Chapitre XII.
Ceux qui ont quelque autorité doivent, autant qu’ils le peuvent, s’opposer aux Danses, et empêcher d’y aller ceux et celles qui dépendent d’eux.
Les premiers qui doivent s’opposer aux danses, et en détourner, le plus qu’il
leur est possible, ceux sur qui ils ont quelque autorité, ce sont les
ministres de Jésus-Christ, et particulièrement les pasteurs et les
confesseurs. Une de leurs plus essentielles vertus, c’est le zèle pour la
gloire de Dieu et pour le salut du prochain, en sorte qu’on puisse leur
appliquer cette parole de l’Ecriture, que les apôtres reconnurent (Jean, 2,
v. 17.) avoir été écrite de Jésus-Christ le souverain pasteur des ames,
lorsqu’il chassa les vendeurs du temple : (Ps. 68, v. 10.)
Le zèle de votre maison me dévore
. On est
chrétien▶ pour soi ; on est pasteur et ecclésiastique pour le prochain ; mais
sans zèle on lui est inutile. Et quel doit être ce zèle ? Il doit ressembler
à celui de Jésus-Christ, étant, comme le sien, non un zèle commun,
languissant et sans action, mais un zèle ardent, un zèle dévorant ;
cependant toujours réglé par la sagesse de Dieu et conduit par son esprit,
qu’il faut, pour l’obtenir, lui demander avec
instance. Que produit ce zèle quand on en est animé ? Il fait qu’on ne
peut voir, sans en être ému et sans la plus vive douleur, ce qui offense
Dieu et ce qui perd les ames. Or, nous avons vu de combien de péchés les
danses sont la source, et par conséquent de combien d’ames elles causent la
perte. C’est ainsi qu’il est dit dans les actes des apôtres : (c. 17,
v. 16.)
Saint Paul étant à Athènes, son esprit se sentit
ému dans lui-même, en voyant que cette ville étoit si attachée à
l’idolâtrie.
Ce saint apôtre dit lui-même, en écrivant
aux Corinthiens : (2. Cor. c. 11, v. 29.)
Qui est
scandalisé
, (c’est-à-dire tenté et porté au
péché)
sans que je brûle ?
C’est comme si le saint
apôtre disoit : Je ne puis voir Dieu offensé, et quelqu’un de mes frères se
perdre en marchant dans la voie du péché, sans que mon zèle s’enflamme, et
sans que je ressente dans mon ame une douleur aussi cuisante que celle que
ressent dans son corps un homme qu’on brûle à petit feu.
Combien sont éloignés d’avoir ce zèle tant d’ecclésiastiques, de pasteurs et
de confesseurs, qui n’osent élever leur voix contre les danses, ou qui
l’élèvent trop foiblement, se contentant de dire qu’on feroit bien mieux de
n’y pas aller, (comme s’il ne s’agissoit ici que de tendre à une plus haute
perfection) sans condamner ouvertement et fortement les personnes qui y
vont, et sans employer l’autorité que leur donnent leur caractère et leur
ministère pour en détourner absolument, comme d’un grand mal, surtout les
personnes dont ils sont chargés ! Est-ce
ainsi qu’ont parlé des danses les saints qui nous ont précédés ? et n’ai-je
pas fait voir avec quelle force ils se sont élevés contre elles ? Ils ne se
sont pas contentés de parler, mais ils ont agi, et ils n’ont pas craint,
pour les abolir dans les lieux où elles étoient en usage, de s’exposer à la
censure, aux contradictions, et même à la persécution du monde. La vie de
saint Eloy, évêque de Noyon et de Tournay, nous fournit en sa personne un
exemple bien touchant de ce zèle plein de courage et de force pour déraciner
les abus, et particulièrement les danses. Voici ce que rapporte à ce sujet
un des historiens des plus dignes de foi, par la critique aussi exacte que
judicieuse dont il a fait usage en écrivant les vies des saints.
