(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Préface. » pp. -
/ 115
(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Préface. » pp. -

Préface.

La liaison qui est entre la Danse & la Musique, m’a jetté insensiblement dans la nécessité de donner l’Histoire de l’une, après avoir publié celle de l’autre ; & comme il me paroît à propos de prévenir mon Lecteur sur l’ordre que j’ai gardé dans ce Traite, je le fais ici en peu de mots.

Je vas d’abord chercher l’origine de la Danse dans les tems les plus reculez & chez les peuples les plus anciens, & je trouve qu’elle y a fait une cérémonie du culte de leur Religion ; ce qui commence à faire connoître une Danse Sacrée qu’on doit regarder comme la plus ancienne de toutes.

Les Egyptiens sont les premiers parmi les Payens, dont les Prêtres ayent exprimé par des danses caractérisées les Mysteres de leur Religion : les Grecs ont encheri sur eux en ce point, comme on le voit dans l’histoire de leurs Corybantes ; & les Romains les ont imitez, en faisant entrer les danses dans la célébration de leurs Fêtes & dans leurs Sacrifices.

Les Juifs, à en juger par les Livres Saints, ont regardé leur danse Sacrée comme un don de Dieu, au culte duquel ils l’ont employée, quoique suivant les sentimens des Peres de l’Eglise, leur danse devant le veau d’or ait passé pour le même culte que les Egyptiens rendoient au Dieu Apis.

Nous voyons néanmoins que dans la primitive Eglise, les Chrétiens avoient conservé une telle vénération pour la cérémonie de la danse Sacrée des Juifs, qu’ils s’en sont long-tems servi, à l’exemple de David & des Lévites ; mais l’Eglise ayant reconnu les abus qui s’étoient glissez sous les apparences de ce rite, en a défendu l’usage dans le treiziéme siécle, de même que des danses Baladoires : en quoi nos Rois se sont conformez dans leurs Ordonnances au sentiment de l’Eglise pour les abolir.

De cette danse Sacrée, je reviens à celle des Lace-démoniens instituée par Licurgue, à celle des Saliens par Numa Pompilius, à celle qu’a l’exemple des Prophetes, les Mahométans celebrent encore aujourd’hui pour les porter à l’entousiasme : je passe delà à celles qui subsistent en Espagne, en Portugal, & même encore dans quelques Provinces de France, malgré les défenses de l’Eglise & contre les Ordonnances de nos Rois ; ce qui dans les Synodes a donné lieu à agiter si l’on devoit séparer les Maîtres à danser de la Communion des Fidéles, comme on a fait les Comédiens ; séparation qui auroit eu lieu, si l’on n’eût jugé l’éxercice de la Danse d’une vraye utilité pour l’éducation de la jeunesse & pour la politesse des mœurs de la vie civile.

De la danse Sacrée, je viens à la Danse Astronomique, qui a pris naissance chez les Egyptiens ; elle fut inventée par les plus anciens Astronomes, tels que Prométhée, Atlas, Prothée, Endimion, &c. & consistoit, au rapport de Lucien, à donner une idée des mouvemens des corps célestes, & de la puissance des influences des Astres sur le monde élémentaire : son usage passa chez les Caldéens, les Grecs, & les Persans, qui joignirent ses préceptes à ceux de la danse Sacrée pour le culte des Planetes, après les avoir déifiées Ces sortes de danses étoient si majestueuses & si graves, qu’elles imprimoient dans l’esprit des Peuples des sentimens de respect pour les Dieux.

On peut juger du pouvoir qu’elles avoient sur l’esprit des Payens, par l’effet des danses des Bacchantes, dont Bacchus employa les charmes plutôt que la force pour subjuguer les Indiens : il établit à son retour en Egypte la Danse des Festins, qui a rapport à nos Bals de cérémonie pour les réjouissances publiques ; quoique Philostrate en attribue l’invention à Comus, comme Dieu des Festins, desquels le Bal faisoit l’accomplissement de la fête chez les Grecs Diodore l’attribue aussi à Terpsicore, la premiere Danseuse des Muses.

On regarde encore les Egyptiens comme les premiers inventeurs de l’Orchesographie, ou art de décrire par divers caracteres toutes sortes de danses sur le papier, comme les Musiciens ont fait les airs par des notes de différentes valeurs.

Après la mort de Bacchus, les Bacchantes en qualité de ses Prêtresses, sous prétexte de rendre à ce Dieu des honneurs convenables, instituerent, à ce que dit Hérodote, Livre second, les Bacchanales, qui étoient des Fêtes où les Danses Lascives prirent leur origine.

Les Grecs dont les mœurs étoient très-corrompues, les adopterent bientôt ; & un de leurs Prêtres qui connut dans les Toscans beaucoup d’agilité, se servit d’une troupe de gens de cette nation de l’un & de l’autre sexe, qui excelloient déja dans les danses lascives, pour aller porter à Rome, dans un faubourg de laquelle ils s’établirent, les cérémonies prophanes de cette Fête. Tite-Live nous apprend qu’on la célebroit la nuit aux flambeaux tous les mois de l’année, & que les hommes & les femmes qui y étoient admis, & qui avoient encore quelques restes de pudeur, y alloient masquez. Mais le Sénat informé par la suite du tems des désordres qui se commettoient dans la célébration de cette fête, l’abolit sous peine de mort l’an 668 de la Fondation de Rome.

