(1887) Ces Demoiselles de l’Opéra « XI. Le corps de ballet actuel. » pp. 228-269
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(1887) Ces Demoiselles de l’Opéra « XI. Le corps de ballet actuel. » pp. 228-269

XI
Le corps de ballet actuel.

A travers les sujets : mesdemoiselles Sanlaville, Invernizzi, Monchanin, Fatou, Annette Mérante, Piron, Righetti, Montaubry, Biot IIe, Bussy, Hirsch, Adèle Mérante, Biot IIe, Lecerf, Grangé, Keller, Adriana, Sacré, Salle, Testa, Moïse, Lapy, Bernay, Ottolini, Mercédès, Roumier, Stilb, Lobstein. — A travers les coryphées : mesdemoiselles Vendoni, Jourdain, Rat, Violat, Bourgoin, Moris, Vignor. Khan, Désiré, Pamélar Ie, Pamélar IIe, Grandjean Ie, Méquignon, Leppich. — A travers les quadrilles : mesdemoiselles Desprez, Deschamps, Poulain, Blanc, Laurençon, Hayet, Meyer, Martin, Tremblay, Grandjean IIe Sandrini, Mafioli, Corzoli, Perrot, Prince Ie, Prince IIe, Marchisio, Sonendal, Van Gœuthen, Rossi, Campion, Darde, Franck, Monnier, Buret, Laine, Sergy, etc., etc., etc.

A travers les sujets.

Marie Sanlaville

Au foyer, on l’appelle Sent-la-Pipe. Ingénieuse et délicate plaisanterie ! N’est-ce pas dejà à l’Opéra, du reste, que Caroline Duprez, madame Vandenheuvel, avait été baptisée madame Vend-des-Navets ?

Marie Sanlaville est de Lyon : comme les frères Lionnet, ajoutait la petite Paillier, qui passait pour avoir l’esprit de Rivarol et de Champfort.

Une jolie figure de sainte-n’y-touche, alors qu’au commencement, elle jouait les « demoiselles à marier. » Aujourd’hui qu’elle porte le travesti comme Déjazet, — n’a-t-elle pas remplacé Mérante dans Yedda, — elle a pris un peu les allures et la physionomie de l’habit. Excellente danseuse d’ensemble ; classique ; la meilleure mime de la maison. Canotière infatigable : on en sait quelque chose chez Fournaise à Chatou. Mère d’une grande fille qui travaille la comédie, au Conservatoire, et dont elle semble la sœur jumelle. Aux cartes, sa couleur préférée est le pique…

Vous voyez bien que, quand je m’y mets, j’ai presque autant d’esprit que la petite Paillier !

Mademoiselle Invernizzi

Une Italienne qui aurait figuré avec avantage à l’exposition du Blanc et du Noir. Bistre et camélia mêlés. Très charmeresse, très distinguée : assez musicienne pour exécuter une fugue ; assez comédienne pour se la faire pardonner. Léonide Leblanc, son amie, lui a appris à se tenir avec les personnes comme il faut. La séduction dans la correction. D’une propreté de Flaman le dans les relations extérieures. Une chatte qui ne demande pas mieux que de chiper des confitures, mais qui ne veut pas se poisser les pattes ni se barbouiller le museau.

Mademoiselle Monchanin

Une santé florissante comme l’Athènes de Périclès ou comme la Rome des Césars. Une chevelure brune, ondée et profonde comme la mer. Des yeux caressants et fous en leur flamme alerte. Pour bouche, un trait de carmin vivant et souriant. La gorge un peu haute, ainsi qu’il sied aux femmes de qualité. Les extrémités fines comme un article de Monselet à jeun…

— Et des attaches ?…

— Officielles avec le gouvernement. Autrefois, du moins. Aujourd’hui, mademoiselle Monchanin s’efforce de faire oublier son passé politique. Elle a conservé, néanmoins, des goûts assez présidentiels. C’est ainsi que, comme M. Grévy, elle ne s’occupe plus que de Bébé…

Seulement, le sien n’est pas un canard.

Mademoiselle Fatou

Un de mes voisins à l’orchestre me disait, l’autre soir, pendant le divertissement de la Juive :

— Tenez, regardez-moi Fatou…

Elle sait danser, celle-là !…

Il est vrai qu’elle n’est pas jolie. Mais à quoi diable lui servirait-il de l’être ? Mariée, des enfants, emmélassée dans la popote et la famille !…

Et tranquille, et rangée, et économe, et prévoyante !..

Aussi ne sait-elle pas sourire…

Eh bien ! cette absence de sourire lui fait plus de tort que son physique : voilà où mène la conduite !…

Pour le reste, elle a tout : parcours, pointes, élévation. Grand style. Exécution remarquable. Construction très fine et très ferme. Considérez, je vous prie, qu’elle ne s’enlève jamais sans avoir fondu au préalable !…

En somme, une ballerine accomplie, si seulement elle consentait à se laisser guillotiner.