(M. Baillet, vie de saint Eloy, au premier décembre.) « Saint
Eloy, dit ce célèbre auteur, n’avoit de
rigueur que pour lui-même, il étoit plein de tendresse pour les autres ;
mais sa douceur étoit toujours accompagnée de beaucoup de fermeté ; et
souvent lorsqu’il paroissoit le plus indulgent, c’étoit alors qu’il
faisoit paroître sa rigueur épiscopale… Un jour de saint Pierre,
prêchant dans une paroisse proche de Noyon, il parla fortement contre
les danses et les autres jeux qui tenoient encore du paganisme, où les
bonnes mœurs étoient fort en danger. Les habitans du lieu se
revoltèrent, et ne purent souffrir qu’on leur ôtât des divertissemens
qu’ils avoient vu pratiquer à leurs pères,
et
qu’ils tenoient d’une coutume immémoriale : ils conspirèrent ensemble la
perte de leur pasteur, s’il ne cessoit ses invectives contre les danses,
et ne les laissoit dans leurs anciens usages. Saint Eloy en eut avis,
mais le danger ne l’empêcha pas d’y retourner à la première fête,
doutant si Dieu ne lui avoit pas réservé cette occasion pour répandre
son sang pour la justice, afin de ne le point frustrer de la gloire du
martyre, à laquelle il osoit aspirer. Il prêcha donc en ce lieu avec
encore plus de véhémence qu’auparavant contre ces désordres. On ne
répondit à son zèle que par des injures et des outrages, et l’on ne
parloit que de le massacrer, quoiqu’il ne se trouvât personne qui voulût
mettre la main sur l’oint du Seigneur, à cause de la vénération générale
qu’on avoit pour lui. Saint Eloy voyant qu’il n’avançoit point, poussé
d’ailleurs par l’esprit de saint Paul, et armé du même pouvoir, il livra, par l’excommunication, les plus mutins et les
plus endurcis au démon pour mortifier leur chair, et faire
en sorte que leur ame fût sauvée au jour du Seigneur. Ce sont
les paroles même de saint Paul, au sujet de l’excommunication qu’il
lança contre l’incestueux de Corinthe. Il y en eut près de cinquante,
surtout des domestiques d’Erchinoald ou Archambaud, maire du palais, qui
se trouvèrent ainsi à la discrétion du démon, et apprirent aux autres à
craindre les jugemens de Dieu
dans ceux de
son Eglise. Leurs peines et leurs humiliations durèrent un an entier, et
ce ne fut qu’à la fête suivante, que le saint évêque, ayant reçu leurs
soumissions et celle de tous les habitans, leur accorda la grâce de leur
délivrance. »
Il faut que saint Eloy ait jugé les danses bien pernicieuses aux ames, pour avoir été disposé à souffrir la mort plutôt que de ne pas faire tous ses efforts pour les abolir dans les lieux où il avoit autorité, et pour employer à cet effet la peine de l’excommunication, qui est la plus grande dont l’Eglise puisse faire usage contre ceux qui s’obstinent dans l’erreur ou dans de grands déréglemens. Dieu a visiblement autorisé ce jugement que saint Eloy portoit des danses, et ce que son zèle lui fit faire pour les abolir, en punissant d’une manière visible ceux qui, ne pouvant souffrir ses réprimandes, se révoltèrent contre lui, et en n’accordant la cessation des maux qu’ils souffroient, qu’aux prières du saint évêque. L’exemple de ces malheureux frappés de Dieu, d’une manière éclatante, pour avoir résisté à leur évêque dans ce qu’il fit pour abolir les danses, ne fera-t-il aucune impression sur tant de gens qui osent en prendre la défense, et qui, en conséquence, murmurent contre les pasteurs et les confesseurs qui, animés du même zèle que saint Eloy, s’élèvent comme lui contre un désordre qui, pour être répandu partout et autorisé par une infinité de gens n’en est pas moins dangereux, ni moins condamnable ? Que tous ces àpologistes des danses, qui ne peuvent opposer au zèle de ceux qui les défendent que des murmures et non de bonnes raisons, ne se rassurent pas sur ce que Dieu ne se déclare pas par des punitions sensibles, contre ceux qui leur résistent, comme il en exerça autrefois contre ceux qui résistèrent à saint Eloy. Dieu est patient parce qu’il est éternel, et souvent il n’épargne en ce monde, que pour punir plus rigoureusement en l’autre. Ce fut par miséricorde qu’il affligea autrefois, par ces châtimens extérieurs, ceux que saint Eloy excommunia, puisque ces peines servirent à les faire rentrer en eux-mêmes ; au lieu que le silence que Dieu garde maintenant, pour l’ordinaire, à l’égard de ceux qui résistent à ses ministres, parce qu’ils ne peuvent souffrir qu’ils s’opposent à leurs passions, est un silence de justice, qui, ne servant qu’à les endurcir dans le mal, les rend plus dignes des supplices éternels, réservés aux pécheurs impénitens.
