(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre V. Témoignages des Évêques dans leurs Instructions pastorales, des Catéchismes, et des Théologiens contre les Danses. » pp. 51-71
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(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre V. Témoignages des Évêques dans leurs Instructions pastorales, des Catéchismes, et des Théologiens contre les Danses. » pp. 51-71

Chapitre V.

Témoignages des Évêques dans leurs Instructions pastorales, des Catéchismes, et des Théologiens contre les Danses.

Je pourrois me dispenser d’ajouter de nouvelles autorités à celles des saints pères et des conciles que je viens de citer. Mais puis-je faire trop d’efforts, et employer trop de moyens pour m’opposer à un désordre devenu si commun, et dont tant de gens osent prendre la défense, non par lumière, mais par prévention pour les coutumes et les maximes du monde, ou même, parce que, livrés à l’amour de ces dangereux plaisirs, leur cœur ne peut s’en détacher ?

Dans tous les temps, les évêques les plus éclairés et les plus zélés ont donné des instructions pastorales pour exhorter les Fidèles à éviter les danses ; et les curés attentifs au bien des ames confiées à leurs soins, n’ont rien négligé pour les bannir de leurs paroisses. Je me bornerai à en citer quelques-uns de ces derniers temps.

Je commence par Félix Vialart de Hersé, évêque de Châlons en Champagne. L’éminente piété, les lumières et les immenses travaux de cet évêque dans la conduite de son diocèse, donnent à son témoignage une force et une autorité singulières.

Lorsqu’il fut élevé sur ce siége, il trouva le diocèse dans un état qui donna bien de l’exercice à son zèle ; et il s’appliqua, infatigablement, à remédier aux abus et aux désordres qui y régnoient. Celui des danses, dont il connoissoit les dangers, ne fut pas négligé ; et il a fait plusieurs instructions pastorales et plusieurs ordonnances pour les bannir des lieux et des paroisses où elles étoient en usage. Il a aussi écrit à tous ses curés plusieurs lettres circulaires pour les exhorter à employer contre ce désordre tous les efforts, toute l’activité de leur zèle, et toutes les ressources de leur ministère. Je vais rapporter quelques traits de ces ordonnances, instructions pastorales et lettres circulaires.

Dans une ordonnance rendue dans le cours d’une visite de son diocèse en l’année 1661, (article 3, sur la sanctification des fêtes, n.° 4.) M. Vialart parle ainsi : « Désirant apporter remède aux abus et scandales qui se commettent fort souvent les dimanches et les fêtes, et autres jours de l’année, à l’occasion des danses qui ont coutume de s’y faire, et où Dieu se trouve offensé en plusieurs manières, nous défendons, sous peine d’excommunication, toutes les danses publiques aux principales fêtes de l’année, (ces fêtes sont nommées tout de suite…) comme aussi de danser publiquement les dimanches et fêtes commandées, durant le service divin, ou proche de l’église, ni sur le cimetière, ni de nuit, ni avec des chansons dissolues… Et voulons qu’outre la première publication qui sera faite par le curé, de notre présente ordonnance, dans la huitaine ou quinzaine au plus tard, elle soit encore publiée tous les ans, le dimanche avant la fête de tous les saints, et celui d’après pâques. Exhortons néanmoins ledit curé de détourner, autant qu’il pourra, ses paroissiens d’un divertissement si périlleux et si peu convenable à des chrétiens, qui ne sont en ce monde que pour faire pénitence ; et se souvenir que ceux à qui la danse est en particulier une occasion d’offenser Dieu mortellement et de se damner, sont incapables d’absolution et de communion, s’ils ne promettent tout de bon de la quitter, et ne la quittent effectivement, après avoir manqué à leurs promesses. »

