(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1665 — 26 janvier : Ballet de la Naissance de Vénus — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 31 janvier 1665 »
/ 50
(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1665 — 26 janvier : Ballet de la Naissance de Vénus — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 31 janvier 1665 »

Loret, lettre du 31 janvier 1665

Un Ballet, beau par excellence,
Où règne la magnificence,
Tout pompeux et tout éclatant,
Mais que je n’ai pas vu, pourtant,
Se danse trois fois la semaine,
Non chez le Roi, ni chez la Reine,
Mais dans ce noble et charmant lieu,
Digne séjour d’un demi-Dieu,
Jadis, construit par un Grand Homme,
Et que Palais Royal on nomme.
Au rapport de ceux qui l’ont vu,
Ce Ballet Royal est pourvu
De toutes les choses galantes,
De toutes les choses charmantes,
De tous les nobles agréments,
Bref, de tous les assortiments
Qu’un Ballet de cette importance,
Qu’un Ballet de la Cour de France,
Et parfaitement éclairé,
Doit avoir pour être admiré.
D’une façon toute excellente,
Notre Monarque y représente
Ce brave et fameux Conquérant
Messire Alexandre le Grand :
Et Monsieur d’Orléans son Frère,
(Altesse qui nous est si chère)
Y copie, au gré de la Cour,
Le bel Astre du Point du Jour.
Madame, avec son divin geste,
Y paraît en Vénus céleste,
Capable de tout enflammer,
Qui, sortant, du fond de la Mer,
Embrase, non seulement l’Onde,
Mais l’Air, le Ciel, et tout le monde ;
Par ses grâces et ses beautés,
Les plus nobles Coeurs sont domptés ;
Et lorsque tous ceux du rivage
Ont adoré son beau visage,
Elle s’élève dans les Cieux,
Afin d’y charmer tous les Dieux,
Jugeant cette grande victoire
Seule convenable à sa gloire.
Auparavant que d’y monter,
Neptune la fait escorter
Par douze aimable Néréides,
Divinités des flots liquides,
Dont les visages attrayants
Sont frais, délicats et riants,
Qui font la Cour à cette Belle,
Et dansent un air avec Elle,
Avec des grâces et des pas,
Où l’on remarque des appas
Qui passent toute autre cadence ;
Ensuite de laquelle Danse,
Phosphore, Amant de ses attraits,39
Des Dieux, en ayant ordre exprès,
Conduit cette Beauté divine
Dans une superbe Machine,
Digne Trône d’un si beau Corps,
Qui parut fort brillant alors,
Ayant avec Elle quatre Heures,
Qui, comme ses inférieures,
La suivent agréablement
Dans les routes du Firmament,
Durant que les Dieux Maritimes,
De leurs voix douces et sublimes,
Font un concert mélodieux
Digne des Dieux, ou demi-Dieux.
Mais, pour contenter davantage
Ceux qui liront ce mien Ouvrage,
Après avoir narré ceci,
Je vais mettre les noms, ici,
(En Vers passablement fluides)
Des Heures et des Néréides :
Il faut premièrement nommer
Les Néréides de la Mer,
Toutes dignes d’être estimées :
Puis les Heures seront nommées.
Primo, Madame de Bouillon,
Qui d’amour est un aiguillon,
Et qui, dès sa plus tendre enfance,
Charmait toute la Cour de France.
La jeune Princesse d’Elbeuf,
Pour qui, feu Monsieur de Brébeuf,
Comparable à défunt Pindare,
Esprit aussi galant que rare
Qu’il en fût dans tout l’Univers,
N’aurait pas fait d’assez beaux Vers.
Créqui, dont les beautés illustres
De la Cour sont les plus beaux lustres,
Et dont la prudence et pudeur,
Sont partout en très bonne odeur.
La jeune Dame de Vivonne,
Excellente et sage personne,
Que l’on estime infiniment,
Mais qui danse assez rarement.
Du Plessis, charmante Comtesse,
Qui dans la fleur de sa jeunesse,
Outre sa grâce et son bel air,
À l’Esprit pénétrant et clair.
Gramont, l’agréable étrangère,
Dont la beauté rare et sincère
A fixé, par son air brillant,
Le coeur d’un notable Galant.
De Vibraye, aimable Marquise,
Toujours leste, propre et bien mise,
Et que l’on peut, en vérité,
Nommer un trésor de beauté.
Brancas, cette chère Personne,
Toute belle, toute mignonne,
Admirable pour sa fraîcheur,
Et qui paraît, par sa blancheur,
Tant elle plaît, tant elle brille,
Plutôt un Ange, qu’une Fille.
De Pons, qui peut, avec raison,
Se vanter de bonne Maison,
Et qui, pour danser à merveilles,
Ne voit guères de ses pareilles.
Mademoiselle Castelnau,
Douce comme un petit agneau,
Mais que l’on croit fière et cruelle
À ceux qui sont amoureux d’elle.
Dampierre, bel et noble Objet,
Qui, certes, n’a pas de sujet
De se plaindre de la Nature,
Puisqu’elle est une créature
Dont les attraits font avouer
Qu’on ne le saurait trop louer.
Mademoiselle de Fiennes,
Une de nos belles Chrétiennes,
(D’aucun, cela n’est contredit)
Et dont la gorge, à ce qu’on dit,
Est infiniment ravissante
Par sa blancheur éblouïssante.
La noble Dame de Crussol,40
Qui vaut son pesant d’écus sol,
Comme étant une aimable Illustre,
Digne du Cercle et du Balustre,
Qui, selon l’ordre de la Cour,
Ne lui peuvent manquer un jour.
La belle Comtesse de Guiche,
Sur qui les yeux point on ne fiche
Sans l’aimer et sans l’admirer,
Non pas (même) sans soupirer.
Montespan, Merveille visible,
Pour qui nul coeur n’est insensible,
Astre d’honneur, astre d’amour,
Et l’un des plus beaux de la Cour.
Enfin, voici pour la dernière,
De la Cour une autre lumière,
Savoir la belle Rochefort,
Que tout le monde estime fort.
Outre ces seize Nobles Dames,
Aucunes Filles, d’autres Femmes,
L’aimable et charmante Sully,
Au teint jeune, frais et poli ;
Et Sévigny, dont le visage
Charmerait le coeur du plus sage,
Sont aussi de ce beau Ballet,
Et dansent chacune son Rôlet.
Mais, comme il faut cesser d’écrire,
Je ne saurais plus vous rien dire
De ce charmant Ballet susdit,
N’ayant encor eu le crédit
D’avoir de place, ni d’entrée
Dans cette Royale Contrée :
Mais si j’y puis aller Mardi,
Ou le lendemain Mercredi,
Je promets, à toute aventure,
D’en recommencer la peinture,
Car je ne suis pas satisfait
De ce qu’aujourd’hui j’en ai fait :
Ainsi, que je cesse de vivre,
Si j’en ai rien vu que par Livre :
J’ai fait des Vers jusqu’à très bien,
Et si je n’ai rien quasi dit rien