(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Histoire generale de la danse sacrée et prophane : son origine, ses progrès & ses révolutions. — Chapitre IV. De la Danse des Balets des Anciens & des Modernes, avec quelques descriptions des plus singulieres, & de l’origine de la danse Théâtrale. » pp. 70-111
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(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Histoire generale de la danse sacrée et prophane : son origine, ses progrès & ses révolutions. — Chapitre IV. De la Danse des Balets des Anciens & des Modernes, avec quelques descriptions des plus singulieres, & de l’origine de la danse Théâtrale. » pp. 70-111

Chapitre IV.
De la Danse des Balets des Anciens & des Modernes, avec quelques descriptions des plus singulieres, & de l’origine de la danse Théâtrale.

On peut juger par ce que j’ai dit de la danse, qu’elle doit son origine au culte de la Religion, à l’Astronomie & à l’art de la Guerre, plutôt qu’aux spectacles & aux fêtes publiques ; mais elle doit sa perfection aux danses des réjouissances publiques, & aux représentations des Balets de la danse Théâtrale dont les Grecs sont les premiers inventeurs ; à laquelle on peut dire que les François ont plus excellé depuis plus d’un siécle, que pas une des nations du monde : les Etrangers mêmes ne le contestent pas.

L’Opéra est une sorte de Comédie composée de cinq actes en musique, accompagnez de danses convenables au sujet, qu’on nomme divertissemens, & dont nous sommes redevables aux Italiens pour l’invention ; Perrin en 1659 la mit en usage en France : mais l’on sçait aussi que les Italiens n’ont imaginé l’Opéra que sur les représentations des Balets des Grecs, & que l’invention de ceux d’Italie n’est trouvée que depuis deux ou trois siécles. Comme je ne prétens pas rappeler dans l’Histoire de la Danse ce que j’ai dit dans celle de la Musique, où j’ai traité suffisamment de l’Opéra, je l’abandonne entierement pour ne parler ici que des Balets.

Le Balet, communément parlant, est une maniere de Poëme dramatique composé en trois actes, comme nous l’avons vû quelquefois pratiquer en France depuis le régne de François premier.

En 1582 il fut fait au Louvre un Balet comique par l’ordre de la Reine Louise, pour la solemnité du mariage du Duc de Joyeuse avec Mademoiselle de Vaudémont sœur de cette Reine ; toute la Cour, hommes & femmes, danserent dans les Entrées. On attribue à un Duc de Némours, sous le régne de Louis XIII. l’invention de tous les Balets, où le Roi dansa au Louvre avec toute sa Cour.

Ce Duc étoit fort sujet à la goutte ; & comme il aimoit la danse passionnément, il composa un Balet de Gouteux, & se fit apporter dans un fauteuil, ayant la goutte, & une canne à la main, pour tenir son rang parmi les danseurs, en 1630.

Après la minorité de Louis XIV. on fit un Balet de la prospérité des armes de la France, dans lequel le Roi devoit danser masqué avec toute sa Cour ; mais comme depuis long-tems on n’avoit point vû de Rois danser sur le Théâtre à Paris, ou peut-être point du tout, le Cardinal Mazarin qui étoit un Ministre très-habile, fit publier le sujet de ce Balet, avec l’avertissement que je rapporte ici.

« Après avoir reçû cette année tant de victoires du Ciel, ce n’est pas assez de l’avoir remercié dans les Temples, il faut encore que le ressentiment de nos cœurs éclate par des réjouissances publiques : C’est ainsi que l’on célebre de grandes Fêtes ; une partie du jour s’emploie à louer Dieu, & l’autre aux passe-tems honnêtes. Cet hyver doit être comme une longue fête, après de longs travaux : non seulement le Roi & son grand Ministre qui ont tant veillé & travaillé pour l’agrandissement de l’Etat, & tous ses vaillans Guerriers qui ont si valeureusement exécuté ses nobles desseins, doivent prendre du repos & du divertissement ; mais encore tout le peuple doit se réjouir, qui après ses inquiétudes dans l’attente des grands succès, ressent un plaisir aussi grand des avantages de son Prince, que ceux mêmes qui ont le plus contribué pour son service & pour la gloire de ses armes. » Cette convocation a fait beaucoup d’honneur à la danse.

Au mariage du Roi en 1659, il dansa avec tous les Seigneurs & Dames de la Cour, au Balet des Amours d’Hercule : le Cardinal Mazarin fit venir exprès d’Italie l’Auteur Italien, pour le faire représenter avec tous ses agrémens, de même qu’il avoit été représenté à Venise.

Le Roi en 1664 fit encore faire un Balet, dont le sujet fut les Amours déguisez, par rapport à ses nouvelles amours : il fut représenté au Louvre ; le Roi y dansa encore masqué dans les trois Entrés, avec les principaux Seigneurs de sa Cour, & les plus fameux Maîtres à danser. Ce Monarque figuroit avec Messieurs Legrand, le Maréchal de Villeroy & la Rochefoucault ; & l’on peut dire qu’il l’emportoit de beaucoup sur les autres, ayant passé pour le danseur le plus gracieux de son tems.

