(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 11 novembre. Danseurs viennois. Mlle Wiesenthal et M. Anton Birkmeyer. »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 11 novembre. Danseurs viennois. Mlle Wiesenthal et M. Anton Birkmeyer. »

11 novembre. Danseurs viennois. Mlle Wiesenthal et M. Anton Birkmeyer.

Nous avions parlé avec sympathie de Mlle Wiesenthal, Viennoise, qui valsait au music-hall. Aujourd’hui, elle vient nous dire ses petits secrets sur le vaste plateau du Théâtre des Champs-Élysées. Ainsi faisant, elle se trahit elle-même cruellement. On s’était laissé prendre au charme ingénu de la midinette qui tourne avec effusion dans une guinguette du Prater. Mais elle a péché par orgueil. En s’affublant de colifichets prétentieux, capes, voiles, traînes, en abordant Richard Strauss et Brahms, elle n’avoua que mieux la pénurie et l’incertitude de ses ressources. Elle a le sens du rythme, mais, à tout moment, la débilité de sa technique l’accable. Sa coquetterie apparaît gauche, son geste gourmé. Et si elle n’avait pas cette manière de se jeter corps et âme en pleine valse, bondissant sur ses deux talons, de plonger dans le rythme ternaire comme dans son élément, c’eût été la débâcle. Le néant présomptueux de la marche hongroise, de la rapsodie de Liszt, ne se laissent pas suffisamment dire. Mais toujours dans les valses elle se ressaisit quelque peu et repêche quelque chose de sa spontanéité. Puis, le cabotinage moderniste reprend le dessus, et, soulignant à grands gestes évocateurs un sautillement intermittent, grêle, ou de pauvres petits temps de talons, elle repart vers une nouvelle défaite.

Si on s’étonne de voir cette danseuse de genre s’aventurer sur une grande scène lyrique, M. Anton Birkmeyer semble y être autorisé. Il est premier danseur de l’Opéra de Vienne. Je me figure le dernier ! M. Birkmeyer est un grand jeune homme affreusement décharné, aux muscles saillants. Son maintien est d’une raideur militaire ; il se déplace posément comme on obéirait à une consigne. Dans le Joseph de Strauss, pantomime en musique, il lui arrive de persévérer pendant quelques minutes dans une attitude de recueillement ou d’extase d’où toute force expressive est absente. Jambes nues, il arbore des habillements cocasses. Mais il a appris à danser. Il intercale dans son jeu des arabesques péniblement équilibrées, des temps classiques avortés. Et voilà que dans un accès de mégalomanie ineffable, il entreprend l’Arlequin du Carnaval, triomphe de Nijinsky. Il va il vient, tourne en l’air, pirouette laborieusement, obstinément. On applaudit ce qui l’incite à bisser. Par moments, on croit à une parodie volontaire, à une joyeuse farce dont nous ferions les frais. Car nous avons subi ce spectacle inouï. Si nos hôtes viennois se trompent sur leur propre valeur, ce n’est qu’humain. Mais que le public se laisse faire par nonchalance, par veulerie, par atrophie du sens plastique (que sais-je ?) je n’en reviens pas. Voilà donc les deux faces du sphynx : il trouve Castor et Pollux « rasoir », et il se dérange pour voir des fantoches se trémousser. « L’âge de Phi-Phi », constate Linor. C’est là l’ambiance dans laquelle se produit la renaissance actuelle de la danse. Et elle aboutira quand même, cette renaissance. Car rien ne pourrait enrayer le grand renouveau classique et le superbe élan d’une jeunesse vaillante sur laquelle l’esprit a soufflé.