Après les ministres de J. C., ceux qui ont une obligation plus particulière de s’opposer aux danses, ce sont les pères et mères à l’égard de leurs enfans, et les maîtres et maîtresses à l’égard de leurs domestiques ; ils doivent mettre en usage tous les moyens qu’ils peuvent prendre pour les en détourner.
D’abord, c’est une obligation indispensable pour les pères et mères d’empêcher, autant qu’ils le peuvent, leurs enfans d’aller aux danses. Si, par une négligence notable d’un père et d’une mère, un seul de leurs enfans tomboit dans le feu ou dans l’eau, et s’il y périssoit, tout le monde ne se réuniroit-il pas pour les blâmer hautement de cette négligence ? Combien sont plus blâmables les pères et les mères qui, par une semblable négligence à préserver leurs enfans, lorsqu’ils le peuvent, de tomber dans le péché mortel, les laissent aller où ils sont en grand danger d’en commettre ! On est indigne du nom de père et de mère, lorsqu’après avoir enfanté des fils et des filles pour le siècle présent, on les laisse, par une molle et excessive indulgence, périr pour le siècle futur.
C’est ce qui a fait prononcer à saint Paul cette terrible sentence : (1. Tim.
c. 5, v. 8.)
Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et
particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi, il est
pire qu’un infidèle.
Si le bruit de ce tonnerre ne
réveille point de leur négligence tant de pères et de mères qui ne se
mettent point en peine de l’ame et du salut de leurs enfans, ils ne sont pas
seulement plongés dans un profond sommeil, mais ils sont encore enfoncés
dans une profonde mort.
Les saints pères ont fortement parlé contre les mères qui, pouvant nourrir leurs enfans, les donnent à nourrir à d’autres femmes ; et la principale raison de ces plaintes, c’est qu’en donnant leurs enfans à des nourrices étrangères, elles les exposent au danger de leur faire sucer les vices de ces nourrices avec leur lait, si elles étoient de mauvaises mœurs. A combien de plus grands dangers les pères et mères exposent-ils la pureté de leurs enfans, en les laissant aller aux danses, où tout ce qu’on voit et ce qu’on entend n’est propre qu’à corrompre ?
Cependant, combien y a-t-il aujourd’hui de mères qui non-seulement laissent tranquillement leurs filles aller aux bale et aux danses, mais trouvent même un sujet de gloire lorsqu’elles les voient danser avec un art, une adresse et une grâce qui leur attirent des louanges ; et lorsque ne l’ayant pas vu, elles entendent dire que leurs filles se sont distinguées, par ce dangereux talent, dans cet art si funeste !
L’obligation qu’ont les pères et mères d’empêcher, autant qu’ils peuvent,
leurs enfans d’aller aux danses, est à peu près la même des maîtres et
maîtresses, par rapport à leurs domestiques, puisqu’on peut également
appliquer à ces derniers la sentence de saint Paul qui vient d’être
rapportée :
Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et
particulièrement de ceux de sa maison, il est pire qu’un infidèle,
il a renoncé à la foi.
Aussi, saint Augustin a-t-il réuni les devoirs des maîtres et maîtresses envers leurs domestiques, avec ceux des pères et mères envers leurs enfans, dans une exhortation qu’il fait aux uns et aux autres à se bien acquitter de ce qu’ils doivent à ceux dont ils sont chargés.
