Chapitre IV.
Jugement des Conciles contre les danses.
Le concile de Laodicée, tenu selon les uns en 365, sous le pape Libère, et,
selon d’autres en 367, sous le pape Damase, déclare dans le canon 53
(conciles du père Labbe, tom. 1, pag. 1506,) « qu’il ne faut pas que
les chrétiens qui vont aux noces, s’y conduisent d’une manière honteuse
et indécente, ou qu’ils y dansent ; mais qu’ils doivent seulement dîner
ou souper modestement comme il convient à des chrétiens »
. Le
concile permet aux chrétiens de faire aux noces des repas où tout se passe
sagement, et il ne leur permet point les danses, comme n’étant point
convenables à la sainteté de leur vocation, parce qu’on ne peut éviter d’y
pécher, comme on peut l’éviter dans les repas qui sont nécessaires, en
observant les règles de la tempérance.
Le troisième concile de Tolède, en Espagne, tenu en 589, sous le pape
Pélage II, dit dans le canon 23, (Labbe, tom. 5, pag. 2014, à la fin.)
« Il faut entièrement abolir la coutume irréligieuse qui s’est
introduite aux fêtes des saints, que les peuples, au lieu d’assister à
l’Office divin, emploient le temps à des danses et à de
mauvaises chansons ; ce qui fait que non-seulement ils
se nuisent à eux-mêmes, mais ils troublent encore par le bruit qu’ils
font, la piété des chrétiens plus religieux. »
Le concile
recommande aux ministres du Seigneur et aux juges séculiers d’employer tous
leurs soins pour bannir ce désordre de toute l’Espagne.
Le concile appelé in trullo, (qui veut dire dôme, parce
qu’il fut tenu sous un dôme dans le palais de l’empereur Justinien) déclare
« qu’il condamne et bannit les danses publiques des femmes, comme
entraînant après elles beaucoup de fautes, et la perte d’un grand nombre
d’ames : (can. 62. Labbe, tom. 7, p. 1169)
Publicas mulierum saltationes multam
noxam exiliumque afferentes.. amandamus et
expellimus
. »
Le concile romain tenu en 826, sous le pape Eugène II, se plaint, (can 35.
Labbe, tom. 6, p. 112) « qu’il y en a, et
surtout des femmes qui font en sorte qu’on vienne aux jours de fêtes,
non dans des vues droites et saintes qu’on doit avoir, mais pour danser
et chanter des chansons honteuses. Si ceux qui se conduisent ainsi,
ajoute le concile, sont venus à l’église avec de moindres péchés, ils
s’en retournent avec de plus grands. Que les prêtres aient donc grand
soin d’avertir le peuple qu’on ne doit venir à l’église en ces saints
jours que pour prier »
.
Le concile de Rouen, tenu l’an 1581, (Labbe, tom. 15,
p. 825) s’exprime ainsi :
« Nous connoissons
et nous éprouvons combien sont grands les artifices du diable pour
susbstituer son culte à celui de Dieu▶ et des saints. »
Il en
donne pour preuves qu’aux fêtes solennelles des apôtres et des autres
saints, « on tient des foires et des marchés publics, par lesquels
non-seulement cet esprit de malice détourne le peuple de fréquenter les
églises et d’assister à l’office divin et à la prédication de la parole
de ◀Dieu▶, mais où il a encore trouvé moyen d’introduire beaucoup de
tromperies, de fraudes, de parjures, de blasphèmes, d’injures et
d’outrages faits au prochain, et des jeux obscènes et impudiques : en
sorte que les débauches ont en ces jours-là pris la place des aumônes,
les danses, celle de la prière, et les bouffonneries, celle des
prédications qu’on devroit aller entendre :
. Après cette
plainte, les pères du concile disent :
Diabolus
eleemosynas vertit in crapulas, orationem in choreas, et
concionem in scurrilitatem
»« Nous condamnons et
réprouvons les ivrogneries, les disputes, les jeux mauvais et
déshonnêtes, les danses, comme n’étant pleines que de
folies, les mauvaises chansons ; en un mot, tout ce qui ne peut porter
qu’à l’impureté, et généralement tout ce qui n’est qu’une profanation
des saints jours de fêtes. »
Le concile de Reims, tenu en 1583, au titre des jours de fètes, défend
expressément de profaner ces saints jours par des jeux et des danses :
Iisdem diebus, nemo ludibus,
aut choreis det operam.
(Labbe, tom. 15, p. 889.)
Le concile de Tours, tenu la même année 1583, défend ces danses sous peine
d’anathème, et il recommande aux curés de dénoncer à l’évêque ceux qui
n’auront pas obéi à ce canon, afin que l’évêque prononce nommément contre
eux la sentence d’excommunication. La raison qu’en donne le concile,
« c’est qu’il est absurde, c’est-à-dire contre toute raison et
contre tout ordre qu’en des jours qui sont destinés à apaiser la colère
de ◀Dieu▶, les fidèles se laissent détourner, par les artifices et les
attraits du diable, des divins Offices et des prières par lesquelles ils
doivent s’efforcer d’attirer sur eux le pardon de leurs
péchés »
. (Labbe, tom. 15, p. 1019.)
Le concile d’Aix, tenu l’année 1583, fait le même réglement sur la sanctification des fêtes par rapport à la fuite des danses, que celui du concile de Tours, qui vient d’être rapporté : et il y joint la même menace d’excommunication contre ceux qui violeront ce réglement. (Labbe, tom. 15, p. 1146.)
