Des manières de civilités.
Le talent de la danse produit des avantages précieux ; on aquiert avec facilité les dispositions nécessaires, ces manières agréables, ces mouvemens différens du corps, qui font l’agrément de la société. Il faut cultiver ce talent avec soin, et par cette culture, parvenir à ce degré de perfection qui fait l’admiration et obtient les suffrages et les applaudissemens publics : c’est pour mériter cette palme si agréable et si utile, que nous allons indiquer la manière de marcher, saluer et observer le corps dans ses principaux mouvemens.
De la manière de marcher.
On soutiendra le corps dans le maintien, selon que nous l’avons indiqué, les pieds étant placés à la première position, un peu tournés en dehors. Pour découvrir et prêter à la jambe▶ une bonne forme, on lâchera un genou qui se tendra aussitôt en portant le pied à la quatrième position en avant, le corps se posera ensuite dessus ; et l’autre ◀jambe▶ restée en arrière, on la passera à la première position, lâchant aussi le genou qui se tendra également, en portant le pied à la quatrième position en avant ; on posera légèrement les talons pour donner plus de légèreté et de propreté à la marche.
On exécutera cette marche continuement.
Pour marcher en arrière.
Étant placé comme pour marcher en avant, on lâchera un genou qui se tendra en portant le pied à la quatrième position en arrière ; le corps se posera consécutivement dessus, et on ramènera la ◀jambe▶ restée en avant, la pointe du pied basse ; lâchant le genou, on la passera à la première position, continuant cette marche en arrière.
De la manière de saluer pour les cavaliers.
Le cavalier, pour saluer, portera la main au chapeau, levant le bras à côté de lui selon la manière que nous avons démontrée pour porter les bras ; puis se découvrant, il descendra le chapeau de côté et jusqu’en bas, l’entrée de la forme tournée vers son côté ; il s’inclinera en pliant de l’estomac, soutenant la ceinture avancée, la tête à sa position naturelle, pour porter ses regards vers les personnes qu’il saluera, le corps étant plié : dans cette position, les épaules pencheront en avant, les bras descendront naturellement en ligne perpendiculaire, les soutenant sans roideur et dans la forme que nous avons indiquée ; puis le corps se relevant, les bras reprendront naturellement leur place.
Le cavalier exécutera ce salut doucement et continuement ; selon qu’il voudra se diriger pour se placer devant quelqu’un, il exécutera des dégagemens de pied à droite, à gauche ou en arrière. Pour cet effet, il dégagera un pied, le posant à la seconde position ; le corps se posant dessus, s’inclinera dans l’ordre ci-dessus, ramenant en même tems l’autre ◀jambe▶, en tirant la pointe du pied à terre, pour la rentrer devant à la troisième position, où elle arrivera en même tems que le corps plié qui se relevera doucement.
Pour exécuter le salut à la quatrième position en arrière, le cavalier reculera une ◀jambe▶ de ce côté, et se posant dessus, il s’inclinera selon que nous l’avons démontré ci-dessus, en ramenant en même tems sur la pointe du pied l’autre ◀jambe▶ qui arrivera à la troisième position devant, en même tems que le corps plié, lequel se relevera doucement.
Selon que le cavalier voudra se tourner pour se placer devant les personnes qu’il voudra saluer, il dégagera le pied de côté par une fausse position, c’est-à-dire qu’il tournera le pied en dedans plus ou moins, suivant qu’il devra se tourner : ce pied présenté en dedans, le corps tournera en suivant la même direction, pour se trouver tourné lorsque le pied sera posé ; il ramènera aussitôt l’autre ◀jambe▶ devant, en saluant en même tems, comme il est démontré ci-dessus. Le cavalier exercera ce salut des deux côtés.
De la manière dont les dames doivent faire la révérence.
Les dames, pour faire la révérence, dégageront un pied, le portant à la quatrième position en arrière, puis placeront aussitôt le corps au milieu des deux ◀jambes▶, pour les plier également et bas, les genoux en dehors, afin qu’ils sortent également sur les côtés ; et se relevant droit sur la ◀jambe▶ qui est derrière, elle rapprocheront en même tems sur la pointe du pied l’autre ◀jambe▶ pour la placer devant à la troisième position.
Les dames exécuteront cette révérence doucement et continuement ; elles exécuteront egalement les dégagemens de pied à la seconde bonne ou fausse position, présentant la pointe du pied en dedans plus ou moins, selon qu’elles devront se diriger ; passant l’autre ◀jambe▶ à la quatrième derrière, elles exécuteront la même révérence selon que nous l’avons démontré ci-dessus.