Annette Mérante

La nièce du prince Charmant de tous les ballets de l’Opéra. Experte en son art, comme son oncle, comme son père, qui fut longtemps chargé de la classe des garçons ; mais affligée d’un défaut dont elle n’a jamais pu se corriger. En termes de métier, elle est en dedans.

Etre en dedans, c’est avoir toujours ses genoux trop près l’un de l’autre, ce qui ne permet pas à l’artiste de se développer et de faire oublier au public la torture qu’elle s’impose, malgré le sourire de rigueur.

Beaucoup de respectability, à la ville comme au théâtre. Un museau de levrette. Un physique vieillot : du moins, à ce que prétend un journal…

Et quand on pense que ce journal, — que j’ai ici, sur ma table, — porte la date du 12 avril 1868 !

Mademoiselle Piron

Bordelaise. Aussi pimentée que les écrevisses à la sauce de sa ville natale. Non moins aphrodisiaque que certains « morceaux choisis » de son illustre homonyme. Les allures harmonieuses et décidées de Diane chasseresse ; la taille, les bras, les jambes et les épaules de Diane au bain : moins cruelle pour Actéon. Célèbre par les démêlés qu’elle eut, dans le temps, avec la petite Testa…

— A quel propos ?

— Tiens, à propos d’Actéon, donc !

Blanche Righetti

— Hop ! hop !… Hé ! là-bas !… Gare donc !

C’est une voiture qui file à travers les avenues du Vésinet, conduite par une jeune femme habillée avec goût.

Le cheval a du sang. Le domestique, assis à l’arrière, est boutonné dans une livrée de bonne compagnie. Pour monter et pour descendre, pour s’installer sur le coussinet surélevé, pour caresser du fouet la croupe de sa bête, la jeune femme a des mouvements, des attitudes qui restent toujours dans la ligne. Une écuyère ou une danseuse possède seule de ces grâces d’Etat.

Celle-ci n’est autre que mademoiselle Blanche Righetti, une transfuge du Théâtre-Lyrique qui a su s’acclimater à l’Opéra, retour de Londres. Elle ne manque pas d’école ; mais c’est une fausse légère. Par exemple, un œil, une langue, un entregent ! Des amis partout ! Jusque sur les marches des trônes !

Au Vésinet, elle a l’approbation de la marchande de journaux, laquelle n’a pas sa pareille pour faire — ou pour défaire — la réputation de ses administrées.

Sa propriété, où elle reçoit des princes et des fils de roi, n’affecte point ce luxe d’aménagement qui fait crier les dames des commerçants en rupture d’épicerie. Sa mère a sa chaise capitonnée à l’église. Et Dieu sait ce qu’elle a brûlé de cierges pour que « la petite » réussît, quand il s’est agi pour celle-ci de reprendre le rôle de l’abbesse, dans Robert !

Et voilà, maintenant, Righetti qui s’en va !

Comme Fonta, comme Beaugrand, comme Annette comme Adèle Mérante !

Ah ça ! on lui a donc offert un portefeuille ?

Mademoiselle Montaubry

Si les blondes sont deux fois femmes, elle est femme deux fois et demie.

C’est une cousine de l’ex-ténor de l’Opéra Comique. C’est aussi une des anciennes de l’Opéra. Elève du papa Mathieu. En 1866, elle sortait des coryphées pour passer petit sujet. Vous avez bien lu : en 1866. Et elle avouait dix-huit ans, pour qu’on ne lui en donnât pas plus de vingt.

Faite au moule : un moule susceptible de développements. Avez-vous remarqué ses mains ? Un pur chef-d’œuvre ! Elle a été très en vue à l’ancien Opéra. Vous rappelez-vous la Nubienne, de Faust ? Ses succès ont été universels ; car sur un pilier calciné de l’hôtel Choiseul, on a trouvé écrit :

« O Montaubry, que tu es belle ! Je ne t’aurai jamais ! Pauvre pompier ! »

Alice Biot

Intelligente et agréable personne. Travaille beaucoup. Existence simple et régulière. Pourquoi insinue-t-on qu’elle a quelques points de ressemblance avec certain boulevard, percé par un préfet de la Seine dont il porte le nom ?

Marie Bussy

Tout ce qui est petit est gentil…

Bussy ne fait pas mentir ce proverbe, dont Monchanin, du reste, justifie la rallonge :

Mais tout ce qui est grand est charmant.

Remarquablement proportionnée dans sa minuscule personne.

Les cheveux du soleil. Des yeux qui cabriolent pour s’amuser, et qui doivent joliment faire les affaires du diable. Et caillette, oh ! mais caillette ! Et prompte à coudre la pièce au trou comme on dit ! En entrant, un soir, au foyer, mademoiselle Mercédès demande :

— Devinez où j’ai passé ma journée ?… Au Jardin des Plantes… Mon Dieu, oui : je suis allée voir les animaux…

Bussy, sans avoir l’air d’y toucher

— Tout le monde va bien dans ta famille ?

