Les Horaces.
Ballet tragique.
Personnages.
- Le vieil Horace , chevalier Romain.
- Horace l’ainé, amant de Fulvie.
- Les deux Horaces , ses frères.
- Curiace l’ainé, chevalier Albain, amant de Camille.
- Les deux Curiaces , ses frères.
- Procule , Sénateur Romain.
- Camille , sœur des Horaces, amante de l’ainé des Curiaces.
- Fulvie , fille de Procule, amante d’Horace.
- Julie , confidente de Camille.
- Dames Romaines.
- Tullus , Roi de Rome.
- Métius , Roi d’Albe.
- Dames et Chevaliers Romains.
- Chevaliers Albains.
- Prêtres et sacrificateurs.
- Soldats Romains.
- Soldats Albains.
- Esclaves.
Acte I.
Scène I.
Camille aime tendrement l’ainé des Curiaces ; elle est promise à ce chevalier : c’est de l’aveu de leurs parents qu’ils se sont fait celui de leur tendresse ; un évenement cruel vient traverser leur mutuelle félicité. Les Curiaces ont été choisis par le peuple d’Albe, pour terminer, par un combat singulier, les querelles qui subsistent depuis longtems entre leur république et Rome. Les Romains ont à leur tour nommé pour défenseurs de leurs droits les trois Horaces. Le sort de ce combat doit décider de celui de la patrie. Si les Horaces sont vaincus, Rome est asservie, s’ils sont victorieux, Camille perd son amant. De quelque côté qu’elle envisage sa destinée, elle n’y voit que le présage le plus funeste. Tantôt elle apperçoit Curiace couvert de lauriers, encore fumant du sang de ses frères ; tantôt elle voit son amant percé de coups, et traîné sur la poussière ; tous ces tableaux affreux que son imagination lui retrace, déchirent son âme. Cependant elle veut orner ce funeste spectacle d’un don qui sera d’autant plus précieux à son amant qu’il est l’ouvrage de ses mains. Elle lui a brodé une échappe, et elle se flatte que ce gage de l’amour, le rendra invulnérable ; elle charge Julie de porter à Curiace ses vœux, sa tendresse et ce tribut de son amour. Julie se dispose à remplir cet ordre lorsque Curiace paroît.
Scène II .
Il vole vers Camille ; il la rassure sur ses inquiétudes ; il lui fait les plus tendres adieux. Camille peint dans cette scène tout ce que l’amour, en opposition avec le devoir, peut exprimer ; son cœur combattu par la tendresse qu’elle doit à ses frères, par l’amour qu’elle doit à son père et à sa patrie, par l’honneur de sa famille, et par un sentiment encore plus cher, se livre tour-à-tour impressions diverses qui affectent son âme. Cependant elle ne peut se refuser au plaisir innocent d’orner de ses mains, celui dont la vie lui est si précieuse. Coriace enchanté regarde ce gage de l’amour, comme le présage heureux de sa victoire ; il tombe aux genoux de Camille, il lui témoigne sa reconnaissance ; mais le bruit éclatant des timbales et des trompettes réveille dans son cœur le désir de combattre, et ralume cette ardeur martiale que les larmes de son amante avoient amortie pendant quelques instans. C’est envain qu’elle veut le suivre ; l’effroi s’empare d’elle ; les genoux fléchissent ; elle chancelle et tombe dans un fauteuil, absorbée par la crainte, la douleur et le désespoir.
Scène III.
Les Horaces viennent embrasser leur sœur et lui dire peut-être un éternel adieu. Ce moment est cruel pour Camille, l’Amour se taît, la nature parle ; la voix du sang et celle de la patrie se font entendre. Le danger de ses frères élève dans son cœur tous les sentimens de la tendresse ; elle s’oppose à leur départ ; elle insulte Rome et les Dieux ; elle se précipite alternativement dans leurs bras, et les arrose des larmes précieuses de l’amitié.
Scène IV.
Le vieil Horace, Procule, Fulvie.
Le vieil Horace court à ses fils▶. Guidé par l’honneur, embrasé de l’amour de la patrie, il les conjure d’en être les défenseurs ; et leur recommande cette fermeté et ce courage héroïque, appanage des âmes bien nées. Procule qui les invite à combattre, à vaincre ou à mourir en Romains, leur jure que Fulvie sera le prix qu’il accordera à l’ainé des Vainqueurs. Camille, témoin de cette scène et des vœux qui se forment aux dépens de sa félicité, tombe dans les convulsions du désespoir et peint ce que la fureur a de plus affreux.
