Iphigenie en Tauride.
Ballet tragique
Avant-propos.
Iphigénie en Tauride est la suite d’Agamemnon ; Oreste, après avoir vengé la mort de son père, et assassiné involontairement Clytemnestre sa mère, fut tourmenté par les Euménides. Ne pouvant ni soutenir sa situation affreuse ni résister aux remords, qui déchiroient son cœur, il prit la résolution d’aller à Delphes, pour y consulter L’Oracle d’Apollon. Ce Dieu lui conseilla de partir pour Athènes ; et il s’y transporta pour plaider sa cause devant Minerve. Cette Déesse lui ordonna de s’embarquer, de passer en Tauride et d’y enlever la statue de Diane profanée par les sacrifices humains du barbare Thoas. Cette expédition devoit absoudre Oreste, le délivrer des furies, et faire renaître en son ame le calme et la paix, que le crime et les remords en avoient bannis. Ce Prince obéit à Minerve, et s’embarqua avec quelques troupes ; Pylade, son ami fidèle l’accompagna sur un autre vaisseau, et ce ne fut qu’après avoir lutté contre la mort, que la fureur des flots leur présenta plusieurs fois, qu’ils arrivèrent enfin dans la Tauride. Thoas, chef cruel et sanguinaire avoit conçu une haine si implacable contre les Grecs, qu’il n’en échappoit aucun à sa rage ; il les faisoit immoler aux autels de Diane, dont Iphigénie, sœur d’Oreste, étoit grande prêtresse.
Ce Prince et son ami Pylade, après avoir échapé au naufrage, sont arrêtés au moment de leur arrivée en Tauride ; le Tyran, vers le quel on les conduit, les remet entre les mains d’Iphigénie pour être sacrifiées aux autels de Diane. A la vue d’Oreste Iphigénie se sent troublée ; la voix du sang se fait entendre, et elle conçoit le dessein de soustraire Oreste a la mort. Ce Prince la préfere à la fuite et après un combat de générosité et d’amitié entre Pylade et lui, le premier feint de céder ; il s’engage d’aller à Mycènes, et de rendre exactement la lettre dont son ami vent le charger. Oreste, au moment d’être sacrifié est reconnu par sa sœur, et Pylade, qui n’avoit joint son vaisseau, que pour revenir avec ses soldats délivrer son ami ou périr avec lui, arrive dans l’instant où Thoas va donner la mort à Oreste ; le Tyran la reçoit des mains de Pylade ; ses troupes sont dispersées et mises en fuite, et on enlève la statue de Diane. Tel est le plan du ballet. Ce sujet a été traité par Euripide chez les Grecs, et par Guymond de la Touche chez les Français,
Il ne m’a pas été possible d’imiter servilement Euripide, ni de copier strictement Guymond de la Touche ; je me suis attaché à ne point altérer le trait historique par des embellissemens et des ornemens étrangers qui en auroient défiguré les caractères. J’ai évité les grands monologues et les longs recits d’Euripide ; je me suis appliqué à rendre le dialogue serré, vif et concis ; car les moyens heureux d’un art nes’étendent pas toujours sur un autre art, et ce qui fait richesse en poësie, ne produit souvent que disette, longueur et confusion en pantomime ; en retranchant des phrases, j’ai ajouté à l’action▶, j’ai multiplié les incidens. Les coups de théâtre et les tableaux de situation ; j’ai cru devoir donner une épouse à Thoas, afin de me procurer un contraste d’autant plus nécessaire dans ce sujet, qu’il n’y règne point d’amour, et que privé d’une passion, qui est le ressort detoutes les autres, il a été utile que je cherchasse à y suppléer par des épisodes, qui ne pussent choquer la vraisemblance, ni altérer le fond de l’histoire ; j’ai prêté à Thoas un caractère cruel et farouche, fanatique et superstitieux, soupçonneux et craintif ; je lui oppose une épouse remplie de vertus, de douceur et d’humanité, et qui n’est occupée que du soin généreux de le ramener à des sentimens moins barbares.