Mélanie Hirsch

Quand on s’appelle Mélanie de son petit nom, le moyen de ne pas être brune !

Le nez kalmouck. Des yeux qui demandent l’aumône à la porte d’un couvent de Carmes. Une bouche dans laquelle les dents ne sentent pas le renfermé.

Sa famille vit de l’Opéra. Le père y était, je crois, musicien à l’orchestre ; le fils y tient un second ou un troisième violon ; la fille y danse, — depuis douze ans, — avec beaucoup de légèreté, et Dieu sait avec quelle chaleur, quel amour et quelle conviction !

C’est une pirouette vivante, un jeté-battu en jupon, un rond de jambe en maillot, un entrechat passé femme !

Elle danse partout. Elle danse toujours. J’imagine qu’elle doit se relever, la nuit, pour répéter une variation « dans le simple appareil, » entre le bougeoir éteint et les meubles intimes !

Par exemple, sa conversation ne fait pas beaucoup de bruit au foyer.

Je puis, toutefois, vous assurer qu’elle a infiniment d’esprit… dans l’orteil, et qu’elle cause très agréablement… pour les yeux.

Adèle Mérante

Elle appartient à cette famille où chacun naît avec du talent.

Des quenottes à croquer des pommes — ou des lingots.

Entripaillée comme il convient, dirait Panurge dans Rabelais.

Le nu lui irait comme un gant.

Biot IIe

A l’orchestre, on l’appelle familièrement la Sous-Préfète. Peut-être est-ce à cause de sa sœur. Mademoiselle Biot IIe est restée éloignée du théâtre pendant un laps assez prolongé. Ne me demandez pas la cause de cette absence. Je serais obligé de copier Arnal. Dans je ne sais plus quel vaudeville, comme il était en train de raconter sa traversée de Calais à Douvres :

— Et la mer, questionnait quelqu’un, vous ne nous parlez pas de la mer ?

— Monsieur, la mer était grosse.

Et l’excellent comique s’empressait d’ajouter :

— Ceci soit dit sans intention de porter la moindre atteinte à sa réputation.

Mademoiselle Lecerf

Ni belle, ni laide : entre les deux. Un talent honnête. Une physionomie insignifiante. Mademoiselle Lecerf vit sous l’aile de son frère, danseur lui-même à l’Opéra. Tout en elle est irréprochable comme un roman de Georges Ohnet. Pourquoi ne l’a-t-on pas décorée ?

Mademoiselle Grangé

De ces figures dont on ne dit rien et qui n’en disent pas davantage. La mère travaille à la manufacture des tabacs. La fille en profite pour priser les messieurs à tabatière d’or contrôlé par le poinçon de l’Etat. Elle devrait pourtant se rappeler, avec la Cazilda de Ruy Blas :

Que, parfois, la vieillesse se gagne par les yeux,
Et qu’on vieillit plus vite à voir toujours des vieux.

Mademoiselle keller

Une tête d’un ragoût surprenant ; des traits d’une délicatesse infinie ; des yeux longs comme ça, — comme ça, — COMME ÇA !!!

Comme taille, une liane, diraient les poètes.

Une aiguille à carder les matelas, disent les bonnes petites camarades.

Mademoiselle AdrIana

Un peu fade. On se moque d’elle à cause de sa façon de s’habiller. De fait, elle vous porte une perruque à petits tire-bouchons !…

Mademoiselle Sacré

Une gentille fillette, qui a eu le malheur de voir sa mère rendre quelques services de cuisine à la divinissime Subra. Celle-ci, qui a la reconnaissance de l’estomac, s’est rappelée, au faite des grandeurs, les consciencieuses soupes aux choux et les mirotons nourrissants que la famille Sacré partageait avec elle alors que, pauvre et famélique, elle descendait prendre sa leçon, de Montmartre. Elle a élevé la maman Sacré à la dignité de grande maîtresse de sa maison et la fille à celle de demoiselle de compagnie. De ce jour, la petite étoile a disparu dans le flamboiement de l’astre, et n’a plus rien conservé en propre que son goût pour les gens barbus. Histoire de donner raison à la chanson de Thérésa : Rien n’est sacré pour un sapeur.

Mademoiselle MoIse

Un profil qui arrive du Sinaï en ligne… courbe. Mais si gracieuse en dépit de ce bec de corbin ! Israélite, nécessairement. Au foyer, on dit même : juive !

Mademoiselle Lapy.

Entre deux âges. Plus près de celui qui ne s’avoue pas. Elle a longtemps désespéré tous les prétendants. L’un de ceux-ci a été, enfin, plus adroit ou plus heureux que les autres. D’où l’expression : Trouver Lapy au nid.