Les Horaces partent ; leur père et Procule les suivent, Fulvie fait mille tendres vœux pour leur victoire ; mais s’appercevant que Camille change de visage, et que les signes de la mort s’impriment sur ses traits, elle vole à elle. Camille tombe dans les bras de ses femmes qui l’emménent et s’empressent à lui donner des secours.
Acte II.
Scène I.
Le bruit des timbales et des trompettes retentit de toutes parts ; au commandement des chefs, les troupes mettent bas les armes, et le silence succède au bruit. Les deux armées se prosternent, les prêtres font des libations, l’encens brûle. Tullus et Métius s’avancent, et jurent en présence des deux camps, et aux pieds des autels, qu’eux et leurs descendans s’en tiendront inviolablement à ce que le sort du combat entre les Horaces et les Curiaces aura décidé.
Après ce serment qui est approuvé de part et d’autre, les trompettes donnent le signal du combat. Les Horaces et les Curiaces entrent en lice. Ils s’attaquent avec autant de valeur que d’intrépidité : l’air retentit des coups qu’ils se portent. Tantôt la victoire penche en faveur des uns, tantôt elle semble se déclarer pour les autres. Chaque armée fait des vœux pour sa patrie ; l’espérance et la crainte s’emparent successivement des soldats. Cependant le succès semble devoir couronner les efforts des Curiaces. Déjà deux des Horaces sont étendus sur la poussière ; les Albains poussent des cris d’allégresse, et font retentir l’air du bruit de leurs boucliers. Un seul Curiace est blessé, sans être cependant hors de combat ; dans cette circonstance, Horace a recours à la ruse ; il feint de prendre la fuite pour diviser les forces réunies de ses adversaires. L’un le poursuit, et près d’en être atteint, Horace se retourne avec la promptitude de l’éclair, et lui passe son épée au travers du corps. Les Romains jusqu’alors abattus et consternés, font éclater leur joye. Horace s’élance avec fureur sur le second des Curiaces, qui bientôt paye de tout son sang celui qu’il vient de répandre. Le dernier des Curiaces qui, déjà blessé ne peut opposer qu’une foible défense, reçoit la mort ; Horace, en le privant du jour l’immole aux mânes de ses frères, et à la liberté des Romains, qui poussent vers le ciel des cris d’allégresse et de reconnoissance. Les Albains quittent leur camp, enlèvent leurs morts, et expriment leur désespoir. Les Romains entourent avec admiration le vainqueur. Tullus le couronne en présence de l’armée.
Scène II.
Le vieil Horace et Procule.
Le vieil Horace trompé par le rapport qu’on lui a fait de la fuite de son ◀fils▶, se montre
avec l’expression de la honte et du désespoir ; Procule qui le conduit et qui n’a pas été
témoin de l’issue du combat, lui demande en le suivant :
que vouliez
vous qu’il fit contre trois !
Le vieil Horace lui répond avec cet
enthousiasme qu’inspire l’honneur :
qu’il mourût.
Dans cet
instant Tullus qui apperçoit le père du vainqueur, court à lui, lui montre son ◀fils▶ couvert
de gloire et de lauriers. Le vieil Horace sort de l’accablement ou il étoit plongé, pour se
livrer à l’excès de la joie ; il vole dans les bras de son ◀fils▶ ; il ne peut s’en détacher ;
cependant Horace se rappelle que son triomphe est désespérant, puisqu’il le prive de deux
frères qu’il cherissoit ; il les apperçoit couverts de sang, et étendus sur la poussière ;
il s’arrache des bras de son père ; il se précipite sur les corps de ses frères ; il mêle
les larmes de l’amitié au sang qui coule encore de leurs blessures. On l’entraîne pour lui
dérober la vue de ce spectacle déchirant, et il est conduit au capitole où un peuple
nombreux l’attend avec impatience.
Acte III.
Scène I.
Fulvie, dames Romaines, Camille.
Horace, précédé et suivi du peuple Romain, des troupes de la république et des sénateurs, paroît sur un char de triomphe. Les armes des vaincus forment des trophées, qui accompagnent ce char ; les dames Romaines s’empressent à lui offrir des lauriers. Fulvie sensible à la gloire de son amant, le couronne de ses propres mains. Cet instant est marqué par la joye et par la félicité. C’est au milieu de cette fête que Camille paroît pour y semer l’horreur et la confusion.
Scène II.
Cette fière Romaine, désespérée d’un triomphe qui lui enlève son amant, se livre sans ménagement à ce que l’amour au désespoir peut inspirer de barbare ; elle insulte son père qui fait de vains efforts pour la calmer ; elle maudit Rome et les Romains : puis s’élançant sur son frère, avec la fureur d’une lionne, elle lui arrache l’écharpe qu’elle avoit donnée à Curiace ; elle la passe dans ses bras ; elle accable Horace de reproches ; elle abhorre ses exploits ; elle méprise sa valeur ; elle déteste son courage, et s’abandonnant aux mouvemens impétueux de son âme, elle profère les imprécations les plus horribles contre la patrie ; elle exprime avec le langage énergique des yeux, de la physionomie, des gestes et des mouvemens du corps, l’imprécation fameuse que Corneille lui fait prononcer dans sa tragédie. Horace outré de colère et n’écoutant plus que la voix de la vengeance s’élance sur elle et lui plonge son épée dans le sein. A ce spectacle horrible les Romains reculent épouvantés. Horace frémit lui-même, le fer lui tombe de la main ; une rumeur générale s’élève parmi les sénateurs. Le vieil Horace dévoué à sa patrie, applaudit au parricide de son ◀fils▶. Les dames Romaines sont saisies de frayeur ; Tullus oublie le service important qu’Horace vient de rendre aux Romains ; son crime en diminue le prix, il ordonne qu’on arrête le triomphateur : on le charge de fers ; il se jette dans les bras de son père ; il fait à Fulvie les plus tendres adieux ; il part ; mais se rappellant tout-à-coup que l’amour de la patrie l’a entraîné au parricide, il s’élance vers sa sœur ; on l’arrête, et cette scène, offre un grouppe général. D’un coté, on voit Camille entourée de femmes désolées ; d’un autre on voit Horace se livrer au repentir qu’excite une atrocité. Là on voit des grouppes de guerriers, et de femmes qui peignent leur effroi et leur douleur. C’est par ce tableau varié d’expressions et de sentimens, que l’on termine la troisième acte de ce ballet.
Acte IV.
Scène I.
Horace est placé près d’une table, sur la quelle sont posés les trophées qu’il a remportés. Il attend son jugement avec la fermeté d’un Romain. L’amour de la patrie ne ferme cependant pas son ame à la douleur qu’il éprouve d’avoir immolé Camille ; il ne peut se souvenir de l’atrocité de son crime, sans frémir d’horreur ; il compare ensuite avec une ame philosophique, ses trophées avec ses chaînes : il attend la mort avec autant de tranquillité que de résignation : il s’assied un instant ; il se retrace le passé ; il regarde avec plaisir ses couronnes et ses trophées, qui seront d’éternels monumens de sa valeur, de sa gloire, de ses malheurs et des services importans que le sang des Horaces a rendus à la patrie ; puis se retraçant tout à coup les imprécations que Camille à proférées contre les Romains, il s’applaudit d’avoir méconnu son sang, et d’avoir puni une ennemie de la patrie.
Scène II.
Fulvie a su corrompre la fidélité des gardes : on la voit tenant une lampe à la main, descendre en tremblant, les dégrès qui conduisent au souterrain. Horace l’apperçoit, vole à ses genoux : cette amante vient lui offrir un asyle ; elle lui promet de l’y rejoindre, ou d’obtenir sa grace, et l’invite, par ce que l’amour a de plus tendre et de plus persuasif, de profiter de l’instant. Horace indigné de la lâcheté qu’elle veut lui faire commettre, s’éloigne lentement et par degrès de Fulvie, en frémissant de honte. Fulvie tombe à ses genoux, et ne pouvant rien obtenir elle s’abandonne à sa douleur. Puis se retraçant son amant livré à des bourreaux, elle tire un poignard de son sein, et lève le bras pour s’en frapper. Horace arrête le coup et la désarme : il la supplie de conserver ses jours. Fulvie, dont le cœur est déchiré par la crainte et le désespoir, ne peut plus soutenir les idées, qui affligent son ame ; elle tombe évanouie. Horace la retient dans ses bras, la traîne mourante sur un siège, fait des efforts inutiles pour la rappellera la vie : c’est en vain qu’il l’appelle ; privé de tout secours, il tombe à ses pieds, anéanti sous le poids de sa douleur.
Scène III.
Le père d’Horace paroît : il partage la situation de son ◀fils▶, et s intéresse à celle de Fulvie, qui revoit bientôt la lumière ; ce respectable vieillard fait éclater sa joye à la vue des trophées, qui lui retracent la valeur de son ◀fils▶ ; il l’exhorte à recevoir son arrêt avec le même courage qui l’animoit lorsqu’il combattit les trois Curiaces. Il a vaincu en héros ; il doit mourir en Romain. Horace jure à son père qu’il ne démentira pas, par une foiblesse indigne de son cœur, le sang qui coule dans ses veines.
Scène IV.
Procule, Chevaliers, Gardes.
On entend un grand bruit. Une foule de gardes et de chevaliers Romains accompagnent Procule. Ils sont éclairés par des flambeaux, et ils entrent précipitamment dans la prison, les uns par une porte basse, les autres par celle qui est au haut de l’escalier. Procule présente à Horace le décret du sénat ; il le reçoit avec respect et le lit sans crainte. Fulvie croyant que c’est l’arrêt de la mort d’Horace, se livre au desespoir : mais quelle n’est pas sa satisfaction, lorsque lisant avec l’avidité de la crainte et de l’espérance sur les traits de son amant, elle y apperçoit les signes du bonheur et de la reconnoissance : C’est sa grace que Tullus lui envoyé, et qu’il doit autant à l’estime de son Roi qu’à l’amour du peuple. Il se précipite dans les bras de Procule ; Fulvie tombe aux genoux de son père ; le vieil Horace serre dans ses bras son ◀fils▶ et son ami ; Procule, qui veut que ce moment soit l’époque de la félicité d’Horace, lui donne Fulvie ; il accepte ce bienfait avec transport ; son père se saisit de ses trophées, les porte en triomphe, et on l’emmène pour le montrer au peuple.
Acte V.
Scène I.
Dames et Chevaliers Romains.
Le peuple est impatient de voir son libérateur. Un bruit d’instrumens militaires assez éloigné augmente gradativement et annonce l’arrivée du vainqueur d’Albe. Des troupes et des musiciens devancent son char ; il est traîné par quatre chevaux blancs, attelés de front. Le vieil Horace marche devant ce char, et montre au peuple les trophées que la valeur de son ◀fils a su lui obtenir. Le char du triomphateur est accompagné par Procule et Fulvie, par des chevaliers Romains et des dames amies de Fulvie. Le char s’arrête au milieu de la place ; la musique cesse ; et dans cet instant le peuple s’abandonne à son enthousiasme en criant trois fois vivat. Les troupes frappent de leurs sabres leurs boucliers en signe d’allégresse. La musique éclate de nouveau ; et le cortège fait le tour de la place.
Scène dernière.
Tullus.
Une seconde musique militaire annonce l’arrivée de Tullus. Ce Roi veut donner au jeune Horace des marques distinguées de son estime et de sa gratitude. Horace s’élance de son char, pour se précipiter aux pieds de Tullus, il le relève et l’embrasse ; Procule, Fulvie, les dames et les chevaliers entourent Tullus ; et cette réunion forme un grouppe d’autant plus général, que les troupes les dames et le peuple, par un mouvement spontané, expriment par des gestes et des postures variées, les sentimens de l’admiration et de l’allégresse.
Ce grouppe est suivi d’une danse militaire exécutée par vingt-quatre chevaliers Romains ; autant de dames tenant à leurs mains des couronnes de laurier et des branches d’olivier, se réunissent à eux. Vers la fin de ce pas caractéristique, ceux qui l’exécutent, se rassemblent à l’entour de Tullus. Cessation totale de la musique. L’attention redouble, l’intérêt s’accroît et la curiosité impose le silence. Tullus unit Horace à Fulvie, et pose sur la tête du jeune héros une couronne de laurier. Horace tombe aux genoux de Tullus. Le vieil Horace et Procule font éclater leur reconnoissance ; les chevaliers et les dames Romaines expriment leur admiration et par un sentiment unanime, le peuple applaudit à la justice de Tullus, et au bonheur des deux époux ; de toutes parts on jette des couronnes ; des officiers charges d’étendards et de trophées les élevent en signe d’allégresse, et enrichissent ce vaste tableau. C’est par ce grouppe général, et au bruit éclatant d’une musique guerrière que se termine ce ballet.