De la manière de marcher et se comporter dans les rues.
L’on marchera selon que nous l’avons démontré, modérant le pas, le corps dans une bonne contenance ; si c’est un cavalier, qu’il laisse tomber les bras ; il les soutiendra dans le mouvement naturel de la marche, lequel oppose toujours le bras à la ◀jambe▶ du même côté ; il ne balancera point les épaules en marchant ; cela est d’un mauvais genre. Si l’on rencontre quelqu’un que l’on considère, et qu’il marche devant soi, on ne doit point le devancer pour marcher devant lui ; en pareil cas on se détournerait de son chemin. Si au contraire il venait devant vous, vous lui céderiez le passage le plus commode, qui est ordinairement le haut pavé, en vous découvrant du côté opposé à son passage, descendant le chapeau dans toute l’étendue du bras, comme signe de grande considération, s’inclinant jusqu’à ce qu’il soit passé, et ne point se retourner pour regarder ses pas. S’il vous arrête, ce que vous ne devez point faire par rapport à la supériorité, vous tiendrez le chapeau bas, à moins qu’il ne vous ordonne de vous couvrir ; ce que vous ferez aussitôt par condescendance, ou après en avoir obtenu la permission. S’il y avait nécessité de se couvrir, s’il était accompagné de quelqu’un, vous vous découvrirez du côté opposé à la personne qui l’accompagne ; et si vous êtes recouvert en les quittant, vous redescendrez également le chapeau en vous inclinant.
Lorsqu’on accompagne une personne à qui l’on doit des égards, on lui cède également le chemin le plus commode ; et s’il venait à propos de changer de côté, on le laisse devancer pour passer derrière et prendre celui convenable, réglant sa marche suivant la sienne, et observant les mêmes civilités qu’il pourrait employer envers les personnes qu’il rencontrerait ; et s’il s’arrêtait pour leur parler, on s’écarte un peu, n’observant point leur conversation. Si c’est une dame que l’on accompagne, on ne doit point lui offrir le bras, cela est familier, et ne pourrait être au plus que dans un cas urgent, comme la main dans un mauvais pas.
De la manière dont une dame doit se comporter dans les rues.
Lorsqu’une dame marche dans les rues, elle doit observer une bonne contenance et décence, et s’abstenir de précipiter sa marche ni de laisser tomber les bras comme les cavaliers ; elle les tiendra près d’elle, les coudes pliés, l’avant-bras et la main tournes devant elle, une ou les deux, selon l’usage nécessaire dont elle pourrait en avoir besoin : elle ne doit fixer personne, ni s’arrêter pour parler, à moins qu’elle n’y soit forcée par condescendance envers quelqu’un qu’elle rencontrerait et à qui elle devrait des égards ; elle s’arrêtera alors le moins long-tems possible, en faisant une révérence ou en s’inclinant.
De monter en voiture.
Si l’on monte en voiture avec quelqu’un, que ce soit une dame ou autre personne pour qui l’on ait des considérations, on lui cédera le pas pour monter, lui laissant occuper la première place qui est la droite du fond, descendant ainsi jusqu’à la gauche sur le devant, qui est la dernière : montant ensuite, l’on se placera sur le devant, quand même la personne serait seule. Le cavalier doit se tenir découvert. On observera une bonne contenance et condescendance ; et lorsqu’il faudra descendre, on le fera le premier et en arrière, pour laisser à la personne plus de facilité dans ses mouvemens, et se préparer d’une façon honnête à l’aider à descendre s’il était nécessaire.
De la manière de se comporter à la promenade.
Lorsque l’on est en société à la promenade, soit particulière ou à la campagne, on doit régler sa marche suivant celle de la société avec qui l’on est : la marche en pareil cas est ordinairement posée ; le cavalier doit se tenir découvert, à moins que quelque personne supérieure en ordonne autrement ; ou après en avoir obtenu la permission. Si l’on est plusieurs de front ; on cédera toujours la place du milieu aux supérieurs. Il ne faut point s’approcher trop près des personnes, ni s’en éloigner trop, afin de pouvoir entendre s’ils vous parlaient, et qu’ils ne soient point obligés d’élever la voix. S’il vient un à propos de saluer, le cavalier saluera, et la dame fera la révérence selon la manière que nous avons démontrée pour chacun d’eux, observant toujours une bonne contenance et condescendance.