Mademoiselle Bernay

Ouvrez le premier dictionnaire de géographie venu, vous y trouverez :

« Bernay, chef-lieu d’arrondissement de l’Eure, 7,643 habitants. »

L’arrondissement y est bien, parfois ; mais le dictionnaire exagère le nombre de ses habitants.

Ouvrez l’Evénement du 13 février 1882, vous y lirez :

« Mademoiselle Bernay, aimable personne. — Très simple et très rangée. — Excellente mère de famille, »

Ouvrez, enfin, le Plutarque des Dames, ou Etrennes aux Oisifs, publié, en l’an de grâce 1831, par Paul Domère, libraire, rue du Cimetière-Saint-André-des Arts ; vous y rencontrerez, à l’adresse de mademoiselle Marsolier, « élève de Terpsychore à l’Académie royale de musique », ce couplet qui pourrait, à bon droit, s’appliquer également à mademoiselle Bernay.

Air : MUSE DES BOIS

Jeunes amants, elle fuit votre hommage :
Vieux soupirant doit être son vainqueur.
Vous la blâmez, mais ce trait, à son âge,
Fait, selon moi, l’éloge de son cœur.
Car elle croit qu’il faut à la vieillesse
Faire oublier l’heure de son trépas,
Et qu’on doit voir la main de la jeunesse
Toujours de fleurs semer ses derniers pas.

Mademoiselle Salle

Un petit lion fauve qui lèche ses griffes au souvenir de la proie d’hier et dans l’espoir de celle de demain.

« Avait beaucoup de bijoux jadis ; mais les bijoux sont allés faire leurs vingt-huit jours. Elle s’est empressée de se rejeter dans la carrosserie : la carrosserie a remisé. Elle est seulette et pleure… »

L’auteur de cet article ajoute avec galanterie :

« Vous faut-il un consolateur, mignonne ? »

J’incline à croire qu’elle n’en a point manqué et que l’on a pu, depuis, voir plus d’une fois Salle comble à l’Opéra.

Mademoiselle Testa

L’ennemie intime de mademoiselle Piron.

Pourquoi cela ?

Imitez Diogène : allumez une lanterne — en plein midi — et cherchez !

Isabelle Ottolini

Aussi brune que sa sœur est blonde. La taille moins fine que le crayon de Grévin. Une bouche qui tient tout ce que les yeux promettent. Le petit mendiant de la Korrigane. Une des poissardes de Tabarin. Un peu popoue ; un peu bougon ; vit, de préférence, chez elle, où, en fait de gens de qualité, elle ne reçoit que le ménage Pluque. Il paraît qu’elle a de la voix et qu’elle travaille le chant à ses moments perdus. Toutefois, musicalement parlant, je la suppose douée de goûts au moins bizarres. Quelqu’un lui demandait :

— Lequel préférez-vous, de Delibes, de Métra, de Salvayre ou de Saint-Saëns ?

— En fait de musique, répondit-elle, je n’aime que celle d’Artus.

Mercédès

Lorsque l’on se nomme de ce nom, onse doit à soi-même d’avoir les cheveux de la Dolorès Seral, les yeux de Lola Montès, les hanches de la Petra Camara et le salero de toutes les trois…

La senorita n’y manque point. Elle était jadis sage comme une image. Par malheur, l’occasion, l’herbe tendre, les cabinets particuliers, les mauvaises connaissances…

C’est par les huitres qu’on commence,
C’est par les gosses qu’on finit.

Mademoiselle Roumier

Des cheveux comme une vapeur d’or ; des yeux d’un bleu de bluet, qui en disent plus long qu’ils ne sont grands ; un nez, Pradier sculpsit ; des dents de jeune louve affamée. Elève du sieur Mathieu. Elle a commencé dans les quadrilles d’enfants. Plus tard elle est restée quelque temps sans danser. Cause de cet éloignement : une phlébite déterminée par un accident assez commun chez ces demoiselles.

A la suite de cet accident, un gentilhomme d’argent déposa dans la layette un contrat de rente de six mille francs.

L’existence retirée et calme d’un petite rentière : une élégance sans tapage ; un caractère qui nese livre pas.

Opinion des camarades :

— Franche comme un jeton.

Marie Stilb

Il y a une douzaine d’années, comme l’on mettait Freyschutz en scène, M. Emile Perrin, alors directeur de l’Opéra, remarqua un enfant de huit à dix ans qui marchait fort adroitement sur les coudes et répétait à merveille le rôle d’un gnome dans le fameux tableau de la Fonte des balles :

— Qui es-tu, toi ? interrogea le directeur.

— Moi, m’sieu, je suis un Stilb, répondit le gamin fièrement.

Mon Dieu, oui : les Stilb ! Une dynastie ! Comme les Mérante et les Laurençon !

Marie et Henriette sont de la famille.

La première eut jadis maille à partir avec l’administration pour cause de caquetage trop bruyant et de froufrou trop décolleté au foyer où, cependant, l’on ne se montre point par trop bégueule à cet endroit.

