Robinet, lettre du samedi 18 avril 1671
Je l’ai vu cet Opéra là,
Et je pensais n’avoir pas là
Suffisamment, d’yeux, & d’oreilles,
Pour toutes les rares Merveilles
Que l’on y peut ouïr, & voir,
Et qu’à peine, on peut concevoir.
À commencer, donc, par la Salle
Où ce grand Spectacle s’étale,
C’est un Vaisseau large, & profond,
Orné d’un superbe Plafond,
Avecque trois longs rangs de Loges,
Aussi lestes que pour des Doges,
Et, qui plus est, de bout-en-bout,
Afin que nul n’y soit de bout,
Un très-commode Amphithéâtre,
D’où l’on peut tout voir au Théâtre.
À l’Ouverture, on est surpris
De voir le Quartier de Paris,
Le plus riant qui s’y découvre,
Savoir le beau Quartier du Louvre :
Et l’on ne l’est pas, encore, moins,
Au dire de tous les Témoins,
D’ouïr certaine Symphonie,
Qui, sans nulle Cacophonie,
Ouvre le Prologue charmant,
Qui se fait, au même moment,
Dessus cette superbe Scène,
Par la Nymphe de nôtre Seine,
Avec Vertumne, Dieu Latin,
Qui vient, par un noble Dessein,
Divertir notre auguste Sire,
Et le faire, tant soit peu, rire,
Lui retraçant, en Vision,
Par agréable Illusion,
Son Hymen, que la Fable prône,
Avec la Déesse Pomone.
Dés que ce Prologue prend fin,
Le Théâtre, en un tourne-main,
Sans laisser de lui, nulle trace,
À de riants Vergers, fait place :
Où la Déesse, aussi-tôt, vient,
Et, contre l’Amour, s’entretient,
Avec les Nymphes, qui comme elle,
Ayans, pour lui, le cœur rebelle,
Le traitent de Peste, et font vœu,
De ne jamais, aimer son Jeu,
Quoi que Flore, Sœur de Pomone,
Très fortement, les y semone,
En leur exprimant les Plaisirs
Qu’avec ses Amans, les Zéphires,
Elle goûte, chaque journée,
Le matin, & l’après dinée.
Ainsi, donc, le Dieu▶ des Jardins,
Ne pousse que des soupirs vains
Auprès de ladite Déesse
Dont il fait chois, pour sa Maîtresse,
Ainsi Faune, sans aucun Fruit,
Aussi, de sa flamme, l’instruit :
Et quand, pour tâcher de lui plaire,
Ces deux sots Amans ont fait faire
Merveille, l’un à ses Bouviers,
Et cet autre, à ses Jardiniers,
Par des Chansons, & par des Danses,
Ils en ont, pour leurs Récompenses,
Des Guirlandes, ô quels Guerdons !
Toutes d’Epines, et Chardons.
Voila comment maintes Cruelles,
Traitent leurs Amans plus fidelles,
Mais, sans, sur ce, moraliser,
Lors que je dois nouvelliser,
Voila, mes Lecteurs, la Matière
Du premier Acte, toute entière,
Et, par tant de diversités,
Jugez quelles sont ses Beautés.
Dedans les quatre autres, Vertumne,
Busquant, tout de même, Fortune,
Proche l’Intendante des Fruits,
Dont les Sens sont, aussi, séduits,
Sans cesse, exprès, il se transforme,
Et passe sous diverse Forme,
Espérant, par là, de son cœur,
Se rendre, à la fin, le Vainqueur.
Tantôt, donc, il paraît, belle-erre,
En Pluton, sortant de la Terre,
Suivi des Démons, ses Valets,
Et fait voir son pompeux Palais.
Après, voyant que la Déesse
Méprise sa grande Richesse,
Il se transfigure en Bacchus,
Lui vante son aimable Jus,
Et se croit, par là, vent en poupe,
Au milieu d’une grosse Troupe,
De Follets, qui sont transformez,
Et tous, en Satires, formez.
Ensuite, le ◀Dieu, se patronne
En la Nourrice de Pomone,
Qui, sur Elle, avait plein pouvoir,
Afin de la mieux décevoir,
Or, cette Vieille dépitée
De voir sa figure empruntée
Par Vertumne qu’elle aime, aussi,
Et qui, d’elle, n’a nul souci,
Veut découvrir le Pot aux Roses :
Mais quittant ses métamorphoses,
Il reprend, lors, son natureau
De jeune & charmant Damoiseau,
Et fait offre à cette Déesse,
De son cœur, avec tant d’adresse,
Qua, par un Sort assez plaisant,
Elle en accepte le Présent,
Et qui paressait n’aguiére,
Envers Monsieur Amour son frère.
Vertumne, d’aise transporté,
Fait, lors, pour sa Divinité,
Je ne sais combien de merveilles,
Qui n’ont point, ailleurs de pareilles,
Et que, pour les bien concevoir,
Il faut, nécessairement, voir.
Car l’on ne saurait bien d’écrire
Ces Prodiges que l’on admire,
Ces magnifiques Changements
Qui se font à tous les moments,
Ces vols surprenants, ces Machines
Qui passent, presque, pour divines,
Ces chœurs de Musique, ces Airs,
Et cent autres Charmes divers,
Qui font passer ce grand Spectacle,
Quoi qu’un simple Essai, pour Miracle.
À la Muse du Sieur Perrin,
Qui, des mieux, connaît le Terrain,
Du Mont sublime du Parnasse,
De ce bel Ouvrage, on doit grâce.
C’est elle qui persévérant
Dans ce Labeur, pénible, & grand,
Va, par telle persévérance
Combler la Gloire de la France,
Où ces rares Spectacles-ci,
Ne s’étaient point vus jusqu’ici.
Il ne faut pas, aussi, qu’on nie,
Qu’un des chers suppôts d’Uranie,
Cambert, n’ait une grande part
À l’Honneur, par son divin Art :
Animant toutes les Parties
De ce Corps, très-bien assorties,
De si merveilleuse façon,
Qu’il ne se peut mieux, tout-de-bon.
Mais une Louange, il nous reste,
Bien juste, je vous le proteste,
Et je le dis, sans nul mic-mac,
C’est un Marquis de Sourdiac,
Lequel, des Fonds de sa Finance,
A tiré la belle Dépense
Nécessaire dans un tel Cas,
De, deux fois, vingt mille Ducats,
Qui font, la chose est très-constante,
Par tout, deux mille Ecus de rente,
Mais sur ce sujet, sufficit,
Passons à quelque autre Récit.