De la manière d’entrer dans un appartement et d’en sortir.
Lorsque l’on se présente pour entrer dans un appartement (le cavalier doit se découvrir), on se fait annoncer ou entendre ; après avoir obtenu la permission d’entrer, on entre posément, faisant quelques pas pour se placer devant les personnes que l’on veut saluer ; le cavalier saluera à la première position, et la dame fera la révérence à la quatrième : s’il est nécessaire d’exécuter un dégagement de pied pour se tourner devant eux, on le fera selon la manière que nous avons démontrée ; et pour sortir, le cavalier fera le salut, lâchant la ◀jambe▶ à la quatrième position en arrière, et continuant de marcher à cette position quelques pas pour se retirer. La dame fera la révérence aussi à la quatrième position, et continuera de marcher également pour se retirer.
Quand on se présente pour entrer dans un appartement, si l’on est avec quelqu’un à qui on doit des égards, on lui cède le pas ; s’il veut que l’on entre le premier, on le fait par condescendance : étant entré dans la première pièce, on se range de côté à son passage, et on s’incline devant lui : s’il persiste à ce que l’on continue d’entrer le premier, on le fait aussitôt ; et arrivés au lieu destiné, on se place de côté pour saluer à son passage, le cavalier saluant à la première position, et la dame faisant la révérence à la quatrième.
Pour sortir, on salue comme nous l’avons démontré ci-dessus, et on sort le premier, principalement si c’est le maître de la maison, devant être le dernier chez lui.
De la manière de se présenter chez quelqu’un supérieur, à l’effet d’obtenir une audience.
Lorsque l’on se présentera pour entrer, le cavalier se découvrira de la main gauche, tenant le chapeau bas selon l’étendue du bras : s’étant fait annoncer, s’il faut attendre dans une pièce voisine de celle où est la personne à qui l’on a affaire, le cavalier se tiendra découvert, et on saluera les personnes qui pourraient s’offrir à la vue ; et lorsqu’on aura la permission d’entrer, on entrera quelques pas, on dégagera un pied selon le sens qu’il faudra prendre pour se placer en face la personne que l’on voudra saluer ; le cavalier saluera comme nous l’avons démontré ; et la dame fera la révérence pareillement et en même tems, descendra doucement les bras, les soutenant dans la forme que nous avons indiquée pour leur tenue ; se relevant, on marchera posément vers la personne devant qui l’on se présente ; et restant à la distance de quelques pas, le cavalier répétera le salut, les pieds à la première position, et la dame fera la révérence à la quatrième ; et si l’on a quelque chose à représenter, en relevant le salut on levera en même tems le bras droit, duquel l’on tiendra ce que l’on a à présenter, et on le présentera aussitôt, observant la manière indiquée pour lever et baisser les bras ; et après l’avoir présenté, en baissant la main, on lâchera en même tems la ◀jambe▶ à la quatrième position en arrière, à laquelle le cavalier saluera, et la dame fera la révérence. Si l’on n’a qu’à parler, après avoir été entendu, on fera également le salut ou révérence à la quatrième position en arrière, continuant de marcher à cette position pour se retirer, et on répétera ce salut avant de sortir.
De la manière de se présenter dans une grande assemblée.
Lorsque l’on se présentera dans une grande assemblée, le cavalier se découvrira de la main gauche, tenant le chapeau bas selon l’étendue du bras ; on entrera en marchant posément, et selon le sens qu’il faudra prendre pour se placer premièrement devant le maître de la maison ; on dégagera un pied, et ramenant l’autre, on saluera en même tems, portant ses regards vers le chef de la maison et ceux qui l’environnent. Lorsque la dame fera la révérence, pour donner plus d’élégance et marquer plus de condescendance, elle descendra en même tems les bras, les soutenant dans la forme que nous avons indiquée au maintien.