Le songe du Tyran est une imitation de la scène Anglaise ; cette ◀action▶ pantomime est frappée au coin du terrible ; elle est l’exposition complette de l’◀action▶ ; ce n’est ni un hors-d’œuvre, ni un épisode étranger ; il naît naturellement du fond du sujet et y tient étroitement.
Le rôle d’Arbas, que je fais père d’Enmène, augmente tout à la fois l’◀action▶ et l’intérêt : sollicité par sa fille, il cède à ses prières ; sa tendresse paternelle lui ferme les yeux, sur les dangers aux quels il s’expose ; l’amitié qu’Eumène a vouée à Iphigénie est telle, que le désir de la servir ne lui donne pas le tems d’envisager le péril ni les suites funestes qui peuvent résulter d’une démarche aussi dangereuse.
Arbas se charge de la lettre d’Iphigénie adressée à Electre sa sœur ; il ne doit la remettre à Pylade, que lorsqu il entrera dans son vaisseau : cette précaution en jettant un voile sur le secret de la naissance d’Iphigénie, éloigne toutes les questions, ménage le moment de la reconnoissance, et la rend d’autant plus frappante et d’autant plus intéressante, qu’elle est inattendue.
Le moyen dont je me suis servi pour amener cette reconnoissance, est le seul qui puisse convenir à la pantomime, et l’unique qui puisse instruire le public que la victime est Oreste.
Arbas est arrêté. Pylade a su tromper la vigilance des Gardes et gagner son vaisseau ; le Tyran est instruit par la lettre du complot d’Iphigénie. Oreste, qui ne voit point Pylade, frémit sur son sort ; Iphigénie tremble pour les jours de son frère, Eumène pour ceux de son père, Isménie pour ceux de son époux, qui lui même frissonne sur le danger qui menace sa vie. Tous ces tableaux offrent le triomphe de l’amitié, et s’ils ne sont pas d’un coloris aussi vif que ceux de l’amour, Ils en sont peut-être plus tendres et plus touchans.
Pylade, qui arrive avec les siens et qui poignarde Thoas, au moment que le Tyran lève le bras pour frapper Oreste, fait renaître le calme et la joie ; et par une transition subite et naturelle, on se livre aux expressions délicieuses de l’amitié et de la reconnoissance. Eumène court dans les bras de son père ; Oreste se jette dans ceux de son ami et ne les quitte que pour voler dans ceux de sa sœur.
Diane paroît dans un nuage avec les attributs de sa divinité ; si c’est une licence, elle m’est d’autant plus permise, que le poëte Grec termine son Iphigénie par l’arrivée céleste de Minerve. Isménie qui n’a pu se donner la mort, se consacre aux autels de Diane ; elle part avec les Grecs, qui emportent sa statue et qui vont lui élever un temple dans l’Attique ; cette Princesse quitte sa patrie pour se livrer aux fonctions sacrées de la Déesse, et être Grande Prêtresse de ses autels. Tels sont les décrets de cette divinité, qu’Isménie reçoit avec autant de respect que de reconnoissance.
La destruction du temple est une suite bien naturelle du courroux de Diane, qui ne veut laisser aucun vestige d’un lieu, où l’on déshonoroit son culte en arrosant ses autels du sang précieux des humains.
Après être entré dans le détail des moyens que j’ai employés, et que le désir de plaire m’a suggérés, il me reste à réclamer cette indulgence que le public a daigné avoir pour Agamemnon ; je désire ardemment que sa fille Iphigénie soit vue avec la même bonté, et reçoive le même acceuil que le père. Ce sera m’encourager et me fournir le moyen de faire revivre cet art ancien de la vraie pantomime qui faisoit les délices d’Athènes et de Rome.
PERSONNAGES.
Thoas, Chef de la Tauride.
Iphigénie, Grande Prêtresse de Diane.
Oreste, Roi d’Argos et Mycènes.
Pylade, Roi de Phocide, ami d’Oreste.
Isménie, épouse de Thoas.