Dans une lettre du 9 octobre 1645, adressée à tous les doyens, promoteurs, curés et vicaires de son diocèse, pour empêcher la profanation des jours de dimanches et de fêtes, M. Vialart, après s’être plaint que ces saints jours ne sont guère plus en honneur que les autres de la semaine, et qu’on n’en fait presque plus de discernement, ajoute : « Et ce qui est encore plus déplorable, c’est que ces jours de piété tournent en dissolution par les jeux et les danses, par la fréquentation des tavernes, par des débauches publiques et scandaleuses, au mépris du service divin, qui est délaissé, et de la Religion que les hérétiques prennent de là sujet de décrier et de blasphémer. »

Dans une lettre pastorale adressée à tous les Fidèles de son diocèse, et datée du 4 novembre 1654, pour les exhorter à faire un bon usage des calamités publiques dont il avoit plu à Dieu de les visiter les années précédentes, et à se réconcilier avec lui par une sérieuse pénitence et un véritable changement de vie, le saint prélat entre dans le détail des principaux péchés qui ont pu allumer contre eux le feu de la colère de Dieu, pour les exhorter à y renoncer et à les faire cesser : et, dans ce détail, il marque en particulier les danses. « Que l’on ne profane plus, dit-il, comme on faisoit auparavant, les jours dédiés à la gloire de Dieu, par des œuvres serviles, par des jeux et des danses dissolues. »

Dans le recueil des lettres pastorales de M. Vialart, il y en a une du 16 novembre 1658, adressée à tous ses curés, pour les exhorter à s’employer avec zèle à combattre et à détruire les vices, les scandales, et les mauvaises coutumes dont il fait une très-longue énumération. Dans cette énumération il n’a eu garde d’omettre les danses. Les plaintes qu’il fait à ce sujet dans cette lettre pastorale, méritent une singulière attention. « En combien de lieux, dit-il, commet-on des excès et des débauches honteuses, dans le temps des noces, dont la sainteté est si recommandable, et aux jours des fêtes de patrons, qui devroient être honorés par une dévotion extraordinaire, une modestie toute chrétienne et une sainte imitation de leurs vertus ! A leur place, les jeux, les danses dissolues, les intempérances, les querelles s’y pratiquent hautement ; voilà, sans doute, de grands maux qui sont dignes de la compassion et des gémissemens des gens de bien… La véritable charité ne doit point se lasser de parler sans cesse contre les vices enracinés, et les mauvaises coutumes, que je viens de toucher. Il faut les reprendre souvent en public dans la chaire de vérité, en représenter vivement les inconvéniens funestes ; et, selon la parole de l’Ecriture, se faire une muraille d’airain pour s’y opposer et en arrêter le cours. »

En 1676, le 20 septembre, M. Vialart donna un mandement où il renouvela les ordonnances qu’il avoit déjà publiées contre les danses, et défendit à tous ses curés de recevoir, pour présenter un enfant au baptême, ceux et celles qui auroient violé sur ce point ce qu’il ordonnoit.

Parmi un nombre d’écrits pleins de piété et de maximes les plus solides, que ce digne prélat composa ou fit composer pour l’instruction de son peuple, il y en a un qui est proprement le précis des ordonnances qu’il avoit faites sur ce sujet.