A l’égard des Balets des Anciens, ils étoient de quatre especes ; les tragiques, les comiques, les satyriques, & les tymeliques. Les Balets tragiques étoient graves & sérieux, leurs sujets se prenoient dans l’Histoire ou dans la Fable : les comiques étoient plaisans & bouffons ; les satyriques étoient libres & indécens ; & c’étoit particulierement dans ces deux-là que les Pantomimes faisoient voir leur habileté, par les figures, les mouvemens, & les gestes, qui sont les trois moyens de s’exprimer sans parler. A l’égard des Balets tymeliques, ils étoient allégoriques & très-ingénieux, dans lesquels un nommé Boccus excelloit parfaitement.

Toutes ces especes de Balets avoient des regles pour leur conduite, dont Platon, Aristote, Lucien, Athenée, & bien d’autres nous ont laissé des préceptes.

Au premier Livre de Lantologie Grecque, il est parlé d’un Pylade excellent compositeur de Balets tragiques ; il en fit aussi un de Bacchus montant au Ciel, mangeant & dansant avec les Satyres & les Bacchantes, où il observa exactement toutes les loix du Balet.

Nous voyons dans Athenée & dans Julius Pollux, que les Anciens avoient autant d’instrumens différens, qu’ils avoient de diverses danses ; que les filles dansoient au son des instrumens les plus doux ; que ceux qui servoient aux Balets des hommes étoient plus forts & plus patétiques ; & ceux au son desquels dansoient les vieillards, étoient plus graves & plus temperez : le tout pour exprimer les mouvemens de l’ame, suivant les sexes, & la différence des âges.

Les Grecs ont aussi passé pour être les plus habiles à exprimer par ces mouvemens les habitudes de l’ame, les mœurs, les passions & les actions naturelles, puisque suivant Platon & Lucien, ils croyoient la danse une chose divine & mistérieuse, qui se pratiquoit en l’honneur des Dieux & par les Dieux mêmes, à qui ils en attribuoient l’origine.

Ces deux Auteurs vouloient aussi que le compositeur des Balets, les Pantomimes & les Danseurs sçussent la Poésie, la Géometrie, la Musique, la Phisique, & même la Philosophie : la Poésie, pour composer & inventer les sujets ; la Géometrie, pour les figures & les mouvemens ; la Musique, pour les airs, les cadences, les accords & les mouvemens harmoniques ; la Phisique, pour la connoissance de la nature ; & la Philosophie, pour l’imitation naturelle des passions, des mœurs, & des affections de l’ame, qui regnent le plus dans le commerce des hommes & dans les usages de la vie civile ; & qu’ils empruntassent même de la Peinture & de la Sculpture, pour juger des atitudes pour la variété des danses, comme nous le voyons dans les Bacchanales des plus fameux Peintres, où sont exprimées les danses gracieuses des Bacchantes & l’impudicité des Satyres, & de cent autres sujets qui conviennent à la représentation & à la perfection des Balets.

Néanmoins j’ose dire, malgré l’opinion des Grecs, qu’un génie heureux, avec quelques principes pour les Spectacles, peut réussir sans posseder toutes ces Sciences, comme nous l’avons vû dans Messieurs Moliere & de Lully, Quinault & de Beauchamps, dont les œuvres ont fait l’admiration de nos jours.

L’opinion la plus commune sur l’origine des Ballets, est qu’ils se danserent d’abord aux chansons, dont la plûpart étoient des prieres aux Dieux pour leur demander du secours dans nos besoins, des historiettes ou des fables, des chants de triomphe, des lamentations, des plaintes, que les chanteurs & chanteuses accompagnoient de gestes & de mouvemens conformes à ce que l’on chantoit ; ce qui fut les premiers essais des représentations des Pantomimes.

Ainsi la spirituelle Eriphanis passionnée pour un chasseur nommé Ménalque, composa une chanson par laquelle elle se plaignoit aux arbres, aux rochers & aux forêts, de la dureté & de l’insensibilité de son amant ; elle le suivit même par les montagnes & dans les forêts en chantant cette chanson, dans laquelle elle témoignoit que les bêtes moins cruelles que Ménalque, s’attendrissoient à ses plaintes ; que les rochers sembloient y devenir sensibles, & que tout pleuroit avec elle : enfin cette chanson courut quelque tems après par toute la Grece ; en la chantant on exprimoit la passion d’Eriphanis par des mouvemens qui tenoient beaucoup de la danse.

Aristoxene dans son Traité de la Musique, dit que les femmes de Grece chantoient & dansoient une chanson qu’elles nommoient Calycé : une fille de ce nom étant devenue amoureuse d’un jeune homme nommé Evatius, demande à Venus pour toute faveur de l’épouser ou de mourir : si elle ne peut vaincre par l’intercession de la Déesse, l’indifférence du mortel, ses vœux n’étant point exaucez, elle se précipite de désespoir dans la mer : ce sujet fut encore un canevas pour l’invention des Balets tragiques dès ce tems-là.

L’avanture du jeune Boreus aussi beau qu’Adonis, qui en puisant de l’eau à une fontaine, disparut & fut enlevé par les Nymphes, donna lieu à une chanson tendre & lamentable, qui, au rapport de Mimphis Auteur Grec de la Ville d’Héraclée, se chantoit encore de son tems, avec des gestes & des mouvemens pleins de compassion & de pitié, qui exprimoient la douleur de la famille de Boreus, dont il étoit tendrement aimé.