Pour saluer les personnes qui se trouvent placées autour de l’endroit ou sur les côtés, sitôt que l’on sera relevé au premier salut, on fera un dégagé de seconde fausse position, pour se tourner et se placer de manière à se présenter à toutes les personnes qui sont du côté vers lequel on s’est tourné ; on saluera ou fera la révérence, promenant en même tems par un léger mouvement de tête ses regards vers tous ceux qui sont placés de ce côté ; et aussitôt que l’on aura salué de ce côté, on dégagera l’autre pied pour saluer également de l’autre côté, évitant autant qu’il sera possible de tourner le dos devant quelqu’un. Dans une assemblée où le cérémonial est moins observé, on peut abréger en faisant un seul salut ou révérence, promenant en même tems ses regards vers toute la société ; mais cette manière de saluer perd toujours du gracieux ; et en pareil cas, on fera, comme dans l’autre, quelques pas vers le maître de la maison ou la personne supérieure de la société ; on s’arrêtera à une distance de quelques pas, et l’on saluera ou fera la révérence, pour lui marquer les honneurs particuliers qu’on lui doit ; et se relevant, l’on fera quelques pas en arrière vers la place qui vous est offerte ou destinée, à laquelle étant arrivé, vous inclinerez vers ceux auprès, comme signe d’un rapprochement particulier, et s’asseyant doucement avec précaution, afin de n’incommoder personne. Étant assis, l’on tiendra les ◀jambes▶ droites, les talons joints, les pieds un peu en dehors, le corps droit, la tête haute, les bras contre soi, et pliés de façon que l’avant bras tourne en avant, et les mains posées sur soi, lesquelles on aura soin de ne point gesticuler en parlant.
L’on observera une bonne contenance et condescendance. On suivra l’exemple de la société pour les cas imprévus. On observera ce même maintien lorsqu’on sera à table, ne s’en approchant ni ne s’en éloignant trop ; tenant les bras près de soi, on posera les poignets sur la table.
On observera aussi de ne point s’empresser pour se mettre à table, et approchant de la place qui vous est désignée, on s’inclinera vers les autres convives comme signe d’un rapprochement, et envers ceux près de soi, comme celui d’un rapprochement particulier. On suivra l’exemple de la société pour les autres cas.
De la manière de se présenter et de se comporter dans un bal.
Lorsqu’on se présente pour entrer dans un bal, si le bal n’est point commencé et que la société soit assemblée, l’on suivra la même règle, comme nous l’avons démontré pour une grande assemblée ; si au contraire le bal était commencé, et que son mouvement éblouissant cache votre arrivée, on se placera le mieux possible pour saluer ; et sitôt que l’on aura fait un salut ou révérence, on ira se présenter au maître de la maison ; restant à une distance, on le saluera, le cavalier faisant le salut à la quatrième position en arrière ; et la dame, à cette position, fera la révérence, et en même tems descendra les bras selon que nous l’avons démontré précédemment ; et en se relevant, l’on continuera quelques pas en arrière ; et allant vers l’endroit où l’on devra se placer, on s’inclinera devant les personnes placées où l’on passera. On observera la même règle que nous avons démontrée pour s’asseoir et se maintenir étant assis, et également une bonne contenance et condescendance.
On s’abstiendra de se promener le long du salon durant les intervalles de la danse, et principalement lorsque les quadrilles sont formées, comme de les traverser. Il ne faut point se promener autour du salon pour regarder fixement les personnes qui y sont placées ; cela est indécent et d’un mauvais genre.
Il est malhonnête et indécent de choisir les dames pour les faire danser, comme de danser toujours avec la même. Il est censé que dans une bonne société ceux qui la composent sont d’un mérite égal et distingué, étant invités par le maître de la maison ; et ce serait une insulte qu’on lui ferait.
Lorsque l’on invitera une jeune personne pour danser, en l’abordant, on fera un salut, lui demandant son consentement, et soumettant cette demande à l’approbation des personnes qui l’accompagneraient et paraîtraient la diriger : l’ayant obtenue, on s’inclinera en lui présentant la main droite pour recevoir sa main gauche qu’elle doit présenter, lesquelles on soutiendra levées, tenant les bras selon que nous l’avons démontré. Le cavalier se tenant un peu écarté et à côté de sa dame, la conduira à la place destinée pour danser, où ils se placeront, le cavalier à la gauche de la dame, la dame à la droite du cavalier. Le quadrille ou rond étant formé, les personnes qui le composent se salueront réciproquement ; puis chaque cavalier et sa dame se tournant en face l’un de l’autre, se salueront : le cavalier saluera, lâchant la ◀jambe à la quatrième position en arrière ; la dame fera la révérence également à cette position ; et se relevant tous deux, ils reprendront le sens de la danse. Cet usage en tiré du menuet ; et quoiqu’il ait aussi beaucoup perdu, il est indispensable dans une bonne société.