Ce que le saint docteur dit sur cela est si beau et si touchant, que j’ai cru
devoir le rapporter tout entier. Il est tiré d’un sermon
de ce père sur l’endroit de saint Mathieu, c. 25, où il
est parlé du serviteur paresseux, qui fut condamné pour n’avoir pas mis à
profit le talent qui lui avoit été confié. (ser. 94.) « Vous
venez, dit ce père, de voir dans ce qu’on
nous a lu de l’Evangile, quelle est la récompense des bons serviteurs,
et la punition des mauvais. Vous venez de voir que tout le crime de ce
serviteur réprouvé, et si sévèrement puni, est de n’avoir pas voulu
mettre à profit le talent qui lui avoit été confié. Il l’a gardé, et il
l’a représenté en son entier : mais le Seigneur vouloit du profit ; car
Dieu est, pour ainsi dire, avare par rapport à notre salut. Or, si celui
qui n’a péché qu’en ne rendant pas le profit de ce qu’il avoit reçu, est
puni si sévèrement, à quoi doivent s’attendre ceux qui le perdent et le
dissipent ? »
Après cette observation générale, saint Augustin commence par s’appliquer à
lui-même la parabole dont il s’agit : « Nous sommes, continue-t-il, les dispensateurs des trésors
du Seigneur : nous les distribuons, vous les recevez ; mais nous voulons
qu’ils profitent entre vos mains. Vivez donc saintement ; car c’est le
profit que nous cherchons. »
De cette application de la parabole que saint Augustin se fait à lui-même, il
passe à une autre application à tous ceux et à toutes celles qui, en quelque
état qu’ils soient, en ont d’autres sous leur charge, comme les pères et
mères, les maîtres et maîtresses.
« Ne
croyez pas, dit-il, que la sage administration
de ce qui vous a été confié ne vous regarde pas. Vous ne pouvez le faire
du lieu élevé d’où je vous parle, mais vous le pouvez quelque part que
vous soyez. Lorsqu’on ne parle pas de Jésus-Christ avec le respect qui
lui est dû, prenez sa défense, répondez à ceux qui murmurent contre lui,
reprenez les blasphémateurs, séparez-vous de leur compagnie. Vous serez
un dispensateur digne de récompense, si vous gagnez à Jésus-Christ
quelqu’un de vos frères. Tenez notre place dans vos maisons. Le nom
d’évêque que nous portons, vient de l’inspection et de l’intendance que
nous avons sur le peuple dont nous sommes évêques, et du soin que nous
devons prendre de son salut en veillant sur lui. Que chacun de vous dans
sa propre maison, s’il en est le chef, croie donc que l’office de
l’évêque le regarde, et qu’il doit se mettre en peine d’examiner quelle
est la foi de ceux qu’il a sous lui, de peur que quelques-uns d’eux ne
tombent dans l’hérésie ; de peur que sa femme, son
fils, sa fille, son serviteur ou son esclave, qui a été acheté comme lui
d’un grand prix, ne périsse. L’apôtre saint Paul met le maître au-dessus
du serviteur, et soumet le serviteur au maître ; mais Jésus-Christ a
payé pour tous les deux un même prix. Ne méprisez donc pas le moindre de
vos frères, et employez tous vos soins et toute la vigilance dont vous
êtes capables, à
procurer le salut de tous.
Si vous le faites, vous serez des dispensateurs fidèles de ce que vous
avez reçu ; vous ne serez point de ces serviteurs paresseux que
l’Evangile condamne, et vous vous mettrez à couvert du châtiment si
terrible dont vous venez de voir qu’ils sont punis. »
De ce que les pères et mères doivent, autant qu’il est possible, inspirer à
leurs enfans de l’éloignement pour la danse, s’en suit-il qu’il ne leur est
pas permis de leur donner pendant un temps un maître à danser ? Je vais vous
faire répondre pour moi un auteur très-connu par l’estime que lui ont
acquise ses ouvrages qui ont été si bien reçus du public : je veux parler de
M. Rollin, ancien recteur de l’université de Paris, dans un petit supplément
qu’il a fait au traité de la manière d’enseigner et d’étudier
les belles-lettres. Parlant en particulier, dans le second article,
des études qui peuvent convenir aux jeunes filles, il traite, dans la
section troisième, de la lecture des poètes, de la musique et de la danse.