Eumène, seconde Prêtresse de Diane.
Arbas, père d’Eumène.
Chœur de Prêtresses.
Prêtres et Sacrificateurs.
Jeunes enfans consacrés au sacerdoce.
Officiers de Thoas.
Soldats de Thoas.
Soldats d’Oreste et de Pylade.
Matelots.
La scène est en Tauride.
Première partie.
La décoration représente la mer ; les deux cotés du théâtre offrent l’aspect de deux rochers, qui de loin paroîssent se réunir ; ils partagent les isles Cyanées. Les Grecs ont donné à ces rochers le nom de Sympléoades ; ils sont sur le Pont-Euxin, l’un du côté de l’Europe, l’antre du côté de l’Asie ; ces rochers arides qui s’élèvent dans les nues, forment des grottes et des antres obscurs.
La scène est dans la nuit.
Scène i.
La mer est agitée par une horrible tempête, les vents irrités se déchaînent, la foudre gronde, les éclairs percent la nue et embrasent l’horison ; le tonnerre tombe de toutes parts, les vagues, en s’élevant vers le ciel se brisent contre les rochers ; des matelots Grecs cramponnés aux débris du vaisseau d’Oreste luttent vainement contre la fureur des flots ; bientôt on apperçoit la chaloupe d’Oreste jouet de la tempête et exposée à chaque instant a être engloutie ; la mort environne ce malheureux Prince, elle se présente à lui sous des formes différentes, et les élémens déchainés semblent se disputer sa perte. Les Euménides grouppées sur le haut des rochers secouent leurs torches infernales, et le sifflement des serpens qui couronnent leurs têtes, ajoute à l’horreur de ce spectacle, La chaloupe poussée par un coup de vent se brise contre les rochers et est soudainement engloutie. Oreste se cramponne à un de ces rochers, et voulant éviter la mort, il rencontre de nouveaux tourmens ; poursuivi de rochers en rochers par les farouches Euménides, il cherche un azile dans leurs antres ténébreux, qui tout à-coup sont éclairés par le feu des Enfers. Dans cette situation il fuit, et gagne enfin le rivage ; mais en se dérobant aux persécutions des furies, son horreur redouble lorsqu’il se voit arrêté par l’ombre errante de Clytemnestre. A cet aspect, son crime se retrace à son imagination et porte à son cœur les sentimens du désespoir. L’ombre en soulevant une partie de son voile, lui découvre la plaie encore saignante qu’elle a reçue de lui ; Oreste frémit et recule d’horreur ; ses cheveux se hérissent ; les furies s’emparent de lui, et dans l’égarement de son esprit, il poursuit en furieux l’ombre de sa mère qui disparoît.
Scène ii
Des Gardes de Thoas portant des torches allumées sont suivis par des soldats ; les cris des malheureux qui ont fait naufrage, les ont attiré vers cet endroit, Oreste en est apperçu, le chef de la troupe lui demande ses armes et ordonne qu’on le charge de fers. Oreste loin d’obéir, les défie tous, se met en défense et le combat s’engage.
Pylade, dont le vaisseau a échappé à la tempête, dirigeoit sa course à la vue de quelques débris encore flottans de celui d’Oreste. Il arrive au secours de son ami ; l’un et l’autre font des prodiges de valeur ; ils tuent et renversent plusieurs soldats, mais accablés par le nombre, enveloppés de tous cotés, ils sont obligés de céder ; on les désarme, on les enchaîne, et malgré leurs efforts ils sont entraînés. Dans cette situation, ils expriment leur inquiétude, sans manquer cependant à la fermeté et au courage qui caractérisent les héros.
Seconde partie.
La décoration représente la chambre à coucher de Thoas ; une couchette est placée sur un des cotés de la scène ; elle est couronnée par un baldaquin surmonté de panaches ; le diadême et le casque de Thoas sont posés sur une table près de la couchette, et sur cette même table est une lampe qui éclaire moins l’appartement qu’elle ne réfléchit la lumière sur les traits de Thoas.
