Chapitre premier.
Justes idées sur les Danses contre lesquelles on écrit.
Jésus-Christ dit (Jean, c. 3, v. 20.)
que quiconque fait
le mal hait la lumière, et ne s’approche point de la lumière, de
peur que ses œuvres ne soient condamnées
. De là,
l’opposition que tant de gens ont aux vérités qui condamnent le mal auquel
ils sont attachés, et les efforts qu’ils font pour trouver des prétextes de
ne pas se rendre à ces vérités. De là, en particulier, toutes les fausses
maximes que bien des gens avancent et soutiennent en faveur des danses, tout
ce qu’ils opposent aux autorités et aux raisons par lesquelles ceux que la
vérité éclaire et instruit en montrent le danger et le mal.
Afin de leur ôter tout prétexte d’éluder la force de ces autorités et de ces raisons, comme si, pour avoir sujet de condamner les danses, on y supposoit un mal qui n’y est réellement pas, je vais commencer par donner la juste idée des danses contre lesquelles j’écris. Il s’agit des danses telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui, et non des danses qui, considérées dans une précision métaphysique, ne consistant qu’en certains sauts, paroitroient ne rien présenter de répréhensible, d’où par un tour d’imagination on vient ensuite à conclure que les danses, telles qu’elles sont en usage, ne renferment point le mal ni le danger qu’on prétend s’y rencontrer, et qu’on y voit effectivement.
Que sont donc les danses dont nous parlons, et dont nous nous proposons de tâcher d’inspirer le plus grand éloignement ? Ce sont des assemblées de personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes, où, au son de quelques instrumens ou de quelques chansons, de jeunes garçons dansent avec de jeunes filles, et où, pendant les intervalles de leurs danses, ils s’entretiennent de choses pour le moins très-vaines, si elles ne sont pas mauvaises, et agissent les uns avec les autres d’une manière très-familière.
Sur cette idée que je donne des danses qui se pratiquent ordinairement, il n’y a que l’un de ces deux partis à prendre, ou de dire que cette idée est fausse, et que les danses ne sont pas telles que je les représente ; ou qu’étant telles, elles n’ont rien de dangereux ni de mauvais. Prendre le premier parti, ce seroit aller contre l’évidence ; et je ne crois pas qu’on ose le faire. Prendre le deuxième parti, ce seroit aller contre les principes de la Religion et de la bonne morale, et se rendre l’avocat de la plus mauvaise cause ; or, tout chrétien▶ ne doit-il pas rougir d’être l’apologiste de ce qui ne peut être défendu qu’en s’écartant des vrais principes ?
Pour en convaincre pleinement et faire sentir combien sont dangereuses et indignes des ◀chrétiens les danses, selon l’idée que je viens d’en donner, et qui répond à ce que tout le monde est en état de voir, j’apporterai un grand nombre de preuves ; ensuite je répondrai à toutes les objections qu’on a pris à tâche de multiplier, afin de détruire, s’il étoit possible, la force de ces preuves.
Peut-être quelques-uns trouveront-ils que je me serai trop étendu, et que j’aurois pu me réduire à moins de preuves. Mais je prie que l’on considère, 1.° qu’il s’agit de combattre un préjugé et une opinion dont la plupart des esprits sont préoccupés, et que l’amour qu’on a pour tout ce qui flatte les sens, porte à soutenir et à défendre contre toute raison. Or, quoi de plus propre à faire revenir tant de personnes de leurs préventions à cet égard, que d’accabler, pour ainsi dire, par la multitude et le poids des preuves, ces esprits que leurs préjugés portent à se roidir contre tout ce qu’on leur oppose ? 2.° Il s’agit d’arrêter, ou du moins de diminuer le torrent des péchés dont les danses sont partout l’occasion : et peut-on opposer trop de digues à un torrent qui fait tant de ravages spirituels, et qui entraîne tant d’ames dans les enfers ? 3.° Quelques curés ou confesseurs entre les mains desquels ce petit écrit pourra tomber, et qui ont été jusqu’à présent trop indulgens pour les danses et pour les personnes qui les aiment, parce qu’ils ne les ont point envisagées sous le vrai point de vue où il faut les considérer, pourront être plus touchés de cette multitude de preuves, que si on en avoit allégué quelques-unes en petit nombre ; et, en voyant tant de témoins déposer contre les danses, on peut espérer qu’ils se reprocheront d’avoir pensé autrement, et d’avoir trop facilement toléré ce qui dans tous les temps a été si hautement condamné ; qu’ils reviendront sur leurs pas, étant toujours honorable et utile de revenir à la vérité, quand on commence à la reconnoître, et qu’ils emploîront l’autorité de leur ministère à s’opposer à un mal dont ils sentiront mieux la grandeur et les funestes suites.