Je laisse ce qu’il dit de la lecture des poètes et de la musique, parce que
cela est étranger à mon sujet, et je m’arrête seulement à ce qu’on lit dans
cet article sur la danse. « La danse, y est-il
dit, (page 56 et 67.) fait ordinairement une des parties les
plus essentielles de l’éducation des filles, et l’on y consacre sans
peine beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Je me borne à examiner
simplement et sans prévention quel est, sur cet article, le devoir d’une
mère
◀chrétienne▶ et raisonnable. Comme il y a
des études destinées à cultiver et à orner l’esprit, il y a aussi des
exercices propres à former le corps, et l’on ne doit pas les négliger.
Ils contribuent à régler la démarche, à donner un air aisé et naturel, à
inspirer une sorte d’honnêteté et de politesse extérieure, qui n’est pas
indifférente dans le commerce de la vie, et à faire éviter les défauts
de grossièreté et de rusticité qui sont choquans, et qui marquent peu
d’éducation. Mais il suffit pour cela d’apprendre à de jeunes personnes
à ne point s’abandonner à une molle nonchalance qui gâte et corrompt
toute l’attitude du corps, à se tenir droites, à marcher d’un pas uni et
ferme, à entrer décemment dans une chambre ou dans une compagnie, à se
présenter de bonne grâce, à faire une révérence à propos ; en un mot, à
garder toutes les bienséances qui font partie de la science du monde, et
auxquelles on ne peut pas manquer sans se rendre méprisable. Voilà, ce
me semble, à quoi doit tendre l’exercice dont je parle ; et j’ai vu avec
joie des maîtres à danser de la première réputation, se renfermer dans
ces bornes pour satisfaire aux désirs des mères ◀chrétiennes, qui
joignent à une grande naissance une piété encore plus grande. Il n’est
pas nécessaire que je m’arrête ici à montrer combien tout ce qui est
au-delà de ce que je viens de dire, peut devenir dangereux pour de
jeunes
demoiselles, et combien les suites en
peuvent être funestes. Une dame un peu jalouse de sa réputation, ne
seroit pas contente qu’on lui fît un mérite d’exceller dans le chant et
dans la danse. »
Sur quoi M. Rollin cite l’exemple de Sempronia,
que j’ai rapporté plus haut : « C’est,
dit-il, la remarque que fait Salluste en disant de Sempronia,
dame de naissance, mais absolument décriée pour les mœurs, qu’elle chantoit et dansoit avec plus d’art et de grâce qu’il ne
convenoit à une honnête femme. »
Enfin, tous ceux qui ont quelque autorité temporelle, comme les magistrats,
les Seigneurs de paroisse et leurs officiers de justice, sont obligés de
s’opposer, autant qu’ils peuvent, aux danses, et d’employer, pour les
déraciner des lieux où elles sont établies, tous les moyens d’autorité
qu’ils ont en main, en réglant néanmoins l’usage de ces moyens par la
prudence, qui doit avoir égard aux circonstances des temps, des lieux et des
personnes, en imitant la conduite de Dieu dont il est dit (Sagesse, c. 8,
v. 1.)
Qu’il atteint avec force depuis une extrémité
jusqu’à l’autre, et qu’il dispose tout avec douceur
.
J’ai rapporté plus haut les canons des conciles et les ordonnances de nos
rois sur ce que ceux qui sont revêtus de l’autorité temporelle doivent faire
à l’égard des danses publiques, des travaux et des œuvres serviles qui sont
une profanation des jours de dimanches et de fêtes. Si ceux qui sont revêtus
d’une autorité
temporelle croient que, pour se
bien acquitter de leur charge, il leur suffit de pourvoir de leur mieux au
bien temporel de ceux qui leur sont soumis, sans se mettre, en aucune façon,
en peine de ce qui regarde leur bien spirituel, qu’ils lisent ou qu’ils
écoutent ce que saint Augustin écrivoit à ce sujet à Macédonius qui occupoit
alors une grande place dans l’état. Voici ce que ce célèbre évêque lui
disoit (lettre 155, n.os 10 et 11.)
pour l’engager à ne pas borner l’usage de son autorité au bien temporel des
peuples, mais à l’étendre encore à leur bien spirituel : « Si toute
la prudence par laquelle vous tâchez de maintenir les choses dans
l’ordre, et de faire du bien aux hommes, si toute la force qui vous fait
soutenir, sans vous étonner, tout ce que la malice des hommes peut
entreprendre contre vous ; si toute la tempérance qui vous fait résister
au torrent de la corruption, si toute la justice qui reluit dans
l’intégrité de vos jugemens, qui vous fait rendre à chacun ce qui lui
appartient ; si tout cela, dis-je, ne tend qu’à garantir ceux à qui vous
prétendez faire du bien, de ce qui pourroit menacer leurs corps et leur
vie, à assurer leur repos contre les entreprises des méchans, à faire
que leurs enfans croissent comme de jeunes plantes, que leurs filles
soient parées comme un temple magnifique, que leurs celliers regorgent
l’un dans l’autre, que leurs brebis soient fécondes, que leurs bœufs
soient gras, que nulle ruine ne
défigure
leurs héritages, qu’on n’entende point de clameurs publiques, qu’il n’y
ait parmi eux ni querelle ni procès ; vos vertus ne sont pas plus de
véritables vertus, que le bonheur de ceux pour qui vous travaillerez ne
sera un véritable bonheur. Je ne crains point de vous le dire (et cette
modeste retenue que vous louez en moi dans votre lettre, avec des termes
si pleins de bonté, ne m’en doit point empêcher) ; je vous dis donc
encore une fois, que si, dans les fonctions de votre charge où vous
paroissez orné de ces vertus, vous n’avez pour but que de garantir les
hommes de tout ce qui pourroit les faire souffrir selon la chair, sans
vous mettre en peine à quoi ils rapportent ce repos que vous tâchez de
leur procurer, c’est-à-dire, pour m’expliquer plus clairement, comment
ils rendent au vrai Dieu le culte qui lui est dû, (car ce n’est que pour
avoir plus de moyens de le lui rendre, qu’une vie tranquille est
désirable, et c’est tout le fruit qu’on en peut tirer ; toutes vos
peines ne serviront de rien pour la vie où se trouve la véritable
félicité. Vous trouverez peut-être que je parle trop hardiment, et que
j’oublie cette retenue et cette modestie que j’ai coutume de garder dans
les lettres où il s’agit d’intercéder pour les criminels ; mais cette
modestie même, qui n’est autre chose qu’une certaine crainte de blesser
et de déplaire, doit céder ici à une crainte bien plus forte ; car je
craindrois et de déplaire à Dieu, et de
manquer à l’amitié que vous avez voulu qui fût entre vous et moi, si
j’étois plus réservé à vous donner de sa vis salutaires. »
Qu’il seroit à souhaiter que toutes les personnes en places et en autorité donnassent, comme Macédonius, leur estime et leur confiance à des hommes capables de leur donner les avis dont ils ont besoin, pour se bien acquitter des emplois difficiles et périlleux attachés aux grandes places, et assez dépouillés de tout intérêt propre et de toute considération humaine, pour dire à ceux qui les honorent de leur confiance, toutes les vérités qui peuvent leur être utiles ! Qu’il seroit aussi à désirer que ceux qui sont revêtus du ministère ecclésiastique, ne cherchassent, comme saint Augustin, que le bien des ames, plutôt que leurs propres intérêts, et à plaire aux hommes ; et que, sans avoir égard à la condition des personnes, ils enseignassent toujours, à l’exemple de leur divin Maître, la voie de Dieu dans la vérité ! Ayons soin de demander à Dieu des ministres ainsi remplis de la lumière et de la force de son Esprit.