Ce ne furent pas seulement ces chansons historiques ou fabuleuses, qui contribuerent à l’invention des Balets ; mais encore la coutume introduite dans les Fêtes & dans les festins, où des Musiciens chantoient & dansoient les Poésies d’Homere : car Aristocles écrivant des Chœurs de la Tragédie, mêlez de chants & de danses, donne le nom d’Homéristes à ces Rapsodeurs, qui chantoient les vers de l’Illiade & de l’Odyssée, avec une espece de représentation. Lysanias, au Traité qu’il a fait des Poëtes Iambiques, dit qu’un nommé Mnassion, un de ces Chantres rapsodeurs, récita ou chanta en Pantomime des vers de Simonides avec beaucoup de succès.

Démétrius Phalereus fut le premier qui amena les Chantres Homéristes sur le Théâtre, & à son imitation on y fit paroître des Hilarodes, des Simodes, des Mogodes, des Lysiodes, qui furent des chantres danseurs, & qui ne servoient qu’à divertir les spectateurs, en chantant & dansant d’une maniere plaisante, qu’ils temperisoient de quelques apparence de gravité & d’ordre dans leurs représentations, à cause des vers d’Homere, d’Hésiode, d’Archilogue, de Minnerme, & de Phocylide, tous Poëtes sérieux.

Pour les Hilarodes, ils entroient sur la scêne vêtus de blanc, avec une couronne d’or ; les Simodes avoient ce nom d’un Simon qui a passé pour habile chantre & très-bon danseur ; les Magodes se déguisoient en femmes, dansoient, chantoient & représentoient des choses extraordinaires qui tenoient du prodige, comme les enchantemens des Magiciens ; & les Lysiodes étoient des femmes qui se déguisoient en hommes, pour chanter & pour danser : ce qui introduisit insensiblement de grandes licences sur le Théâtre, qui tendoient à la corruption des mœurs, & contraires aux préceptes de la danse Théâtrale. Tous ces chantres & ces danseurs n’étoient aussi, à bien prendre, que des Saltimbanques & des boufons ; & ce fut pour purger le Théâtre de ces spectacles indécens, que les Grecs eurent recours aux Balets sérieux & réglez, dont l’usage a passé depuis dans la plus grande partie des Cours de l’Europe.

Saint Augustin rapporte dans son Traité de la Doctrine Chrétienne, Liv. 2, que les représentations de Balets à Carthage étoient composées avec si peu d’art, que l’on avoit été contraint de placer sur un bout du Théâtre un homme, qui à haute voix déclaroit au commencement de chaque Entrée, ce qu’on alloit représenter ; de même que des Peintres qui étoient si mal habiles dans les premiers tems à imiter les choses qu’ils peignoient, qu’ils étoient obligez de mettre sous leurs figures les noms de ce qu’ils prétendoient avoir peint : ce qui fait voir que tous les Arts dans leur origine n’ont eu à peine que la forme.

Mais depuis ce tems-là les Balets se sont bien perfectionnez, puisqu’il n’est point de sujets dont on n’en puisse faire une représentation aussi agréable que convenable au Théâtre ; ce qu’on pourra connoître par le Catalogue que je rapporte de ceux qui ont été faits dans toutes les Cours de l’Europe, du moins jusqu’à la fin du siécle précédent ; sans parler de ceux qui se sont faits de nos jours en France depuis l’établissement de l’Opéra, dont ceux de l’Europe galante, des Arts & des quatre Saisons n’ont pas été des moindres.

TABLE des Balets représentez dans les Cours de l’Europe, depuis la restauration des spectacles environ l’an 1450, jusqu’en 1723.

Balet des prosperitez des armes de la France.

L’Autel de Lyon, consacré à Auguste.

Les destinées de Lyon.

Le Château de Bissêtre.

Les Invalides.

Les Crieurs de Paris.

La Foire S. Germain.

Les Petites-Maisons, ou logement des fous.

Les Quinzevints, ou les Aveugles.

Le jeu de Cartes.

Sur la couleur de gris-de-lin.

La vérité ennemie des apparences.

La conquête du char de la gloire.

Le Lys sacré des fleurs.

Le mariage du Lys & de l’Impériale.

L’Arc-en-ciel fils du Soleil.

La Cour du Soleil.

La Curiosité.

Le Palais d’Alcide.

Les Montagnards.

Les Philosophes.

Les Alchimistes.

Qu’il est plus aisé de terminer les diférens par la Religion que par les armes.

Balet de Postures.

De la Mode.

Les Songes.

Les Jeux.

Le Tabac.

Les Quolibets & le Landi.

Le triomphe de Minerve.

Le Temple d’honneur.

La sortie d’Achille du Palais de Licomede.

Téthis en Fête.

La félicité des sens.

Balet de nuit.

Balet à cheval des Elémens.

Les moyens de parvenir.

Balet des Néréïdes, représenté dans l’eau.

Le triomphe d’amour sur la guerre.

Le mariage forcé.

Balet comique de la Reine Louise.

Prométhée.

Balet de l’illusion.

L’Empire du Soleil.

Balet des Cometes.

La destinée de Monseigneur le Dauphin.

La Moglie Odiata.

Ereole in Tebe.

Le Printems victorieux de l’hyver.

Balet de chevaux.

Balet d’Eléphans.