La scène est au crepuscule du matin.
Scène i.
Thoas est endormi. Un songe affreux agite son ame et porte à son cœur la crainte et l’effroi : il croit voir les lambris de son appartement teint du sang des victimes innocentes qu’il a fait égorger : un instant après deux Grecs se peignent à son imagination ; l’un le menace de son poignard, et l’autre enlève la statue de Diane : il apperçoit ensuite Tisiphone suivie par les parques ; tandis que la furie le menace, l’inflexible Atropos tranche le fit de ses jours(1). C’est dans l’agitation du sommeil que les traits de la phisionomie et les gestes de Thoas peignent les sentiments douloureux et pénibles qu’il éprouve en songe ; au coup du fatal Cizeau Thoas s’éveille. Sa lampe s’éteint ; il court, il s’agite, la frayeur s’empare de ses sens ; il se jette à genoux, lève ses bras tremblans vers le ciel et implore sa clemence : il veut se relever ; mais ses jambes ne peuvent supporter le poids de son corps ; il tombe, il appelle et l’on vient à son secours.
Scène ii.
Isménie, précédée de deux esclaves portant des flambeaux, précipite ses pas ; mais quel est son effroi, lorsqu’elle voit Thoas étendu et presque sans mouvement. On le releve, on l’assied, et son épouse, après avoir renvoyé les esclaves, lui demande quel est le sujet de la situation où elle le trouve. Ce Prince dont la frayeur a glacé les sens, lui fait une peinture frappante de tous les objets qui l’ont épouvanté. Isménie saisit cet instant pour le ramener à des sentimens plus doux, elle lui représente les Dieux irrités de ses sacrifices ; que le sang humain dont il innonde le temple et l’autel de Diane, offense cette divinité et déshonore son culte ; enfin que tant de sang versé se réunit (peut-être) pour demander vengeance. Thoas, ébranlé promet à Isménie d’appaiser les Dieux par des sacrifices moins barbares ; mais Oreste et Pylade, qu’on lui amène enchaînés, renouvellent bientôt la soif qu’ il a de répandre le sang des Grecs.
Scène iii.
C’est en vain qu’il les questionne sur leur nom, leur naissance, leur emploi, leur patrie ; les deux Princes ne lui répondent que pour lui demander la mort. Ce courage héroïque offense le Tyran ; il menace, il s’irrite ; mais Oreste et Pylade n’opposent à ses emportemens, que le dédain, le mépris et la fermeté. Thoas, enivré de la joie barbare de les faire égorger, est infléxible aux larmes d’Isménie.
Scène iv.
Thoas, commande à ses guerriers de se livrer à la joie et d’exécuter les jeux institués pour célébrer l’arrivée de tous les Grecs que le hazard conduit dans ses états. Ces barbares satellites forment une danse à l’entour des deux victimes ; leurs mouvemens leurs attitudes expriment leur férocité. Isménie, bien éloignée de partager les sentimens de son époux, tente encore une fois d’ébranler son cœur ; elle embrasse ses genoux elle le menace du courroux des Dieux ; mais il reste inflexible et se retire avec sa suite, en exprimant le plaisir barbare que lui cause l’arrivée des deux Grecs.
Troisième partie.
La décoration représente le vestibule du temple de Diane ; le sanctuaire en est séparé par un vaste portique fermé par un rideau d’étoffe riche ; lorsque ce rideau se tire, on découvre le sanctuaire qui est de forme circulaire ; on voit l’autel destiné au sacrifice : un peu plus loin et sur un plan plus élevé est la statue de Diane.
Scène i.
Iphigénie, le cœur déchiré par les fonctions barbares de son ministère, se livre à sa douleur ; d’un autre côté, elle ignore le sort de sa famille ; un rêve affreux lui a peint Oreste immolé de sa propre main, Oreste, l’unique objet de ses espérances, le seul qui puisse l’arracher du temple de sang qu’elle habite ; Iphigénie en pleurs veut consulter la Déesse et effacer par ses larmes le sang dont l’autel est souillé.