Enfin il est rapporté dans sa vie, que le 14 décembre 1665, et le 3 septembre 1667, le Parlement de Paris avoit rendu deux arrèts pour interdire les danses publiques, sous peine de cent livres d’amende, tant contre chacun des contrevenans, que contre les seigneurs qui les auroient souffertes, et les officiers qui auroient dû les empêcher et qui ne l’auroient pas fait. Au mois d’août 1669, on contrevint d’une manière scandaleuse à ces arrêts dans le village de Récy, proche de Châlons. Le présidial qui étoit en bonne intelligence avec le prélat, et dont le chef étoit un homme de bien, ayant été informé de cette contravention, ordonna par une sentence de la fin du mois de septembre 1669, que lesdits arrêts seroient exécutés dans toute leur rigueur ; et pour les avoir violés, il condamna le seigneur du lieu à deux cents livres d’amende, au lieu de cent prescrites par les arrêts. Le seigneur en interjeta appel au parlement, mais il fut mal reçu. La cour rendit un arrêt le 2 août 1670, par lequel il ordonne que le seigneur de Récy fera vider son appel dans six mois, et cependant que l’arrêt du 2 septembre 1667 sera exécuté, et suivant icelui fait inhibition et défenses audit seigneur et à ses officiers, de permettre ni de souffrir aucunes danse publique dans le lieu de Récy, à peine de deux cents livres d’amende, et d’interdiction contre lesdits officiers. L’auteur de la vie de M. Vialart, après avoir rapporté ce fait mémorable, ajoute que M. de Châlons appuya ce jugement et s’en servit pour faire connoître le danger de ces sortes de divertissemens, et combien ils étoient contraires à l’esprit du christianisme pour les mœurs.

D’autres évêques de France, animés du même zèle que ce saint prélat, ont donné comme lui des instructions pastorales et des ordonnances contre les danses ; mais ce que je viens d’en rapporter suffit pour montrer à quoi le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des ames, porte ceux qui en sont chargés par rapport aux danses, si contraires à l’une et à l’autre. Nous avons aussi des instructions pastorales de plusieurs évêques de Flandre contre les danses ; je me contenterai de citer sur cela les noms de quelques-uns de ces évêques et la date de leurs instructions. Il y en a une de l’année 1675, d’Alphonse de Berges, archevêque de Malines ; une de 1629, d’Antoine Triest, évêque de Gand : une de 1604, 25 février, de Jean Ferdinand, évêque de Namur.

Il est naturel de joindre à ces instructions pastorales, ce qui est dit de la danse dans plusieurs catéchismes donnés par les évêques à leurs diocèse. Ces catéchismes, en parlant sur le sixième commandement, des occasions d’impureté qu’il faut fuir avec soin, pour ne pas tomber dans ce vice, mettent expressément au rang de ces occasions, les danses, comme les mauvais livres et les mauvaises chansons.

Ce qu’en dit le catéchisme du concile de Trente, tiendra lieu de ce que je pourrois rapporter de quantité d’autres. Entrant dans le détail des occasions d’impureté qu’il faut éviter, marque pour cinquième occasions, les entretiens et les discours impurs et déshonnêtes ; après avoir cité sur cela les paroles de saint Paul : (1. Cor. c. 15, v. 23.) Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs  ; le catéchisme ajoute en termes formels : « Et comme les chansons tendres et amoureuses et les danses produisent le même effet, il faut aussi les éviter soigneusement. »

Toutes les décisions des bons théologiens moraux, (c’est-à-dire qui ont écrit sur les règles des mœurs) s’accordent à défendre les danses comme étant très-pernicieuses.

Le cardinal Bellarmin, dans son sixième sermon, qui est sur le troisième dimanche de l’avent, se fait cette question : Peut-être n’y a-t-il pas de mal, ou y en a-t-il peu que les hommes dansent avec des femmes ? Et voici sa réponse : « Il n’y a rien au contraire de plus pernicieux. Si on peut mettre de la paille dans le feu sans qu’elle brûle, un jeune homme pourra aussi danser avec une fille ou une femme sans brûler du feu de l’impureté. » Bellarmin rapporte ensuite cette parole de Cicéron, que saint Ambroise avoit rapportée avant lui, qu’il faut être ivre ou fou pour danser. Après quoi ce cardinal ajoute : « Rougissez ; un païen a pensé plus sainement que vous, et un païen vous condamnera au jour du jugement : la seule lumière naturelle a mis ce païen en état d’enseigner que la danse ne convient qu’à des personnes ivres ou insensées ; et vous qui êtes un enfant de Dieu, et qui êtes éclairé de la lumière céleste de l’Evangile ; vous chez qui on ne devroit pas seulement nommer de telles inepties, vous avez la folie de vous livrer aux danses, même dans les jours les plus sacrés et les plus solennels. »