Balet des Passions, dansé devant le Roi.

Balet du Tems, dansé par le Roi.

Balet des Plaisirs, dansé par le Roi.

Les Plaisirs troublez, Mascarade donnée au Roi par M. le Duc de Guise.

L’Amour malade, Balet du Roi dansé par Sa Majesté.

Balet dansé par le Roi.

Balet d’Alcibiade, dansé par le Roi.

Balet de la Raillerie, dansé par Sa Majesté.

Balet de Vincennes dansé par le Roi.

Balet d’Hercule, dansé au mariage du Roi.

Balet des Amours déguisez, dansé par le Roi.

Balet de Flore, dansé par le Roi.

Pomone.

Les peines & les plaisirs d’amour.

Les Fêtes de l’Amour & de Bacchus.

Cadmus.

Alceste.

Thésée.

Le Carnaval Mascarade, Balet.

Atis.

Isis.

Psichée.

Bellérophon.

Proserpine.

Le triomphe de l’Amour.

Persée.

Phaéton.

Amadis de Gaules.

Roland.

L’Idile de Sceaux.

Le Temple de la Paix, dansé à Fontainebleau.

Armide.

Asis & Galathée.

Achile, le premier acte de M. de Lully, le reste de M. Colasse.

Zéphir & Flore.

Thétis & Pelée.

Orphée.

Enée & Lavinie.

Coronis.

Astrée.

Balet de Livry.

Balet de Chantilly.

Balet de Villeneuve-Saint-George.

Alcide.

Didon.

Médée.

Céphal & Procris.

Circée.

Téagene & Cariclée.

Les Amours de Momus.

Balet des Saisons.

La Toison d’or, Jason.

Arianne & Bacchus.

La naissance de Venus.

Méduse.

Venus & Adonis.

Aricie.

L’Europe galante, Balet.

Issé.

Les Fêtes galantes, Balet.

Le Carnaval de Venise, Balet.

Marthésis.

Le triomphe des Arts, Balet.

Picus & Canente.

Hésionne.

Aréthuse.

Sylla.

Omphal.

Fragmens de M. de Lully, Balet.

Tancréde.

Ulysse.

Les Muses, Balet.

Le Carnaval & la Folie, Balet.

Iphigénie.

Télémaque.

Alcimie.

La Vénitienne, Balet.

Philomelle.

Alcionne.

Cassandre.

Polixenne & Pyrrhus.

Bradamante.

Hyppodamie.

Gheta.

Semelé.

Télephe.

Arion.

Thalie, Balet.

Les plaisirs de la Paix, Balet.

Théonoé.

Les Fêtes de l’Eté.

Ariane.

Le jugement de Paris.

Les Ages, Balet.

Hypermeneste.

Les Fêtes Venitiennes.

Les plaisirs de la Campagne, Balet.

Polidor.

Prothée, Balet.

Les Elémens, Balet.

La Provençale, Balet.

Les Fêtes de Villercoterets, Balet.

Balet de Chantilly.

Renauld.

Pirithoüs.

Les Fêtes Grecques & Romaines.

Mais outre ces Balets, qui se représentent ordinairement dans les Palais des Souverains & sur les Théâtres publics, il y en a encore d’une autre composition, qu’on appelle Balets ambulatoires, qui se jouent de place en place dans les Villes, à l’occasion des Fêtes publiques.

A qui Appien Aléxandrin donne encore le nom de Pompe Thirrhénique, dont l’invention est attribuée aux Thirrhéniens ; il dit que ces Balets sont d’une institution très-ancienne : les danseurs étoient de jeunes gens, dont les habits étoient retroussez ; ils portoient des couronnes ou des guirlandes d’or sur leurs têtes, & alloient chantant & dansant dans les places publiques, avec autant d’ordre que de méthode : ce spectacle étoit en vénération parmi cette nation.

Stace & Martial nous apprennent encore que l’usage de ces cadences & de ces Balets ambulatoires passa d’Italie en Espagne & en Portugal, où ils sont demeurez jusqu’à présent.

Les Jésuites firent en Espagne une représentation d’un Balet ambulatoire, pour la solemnité de la béatification de St Ignace de Loyola leur Fondateur : le sujet du Balet représentoit les principaux événemens du siége de Troie. Le premier acte fut joué devant la porte de l’Eglise de Notre-Dame de Lorette, où il parut d’abord une machine de bois d’une grandeur prodigieuse, qui représentoit le cheval de Troie : ce cheval commença dès lors à se mouvoir par des ressorts secrets, tandis qu’autour de ce cheval se représentoient en Balets des actions considérables de la guerre de Troie, accompagnées d’une simphonie très-nombreuse ; après quoi on alla avec cette machine mouvante, à la place de S. Roch, où est l’Eglise de la Maison Professe des Jésuites. Une partie de cette place étoit ornée d’une décoration qui représentoit la Ville de Troie, avec ses tours & ses murailles : aux approches du cheval, une partie des murailles tomba ; les Soldats Grecs sortirent de cette machine, & les Troïens de leur Ville, couverts de feux d’artifice, avec lesquels ils firent un combat de danse merveilleux : le cheval jettoit des feux d’artifice contre la Ville, & la ville contre le cheval. Mais ce qui fut plus digne d’admiration, c’est dix-huit grands arbres tous chargez de feux d’artifice, qui formoient en l’air des figures extraordinaires.