Elle fut même, pour un temps, si j’ai bonne mémoire, « consignée » à la porte de ce foyer, « exclue de toute figuration », mise à pied, en un mot, et il ne fallut rien moins qu’une requête des clubmen de l’orchestre pour qu’il lui fût permis de franchir de nouveau le seuil qui, de la loge de madame Monge, conduisait alors sur la scène.

Et ce fut à cette occasion que l’excellent Colleuille prononça ces paroles mémorables :

— Mesdemoiselles, à l’Opéra, quand une personne qui se respecte tient à jurer, elle doit se contenter de dire f…, et passer outre.

Henriette Stilb

— Ce sont les deux sœurs, dit Philippe d’Aulnay à Buridan, au premier acte de la Tour de Nesle.

— Tant mieux, riposte Buridan, nous serons beaux-frères.

Henriette Stilb fut choisie et préférée entre trente-six de ses compagnes pour doubler Christine Nilsson, lorsque celle-ci créa Faust à la rue Le Peletier.

— Comment, allez-vous vous récrier, une petite « élève des quadrilles » remplaçant la prima donna du chant ?

Certes, oui. Qui n’a remarqué, dans l’apothéose du dénouement, Marguerite, transfigurée en ange tout au fond du décor et comme dans les limbes ? Eh bien, c’était Henriette Stilb, qui, en 1869, représentait la Marguerite de l’apothéose.

C’est la plus séduisante des blondes comme sa sœur est la plus succulente des brunes. Celle-ci, taillée en pleine chair : une duchesse. Celle-là, une petite bourgeoise de pâte tendre : on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Ne vivent-elles pas ensemble depuis qu’elles se sont séparées, l’une de mademoiselle Accolas, et l’autre de mademoiselle Castio ?

Mademoiselle Lobstein

De la dernière promotion. Il n’y a pas si longtemps, elle était dans les mioches. Un examen récent l’a fait sortir du rang. Gentillette ; mais je ne crois pas qu’elle ait inventé le zundnadelgewehr ou la machine à vider les lapins. Quelqu’un lui demandait :

— Vous êtes Allemande, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

Et elle ajouta naïvement :

— Est-ce que cela se voit de la salle ?

a travers les coryphées.

Mademoiselle Vendoni

Une Italienne ?… — Dame ! la terminaison du nom semble l’indiquer… Mais vous savez : il y a du macaroni qui se fabrique dans le faubourg Saint-Denis et dans le faubourg Saint-Martin.

Toute joliette et toute jeunette.

Du diable si je puis me persuader qu’elle a déjà donné la réplique dans la scène de Plaute ou de Térence :

Heu ! miseram !
Differor doloribus ! Juno Lucina, fer opem !
— Numnam, illa, quœso, parturit ?

Mademoiselle Jourdain

Je ne crois pas qu’elle descende du Bourgeois gentilhomme. Non plus du fleuve de Palestine qui joue un si grand rôle dans l’histoire des Hébreux. Un soir qu’elle avait eu « des mots » avec une de ses camarades, quelqu’un dit à cette dernière :

— Méfie-toi ! Jourdain parle de t’arracher la figure.

L’autre, qui est gentille, riposta :

— Eh bien, si c’est pour l’échanger contre la sienne, elle ne pourra qu’y gagner.

Mademoiselle Rat

Les allures et le museau de son nom : celui-ci, éveillé et fureteur ; celles-là, trottinantes et frétillantes. Sans compter les petites dents aiguës et voraces des rongeurs, — de ces dents qui semblent dire aux gens, comme Musette à Durandin, dans la Vie de Bohême :

— Monsieur, vous n’avez pas un fils ou un neveu, que je le mette sur la paille ?

Mademoiselle Violat

Très appétissante. Je crois qu’elle vit tranquillement avec son père qui est chef des comparses. Mais pourquoi diantre les autres l’appellent-elles Tœnia ?

Mademoiselle Bourgoin

Nini, dans l’intimité. Fanatique de la sculpture. J’estime qu’elle est d’âge à rentrer dans la réserve…

Mademoiselle Moris

Oh ! quant à celle-ci, elle pourrait rentrer dans la territoriale !

Mademoiselle Vignon

Mam’zelle Gavroche. Pas méchante ; mais bruyante, remuante, encombrante ! Un parlement sans vacances ! Et du vice ! Quand on lui flanquait une amende, elle s’en venait pleurer misère auprès de tous les abonnés. Ceux-ci s’apitoyaient et mettaient volontiers la main à la poche : soit, une pièce blanche, par ci ; soit, un jaunet, par là ! Et la petite Vignon encaissait sans broncher ! Et elle trouvait si bien à se faire des rentes, qu’elle s’attirait des amendes exprès pour avoir l’occasion de continuer ce trafic avantageux ! Et, quand il n’y avait pas d’amendes, elle sollicitait tout de même :

— Un petit louis, s’il vous plaît ?

L’administration, prévenue, mit un terme à ces contributions indirectes.