Au moment de l’exécution de la danse, si l’on doit des égards à quelqu’un, on lui cédera le pas pour figurer le premier, et lorsqu’on dansera, l’on aura soin d’observer strictement les règles de la danse. Il n’est point honnête de marcher au lieu de danser, comme de regarder du côté opposé à son danseur ou sa danseuse, de ne pas donner la main quand le sens de la danse l’exige : ce sont autant de marques de mépris. On dansera décemment, et tenant la contenance indiquée par les principes que nous avons démontrés ; les cavaliers s’abstiendront principalement de trop répéter des tems de vigueur ou battus, surtout lorsque n’ayant pas assez exercé la danse pour les exécuter avec finesse et conserver le maintien, ils sont souvent susceptibles de s’enlever trop haut et avec force ; ce qui leur fait perdre le maintien, le gracieux, et les rend désagréables, indécens, et souvent incommodes aux personnes qui les entourent. Il ne faut point quitter sa place durant que les autres personnes figurent. La danse étant un amusement pratiqué en société, doit par conséquent être accompagnée des manières civiles. Lorsque la danse sera finie, on répétera le salut comme auparavant ; et chaque cavalier recevant la main gauche de sa dame, suivant l’ordre, également comme avant, la reconduira à sa place en s’inclinant devant elle et les personnes qui l’accompagnent. La dame fera la révérence.
On se comportera toujours avec décence et condescendance, évitant de danser toutes les contredanses ; cela devient importun, et prive souvent d’autres personnes de danser, à moins que ce ne soit par complaisance ; et si l’on ne pouvait rester jusqu’à la fin du bal, on ira se présenter aux maîtres de la maison pour les saluer, comme pour leur témoigner satisfaction, reconnaissance et regret de les quitter sitôt ; toutefois que cela n’occasionerait pas un dérangement, pour eux ou pour la société ; en pareil cas on s’en abstiendrait.
Observations sur les manières de civilité.
Pour exécuter avec aisance les manières de civilité que nous venons d’expliquer et de démontrer, il faut s’y habituer par le travail et la pratique. Il faut surtout les observer envers ses supérieurs, que l’on ne doit jamais aborder ni quitter sans faire une profonde révérence. Il faut saluer les personnes même avec qui l’on n’a que des rapports de familiarité ; et avec les inférieurs, s’abstenir de ce ton de fierté indigne des personnes bien nées et qui ont de l’esprit. Un homme bien élevé ne saurait s’oublier envers ses semblables, surtout quand ils ont quelque droit à son estime. La politesse est de tous les rangs ; cependant il faut en user suivant le genre des personnes à qui l’on a affaire ou devant qui l’on se présente ; car il existe une grande différence de genre et d’habitudes entre les personnes d’un haut rang et celles d’un rang inférieur : chez les premières, la politesse s’exécute en silence ; c’est alors que vous devez avoir recours aux principes qui vous prescrivent la manière de vous présenter et d’observer le corps dans tous ses mouvemens, ce qui devient une habitude dans la nature, quand on a souvent occasion d’en faire usage. La politesse, chez les secondes, s’observe autrement : là, ce ne sont plus des manières respectueuses ou silencieuses ; c’est au contraire le plus souvent dans beaucoup de paroles et de démonstrations que consiste la politesse ; c’est alors que si vous en usiez comme chez les premières, vous courriez risque d’être tourné en ridicule ; car les usages et les habitudes de l’un sont ridicules chez les autres. En pareil cas, il est nécessaire de se rapprocher des usages des personnes à qui l’on a affaire ou devant qui l’on se présente ; mais en se réglant toujours sur les vrais principes, sans lesquels on tomberait dans tous les défauts du vulgaire, où l’on ne voit que corruption ou mélange de mauvaises habitudes plus ridicules les unes que les autres ; grimaces, minauderie, contorsions, tournure bizarre, guindée, triviale ou indécente, ton de fierté même envers ses égaux, quand on se croit au-dessus d’eux, soit par la différence de profession ou d’opulence, soit par le luxe de l’habillement qui est un des principaux points en ce genre. On ne néglige aucune de toutes ces prétendues modes pour parvenir à un bon ton. Il en est, en effet, pour le ton et les manières, comme pour la danse : dès que les principes sont méconnus, l’ignorance, le mauvais goût et le mauvais ton créent toutes sortes de défauts, qui se propagent chaque jour par une aveugle imitation. Il est facile de reconnaître ces espèces de caricatures ; lorsqu’ils se présentent devant quelqu’un d’un rang qui leur en impose, ils ne savent quelle contenance tenir ; s’ils saluent, c’est par un petit mouvement de tête, en la penchant de côté, sans mouvoir le corps ; et ce qui tient beaucoup de la niaiserie ou de la sottise, ils ne savent non plus que faire de leurs mains ; souvent ils les portent à leur tête ou à leurs vêtemens, comme s’ils trouvaient en cela un soulagement à leur confusion. Quand à la politesse, aux convenances, à la galanterie, il n’en faut point espérer de semblables gens.