Le lendemain après le dîné, parurent sur la mer au quartier de Pampuglia, quatre Brigantins richement parez, peints & dorez, avec quantité de banderoles & de grands chœurs de Musique : quatre Ambassadeurs aux noms des quatre parties du monde, ayant appris la béatification d’Ignace de Loyola, venoient pour reconnoître les bienfaits qu’elles avoient reçûs de lui, & lui rendre hommage, lui offrir des présens, avec les respects des Royaumes & des Provinces dépendantes de chacune de ces parties. Toutes les Galeres & tous les Vaisseaux du port saluerent ces Brigantins par une d’Artilerie, en arrivant à la Place de la Marine : les Ambassadeurs descendirent, & monterent en même tems sur un char superbement orné, & accompagnez de trois cens Cavaliers vétus à la Grecque, s’avancerent vers le College, précédez de plusieurs trompettes & timbales ; après quoi des peuples de divers nations, chacun vétu à la maniere de son pays, danserent un Balet très-agréable, composant quatre troupes ou quadrilles pour les quatre parties du monde.

Les Royaumes & les Provinces représentez par autant de génies, marchoient avec ces nations devant les chars des Ambassadeurs de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, & de l’Amérique, dont chacun étoit escorté de soixante & dix Cavaliers. La troupe de l’Amérique étoit la premiere ; & entre ces danses il y en avoit une composée de jeunes enfans déguisez en singes, en guenons, & en perroquets : devant ce char étoient encore douze nains montez sur de petites hacquenées. Le char de l’Afrique étoit tiré par un dragon ; le char de l’Asie étoit tiré par deux éléphans harnachez à la Persienne ; & celui de l’Europe, par six beaux chevaux atelez très-superbement : la diversité & la richesse des habits ne faisoient pas le moindre ornement de la singularité de ce Balet ambulatoire.

Au commencement du quinziéme siécle, la composition des Balets n’étoit guéres connue en France ; il y avoit peu d’imagination en la plûpart de ceux qui s’y dansoient, & l’on prenoit le plus souvent des sujets ingrats & ridicules, comme les Quolibets, le Landi Foire de S. Denis, le Château de Bissêtre, ou le Balet des gueux, les cris de Paris, & les Petites-Maisons : tels Balets furent dansez à la Cour de Louis XIII. pendant le Carnaval. Mais depuis les Poëtes, les Musiciens & les Maîtres de Danses ont eu plus d’élévation d’esprit, & en ont composé de fort beaux, à l’imitation des Italiens : ce qui donna lieu à la Cour de France de danser dans quelques-uns, ce qu’on n’avoit point vû depuis la Reine Louise-Catherine de Médicis, & le régne de Henri III. Mais le Balet des amours d’Hercule se trouva si beau, que Louis XIV. y dansa masqué avec une partie de sa Cour en 1654, en faveur de la prospérité des armes de la France. Celui des amours déguisez, qu’on appela par excellence le grand Balet du Roy, qui fut représenté au Louvre en 1664, je le rapporte ici par préférence aux autres.

L’ouverture fut un Prologue chanté par Venus, Pallas & Mercure : ces trois Divinitez se chargerent de la conduite des intrigues des amours déguisez.

Le premier acte représenta d’abord la grotte de Vulcain, d’où sortirent huit Amours si bien déguisez en Forgerons, qu’on ne les pouvoit reconnoître que par l’application qu’ils avoient à former des dards & des fléches, plûtôt que d’autres armes, quoiqu’ils eussent leurs bandeaux, qu’ils sembloient n’avoir retenus que pour se garentir de l’éclat du feu, du bruit des marteaux & des enclumes : ils firent une Entrée de Balet d’une composition très-ingénieuse. Ensuite le Théâtre représenta une mer, avec un combat naval en éloignement ; & Venus fit voir Marc-Antoine, qui pour suivre Cléopatre, quittoit l’espoir de la victoire qu’il alloit remporter contre César, & fit remarquer à Mercure que les Rameurs qui emportoient ce Romain avec tant de vitesse, n’étoient pas des Rameurs ordinaires, mais des Amours déguisez.

Après cette entrée des Amours Rameurs, Venus fit encore paroître aux yeux de Mercure, les jardins de Cérès, & une troupe d’Amours, qui pour livrer plus aisément Proserpine à la passion de Pluton, avoient pris la figure & l’habit de ses compagnes, & sous-prétexte d’une promenade, l’avoient fait sortir d’un château soigneusement fermé par sa mere : d’autres Amours, qui pour le même dessein avoient pris la ressemblance des Jardiniers de Cerès, cachant adroitement leurs fléches sous des fleurs qui ornoient le parterre, présenterent à Proserpine des bouquets, dont la vertu secrette l’endormit sur un gazon. Alors Pluton se servant d’une occasion si favorable, sortit des Enfers pour enlever cette belle Nymphe endormie. Mais Venus fit remarquer à Mercure que ce Dieu souterrain craignant que les Démons qui l’accompagnoient ne sçussent pas garder tout le respect du aux beautez de Proserpine, avoit emprunté six Amours qu’elle avoit fait vétir de sa livrée, pour favoriser cet enlévement.