Un semblable motif fit abolir sous l’empire de Tibere, les Saturnales, instituées en l’honneur de Saturne, parce que les danses qui s’y étoient introduites étoient devenues trop licentieuses ; & l’on bannit de Rome tous les Maîtres de Danse, pour avoir composé des Danses Nuptiales, qui exprimoient toutes les libertez de l’amour : ce qui a fait dire à Cornelius-Nepos que dès le tems d’Auguste les Romains regardoient déja la Danse comme un art qui peut contribuer au deréglement des mœurs, en quoi ils ne s’accordoient pas, dit il, avec les Grecs, qui l’estimoient nécessaire pour la politesse de la vie civile & l’exercice du corps.

Je fais voir que les Romains, pour se dédommager des suppressions de ces fêtes, inventerent sous l’empire de Néron, des Mascarades ou des Bals masquez, dont nous avons retenu l’usage pendant le Carnaval, & y avons ajouté des regles pour éviter les désordres qui peuvent arriver dans les assemblées nocturnes : je fais aussi quelques descriptions des Bals de céremonie donnez dans les Cours de l’Europe, avec des preceptes pour leur usage, comme je les ai vû observer en France & dans les Cours Etrangeres.

Et comme les Instituteurs des differentes danses, leur avoient donné ou leurs noms propres, ou ceux des choses qu’elles exprimoient ; ce sont des circonstances que je n’oublie point dans leur histoire, parce qu’elles en font le fondement.

C’est ainsi que j’apprens ce que c’étoit que les Orgyes parmi les Danses Bacchiques, ce que c’étoit que la Danse du Pressoir parmi les Vendangeurs ; comment Cerès enseigna les Danses Rustiques convenables aux Laboureurs pour lui rendre des honneurs divins, & pour les délasser de leurs travaux par des fêtes innocentes après les sémailles & la moisson : comment le Dieu Pan & les Faunes apprirent aux Bergers les Danses Champêtres au son de la flute & des chalumeaux, qui firent depuis partie de la cérémonie des fêtes célébrées en l’honneur de ces Dieux.

Je rapelle chez les Lacédémoniens l’invention de la Danse Militaire qui se pratiquoit au son de la flute, danse dont ils furent redevables à Castor & Pollux, & par laquelle ils s’étoient rendus invincibles, jusqu’au tems qu’Epaminondas Général de l’armée des Thébains, leur en eût enseigné l’usage, pour vaincre à leur tour les Lacédémoniens.

Et je fais voir comment les contre-danses qui sont comme les contre-fugues dans la Musique, furent trouvées par Dédale ; il en donna les premiers préceptes à Ariane ; ce qu’Homere décrit dans les cartouches du Bouclier d’Achile, parce qu’elles servoient de son tems de divertissement aux peuples de la Grece, où il s’étoit formé à l’exemple de Dédale, des Maîtres de Danses, qui établirent des régles & des preceptes pour perfectioner les danses publiques.

C’est du mélange de toutes ces danses que les Grecs composerent la Théâtrale & les Balets, dans le motif que leurs représentations serviroient à la correction des mœurs, par des caracteres qu’ils donnoient à ces danses, par le moyen desquels, à ce que nous apprennent Platon & Lucien, ils exprimoient toutes les actions humaines, comme un Peintre auroit pû les représenter dans un tableau ; ce qui étoit parvenu chez eux à un tel dégré de perfection, que leurs Pantomimes représentoient en dansant & par des gestes, des histoires toutes entieres très sensibles aux spectateurs.

Je descends de-là dans les raisons qui ont porté les Peres de l’Eglise à condamner les danses ; la principale étoit le rapport qu’elles avoient avec les cérémonies, les coutumes, & les dissolutions du Paganisme ; mais surtout les danses Baladoires, contre lesquelles l’Eglise ne s’est récriée, que parce qu’elles occupoient les jours de Fêtes la populace dans les places publiques, à passer un tems qui devoit être consacré au Service divin, & qu’elles étoient presque toujours animées par des chansons impudiques, & des postures indécentes.

Ce sont ces abus qui ont fait tort à la noblesse & à la réputation de l’Art de la danse grave, sérieuse & Théâtrale.

L’art des Danseurs de corde a aussi sa place dans cette Histoire, tant par rapport au goût du tems, que parce qu’il paroît avoir été le premier spectacle public représenté chez les Grecs, qui appeloient ces Danseurs Schoënobates, & qui les avoient introduits dans leurs Foires pour attirer chez eux une quantité d’étrangers qui augmentassent leur commerce. Cette utilité me conduit de-là à celle que cet exercice a dans la Gymnastique, pour l’agilité & la santé du corps ; à l’occasion de quoi je fais mention des sauts périlleux qui étoient en usage parmi les Géans avant le Déluge, au rapport de Bérose, & même des danses Gigantesques.

Et je termine mon Traité par la Danse naturelle de quelques Elémens & de quelques animaux qui trépignent au son des instrumens, indépendament de ce qu’on en a dit d’Orphée & d’Amphion.

L’histoire de la Danse Sacrée en particulier auroit demandé une meilleure plume, par la dignité de son sujet qui n’a point encore été traité.

Pytagore, Platon, Lucien, & Athénée nous ont donné seulement une idée generale de la Danse ; Meursius en a plus parlé dans son Traité de l’Orchestre : mais cela est fort différent d’une Histoire suivie de cet Art, de laquelle j’aurai eu au moins le mérite de l’invention.