Elle menaça la petite Vignon d’une expulsion immédiate, si on la surprenait encore en délit de mendicité.

Or, un soir que la fine mouche avait, dans l’une de ces collectes, récolté une centaine de francs :

— J’espère, lui dit une camarade, que tu vas me rendre les trente sous que tu m’as empruntés l’autre jour…

— Moi, repartit la petite Vignon, payer mes dettes & à seize ans ! Ah ça ! à vingt-cinq, je payerais donc celles des autres ?

Mademoiselle Khan

Ou Cane. Physique entre le zist et le zest. Je lis dans Panserose :

« Elle a un ami et un enfant…

Elle a déclaré l’un…

L’autre n’a pas osé se déclarer lui-même. »

Mademoiselle Désiré

L’honnêteté en personne. Mais quoi ! rien de ce qui excuserait une faute : ni beauté, ni attraction, ni diable au corps. Une fille qui fait de la vertu dans le vide.

Pamélar Ire & Pamélar IIe

Voici ce qu’on raconte sous le couvert :

Un soir, un directeur voit une de ses artistes arriver, éplorée, dans son cabinet. Sa petite sœur, qui ne la quittait jamais d’une semelle, lui marchait derrière les talons en larmoyant à l’unisson. L’ainée, au milieu de ses pleurs :

— Monsieur, je viens vous prévenir qu’il me sera impossible de travailler de quelque temps…

— Et pourquoi cela, ma chère enfant ?

La fillette, ouvrant son manteau avec un grand geste tragique et un sanglot immodéré :

— Hélas ! je vais devenir mère !

— Diable !

— Et ce qu’il y a de plus affreux, c’est que mon père me tuera !… Oui, il me tuera !… Je suis perdue !

— Voyons, ne vous désolez pas !… Je verrai votre père, je lui parlerai, je lui ferai entendre raison… Il vous pardonnera, j’en suis sûr… Mais comment avez-vous pu faire ?… Avec votre petite sœur, qui était sans cesse à vos côtés ?…

Ici, la petite sœur s’avance…

Et, ouvrant son manteau avec le même geste et le même sanglot :

— Ah ! monsieur, pendant que vous y serez, intercédez aussi pour moi !

Mademoiselle Grandjean

Toujours de celles grâce auxquelles on pourra graver l’inscription suivante sur le fronton de l’Opéra :

aux femmes fécondes la patrie reconnaissante.

Mademoiselle Méquignon

Comme Subra, elle descend de la rue des Abbesses ; mais avec des résultats différents. Sans doute est-ce parce qu’elle a accroché plus d’une fois son chapeau, légèrement cabossé, aux ailes du moulin de la Galette, au lieu de le déposer délicatement, — embouqueté d’une brindille de fieur d’oranger, — entre les mains d’un financier considérable.

Ah ! les parties fines et carrées que l’on faisait avec mademoiselle Ducosson, — une ancienne qui a quitté l’Opéra, — avec certain ténor aujourd’hui marié (un ténor qui prise, pouah !) et certain baryton devenu le patron d’une boîte à musique importante !

Les artistes, il n’y a que cela !

Et plus ils sont des Batignolles ou de Montmartre, plus mademoiselle Méquignon leur prodigue les trésors d’une tendresse à nulle autre seconde.

C’est à rééditer le quatrain que l’on fit autrefois sur mademoiselle Bourgoin, de la Comédie-Française :

Un camarade à cette belle
Dit : Pour me refaire, il me faut
Prendre quelque chose de chaud.
— Prends mon… cœur, répond-elle.

Mesdemoiselles Leppich Ire, IIe & IIIe

Elles me rappellent la fille d’un brave vigneron d’Argenteuil, devant lequel on parlait de certaines jeunesses du pays qui avaient mal tourné.

— Ah ! fit-il en hochant la tête, c’est que, quand les jeunes filles vont aux vignes…

— Et votre fille, lui demandai-je, elle n’a pas encore vendangé ?

— Non, me répondit-il gravement : elle ne commencera que l’année prochaine.

A travers les quadrilles.

Mademoiselle Desprez

Blonde comme l’aurore. Un pastel de Lawrence. D’un effet impétueux et irrésistible aux lumières. Un nez dont les narines palpitent comme des ailes de papillon à l’aspect d’un nœud de cravate au-dessus d’un gilet en cœur.

Aussi a-t-elle pris pour ami un gentleman qui, au point de vue des goûts de la séduisante ballerine, pourrait, à ce que l’on prétend, rivaliser avec Gordius.

Par exemple, il n’y a pas de danger que mademoiselle Desprez imite jamais à son endroit les procédés expéditifs d’Alexandre de Macédoine.

Mademoiselle Deschamps

L’antithèse de mademoiselle Desprez.

Il paraît qu’elle a dû un instant quitter la danse pour le chant. J’ai cherché à me renseigner sur ses chances de réussite et sur la nature de sa voix.