Aussi-tôt après, dans l’avenue du Palais enchanté d’Armide, des Amours déguisez en Bergers, tâcherent par leurs chants, leurs danses & le son de leurs instrumens, de retenir Regnaud auprès de la beauté dont il étoit aimé : mais ce guerrier détrompé par la gloire qui l’appelle, suit constamment les deux valeureux Chevaliers qui le sont venus délivrer de cette agréable prison. Une autre bande d’amours, sous l’habit des Nymphes de Flore, se présentent dans la même intention, & n’ont pas un meilleur succès, quoiqu’elles étalent à l’envi leur beauté & l’agrément de leur danse. Armide voyant tous ces enchantemens inutiles, devient furieuse ; & pressée de douleur, de honte & de désespoir, se plaint & s’emporte contre les Amours qui l’ont si mal servie, & les chasse de son Palais enchanté, qu’elle détruit en un moment. Une troupe de petits Amours effrayez d’un accident si surprenant, sortent avec précipitation des ruines du Palais, & retiennent une partie des déguisemens qu’ils n’ont pas eu le tems de dépouiller tout-à-fait : les uns ont encore les plumages des oiseaux, d’autres une partie des habits des Nymphes & danseurs, qu’ils avoient pris pour servir la passion d’Armide ; ce qui termina le Balet. Une partie des Entrées fut dansée par le Roi ; les Princes & les Princesses, avec les plus grands Seigneurs de la Cour, étoient de ces Entrées. Comme le Roi en avoit fait la dépense, rien ne fut épargné pour l’embellissement du spectacle, pour les machines, les décorations, & la magnificence des habits.

L’année suivante, on fit un Balet Poétique pour le mariage de feu Monsieur, avec Madame Henriette d’Angleterre ; & attendu qu’elle avoit passé la mer pour venir en France, le sujet fut la naissance de Venus, par rapport à l’arrivée de cette Princesse.

L’ouverture du Théâtre commença par faire voir Neptune & Thétis, suivis de plusieurs Tritons qui composoient le corps de Musique, & qui firent entendre par leur récit, la gloire qu’ils avoient, qu’une Déesse d’une incomparable beauté, qui devoit régner dans tout l’Univers, fût née dans leur Empire. Neptune commença ainsi :

     Taisez-vous, flots impétueux ;
     Vents, devenez respectueux :
La mere des Amours sort de mon vaste Empire :

THÉTIS.

Voyez comme elle est belle en s’élevant si haut ;
Jeune, aimable, charmante, & faite comme il faut,
Pour imposer des loix à tout ce qui respire.

LES TRITONS.

     Quelle gloire pour la mer,
D’avoir ainsi produit la merveille du monde :
Cette Divinité sortant du sein de l’onde,
N’y laisse rien de froid, n’y laisse rien d’amer ;
     Quelle gloire pour la mer ?

Alors l’on vit Venus sortir de la mer, sur un Trône de nacre, environné de Néréïdes, & peu après être enlevée au Ciel par Phosphore & les Heures. Les Dieux Marins & les Déesses Marines se pressent de la voir ; les Vents arriverent au bruit ; Eole qui craint les désordres qu’ils ont coutume de faire, les resserre dans leur caverne ; Castor & Pollux assurent qu’en faveur de cette naissance, la navigation sera désormais heureuse : des Capitaines de Navires, des Marchands & des Matelots se réjouissent à leur vûe ; les Zéphirs qui avoient quitté les autres vents pour porter sur terre cette heureuse nouvelle, en font la premiere part au Printems, aux jeux, aux ris, & tous ensemble se devouent à cette nouvelle Divinité. Flore & Pallas, avec une troupe de Bergers & de Bergeres, protestent de ne recevoir jamais d’autres loix que les siennes. Le Balet de la naissance de Venus finissoit-là, car la seconde partie concernoit sa puissance.

Les Graces en firent le récit, & publierent que la puissance de cette Déesse s’étendoit par tout l’Univers.

Toute l’invention de ce Balet allégorique composé pour feue Madame, ne consistoit qu’en une douzaine d’Entrées des Amours, de Jupiter, d’Apollon & de Bacchus, de Sacrificateurs, de Philosophes, de Poëtes, de Héros, d’Héroïnes, soumis à l’empire de la beauté, aussi-bien qu’Orphée, qui va chercher son Euridice jusque dans les Enfers, dont j’ai supprimé les récits, crainte d’être ennuyeux. Toutes ces Entrées furent presque exécutées par des danseurs & des danseuses de profession, & de la composition de Beauchamps, sur les airs de M. de Lully, qui étoient deux génies excellens pour ces sortes de représentations.

Après le rétablissement du Roi Charles sur le Trône d’Angleterre, la Chambre des Pairs fit faire un Balet allégorique, pour faire voir que la vérité de la Religion s’étoit retirée dans l’Isle d’Angleterre, où toutes les Nations du monde vinrent en ordre par la Tamise, jusqu’au Palais du Roi, pour rendre leurs hommages à la vérité. C’est un des plus grands sujets que l’on puisse traiter pour la composition d’un Balet, puisqu’il fallut plus de trois cens personnes pour l’exécution. Pour cela on feignit qu’Atlas ne pouvant plus soutenir le fardeau du monde, dont il étoit chargé depuis long-tems, venoit le remettre entre les mains d’Alithie, qui passe pour la Déesse de la vérité.