Tous ces défauts qui naissent de l’ignorance et du mauvais ton, je ne les aurais pas encore signalés s’ils étaient restés où ils ont pris naissance : mais je les combats ici dans l’intérêt de la bonne société, qui les voit avec peine s’introduire chaque jour dans son sein ; c’est pour mettre les jeunes gens qui la fréquentent à portée de s’en garantir, que j’en ai tracé un long et fidèle tableau.
Nous ne terminerons point un ouvrage sur la danse sans répondre à la critique grossière de ceux pour qui un tel sujet a toujours trop d’importance, parce qu’ils jugent toujours du goût et des habitudes des autres d’après les leurs, pour qui la danse n’a aucun attrait et qui ne voient en elle qu’un plaisir brutal, frivole ou dangereux. Sans doute, la danse, considérée seulement comme moyen de récréation, n’est qu’un plaisir frivole qui se passe avec l’âge ; mais par cela même, elle n’a rien de dangereux, et peut être regardée comme un des amusemens qui conviennent le mieux à la jeunesse. Je n’ai pas bonne opinion d’un jeune homme qui n’aime pas la danse, disait un homme de beaucoup d’esprit. Son raisonnement était fondé sur ce qu’il soupçonnait un jeune homme qui n’aime pas la danse, de se livrer à d’autres genres d’amusemens qui, loin d’être passagers comme celui-là, nourrissent dans la jeunesse des vices, qui, presque toujours, s’accroissent avec l’âge. Il est aisé de s’en convaincre en ce moment dans les endroits où les jeunes gens ne dansent point. La danse, comme nous venons de le dire, n’offre rien de dangereux quand on la pratique en bonne société : là se forme la jeunesse par un maintien respectueux et décent, que lui inspire toujours la bonne compagnie. Et que devient-elle au contraire, quand elle est abandonnée à elle-même ? C’est aussi, nous le disons encore avant de finir, c’est des principes de la danse que naissent ceux des manières civiles et honnêtes pour saluer, se présenter et se conduire selon les usages de la bonne société. Un critique disait un jour qu’on apprenait à danser d’un maître de danse, et que pour cela on ne saluait pas comme un maître de danse : il n’en fallut pas davantage pour prouver que ce critique ignorait les usages des grands ; car un maître de danse, placé comme artisan dans la classe du vulgaire, a moins besoin de savoir saluer que les élèves à qui il l’enseigne, si ce n’est pour se présenter chez eux.
Nous n’avons point eu la prétention d’orner, par cet ouvrage, l’esprit de nos lecteurs ; mais d’orner le corps par des principes puisés dans la nature, et combinés avec les besoins de la bonne société. C’est en observant ces règles prescrites par l’usage et la politesse qu’on se rend utile et agréable à la société, et qu’on obtient cette estime et cette considération que l’homme doit rechercher dans tous les tems et dans toutes les occasions. L’expérience démontre que les jeunes gens bien élevés obtiennent ces égards, ces sentimens d’affection de l’ame qui sont la récompense et le prix d’une bonne éducation, tandis que l’on n’a que de l’indifférence et du mépris pour cette jeunesse volage et inconsidérée qui affecte de méconnaître les règles de civilité. N’oublions jamais que c’est dans l’exercice de la danse qu’on doit surtout observer ces principes de sagesse, ces leçons de respect, et ces manières agréables et décentes qui donnent à cet art des avantages incontestables et précieux.
Pour pratiquer cette méthode, il est nécessaire de lire plusieurs fois et avec attention chaque article ou leçon, afin de fixer les principes dans la mémoire, et par ce moyen de les avoir toujours présens à l’exécution ; et lorsque l’on voudra faire un tems qui est démontré par chaque leçon, il faudra exécuter chaque mouvement successivement, suivant qu’ils sont démontrés, afin d’arriver à l’exécution de ce tems.