Le même Bellarmin, dans son dix-neuvième sermon, qui est sur le dimanche de la quinquagésime, s’élève en ces termes contre ceux qui donnent ou reçoivent des leçons pour apprendre, non à marcher décemment, mais à danser : « Faut-il donc acheter à prix d’argent l’art de périr pour l’éternité ? Je dirai sans hésiter ce que je pense à ce sujet : Si l’adultère et la fornication sont un mal, je ne vois pas comment ce n’en est pas un que des hommes dansent avec des femmes, la danse pouvant facilement porter à ces crimes. »

Enfin, dans le troisième sermon du même cardinal, sur ces paroles de saint Luc : (c. 1, v. 26.) Dieu envoya l’ange Gabriel en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge nommée Marie. Parlant encore contre les danses, il dit : « Oh ! si au milieu des danses quelqu’un vous ouvroit les yeux pour voir le grand nombre de démons qui sont mêlés parmi ceux qui dansent ! Oh ! si quelqu’un pouvoit faire apercevoir avec quel empressement ils s’approchent de ceux et de celles qu’ils trouvent dans les assemblées de danses, et comme ils sont appliqués à jeter dans le cœur des hommes à l’égard des femmes, et des filles à l’égard des hommes, les étincelles ou plutôt les flammes de l’amour impur, pour faire de leurs cœurs une fournaise de concupiscence ! Oh ! si vous pouviez voir comment ces esprits de malice se réjouissent à la vue de ceux qu’ils ont engagés dans cet amour impur ! »

Vincent de Beauvais, de l’ordre de saint Dominique, (l. 3. p. 9., disp. 6.) apporte un grand nombre de raisons pour montrer avec quel soin il faut éviter les danses. Une première raison, c’est que le temps de la vie présente n’est pas le temps de songer à se divertir, et surtout par un divertissement aussi dissipant que la danse ; mais le temps de gémir et de pleurer, parce que nous sommes ici-bas dans un lieu d’exil, dans une vallée de larmes, et comme dans une prison, et que de quelque côté que l’homme se tourne il ne voit autour de lui que des sujets d’affliction.

La seconde, c’est que les danses sont un culte rendu au démon qui en a été l’inventeur, qui en est le docteur, et qui y excite.

La troisième raison pour laquelle ce théologien veut qu’on évite les danses, c’est à cause du grand nombre de péchés qui s’y rencontrent, parce qu’on y viole les promesses faites au baptême, qu’on y pèche par tous ses membres, qu’on les y immole tous à l’impudicité ; et que les chansons lubriques que souvent on y chante, allument nécessairement le feu de la concupiscence.

Saint Antonin, archevêque de Florence, (2. part. tit. 6. c. 6.) après avoir comparé les mouvemens de la danse à ceux du démon, qui tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un qu’il puisse dévorer , et en avoir tiré cette conclusion : « Que ceux qui dansent faisant le chemin du démon, se trouveront un jour avec lui dans l’enfer, qui est le terme de ce chemin » ; cite l’endroit de l’Apocalypse où il est dit (c. 9., v. 1. et suivans.) que l’ange ayant sonné de la cinquième trompette, le puits de l’abîme s’ouvrit, qu’il s’éleva du puits une fumée semblable à celle d’une fournaise, qu’il sortit de cette fumée des sauterelles qui se répandirent sur la terre, et qui reçurent un pouvoir tel que l’ont les scorpions de la terre, qui est de piquer ; que ces espèces de sauterelles étoient semblables à des chevaux préparés pour le combat ; qu’elles avoient sur la tête comme des couronnes d’or, des cheveux de femme, et des dents comme des dents de lion : et voici l’explication morale que ce saint archevêque donne à cet endroit de l’Apocalypse, en en faisant usage contre les danses : « Ces sauterelles, dit-il, sont les personnes qui dansent. Le puits de l’abîme dont les sauterelles sortent, c’est le fond de l’enfer, parce que l’amour de la danse est inspiré par les démons dont l’enfer est la demeure. La fumée de la grande fournaise d’où sortent les sauterelles, représente les vapeurs spirituelles, et les effets de la concupiscence et de l’impudicité, qui ont donné naissance aux danses, et qu’elles enflamment de plus en plus. Les sauterelles montrées à St. Jean comme ayant des couronnes d’or et des cheveux de femme, et étant semblables à des chevaux préparés au combat, signifient que les démons se servent des personnes de l’autre sexe qui dansent, et qui, avant d’aller à la danse, ont plus de soin de se parer que dans toute occasion, pour attaquer et faire tomber les serviteurs de Dieu, qui sont les ennemis de ces esprits de malice. »