Scène ii.
Eumène accourt ; elle annonce à Iphigénie, que deux malheureux, après avoir lutté contre la mort, n’ont échappés au naufrage, que pour être arrêtés et conduits enchaînés au cruel Thoas ; elle mêle ses larmes à celles d’Iphigénie.
Scène iii.
Les Prêtresses paroîssent ; Iphigénie leur ordonne de se rendre au sanctuaire, et d’orner de festons et de guirlandes l’autel de la Déesse. Tandis que quelques-unes remplissent cette fonction, les autres font brûler l’encens ; Eumène allume le feu sacré, et Iphigénie fait des libations autour de l’autel. Après cette cérémonie, Iphigénie et les Prêtresses se prosternent dans le silence le plus profond et le plus respectueux. Iphigénie implore la Déesse ; elle lui jure que son cœur est innocent, qu’il est déchiré par la douleur, qu’il n’a point de part au sang que sa main répand ; que son bras, armé par le cruel Thoas, du glaive de la mort, ne peut éluder les coups que la barbarie du Tyran lui prescrit de porter, ni se soustraire à l’obéissance ; elle supplie la Déesse de la délivrer des fonctions qui déshonorent son culte, offensent les Dieux et font horreur à l’humanité. Les Prêtresses exécutent ensuite des danses graves et caractéristiques autour de la statue de Diane ; elles sont continuées dans le vestibule du temple, et interrompues par l’arrivée de Thoas.
Scène iv.
Le Tyran est suivi des deux victimes ; Isménie, qui abhorre la cruauté de son époux, et qui déplore le fanatisme aveugle qui le porte à répandre le sang humain, s’attache à ses pas, dans l’idée qu’elle parviendra enfin à le fléchir.
Oreste et Pylade sont enchaînés ; Thoas les remet entre les mains d’Iphigénie, qui se sent émue à leur aspect par un sentiment inconnu : jamais son ame ne fut si vivement affectée. Elle ordonne que l’on détache leurs fers ; Thoas avide de sang lui recommande de hâter l’instant du sacrifice, et de ne pas perdre par des délais des momens qui lui sont d’autant plus chers, que ces deux victimes ne peuvent manquer de plaire à la Déesse et d’appaiser son courroux.
Isménie fait encore d’inutiles efforts pour détourner son époux d’un dessein si barbare ; elle engage Iphigénie à joindre ses prières aux siennes, elle embrasse les genoux du cruel Thoas. Oreste et Pylade la relévent de cette posture humiliante : ils sont dévoués à la mort, ils bravent le Tyran, qui effrayé de tant de fermeté, fuit en ordonnant qu’on hâte le sacrifice.
Scène v.
Isménie, aussi humaine que son époux est barbare, joint ses larmes à celles d’Iphigénie et d’Eumène ; elle les engage à différer le sacrifice, et même à chercher les moyens de dérober les deux Grecs au coup qui les menace ; elle se retire en promettant à Iphigénie de mettre tout en usage pour fléchir son époux.
Scène vi.
Iphigénie ordonne aux Prétresses de rentrer dans le sanctuaire et d’en fermer les portes ; elle retient Eumène dont elle connoît la tendresse et la fidélité ; elle lui confie le dessein qu’elle a de sauver une de ces victimes, pour la quelle elle se sent vivement intéresser. Eumène frémit sur les suites de ce projet ; Iphigénie la conjure d’engager son père à favoriser la fuite d’un des étrangers en lui servant de Guide ; Eumène rejette avec effroi cette proposition dangereuse ; mais touchée par les larmes d’Iphigénie et par ses reproches, elle part en lui promettant de mettre tout en usage pour déterminer son père à servir ses desseins.
Scène vii.