La scêne représentoit au premier acte, le grand globe du monde, marqué de toutes les Provinces, comme elles sont sur les Globes, la Vérité étant couchée auprès. Les Muses vétues en Vestales, firent l’ouverture & chanterent ces Vers au Roy.

Le monde te vient faire hommage,
Grand Roy, de sa fertilité,
Puisqu’ici loge la beauté,
Et l’amour l’honneur de notre âge ;
Il vient chercher la Vérité
Chez vous, où son temple est planté.

Après quoi Atlas se plaignant de sa lassitude, dit qu’ayant appris d’Archimede que si on pouvoit lui donner un point ferme, il enleveroit toute la masse du monde, qui lui avoit donné tant de peine à porter, il étoit venu dans l’Isle Britannique, où étoit ce point fixe, pour se décharger d’un si pesant fardeau sur Alithie qui demeuroit dans cette Isle où le Roi l’avoit reçûe si favorablement. Ayant fini son récit, il s’aprocha du Globe, qui étoit aussi accompagné de trois Muses seulement, qui étoient Uranie, Clio, & Terpsicore, qui chanterent encore ces Vers.

Sortez Europe la premiere,
Puisque vous avez plus reçû
Des rayons de la lumiere
Que le Saint Esprit a conçu :
Amenez ici vos Princesses,
Pour en recevoir les adresses.

Aussitôt la partie du Globe, ou l’Europe étoit décrite, s’ouvrit, l’Europe en sortit vêtue en Reine avec cinq de ses filles, la France, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie & la Gréce, l’Ocean, & la Mer Méditerranée, avec la Loire, le Gua d’Alquinir, le Rhin, le Tibre, & Archéloüs : chaque Princesse avoit trois Pages à sa suite ; la France, un Basque, un Bas-Breton & un Lorrain ; l’Espagne, un Portugais, un Arrragonois & un Catalan ; l’Allemagne, un Hongrois, un Bohémien & un Danois ; l’Italie, un Napolitain, un Vénitien & un Bergamasque ; la Gréce, un Turc, un Albanois & un Bulgare, chacun habillé à la maniere de son Pays, & portant chacun un flambeau allumé en main, avec lequel ils danserent un avant-Balet, selon l’usage de ces tems-là, où l’on ne manquoit jamais d’introduire des Pages ou des Esclaves, qui dansoient aux Balets avec des flambeaux. Après cet avant-Balet, des Princes & des Princesses de ces quatre Parties de l’Europe, sortirent du Globe, & danserent une Entrée majestueuse & digne de la grandeur de leurs Empires.

Atlas prit ensuite trois autres Muses, Calliope, Melpomene, & Erate, & les faisant chanter auprès du Globe, ils en firent sortir la Reine d’Asie avec ses filles, la Syrie, la Palestine, la Mésopotamie, la Caldée, l’Arabie, la Perse ; le Golphe de Bengala, la Mer Rouge, la Mer Caspienne, la Grande Tartarie, avec le Tibre, l’Inde, le Gange, l’Euphrate, le Jourdain & le Tanaïs, firent diverses Entrées, avec autant de divers airs d’instrumens : les Pages de la suite des Princesses étoient vétus à la Moscovite, à la Tartare, à la Turque, à l’Indienne, à la Juive, à l’Egyptienne, à la Phrygienne, &c. chacun avoit aussi un flambeau à la main, comme les précédens ; ils danserent aussi leur avant-Balet.

Au troisiéme acte, Atlas avec les trois autres Muses, firent sortir l’Afrique du Globe, en chantant ces Vers.

Sortez Afrique monstrueuse
En erreurs plus qu’en animaux ;
Et cherchez en cette Isle heureuse
Le repos à tous vos travaux :
C’est ici que la Verité
Veut que son Temple soit planté.

L’Afrique sortit aussi-tôt accompagnée de quatre Princesses, la Numidie, la Barbarie, la Lybie, & l’Ethiopie ; l’Ocean Atlantique & l’Ethiopique les escortoient, avec le Nil, le Zambre, le Niger l’Agaise : les Pages étoient du Brésil de Madagascar, de la Guinée, de Thunis, de Fez, d’Alger, de la Moravie, & du Mozambique, vétus à la maniere de leurs pays ; chaque Nation fit autant d’Entrées de Balet, & chaque mer, chaque fleuve apporta des présens à la Déesse de la verité, pour orner son temple ; ce qui finit ce beau spectacle. On ne peut disconvenir qu’il n’y ait beaucoup de grandeur & d’imagination dans la composition de ce Balet, dont l’exécution n’a pû se faire sans une grande dépense.

Après avoir fait voir que les plus grands sujets peuvent servir de matiere pour la composition d’un Balet, je veux pour servir de contraste à ce grand spectacle, rapporter ici le Balet qui fut dansé à la Cour de Savoie en 1653, dont le sujet étoit le gris de lin, qui étoit la couleur favorite de Madame Chrétienne de France Duchesse de Savoie : ce sujet paroît d’abord assez ingrat ; mais l’invention dont se servit M. le Comte d’Aglie auteur de ce Balet, le rendit d’une agréable représentation.

L’Auteur feignit que l’Amour qui a toujours un bandeau sur les yeux, s’ennuyant d’être ainsi comme aveugle dans le monde, appelle la lumiere à son secours, & la prie de se répandre sur les Astres, sur le Ciel, sur l’air, sur l’eau, sur la terre, & généralement sur toutes choses, afin que leur donnant un nouvel éclat & mille beautez différentes par la variété des couleurs, il puisse choisir celle qui lui agréera le plus. Junon qui est la Déesse de l’air, pour satisfaire les désirs de l’Amour, envoie Iris sa messagere étaler dans l’air ces couleurs par plusieurs bandes : l’Amour, après les avoir considérées, choisit le gris de lin comme la couleur la plus belle & la plus parfaite, & veut qu’elle signifie un amour sans fin, faisant de cette couleur la devise de cet amour constant & persévérant : il ordonne en même tems que les campagnes en parent les fleurs, que les oiseaux la portent en leurs plumages, que les pierreries en brillent, & que l’on en fasse dans le monde les ornemens des habits ; desorte que les ordres de l’Amour donnerent occasion à plusieurs Entrées, qui firent l’accomplissement du Balet de gris de lin.

Il y a environ quatre-vingt ans que l’on fit à Lisbone le Balet du Tabac.

La scêne représentoit l’Isle de Tabago, d’où le tabac tire son nom. Une troupe d’Indiens fit le prologue, en chantant les avantages du Tabac, & le bonheur des peuples à qui les Dieux avoient-donné cette plante. La premiere Entrée fut de quatre Sacrificateurs de cette nation, qui tiroient du tabac en poudre de certaines boëtes d’or, qu’ils portoient pendues à leurs ceintures, & jettoient cette poudre en l’air, pour appaiser les vents & les tempêtes ; puis avec de longues pipes, ils fumoient autour d’un autel, marchant en pas graves & cadencez, & faisant de leur tabac en fumée, une espece de sacrifice à leurs fausses Divinitez. Deux Indiens mettoient en corde les feuilles de tabac, & deux autres le hachoient pour la seconde Entrée : deux autres le piloient dans des mortiers pour le réduire en poudre, & deux autres le rapoient, faisant la troisiéme Entrée. La quatriéme Entrée étoit des preneurs de tabac en poudre, qui éternuoient, & qui se le présentoient les uns aux autres, le prenant par pincée, avec des gestes & des cérémonies plaisantes. La cinquiéme étoit une troupe de fumeurs assemblez dans une Tabagie, ou lieu destiné à fumer : des Turcs, des Maures, des Espagnols, des Portugais, des Allemands, des François, des Polonois, & d’autres nations recevoient le tabac des Indiens & s’en servoient diversement : ils finirent le spectacle.

Ainsi je ne doute pas que sur l’idée du Balet du Tabac, l’on n’en puisse faire un sur le Café, & dont les assemblées qui se font aux Cafez de Paris, pourroient fournir un jeu de Théâtre assez singulier, en y joignant tout ce qui convient au sujet.

Au mariage de M. le Duc de Nemours en 1657, M. Clement, homme fort entendu pour les représentations des spectacles, fit le Balet de la nuit, qui a passé pour l’un des plus accomplis : je ne le rapporterai néanmoins ici que succintement, pour en faire voir la variété, par les caracteres de toutes sortes de personnes, des Divinitez, des Héros, des Chasseurs, des Bergers & des Bergeres, des Bandits, des Marchands, des Coquettes, des Galans, des Egyptiens & des Egyptiennes, des Gagnepetits, des Allumeurs de lanternes, des Bourgeois, des Bourgeoises, des gueux, des estropiez, & des bossus, les personnages Poétiques, les Parques, la Tristesse, la Vieillesse, des Pages, des Paysans, des Astrologues, des Monstres, des Démons, des Forgerons, des Gazetiers, des Vendeurs d’eau-de-vie, Oublieurs, Cuisiniers, des Spadacins, &c. Enfin l’on voyoit dans cette représentation Bal, Balet, Comédie, Festins, Concert, sabat, toutes sortes de passions, des curieux, des mélancoliques, des furieux, des amans passionnez, des amoureux transis, une maison en feu, des personnes allarmées ; desorte qu’il seroit difficile de représenter rien de plus accompli en matiere de Balet ; aussi n’en a-t-on point vû de pareils depuis ce tems-là.

Il suffit d’avoir vû par ce que j’en rapporte, qu’il n’y a rien dans la Nature, dans la Religion, dans la Philosophie morale, dans la Fable, dans l’Histoire, dans les Romans, dans les Poétes, dans la Peinture, & dans le Caprice, que l’on ne puisse imiter sous des figures naturelles, feintes, ou allégoriques, & qui par conséquent ne puisse servir de sujet pour la composition d’un Balet, quand ceux qui s’en mêlent sont assez profonds pour employer tout ce qui convient à ces spectacles.

Au Palais du grand Duc de Toscane, il se fait tous les ans le jour de S. Jean, dans une grande Salle, une danse de Paysans & de Paysannes qui viennent danser en présence du grand Duc : ce Prince donne le prix de la danse à celui ou à celle qui a le mieux réussi. Le grand Duc y reçoit aussi l’hommage de tous ses Vassaux, qui doivent se présenter ce jour-là devant lui, avec leurs armes & leurs bannieres. Voyez les Délices de l’Italie, 12, à Leyde 1706, vol. premier, page 151.