(1725) Le maître à danser [graphies originales] « Préface. » pp. -
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(1725) Le maître à danser [graphies originales] « Préface. » pp. -

Préface.

Si j’ai intitulé ce Livre Le Maître a danser, ce n’est pas que j’aie voulu par une présomption temeraire, m’attribuer à moi-même un pareil titre. Mais comme de tous ceux qui enseignent avec applaudissement l’Art de la Danse, il ne s’est trouvé personne qui en ait écrit les regles, j’ai osé l’entreprendre ; & quoique j’aie fait toute ma vie de serieuses reflexions sur les positions & sur l’équilibre du corps, pour être plus à portée de donner des leçons utiles à mes Ecoliers, je me suis moins fondé sur ma propre experience, que sur l’habileté des plus grands Maîtres, que j’ai eu l’avantage de frequenter.

C’est pour ainsi dire, leurs leçons qu’ils ont souvent donné en ma presence, que je trace ici sur le papier : Ainsi sans examiner, si j’ai tenu le premier rang dans ma profession, les regles que je donne peuvent justifier le titre de mon Ouvrage.

J’ose me flatter que mon travail ne sera point inutile aux jeunes gens qui, se servant de cette methode, pourront comprendre, & executer plus facilement ce que le Maître leur aura enseigné ; c’est pour cela même que j’ai fait graver plusieurs Planches qui representent le Danseur en diverses positions : les préceptes qui passent par les yeux aïant toûjours beaucoup plus d’effet, que ceux qui sont dénuez de secours.

Le Public n’attend pas d’un homme comme moi, qui a passé tout le tems de sa vie à étudier & à enseigner la Danse une longue dissertation sur l’origine & l’ancienneté de cet Art : je laisse ce soin aux Sçavans. Quelques Auteurs celebres en ont parlé, & je ne m’arrêterai point à compiler leurs ouvrages.

Mais le Lecteur auroit lieu de se plaindre, si dans un tems où la Danse est parvenuë au plus haut degré de sa perfection, je ne parlois point des progrès qu’elle a fait sur la fin du dernier siécle, qu’elle fait encore tous les jours par l’émulation qu’excitent les spectacles de l’Academie Roïale de Musique. Il ne faut pourtant pas regarder la Danse comme un exercice uniquement inventé pour le plaisir. Je crois bien que la joye des Festins, que la vivacité des Fêtes lui ont donné la naissance ; mais il en est de même de la Danse que de la Comédie, les hommes ont cherché à tirer de l’utilité de ce que le seul plaisir leur avoit fait inventer. Si la Danse ne devoit servir qu’à paroître sur les Theatres, elle ne feroit l’occupation que de peu de personnes ; mais on peut dire qu’elle merite les soins presque de tous les hommes, quand même ils n’en devroient faire usage que dans les premiers tems de leur jeunesse destinez à cet exercice. C’est la Danse qui donne la grace aux avantages que nous recevons de la nature, en reglant tous les mouvemens du corps, & l’affermissant dans ses justes positions : & si elle n’efface pas absolument les défauts que nous apportons en naissant, elle les adoucit, ou les cache. Cette seule definition suffit pour en faire voir l’utilité, & pour exciter le desir de s’y rendre habile.

Nous pouvons dire à la gloire de notre Nation, qu’elle a le veritable goût de la belle Danse. Presque tous les Etrangers loin d’en disconvenir, viennent depuis près d’un siécle admirer nos Danses, se former dans nos Spectacles & dans nos Ecoles ; même il n’y a point de Cour dans l’Europe qui n’ait un Maître à danser de notre Nation.

Le Regne de Louis le Grand sera toûjours regardé avec justice, comme le Regne des hommes les plus illustres. Entre tous les Arts qui se sont perfectionnez sous les yeux, & par les liberalitez d’un si puissant Monarque, la Danse a fait les plus rapides progrès ; tout sembloit y contribuer. Ce Prince qui avoit reçû des mains de la Nature une figure noble & majestueuse, avoit aimé dès son enfance tous les exercices du corps, & avoit ajoûté aux dons naturels toutes les graces qui peuvent s’acquerir. Le goût qu’il avoit pour la Danse l’engageoit dans les momens paisibles de son Regne, à donner de ces Ballets magnifiques, où ce Souverain ne dedaignoit pas de paroître lui-même avec les Princes & les Seigneurs de son Roïaume. Quelle émulation ne ressentoient pas tous les jeunes Courtisans, dans l’esperance d’être admis aux plaisirs d’une Cour si brillante ? Cependant la Danse ne parut dans tout son éclat qu’à la naissance des Opera. Lully, Italien de Nation, étant venu en France à l’âge de neuf ans ; y appris la Musique : & comme il avoit un genie rare & sublime, il s’éleva bien-tôt au-dessus de tous les Compositeurs de son tems. Après avoir composé la Musique des divers Ballets dont je viens de parler, il entreprit de donner aux yeux de la Cour & de la Ville ces Tragedies Lyriques qui font encore l’admiration & le charme des Spectateurs. On vit sur les Theatres de Paris ce nouveau genre de spectacle qui sous le nom d’Opera, n’avoit été connu jusqu’alors que des Italiens.

Lully, qui dès sa premiere jeunesse s’étoit attaché à la Cour de Louis le Grand, oublia en quelque façon sa Patrie, & fit si bien par ses travaux que la France triompha sans peine & pour toûjours de l’Italie, par le charme de ces mêmes spectacles que Rome & Venise avoient inventez. Il ne se borna point à leur donner tout l’éclat que la Musique pouvoit fournir ; comme il étoit obligé de representer des Triomphes, des Sacrifices, des Enchantemens, & des Fêtes galantes qui exigeoient des Airs caracterisez pour la Danse, il fit choix de tout ce que la France avoit de plus habiles Danseurs. Beauchamp qui étoit pour lors à la Cour Compositeur des Ballets du Roi, comme Lully l’étoit de la Musique, fut choisi pour composer les Danses de l’Opera. Je ne puis trop donner de loüanges à la juste reputation qu’il s’est acquise. Ses premiers essais furent des coups de Maître, & il partagea toûjours legitimement les suffrages que le Musicien s’attiroit de plus en plus. Il étoit sçavant & recherché dans sa composition, & il avoit besoin de gens habiles pour executer ce qu’il inventoit : heureusement pour lui qu’il avoit dans Paris & à la Cour les Danseurs les plus habiles, St André, Favier l’ainé, Favre, Boutteville, Dumiraille & Germain. Mais quelques fussent les talents de tous ces Danseurs, de leur propre aveu, la palme étoit reservée à Pecour & à l’Etang, qui depuis ce tems ont été les modeles de tous ceux qui ont voulu briller dans la même carriere. Le caractere de l’un & de l’autre n’étoit pas le même. Ils étoient tous deux formez par la nature avec les graces, & avec toutes les dispositions de la belle Danse.

L’Etang dansoit avec noblesse & avec précision, & Pecour remplissoit toutes sortes de caracteres avec grace, justesse & legereté. Ils étoient d’ailleurs l’un & l’autre d’un caractere pour le commerce de la vie, que les plus grands Seigneurs se faisoient un plaisir de vivre avec eux, & de les admettre à leurs parties.

Lully qui avoit assez vecu pour sa reputation, mais qui auroit encore pû augmenter la gloire de la France par les nouveaux ouvrages, qu’il étoit en état de donner, mourut en 1687. à sa mort Beauchamp quitta l’Opera. Pecour qui jusqu’alors s’étoit fait une si grande reputation par l’execution des Danses, & qui même s’étoit essaïé par des Ballets pour la Cour, fut choisi pour la composition des Danses de l’Opera, & il fit bien-tôt voir qu’il avoit un genie superieur. Il avoit besoin de tous ses talents, pour remplacer dignement le Maître qui l’avoit précedé ; mais il en vint à bout par la varieté infinie & par les nouveaux agrémens qu’il prêta aux mêmes Ballets, que Beauchamp avoit déja fait executer.