Le même saint continuant à parler contre les danses, traite d’ennemis de Dieu ceux qui les aiment ; et il ajoute qu’il n’est pas étonnant qu’on les regarde comme tels, puisqu’ils agissent contre tous les commandemens de Dieu, et contre tous les sacremens. Il le prouve par les raisonnemens suivans : « Par les danses, on agit contre le sacrement de baptême, parce qu’on viole la promesse solennelle qu’on y a faite de renoncer au diable, à ses pompes et à ses œuvres, ne pouvant aimer la danse sans suivre le diable, qui y porte, sans s’attacher à ses pompes au rang desquelles il faut certainement mettre les danses, et sans y faire ses œuvres, qui sont les péchés dont (comme nous l’avons déjà dit bien des fois) les danses sont une source très-abondante. Contre le sacrement de confirmation, parce qu’après y avoir été marqué au front du sceau de Jésus-Christ, qui est le signe de la croix, on porte par les gestes et les postures indécentes des danses, le sceau et le caractère du démon, de qui vient tout ce qui est immodeste. Contre le sacrement de pénitence, parce qu’elles sont un obstacle à l’esprit de gémissement et de componction qu’on doit avoir en s’approchant de ce sacrement, ou qu’elles vident le cœur de celui qu’on a eu, et qu’on a dû en rapporter. Contre le sacrement de l’Eucharistie, parce que par là on chasse Jésus-Christ de la ville spirituelle de son ame où l’on l’a reçu, pour aller le crucifier dans les assemblées mondaines. Contre le sacrement de mariage, qui est outragé par les danses dans les personnes mariées, parce que les danses donnent très-souvent occasion à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs, contraires à la fidélité conjugale. Enfin, contre le sacrement de l’extrême-onction, qu’on a peut-être déjà reçu dans quelque maladie, ou qu’on espère de recevoir avant de mourir, puisque par les danses on se sert pour offenser Dieu, de ses pieds qui ont été sanctifiés par les onctions qui y ont été faites, ou qu’on espère qui y seront faites un jour. »

Si ceux qui aiment les danses se déclarent ainsi les ennemis de Dieu par les outrages qu’ils font par elles à tous les sacremens, ils se déclarent en même temps les ennemis des saints que Dieu glorifie dans le ciel, en profanant leurs fêtes par les danses qui se font en ces jours-là plutôt qu’en tout autre jour ; ils ne pourront donc avoir au jugement futur aucuns saints pour intercesseurs, puisqu’ils les auront tous offensés aux jours mêmes que l’Eglise a consacrés à leur culte : et coupables comme nous sommes de tant de péchés, que deviendrons-nous quand Dieu nous jugera, si ceux que nous pouvons avoir pour intercesseurs auprès de lui se rendent nos accusateurs, à cause des outrages que nous leur aurons faits ?

Le pieux et savant Gerson, chancelier de l’Eglise de Paris, dans un sermon sur le troisième dimanche de l’avent, où il parle de la luxure, dit de ce vice, qu’il est un serpent venimeux, qui pour blesser les ames se cache et se glisse comme sous l’herbe verte des plaisirs mondains. (tom. 3. p. 921.) Venenosum serpentem qui se occultat in herbâ viridi mundanœ voluptatis. Ensuite il dit en particulier des danses, qui sont un de ces plaisirs mondains et des plus dangereux, que la fragilité des hommes est telle, que les danses deviennent le principe presque inévitable d’une multitude de péchés. (ibid. p. 925.) Fragilitas hominum talis est, quemadmodùm difficulter fiunt choreæ sinè diversis peccatis. Il va même jusqu’à dire peu après, que tous les péchés se trouvent comme rassemblés dans les danses : Nota quod omnia peccata chorisant in choreâ. En rapportant le sentiment de plusieurs saints et de plusieurs grands hommes, qui, à l’envi les uns des autres ont condamné les danses et se sont efforcés d’en détourner, je ne dois pas omettre ce qu’en écrit en latin, François Pétrarque, italien de naissance, un des plus beaux génies de son siècle, mort en 1374 chanoine de Padoue. Dans le premier des livres à qui il a donné pour titre : Des remèdes contre la bonne et la mauvaise fortune, et qu’il a fait en forme de dialogue, au vingt-quatrième dialogue, qui est sur les danses, il fait parler la joie et la raison. La joie dit qu’elle trouve un grand plaisir dans les danses ; qu’elle s’y porte avec ardeur, et que c’est pour elle un divertissement très-agréable, dont elle ne peut se détacher. Qu’est-ce que Pétrarque fait répondre sur cela à la raison ? Rendons-nous y bien attentifs : « Je serois bien surprise, dit la raison, si le son de la lyre et de la flûte (c’est-à-dire en général tous les instrumens) n’excitoit pas à danser, et si une vanité n’en entrainoit pas une autre, mais beaucoup plus grande et plus honteuse ; car on trouve dans le chant un plaisir qui est souvent utile et saint, puisqu’en chantant de saints cantiques, on peut être par là élevé à Dieu et aux choses spirituelles ; mais dans les danses il n’y a rien qui ne soit propre à porter au crime, et qui ne passe les bornes de l’honnêteté et des mœurs. » Ex choreis nihil unquàm nisi libidinosum. « Elles offrent un spectacle ridicule, qui ne peut que déplaire à des yeux chastes, et qui est indigne d’un homme sensé, inane spectaculum, honestis invisum oculis, viro indignum . L’agitation des mains, les mouvemens trop légers des pieds, la dissipation et la hardiesse des regards, montrent qu’il y a dans l’ame quelque chose de déréglé qui ne peut être vu des yeux du corps. Ceux qui ont quelque amour pour la modestie, doivent soigneusement prendre garde à ne rien faire paroître d’efféminé dans leurs paroles ou dans leurs actions, parce que les sentimens les plus cachés, les plis et les remplis du cœur les plus secrets se manifestent souvent par de fort petits indices. Le mouvement du corps, la manière d’être assis ou couché, les gestes, le ris, la démarche, le discours, sont autant de signes qui produisent en quelque sorte au-dehors ce qu’il y a dans l’ame… O plaisir ridicule que celui des danses ! Supposez que vous assistiez à une danse où il n’y a point d’instrumens, et que vous y voyiez des femmes, et des hommes encore plus efféminés que les femmes, faire en silence tous les différens tours qui se font dans les danses, revenir sans cesse au lieu d’où ils sont partis, et faire toutes les autres inepties qui accompagnent les danses ; dites-moi, je vous prie, si vous avez jamais rien vu de si ridicule, ni de plus extravagant ? A présent, le son des instrumens, en occupant de ce qui frappe l’oreille, empêche qu’on ne soit aussi attentif à ce qu’il y a de ridicule et d’indécent dans les mouvemens du corps qui se font aux danses : mais alors c’est une folie qui en couvre une autre : Amentia una aliam tegit. En dansant en pense moins au plaisir présent, qu’à celui qu’on se promet ensuite. La danse est donc comme un prélude de l’impureté : Non tam ibì delectatio præsens est quàm speratæ delectationis auspicium, veneris præludium illud quidem. La liberté qu’on y donne à ses mains, à ses yeux et à sa langue, la mollesse du chant et les ténèbres de la nuit, pendant laquelle les danses se font souvent, et qui est naturellement ennemie de la pudeur et l’amie des crimes, puisqu’elle donne plus de liberté pour les commettre ; tout cela chasse la retenue qu’inspire la pudeur, et lâche la bride aux passions. Voilà, si je ne me trompe, le plaisir que vous croyez rendre innocent en lui donnant le nom de danse, en couvrant ainsi le crime sous le voile d’un jeu et d’un divertissement permis : Ludi tegmine crimen obnubitis… Otez toute impudicité, et vous aurez bientôt ôté les danses : Tolle libidinem, sustuleris choream. Dans les danses, c’est la légèreté de l’esprit qui rend les corps si légers, et qui leur donne tant de facilité à se tourner de tous côtés : In choreis animorum volubilitas corpora secum volvit  ; en sorte que c’est proprement aux danses qu’on peut avec raison appliquer cette parole du psaume 2, v. 9 : Les impies marchent en tournant sans cesse : In circuitu impii ambulant. Ce jeu, puisqu’on veut l’appeler ainsi, a été cause de beaucoup d’infamies : Hic ludus multorum stuprorum causa fuit.  »

Tel est le jugement de Pétrarque sur les danses qui se faisoient de son temps, et qui assurément n’étoient pas plus criminelles que celles d’à présent. M. de Roquette, évêque d’Autun, pensant que s’il pouvoit alléguer contre les danses l’autorité de quelque homme du monde, en réputation par son esprit et ses écrits, son sentiment pourroit être plus capable de faire impression (comme n’étant pas suspect d’être trop sévère), que celui des ministres de l’Eglise, ou des personnes de piété, auxquelles, pour avoir un prétexte de ne se pas rendre à ce qu’ils disent de meilleur, on attribue une sévérité outrée ; M. d’Autun, dis-je, s’adressa à M. le comte de Bussi-Rabutin, pour savoir ce qu’il pensoit du bal.

Voici ce que lui répondit ce courtisan détrompé des fausses maximes du monde et de ses pernicieuses coutumes : (cette lettre se trouve à la fin des avis que M. de Bussi donna à ses enfans, page 420.) « J’ai toujours cru les bals dangereux ; ce n’a pas été seulement ma raison qui me l’a fait croire, ç’a encore été mon expérience ; et quoique le témoignage des pères de l’Église soit bien fort, je tiens que sur ce chapitre celui d’un courtisan doit être de plus grand poids. Je sais bien qu’il y a des gens qui courent moins de hasard en ces lieux-là que d’autres ; cependant les tempéramens les plus froids s’y réchauffent. Ce ne sont d’ordinaire que de jeunes gens qui composent ces sortes d’assemblées, lesquels ont assez de peine à résister aux tentations dans la solitude ; à plus forte raison dans ces lieux-là, où les beaux objets, les flambeaux, les violons et l’agitation de la danse échaufferoient des anachorètes. Les vieilles gens qui pourroient aller au bal sans intéresser leur conscience, seroient ridicules d’y aller ; et les jeunes gens auxquels la bienséance le permettroit, ne le pourroient pas sans s’exposer à de trop grands périls. Ainsi, je tiens qu’il ne faut point aller au bal quand on est chrétien ; et je crois que les directeurs feroient leur devoir, s’ils exigeoient de ceux dont ils gouvernent les consciences, qu’ils n’y allassent jamais. »

Il est beau de voir un homme du monde et d’un si rare génie, donner ici des leçons aux directeurs de conscience sur la manière dont ils doivent se conduire à l’égard de leurs pénitens et pénitentes qui fréquentent les bals et autres assemblées de danses. Après cela accusera-t-on de rigorisme ceux qui tiennent ferme pour ne pas permettre ce qu’un homme instruit par sa propre expérience, plus que par les livres, s’est cru obligé de recommander à ses enfans d’éviter ?

Après avoir rapporté le jugement que des théologiens plus anciens ont porté de la danse, je vais en citer quelques autres plus récens, et qui par là peuvent nous être plus connus.

Henri de saint Ignace, de l’ordre des carmes, dans son savant ouvrage auquel il a donné pour titre : Ethica amoris, c’est-à-dire la morale de l’amour, traitant, par rapport au sixième commandement, de l’amour qui doit réprimer la concupiscence, emploie un chapitre entier à montrer que les danses sont si dangereuses, qu’elles se passent rarement, ou même jamais sans péché : Chorearum et saltationum frequentatio adeò periculosa est, ut sinè peccato rarò vel nunquàm fiat. C’est le titre du chapitre 10 de la sixième partie du livre 10, qui traite des préceptes du décalogue. (tom. 2, pag. 185 du chiffre romain.)

Le père Alexandre, célèbre jacobin, dans sa théologie morale et dogmatique, expliquant le sixième commandement, et prescrivant des règles pour l’observer exactement, donne pour huitième règle, que les danses sont dangereuses pour la chasteté et l’innocence chrétiennes, et que pour cette raison les Fidèles doivent les éviter. (tom. 2, p. 822.) Saltationes et choreæ periculosæ sunt castitati et innocentiœ christianæ, eoque nomine vitandæ sunt à fidelibus.

On peut voir encore sur cela la morale de Grenoble, et les conférences de Luçon. En un mot, il n’est aucun bon livre de morale, dont l’auteur, s’il a occasion de parler des danses, n’en parle pour les condamner, et pour exhorter les Fidèles à s’en abstenir.

La faculté de théologie de Paris, dans ses articles de doctrine, imprimés chez Estienne, parlant des comédies, des bals et des danses, s’exprime ainsi dans l’art. 73 de la première partie : « Les comédies et les autres spectacles sont justement défendus ; c’est un péché que d’y assister : il faut porter le même jugement des bals ; et généralement toutes sortes de danses doivent être regardées comme dangereuses : Comediæ aliaque ejusmodi spectacula vetita sunt, iisque interesse peccatum est ; idem judicandum de choreis quæ vulgò bals vocantur : cœtera verò saltationum genera periculosa.  »

Il y a quelques années qu’on donna au public les décisions d’un assez grand nombre de docteurs de Sorbonne sur plusieurs questions proposées par rapport aux danses ; et les réponses faites à chaque question tendent à montrer les dangers des danses, et que les curés et les confesseurs doivent apporter tous leurs soins pour en inspirer beaucoup d’éloignement à tous ceux dont ils sont chargés. Ce cas de conscience a été imprimé Chez Philippe-Nicolas Lottin, et les docteurs qui l’ont signé sont au nombre de dix-neuf.

Si, au jugement des théologiens catholiques, je voulois joindre celui des théologiens protestans, ne pourrois-je pas en citer plusieurs ? Et après tout, pourquoi hésitons-nous à appeler en témoignage contre les danses ces théologiens, quoique séparés de la communion de l’Eglise, puisque saint Ambroise n’a pas dédaigné de rapporter à ce sujet la parole de Cicéron, célèbre orateur païen ? D’ailleurs, cette réunion des théologiens des différentes communions, si opposés d’ailleurs entre eux, démontre la certitude d’un point de doctrine sur lequel ils sont d’accord, et il semble même qu’étant enseigné par des docteurs étrangers à l’Eglise, des enfans de l’Eglise doivent rougir de penser moins sainement qu’eux.