Le concile d’Avignon, tenu en 1594, met les danses et les spectacles au rang
des ivrogneries et des excès de bouche qu’on doit éviter, surtout les jours
de fêtes, comme en étant une profanation manifeste :
Commessationes, ebrietates, chorea et spectacula, omnisque alia
dierum festorum profanatio cessabunt.
(Labbe, tom. 15, p. 461.)
Le concile d’Aquilée, tenu en 1596, porte
en termes
formels : « Le temps des jours de fêtes doit être employé à écouter
les prédications, et à assister à la sainte Messe et aux divins Offices,
et non pas à des festins : beaucoup moins encore doit-on, après qu’on a
dîné, employer aux danses et aux jeux un temps destiné â assister à
l’office du soir, pour y louer ◀Dieu▶ d’un même cœur et d’une même
bouche :
Il recommande
ensuite aux évêques d’avoir soin que les curés insistent souvent sur ce
point dans leurs instructions.
Multò minùs peracto prandio ad saltationes
et lusus déclinandum.
»
Le concile de Narbonne, tenu en 1609, défendant comme les conciles précédens,
aux jours de fêtes, tous les divertissemens capables de porter à
l’impureté :
Ne festi dies in lasciviâ
agantur
, nomme expressément les danses, dont il dit qu’il
faut s’abstenir, non en ces jours-là seulement, mais principalement en ces
jours-là :
A choreis, tripudiis, et ludis publicis,
dictis diebus prohibitis maximè abstinere debent.
Le
concile donne ensuite la raison de cette défense. C’est, dit-il, de peur que
◀Dieu ne se plaigne de la manière dont nous célébrons les fêtes, comme il se
plaignoit autrefois des Juifs au sujet des leurs, en disant par le prophète
Isaïe : (c. 1, v. 13.) « Votre encens m’est en abomination, je ne
puis plus souffrir vos sabbats et vos autres fêtes où il n’y a
qu’iniquité et fainéantise…
(v. 14) Elles me sont à
charge, je suis las de les souffrir. »
(Labbe,
tom. 15, p. 1582.)
Le concile de Bordeaux, tenu ensuite en
1624,
parlant de la célébration des fêtes, commence par remarquer que le cœur de
l’homme est si naturellement porté au mal, que ce que les saints pères ont
autrefois établi pour réunir les peuples dans des assemblées de prières, ne
sert plus, par un renversement étrange, qu’à les emporter dans différens
excès. Après quoi il ajoute : « Afin donc que les jours de fêtes
établis pour vaquer à la contemplation des choses célestes, et à
éclairer les esprits des fidèles sur les choses du salut, soient
saintement observées par le peuple chrétien, nous renouvelons le décret
du dernier concile provincial, en défendant de profaner ces saints jours
par aucuns jeux, par des danses ou d’autres excès semblables :
(Labbe, tom. 15, p. 1642.)
Neque ullis commes sationibus, ludis,
ebrietatibus ; choreis et aliis excessibus profanentur. Decretum
ultimi (concilii) provincialis innovantes prœcipimus illud ab
omnibus observari.
»
On doit joindre à tous ces réglemens si unanimes des différens conciles que je viens de citer, celui du troisième concile de Milan, que j’ai rapporté plus haut en marquant ce que saint Charles a pensé des danses. En vain croiroit-on pouvoir affoiblir la preuve, qui résulte en général des décrets de ces conciles contre les danses, sous prétexte qu’il ne s’y agit que des jours de fêtes et de dimanches, et du temps des saints offices ; en vain voudroit-on en conclure qu’en d’autres jours et en d’autres temps les danses ne sont point défendues par les conciles. D’abord, je demande s’il y a un seul concile, en quelque temps, en quelque lieu qu’il ait été tenu, qui ait mis les danses au rang des choses indifférentes ; et qui ait marqué aucune condition à observer dans les danses, afin qu’en les observant, tous abus et tous dangers pour l’ame en soient retranchés ? Il est incontestable qu’on ne trouve rien de semblable dans aucun concile : et de là ne s’en suit-il pas évidemment que les danses, selon l’idée que nous en avons donnée en commençant ; sont mauvaises par elles-mêmes et de leur nature ; et qu’ainsi il n’est aucun jour, ni aucune circonstance où elles puissent être permises ? Mais de plus, si on fait quelque attention aux paroles de plusieurs conciles que j’ai cités, on a dû remarquer que les danses y sont condamnées, même dans les noces, où l’usage en est le plus ordinaire, ce qui en montre le vice essentiel et radical ; qu’elles y sont défendues comme étant par elles-mêmes la source d’une infinité de désordres, et par conséquent dangereuses et mauvaises de leur nature : ce qu’on verra en relisant ce que j’ai rapporté du concile in trullo, et du troisième concile de Milan. Si donc ces conciles insistent particulièrement sur la circonstance des fêtes, c’est parce que ces misérables divertissemens n’étoient ordinairement pratiqués que ces jours-là, surtout dans les campagnes ; ce qui n’est encore aujourd’hui que trop commun, et qui occasionne les mêmes suites et les mêmes désordres, dont les conciles se plaignoient. Au reste, en parlant de ces désordres, des dangers, des maux que j’ai fait considérer dans les danses en général, je n’ai pas prétendu qu’ils se trouvent tous réunis dans chacune en particulier ; mais je soutiens qu’il n’est aucune danse dans laquelle quelqu’un au moins de ces maux et de ces dangers ne se trouve, et cela suffit pour qu’on doive les interdire à tout chrétien.