Les femmes qui depuis quelque tems avoient été admises dans les Bales de l’Opera, contribuerent beaucoup à la magnificence du spectacle. Mesdemoiselles de la Fontaine & Subligny qui se distinguoient, exciterent l’émulation de plusieurs jeunes Danseurs qui entrerent à l’Opera, on les emploïa à figurer avec plusieurs Danseurs des plus habiles.

Blondy neveu & digne éleve de Beauchamp commençoit dès-lors à se distinguer, & disputoit de gloire avec Ballon dont la réputation est si justement établie. Ce dernier avoit un goût infini & une legereté prodigieuse. Il fit pendant plusieurs années le plaisir & l’admiration des spectateurs, ses talents furent récompensez par l’honneur qu’il reçut, en donnant le premier la main à LOUIS XV. notre Auguste Monarque, l’amour de ses Peuples & l’esperance de tous les Arts.

Ballon aïant quitté l’Opera, les amateurs de la Danse sentirent cette perte. Les jeunes Danseurs qui avoient des talents s’animerent d’une juste émulation pour remplir cette place.

Dumoulin le dernier de quatre freres qui ont tous des talents, & qui se distinguent encore aujourd’huy dans divers caracteres, fut celui qui approcha le plus de Ballon, & qui consola en quelque façon le public. Il eut l’avantage d’être d’abord associé pour les pas, de deux avec Mademoiselle Guiot, qui étoit une excellente Danseuse, & par ses essais qui réussirent, il se rendit capable de figurer avec l’illustre Mademoiselle Prevost.

C’est ici que je souhaiterois pouvoir payer le juste tribut de loüanges que meritent ses rares talents. Dans une seule de ses Danses sont renfermées toutes les regles qu’après de longues meditations nous pourrions donner sur notre Art, & elle les met en pratique avec tant de grace, tant de justesse, tant de legereté, tant de précision, qu’elle peut être regardée comme un prodige dans ce genre. Elle merite avec justice d’être regardée comme Terpsicore, cette Muse que les anciens ont fait présider à la Danse. Elle a les mêmes avantages que Prothée avoit dans la Fable. Elle prend à son gré toutes sortes de formes, avec cette difference que Prothée les emploïoit souvent pour effraïer les mortels curieux qui venoient le consulter ; & elle ne s’en sert que pour enchanter les yeux avides qui la regardent, & pour attirer les suffrages de tous les cœurs. D’ailleurs les justes applaudissemens qu’on lui donne, excitent une noble ambition parmi les autres Danseuses.

Mademoiselle Menese qui presque toûjours unie avec Marcel pour danser les pas de deux dans un genre particulier, ne manque jamais d’embellir le spectacle, & d’attirer les applaudissemens du public.

Le commencement de la réputation de Marcel est une époque assez remarquable dans l’Opera.

Campra qui de tous les successeurs de Lully dans la composition de la Musique, a donné au Theatre le plus grand nombre de beaux ouvrages, avoit mis au jour les Fêtes Venitiennes. Il y avoit dans ce Ballet une Scene très singuliere où un Maître à danser vient vanter en chantant tous les avantages de son Art, & comme il executoit en même tems les divers caracteres de Danse qui se trouvent dans les Ballets, & qu’il avoit un peu de voix & beaucoup de goût pour le chant, il entreprit de faire ce rôle, & le remplit si bien qu’il engagea dès ce jour-là le public à remarquer avec plus d’attention les talens qu’il avoit pour la Danse, où il a soûtenu constamment ce qu’il fit attendre de lui.

Je puis dire, que les pas de deux qu’il a dansé & qu’il danse encore tous les jours avec Blondy, sont autant de tableaux où les rapports sont si justes, & les couleurs si vives, qu’on ne peut s’empêcher de les admirer.

Voilà quels sont les Maîtres qui m’ont fourni les regles que je donne dans mon Ouvrage, & il a passé sous les yeux du Maître qui depuis la mort de Lully a composé les Ballets de l’Opera, & sous lesquels les plus habiles Danseurs d’aujourd’hui se sont formez. J’en ai reçû une Approbation trop avantageuse pour ne pas me flatter de quelque réussite.