Iphigénie s’approche d’Oreste et de Pylade ; elle leur fait différentes questions qu’ils ont l’art d’éluder par des réponses fort équivoques ; elle leur dit qu’une loi barbare les condamne à la mort ; ils y sont dévoués ; cette nouvelle ne peut ébranler leur courage héroïque ; ils regardent l’un et l’autre ce moment comme l’époque heureuse qui doit mettre fin à leurs malheurs. Iphigénie, attendrie, et frappée tout à la fois de leur fermeté et de leur résignation, découvre ses sentimens ; elle leur déclare quelle dérogera à la loi qui les condamne, qu’elle sauvera l’un d’eux. Oreste et Pylade expriment alors une joye mêlée de crainte ; tous deux souhaitent également de mourir ; chacun veut conserver les jours de son ami. Iphigénie, entrainée, sans le savoir, par la voix du sang, annonce qu’Oreste partira, et que Pylade sera sacrifié.
Cette résolution produit un double effet ; Oreste se livre à la douleur, et Pylade à la joie ; Oreste embrasse les genoux d’Iphigénie, pour la conjurer de revoquer un arrêt qui lui perce l’ame ; il veut être immolé ; Pylade à son tour se jette aux pieds de la Prêtresse en la suppliant d’être infléxible aux prières d’Oreste, et de ne rien changer à l’heureux choix qu’elle a daigné faire. Iphigénie, troublée et attendrie par le tableau touchant d’une amitié si rare, se dérobe à leurs prières et entre dans l’intérieur du temple.
Scène viii.
Ce combat de sentiment continue entre Oreste et Pylade : ils ne veulent partir ni l’un ni l’autre ; tous deux souhaitent, la mort. Aucun ne veut céder l’honneur de perdre la vie, pour sauver celle de son ami ; tous deux se pressent et se sollicitent à prendre la fuite, et tous deux restent pour recevoir la mort.
Scène ix.
Iphigénie, tenant une lettre à la main, paroît avec Eumène et Arbas. Cette Prêtresse à déterminé son père à se charger de la fuite d’Oreste. Iphigénie présente la lettre à Oreste ; elle tente vainement de la lui faire prendre ; il la refuse avec indignation ; elle trouve la même résistance dans Pylade qui la presse de conserver les jours de son ami. Oreste, irrité du refus opiniâtre de Pylade, s’abandonne au plus vif désespoir ; celui-ci pour le calmer consent à partir. Oreste satisfait l’embrasse ; ils se font les plus tendres adieux. Iphigénie recommande Pylade aux soins d’Arbas ; elle lui remet sa lettre pour Mycènes, en lui enjoignant de ne la confier à l’étranger qu’au moment de son embarquement. Pylade et Oreste ne peuvent se séparer ; ils se serrent mutuellement ; les larmes qu’ils versent en font répandre aux témoins de leurs sensibilité. On les arrache l’un à l’autre, mais en se quittant, Pylade donne à entendre qu’il reparoîtra bientôt ; ou pour délivrer Oreste, ou pour périr avec lui.
Quatrième partie.
scene i
Les Prêtres et les Prétresses de Diane sont rangés dans le sanctuaire, et tous les instrumens employés dans les sacrifices sont placés autour de l’autel ; pendant un hymne executé par le chœur des Prêtresses, de jeunes enfans vêtus de lin et le front ceint d’une couronne de fleurs, conduisent la victime à l’autel ; c’est Oreste ; il est vêtu d’une robe blanche, couronné comme ses conducteurs et enchainé avec des guirlandes.
Iphigénie, le visage couvert d’un voile, est prosternée aux pieds de l’autel, dans l’attitude de la douleur ; Oreste se met à genoux et présente sa tête au glaive dont on arme la main tremblante de la Prêtresse ; son bras semble se refuser à ce sanglant sacrifice ; le fer sacré lui échappe de la main, et ce n’est qu’après les plus violens combats entre le devoir et l’humanité, qu’elle le ramasse et le lève pour en frapper la victime.
