(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1664 — 7 au 12 mai : Les Plaisirs de l’Isle enchantée — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 10 mai 1664 »
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(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1664 — 7 au 12 mai : Les Plaisirs de l’Isle enchantée — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 10 mai 1664 »

Loret, lettre du 10 mai 1664

De nouvelles je suis à sec,
Cela me clôt quasi le bec :
Car de la fête de Versaille[s]
Je ne puis rien dire qui vaille.
Malgré les douleurs dont mon col,
Dont j’étais quasi pis que fol,
Je me mis en quelque équipage,
Je pris un cheval de louage,
Et fis un dessein courageux
De voir ses pompes et ses jeux :
Mais, de ce beau Château, l’entrée
Ne fut point par moi pénétrée ;
Dès la première, ou basse Cour,
Un Suisse m’arrêta tout court,
Humble, je fis le pied derrière,
Mais il me dit à sa manière,
D’un ton qui n’était pas trop doux,
Oh, Par mon foi, point n’entre fous ;
Si bien qu’avec plus de trois mille,
Tant des champs, que de cette ville,
Qui furent (non pas sans émoi)
Rebutés aussi bien que moi,
De loin, la Maison regardâmes,
Et soudain nous rétrogradâmes,
Grinçant cent et cent fois les dents
De n’avoir pas entré dedans.
[…]
Enfin, tant d’admirables choses
Étant pour moi des Lettres closes,
Qui voudrait (en ma place) oser
Prendre aucun souci d’en jaser ?
Mais, toutefois, veuille, ou non veuille,
Puisqu’il faut remplir notre feuille,
Je vais sur le rapport d’autrui
En dire deux mots aujourd’hui ;
Et sans, pourtant, observer d’ordre,
Dût-on sur moi dauber, ou mordre,
Mais rien que généralement,
Ne pouvant pas faire autrement.
[…]
Le second jour, la Comédie,
Par le sieur de Molière ourdie,
Où l’on remarqua pleinement
Grand esprit et grand agrément,
(Cet Auteur ayant vent en poupe)
Occupa, tant lui que sa Troupe,
Avec de célestes Récits
À toucher les plus endurcis,
Animés des douceurs divines
De deux rares voix féminines,
Qui sont (comme j’ai dit un jour)
Les Rossignoles35 de la Cour,
Que personne ne contrecarre,
À savoir l’Hilaire et la Barre.
Le troisième jour, aux flambeaux,
Un grand Ballet, et des plus beaux,
Dont était, en propre Personne,
Notre digne Porte-Couronne,
Avec maint Prince et Grand Seigneur,
Et d’autres Gens, qui, par honneur,
Comme étant Personnes de marque,
Sont dans les Plaisirs du Monarque,
Fut admirablement dansé ;
Et quand ce plaisir fut passé,
On finit toutes ces délices
Par des Feux, par des artifices
Allumés sur de claires eaux,
Si radieux et si nouveaux,
Que si les bruits sont véritables
On n’en vit jamais de semblables.