Revenons à l’idée que j’ai donnée des danses telles qu’elles se pratiquent, parce qu’en la développant, je disposerai par là les esprits à mieux sentir la force des preuves sur lesquelles j’en appuierai la condamnation.
J’ai dit, 1.° que les danses sont des assemblées de personnes de différent
sexe, et surtout de jeunes personnes qui se réunissent
pour se réjouir ensemble. Tout le monde le voit et le sait ; et cette
seule idée ne fait-elle pas envisager les plus grands dangers pour les
jeunes garçons et les jeunes filles ainsi rassemblés dans le dessein de se
réjouir ? Ne sait-on pas combien est violente la pente de la nature pour le
mal, et qu’elle n’a pas besoin d’être fortifiée par une réunion si
dangereuse, et si propre à allumer dans les uns et dans les autres le feu
des passions ? N’est-ce pas ordinairement dans la jeunesse qu’elles se font
plus vivement sentir, qu’on a moins d’attention à les réprimer, et qu’on en
prend moins les moyens ? Ces moyens sont la vigilance, la prière, la
mortification et la pénitence ; et la plupart des jeunes garçons et des
jeunes filles ne regardent-ils pas ces vertus comme étrangères, en quelque
sorte, à leur âge, et comme étant réservées à un âge plus avancé, où il leur
conviendra d’être plus sérieux et plus retenus ? Les jeunes filles qui vont
aux danses se parent ordinairement avec plus de soin avant que d’y aller, et
elles s’y étudient, plus que dans toute autre circonstance, à plaire. Dès
lors ne faut-il pas être frappé d’aveuglement pour ne pas voir que des
danses même qui passent pour les plus honnêtes, naissent mille périls pour
la chasteté ; qu’il est moralement impossible d’en sortir, sans qu’elle soit
pour le moins affoiblie, même dans ceux et celles en qui elle paroissoit le
plus affermie ? N’est-il pas évident que les différens mouvemens du corps et
les gestes qui se font dans
les danses, que la façon
libre de se regarder, ne peuvent que donner au démon la plus grande facilité
de lancer dans le cœur de ceux et celles qui dansent, et de ceux même qui
les voient danser, les traits enflammés de ce malin esprit, dont saint Paul
parle en écrivant aux Ephésiens, dont on doit sans cesse être attentif à se
garantir, si on ne les a pas encore reçus,
en leur
opposant le bouclier de la Foi, ou à les
éteindre
, si quelques-uns ont déjà malheureusement
pénétré dans l’ame ? (Ephés. c. 6, v. 16.)
Si on a lu le premier livre de l’histoire de l’ancien Testament, qui est le
livre de la Genèse, on sait ce qui arriva à Dina, fille de Jacob et de Lia,
âgée alors d’environ quinze ou seize ans. Poussée par le désir indiscret de
voir et d’être vue, elle sortit pour aller voir, non des personnes d’un
autre sexe, mais les femmes du pays de Sichem, apparemment pour étudier leur
démarche, leurs ajustemens et leurs manières. Sichem, fils d’Hémor, prince
de ce pays, l’ayant vue, conçut de l’amour pour elle, l’enleva et la
déshonora. Dina, en sortant et se livrant à la curiosité, ne paroit point
avoir eu en vue aucun crime, et elle ne s’attendoit pas à être ainsi enlevée
par violence ; tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir voulu voir et
être vue ; au lieu que la sûreté des jeunes personnes de l’autre sexe
consiste à se tenir le plus renfermées et le plus cachées qu’il leur est
possible. Ce dont il me paroit qu’on ne peut guère douter, c’est qu’en se
montrant indiscrètement, elle fut très-occupée de
sa figure, se comparant à cet égard aux filles du pays que la curiosité lui
fit considérer, et qu’elle laissa entrer dans son cœur un secret désir de
plaire, quoique confus et sans aucun objet particulier. Dieu qui vouloit
apprendre aux filles de tous les siècles combien un tel désir est mauvais à
ses yeux, et qu’on ne sauroit prendre trop de précautions contre une passion
qu’il est facile d’exciter, mais très-difficile de réprimer, quand une fois
elle est excitée, permit que Sichem conçût pour elle une passion sans
mesure, et que Dina en fut la malheureuse victime. Dieu avoit protégé contre
de pareils dangers Sara et Rébecca, aïeules de Dina, parce qu’il n’y avoit
point de leur faute, lorsqu’elles s’y trouvèrent ; mais il ne protégea pas
Dina, parce qu’elle s’étoit exposée contre son ordre à un danger qu’elle
pouvoit et qu’elle devoit éviter. N’est-ce pas le cas où se mettent ceux et
celles qui vont aux danses ? Hélas ! si, lors même que l’on est éloigné des
occasions, on a tant de peine à conserver la chasteté, dont la garde est si
difficile, comment se flatte-t-on de la garder en l’exposant aussi
témérairement qu’on le fait aux danses ? On ne peut être chaste que par une
grâce spéciale de Dieu, de qui vient la chasteté comme toutes les autres
vertus ; et le grand moyen d’obtenir cette grâce, c’est de la demander
instamment à Dieu. C’est ce que reconnoît Salomon par ces paroles du livre
de la Sagesse : (c. 8, v. 21.)