Dans ce moment la foudre gronde ; un éclair semble embrâser le temple et trace sur l’autel en traits de feu, C’est Oreste. A ce nom si cher, Iphigénie laisse tomber le glaive homicide, elle recule de surprise, d’étonnement et de joie, et se jette avec transport dans les bras de son frère. Les Prêtresses, les Prêtres et les enfans effrayés du coup de tonnerre, et du feu éblouissant de l’éclair, sont tombés à genoux ; Iphigénie leur montre son frère, l’unique objet de ses espérances ; elle recommande ses jours à leur zèle, à leurs soins, à leur fidélité et se jette de nouveau dans ses bras. Thoas paraît.
Scène ii.
Arbas est enchaîné, il a été surpris par les gardes de Thoas, mais leur vigilance a été trompée ; Pylade leur a échappé ; le Tyran tient dans ses mains la lettre qu’Iphigénie avoit confiée à Arbas ; il lui montre d’un air menaçant cette preuve de sa perfidie ; il lui ordonne d’immoler à l’instant la victime ; Iphigénie indignée d’un ordre aussi inhumain, tient Oreste étroitement serré dans ses bras et sécrie : Barbare, il est mon frère ! Thoas, qui ne respire que le meurtre et la vengeance, ordonne à ses gardes de donner la mort à Arbas ; Eumène couvre de son corps celui de son père ; les Prêtresses subordonnées aux ordres d’Iphigénie se séparent ; elles entourent Oreste et Arbas pour les défendre, et veiller à la conservation de leurs jours. Thoas se livre à toute sa fureur ; son rêve se retrace à son imagination ; il veut lui même immoler Oreste et s’élance sur lui.
Scène iii.
Isménie accourt, l’arrête, et, en embrassant ses genoux, détourne pour un instant les coups, qu’il veut porter ; il jette sur elle des regards épouvantables, il veut en faire sa première victime ; Iphigénie lui arrête le bras ; mais n’écoutant que l’excès de sa rage, il s’élance de nouveau sur Oreste, et le traîne à l’autel malgré les efforts des Prêtresses secondées d Iphigénie ; il lève le bras pour lui porter le coup mortel. Pylade paroît avec ses soldats.
Scène iv.
Il se jette avec la rapidité de l’éclair sur Thoas et lui plonge son épée dans le sein ; Isménie, venue trop tard au secours de son cruel époux, se précipite sur son corps ensanglanté et tente vainement de se donner la mort. Les Gardes de Thoas sont dispersés et mis en fuite par les troupes d’Oreste et de Pylade ; Arbas est délivré ; Eumène tombe dans ses bras ; Oreste, qui est dans ceux de Pylade, lui témoigne sa reconnoissance et sa joie ; Iphigénie embrasse l’autel de la Déesse et lui rend des ◀actions de graces. Cette divinité paroît sur un nuage au moment où Oreste enlève la statue ; contente du sacrifice qui vient de lui être fait du barbare Thoas ; elle ordonne qu’on la transporte dans l’Attique, que l’on y conduise les personnes attachées à son culte et particulièrement Isménie, qu’elle daigne choisir pour remplir les premières fonctions du sacerdoce. La Déesse ne voulant plus laisser aucun vestige d’un lieu si souvent profané par le sang des mortels, invoque le Maître des Dieux ; la foudre gronde, frappe le temple et il disparoît.
Cinquième et dernière partie.
La disparution du temple qui s’enfonce dans les entrailles de la terre, laisse voir la mer ; des arbres surmontent des rochers ; et un vaisseau magnifiquement orné est sur le bord du rivage.
Scène dernière.
La mort d’un Prince farouche, cruel et justement abhorré rétablit le calme et fait naître la joye et le bonheur dans tous les cœurs. On apporte la statue de Diane sur un riche Pavoi ; on lui rend hommage et on se livre à l’expression de la reconnoissance par des danses adaptées à cet heureux événement ; on transporte ensuite la statue sur le vaisseau ; Iphigénie, Ismène, Pylade, Oreste et les Prêtresses se rangent autour d’elle. Les principaux officiers de Thoas obtiennent la permission de s’embarquer. Ce vaisseau offre un grand grouppe pyramidé ; il vogue par un vent favorable, et disparoît bientôt.
FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME.