(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 26 février. Affaires courantes. »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 26 février. Affaires courantes. »

26 février. Affaires courantes.

Cependant que l’Opéra prépare une de ces soirées de danse tant demandées, nous continuons à nous prêter de bonne grâce à la corvée réglementaire, mais pourtant agréable de Faust et de Suite de danses. Les spectacles récents nous ont permis de nous documenter plus amplement sur Mlle Camille Bos, sur sa manière d’être et d’agir en scène, sans que notre opinion première s’en trouve modifiée. Nous avons de derechef relevé, notamment dans la suite de Chopin, des réussites de tout point admirables, et témoignant d’une supériorité réelle. Ainsi, dans le nocturne, les doubles tours sur le cou-de-pied avec les bras relevés en couronne sont-ils d’une aisance exquise, de même que toutes les pirouettes et rotations ; impeccables les entrechats. Mais, régulière et élégante, Mlle Bos est pour ainsi dire absente de l’action scénique, cette action indéterminée, aux personnages anonymes, qui en est à peine une, mais où transparaissent l’adorable lyrisme et la sensualité estompée de Chopin. Ce ne sont pas des excès de cabotinage ou des surcharges mimiques que nous demandons à l’étoile, mais un peu moins d’impersonnalité correcte et un peu plus d’abandon. De ce « bal blanc » de Clustine, elle semble ne pas être l’hôtesse rayonnante et rougissante, mais une invitée de marque qui ne saurait se départir d’une indifférence indulgente et d’une distinction très mondaine. Que faut-il donc pour ployer cette nuque, pour broyer l’armature rigide de ce torse d’un galbe si pur, pour desserrer ces lèvres, pour remplir ce regard d’extase ou de langueur ?

Cette impulsion intérieure, ce délire lucide et harmonieux qui est l’atmosphère même de la danseuse créatrice comme Mlle Bos en deviendra une, active l’allure même de la danse. Ce qui manque encore à la jeune étoile, c’est l’élan et, par suite, le parcours. Dans Faust, j’ai vu un jour son « manège », ce vaste cercle, cette « piste » décrite autour du plateau, se rétrécir, se ratatiner, dévier vers le milieu. C’est que l’attirance centripète a eu raison de l’élan centrifuge, c’est que la volonté a cédé à l’inertie !

Le succès de cette noble artiste a été, samedi, très grand. Je m’en réjouis car il faut aux plus vaillants l’encouragement des applaudissements, une ambiance de sympathie. Mais en art il importe de se méfier de tout, même d’un légitime et authentique succès. Voyez les sportsmen ; ayant établi un record, ils ne songent eux-mêmes qu’à le battre. Ce que fait Mlle Bos est véritablement très bien. J’en conclus qu’elle fera mieux.

C’est la « première équipe » du pas de trois (car il y en a deux qui alternent) qui accompagnait, sur le programme, l’étoile : Mlles de Craponne, Rousseau et Damazio. Si je réserve encore mon jugement sur cette dernière, trop peu observée, je confirme tout le bien que j’ai pu dire sur les deux premières ; quant à Mlle Rousseau, je suis assez enclin à renchérir encore sur mon éloge. Lancée en l’air par son danseur, elle « jette » en tournant avec une légèreté charmante ; et puis elle pique franchement de la pointe. On voit des doigts tendus un cou-de-pied forcé, une « verticalité » parfaite de la jambe d’appui, rien ne triche, rien ne biaise ; les pointes sont des pointes et non un vain simulacre.

À quelque place qu’elle paraisse, Mlle Lorcia la remplit bien. J’ai assisté récemment à un spectacle où, par les hasards du fameux tour de liste, Mlle Debry, qui est Phryné, dansait Cléopâtre et Lorcia qui est Cléopâtre, faisait Phryné. Eh bien, dans les déboulés de sa finale, Mlle Lorcia montra une si belle ardeur et une énergie si pathétique dans les tours que cette blafarde variation se colora subitement. Qu’elle surveille seulement les mouvements de ses bras dont la brusquerie côtoie le désordre et l’incohérence.

Enfin, la critique n’étant pas l’apanage des grands sujets classés et brevetés, je tiens à signaler ici le réel talent d’un soi-disant « petit sujet ». Nous déclarons préférer Mlle Lamballe à telles élues du concours de classement. Évidemment elle ne saurait, petite et assez forte comme elle l’est, se distinguer dans l’adage et ses arabesques renversées se présentent en des raccourcis exagérés. Et cependant Mlle Lamballe, qui danse avec une feinte nonchalance avec ce petit air d’une « qui ne s’en fait pas », possède un ballon admirable, saute et bat à ravir. Un maître de ballet inventif aurait su utiliser jusqu’à ces défauts, la diriger vers le burlesque et la fantaisie. Quoi qu’il en soit, nous prendrons la liberté grande de considérer, malgré le verdict du jury, cette élève de M. Aveline comme un « grand sujet » — et peut-être même comme l’un des meilleurs.