— C’est, m’a-t-il été répondu, le plus beau rhume qu’il nous ait été donné d’entendre.

Un de nos confrères ; dont la tendresse pour ces demoiselles n’excède point celle d’une entrecôte de restaurant à trente-deux sous, nous apprend que mademoiselle Deschamps « est affligée d’un léger bobo » aux environs de l’appendice nasal.

Il ajoute, — et ici l’entrecôte a l’air d’avoir servi dans la cavalerie :

« On dit même que ce bobo a un correspondant autre part. »

On demande l’adresse exacte de ce correspondant.

Mademoiselle Poulain

Intelligente, accorte. Par exemple, elle aime trop les danseurs. On l’a pincée souvent, dans les couloirs, en train de se faire expliquer par l’un d’eux les mystères du double renversement.

Mademoiselle Blanc

S’appeler Blanc et avoir l’épiderme de la Vénus noire !

Amère ironie du sort !

Inséparable de Violat : oh ! si l’amitié pouvait blanchir la peau !

Mademoiselle Laurençon

Encore une noiraude. La taille fuselée. J’ai constaté qu’il y a des dynasties de danseuses, depuis les Mérante jusqu’aux Stilb. Les Laurençon en constituent une des plus estimées en province. Il y a des Laurençons qui ont gigotté avec gloire à Lille et à Bordeaux, à Marseille et à Nantes, à Strasbourg et à Avignon. Il y a une Laurençon qui s’est trémoussée avec honneur à la Porte-Saint-Martin. Ce n’est pas celle qui nous occupe. De celle-ci, je ne connais rien ; sinon qu’elle doit être de la famille, et que, comme telle, elle pourra sans doute résumer sa carrière dans la brève épitaphe de la sauterelle de Pompéi : Saltavit et placuit. « Elle a dansé et elle a plu. » Une fonction et une qualité, dont la première n’est pas indispensable, mais dont la seconde est rigoureusement nécessaire à l’Opéra.

Mademoiselle Hayet

Une toute jeune fillette. Son père était un chanteur applaudi. Sa mère donne des leçons de piano et des concerts.

Mademoiselle Mayer

Une crue inquiétante. On redoute un débordement. A mesure que la fille enfle, la mère maigrit. Un bilboquet en deux personnes.

Mademoiselle Martin

Ex-Victoria Marta. Une joue un peu de travers. Toujours charitables, les camarades l’ont baptisée Gueule-en-Biais.

Mademoiselle Tremblay

Elle aurait pu, — comme dit Joseph Prudhomme, — apporter plus de discernement dans le choix de ses affections.

On se rappelle ce mot d’une lorette de Gavarni à sa compagne qui pleure sur le résultat d’une faute :

— Comment !… Encore une fois !… Ah ça ! c’est donc une enceinte continue !

C’est le corps de ballet de l’Opéra parisien qui est une enceinte continue !

Mademoiselle Tremblay n’a pas voulu, il y a deux ans, humilier, en se distinguant d’elles, mesdemoiselles Lapy, Biot, Rat, Vendoni, Khan, Pamélar, Roumier, Bernay, etc., etc. Je suis loin de le lui reprocher. Je lui en voudrais davantage d’avoir porté, pour un temps, des dessous, — bas, pantalons, corsets, jupons, — qui ne rappelaient qu’imparfaitement la nuance de la « robe légère », dont il est question, sur une mélodie charmante d’Hérold, dans un opéra de Planard.

Une de ses amies ne m’a-t-elle pas affirmé lui avoir entendu soupirer, en mettant à l’envers une chemise qu’elle avait conservée près de quinze jours à l’endroit :

— Ah ! ma chère, qu’on est à son aise dans du linge blanc !

Mademoiselle Grandjean IIe

Plaçons-la à côté de la précédente : il y aurait de la férocité à séparer Damone de Pythiasse et Orestie de Pyladine.

Mesdemoiselles Sandrini, Maffioli, Corzoli

Elles sont, comme cela une ribambelle en i : Invernizzi, Ottolini, Vandoni, Maffioli, Corzoli, — et cœteri !

— Des Italiennes ?…

— Dame ! si je m’en rapporte au début de cette tirade de Buridan, au premier tableau de la Tour de Nesle :

« J’ai fait vingt ans la guerre aux Italiens, les plus mauvais coquins que je connaisse…

» J’ai fait vingt ans l’amour aux Italiennes, les plus rusées ribaudes que je sache… »

Mademoiselle Perrot

Le père et le frère dansent à l’Opéra. La mère a dansé à la Gaîté. Avec talent, avec succès. La famille habite Bois-Colombes. La fille est avenante et tranquille. Elle tient de maman pour le décorum et de papa pour le jarret. Le dernier examen, où elle a témoigné de brillantes qualités, l’a fait passer petit sujet en compagnie de mesdemoiselles Méquignon et Rossi.