Comme je savois que je ne pouvois avoir la continence, si Dieu ne
me la donnoit, et c’étoit déjà un effet de la sagesse de savoir de
qui je devois recevoir ce don, je m’adressai au Seigneur, je lui fis
ma prière, et je lui dis de tout mon cœur
: etc. Ce
principe posé, je demande si les personnes qui vont aux danses, croient
pouvoir par elles-mêmes et sans le secours de Dieu, conserver la chasteté,
ou si, étant persuadées qu’elle est un don de sa miséricorde, elles se
préparent aux danses par des prières qu’elles font à Dieu d’échapper aux
piéges qui sont tendus de toutes parts à cette vertu ? Comment le
demanderoient-elles ? Elles ne voient pas ces pièges, et la plupart ne
sentent pas assez le prix de la chasteté, pour craindre d’y tomber ; mais je
suppose qu’elles le craignent, et que pour éviter ce malheur il leur vienne
à la pensée de se recommander à Dieu pour être en garde contre tout ce qui
peut attaquer leur innocence : quelles prières seroient celles qu’elles
feroient alors pour en demander la conservation, et quel effet
auroient-elles devant Dieu ? Ne seroit-ce pas plutôt l’insulter que le
prier, de lui demander de ne pas périr dans des dangers auxquels on
s’exposeroit par sa propre faute après ce qu’il a si expressément dit :
Celui qui aime le péril, y périra ?
(Ecclés. c. 3, v. 27.) Le Saint-Esprit ne dit pas, celui qui est par
nécessité dans le péril, y périra, mais celui qui l’aime,
(et on l’aime, quand on le recherche). Dieu veut bien nous aider dans les
tentations qui nous arrivent par
nécessité et que
nous ne saurions éviter ; mais il abandonne aisément ceux qui les
recherchent par choix.
J’ai dit en second lieu des danses que je combats, qu’elles se font au son des instrumens et des chansons ; or, ce son frappant agréablement les oreilles, n’a-t-il pas souvent pour effet d’amollir le cœur, et de le disposer à recevoir les plus funestes impressions ? Ce qui se chante alors n’exprimant pour l’ordinaire qu’un amour impur, en porte facilement les dangereuses étincelles, ou même les flammes dans l’ame. Si en chantant on n’articule aucune parole, les airs qui se jouent sur les instrumens rappellent souvent à l’esprit des chansons très-mauvaises qu’on a eu le malheur d’apprendre, et qu’on n’a pas oubliées ; et, supposé que, dans ce temps même de la danse, ni les chansons, ni le son des instrumens et des airs qu’on y joue, n’aient pas fait d’impression, peut-on nier que cela n’ait jeté dans le cœur une mauvaise semence qui, étant demeurée cachée pendant un temps, y germe, paroît au moment qu’on s’y attend le moins, et produit enfin des fruits de mort ?
J’ai dit en troisième lieu des danses telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui, que comme chacune des personnes qui vont aux assemblées pour danser, ne danse pas toujours, les intervalles de temps que la danse n’occupe pas, sont ordinairement remplis par des conversations et des manières d’agir très-libres que les jeunes personnes de différent sexe ont ensemble, et qui ne peuvent que faire de très-grandes plaies à la chasteté. On ne contestera pas le fait ; et de tout cela ne résulte-t-il pas que partout où la chasteté sera bien établie, les danses ne pourront guère y trouver de place.
Mais de cette considération générale sur les danses, qui devroit seule suffire pour faire sentir qu’elles doivent être entièrement et pour toujours bannies de tous les lieux où l’on fait profession du christianisme, il faut passer au détail des preuves en grand nombre qui établissent le devoir de s’en éloigner et de se les interdire. Nous tirerons ces preuves, 1.° des saintes Ecritures ; 2.° des saints pères et des saints docteurs de l’Eglise ; 3.° des conciles ; 4.° des théologiens catholiques les plus connus par leur piété et par leur science ; 5.° des théologiens protestans ; 6.° enfin, des païens même. Si toutes ces preuves ne touchent et n’ébranlent point, elles serviront du moins à faire voir combien est grande l’inflexibilité de cœur de ceux qui ne s’y rendront pas, et combien est opiniâtre leur résistance à la vérité.