dames prennent à cette union.