Mademoiselle Prince Ire

Belle créature. Elle porte haut. Fragment de conversation entre deux demoiselles du même quadrille :

— Oh ! Prince, elle pose toujours… Elle posait déjà, étant toute petite… Et, quand elle sera vieille, elle posera…

— Des sangsues.

Mademoiselle Prince IIe

Elle raffole de la musique et cultive le piano à queue.

Par exemple, elle change fréquemment d’instrument.

Mais quoi ! l’arithmétique ne nous apprend-elle pas que le résultat d’une opération reste le même quand on intervertit l’ordre des facteurs ?

Mademoiselle Marchisio

On peut lui appliquer ce couplet d’un pont-neuf du bon vieux temps :

Fuyant Minerve pour Plutus,
Toujours sa règle favorite
Est qu’en son foyer, les vertus
Ne font pas bouillir la marmite.

Très capiteuse et très savoureuse, du reste. Une caille arrondie dans des émincés de lard. Emincés par trop épais même, si j’en crois les petites camarades. Celles-ci l’ont, en effet, baptisée du titre, légèrement modifié d’orthographe, de l’un des meilleurs livres d’About : elles l’appellent la Graisse contemporaine.

Mademoiselle Sonendal

Du midi… et demi. Cuisine à l’huile et à l’ail. Une haleine d’un bouquet ! La souris du gigot ou le chapon de la salade !…

Jadis, elle portait des chemises de grosse toile, avec de gros cordons au col…

Maintenant, elle vous a des toilettes !…

Quoique Bordelaise, il paraît qu’elle adore le cidre. Parce qu’il ne se boit qu’en pichet. Toutefois, elle ne comprend que les pichets sérieux.

Mademoiselle Van Gœuthen

Un modèle, — pour les peintres. L’Evènement nous fournit ce renseignement, qu’elle fréquente volontiers la brasserie des Martyrs, le café de la Nouvelle-Athènes et l’estaminet du Rat-Mort. Panserose ajoute :

« Sa mère…

Mais non : je n’en veux plus parler…

Je dirais des choses à faire rougir ou à faire pleurer ! »

Faire pleurer un gaillard du poids de Panserose !…

Diable !…

Mesdemoiselles Rossi, Campion, Darde, Franck

Elles n’ont pas attendu, pour entrer dans la carrière, que leurs aînées n’y fussent plus. Les coryphées de demain. Mademoiselle Rossi l’est déjà, ainsi que mademoiselle Régnier, depuis l’examen du mois dernier. Mademoiselle Campion se contente d’être fort jolie. Mademoiselle Franck pareillement, avec des tendances coupables à l’embonpoint. Mademoiselle Darde a de grosses lèvres : des rebords de potiche — pas diurne !

Mesdemoiselles Monnier, Buret, Lainé, Sergy, Mante, Comte, Vaugotte, Régnier, etc., etc.

J’imagine que toutes ces petites filles ont dû sortir de pages, — c’est-à-dire de la classe de madame Théodore, — depuis que ce présent volume est sous presse.

Tous les six mois, en effet, — et, principalement, en janvier, — ont lieu les examens qui décident des avancements, des augmentations d’appointements, des triomphes ou des déceptions.

Ces examens sont passés, d’ordinaire, par devant un jury intime composé des directeurs Ritt et Gailhard ; de MM. Mayer, administrateur général ; Mérante, maître de ballet ; Vasquez et Soria, danseurs soli, — et, enfin, de quelques personnalités féminines de la maison.

Les mères des élèves sont là, dans la salle, formant un public remuant et tapageur, d’où jaillit, à chaque minute, cette exclamation que Vernet modulait d’une si amusante façon dans le Père de la Débutante :

— C’est ma fille, monsieur !

Et il n’est pas une de ces braves dames qui n’ajoute avec l’enthousiasme traditionnel :

— N’est-ce pas qu’elle est étonnante pour son âge ?

***

Il est certain que ces « petits prodiges » exécutent, avec une gravité imperturbable et une irréprochable précision, des pas difficiles, compliqués, et des ensembles qui exigent une discipline et une application qu’on ne rencontre pas aisément au théâtre.

Toutes ces qualités, par malheur, semblent acquises au détriment des dons, au prix des grâces de l’enfance.

Ces gamines — de dix à quinze ans — ont, en effet, l’air fatigué et renseigné des grandes filles.

Vous chercheriez en vain chez elles la naïveté de ce rat du temps passé, lequel s’écriait à tue-tête :

— Maman, maman, j’ai une souris dans mon maillot !… Il faut aller chercher un chat pour l’attraper !

Non, certes, — et, pour ma part, je ne puis voir leur mine chattemite et évaporée à la fois, sans me rappeler ce crayon de Grévin, où un gommeux interroge deux morveuses :

— Qu’est-ce que vous faites, mes petites chattes ?

— Le jour, nous sons chez nos parents : le soir, nous allons au théâtre…

— Et après ?

— Ça s’dit pas.