Robinet, lettre du 14 novembre 1671
[…]
Mais en cette Fête Royale,
Le meilleur de tout le Régale,
Fut certain petit Opéra
Que toute la Cour admira.
On y voit, comme en Mignature,
Et très délicate Peinture,
La belle, et tendre Passion
De Diane, et d’Endimion,
Charmant Berger qu’aucun n’égale :
Et cette Pièce musicale,
Contient cent mignonnes beautés,
Et cent rares diversités
Dignes d’être considérées,
Et, voire, des plus admirées.
Le Prélude propre au Sujet,
Par un grand bruit de Cors, se fait,
Après lequel, Pan, Dieu Sauvage,
Sort du milieu d’un vert Bocage,
Avec des Faunes, et Sylvains,
Qui sont plus légers que des Dains :
Et chantant un Air de liesse,
Les avertit que la Déesse
Paraît, déjà, dedans les Bois,
Pour mettre une Bête aux abois,
Et les exorte d’importance,
À joindre leurs Chants, et leur Danse
Pour lui plaire, et la divertir,
Ce qu’ils font des mieux, sans mentir ?
Lors, le bruit des Cors recommence,
Et, dans l’instant, même, s’avance
Une troupe d’ardents Chasseurs,
De Diane, les Précurseurs,
Lesquels annoncent sa venue :
Et si-tôt qu’elle est aperçue,
Le Chasseur, avec le Sylvain,
La demi-Pique, et Tirce, en main,
Dansent, ensemble, devant Elle.
Puis cette brillante▶ Immortelle,
Les ayan tous fait retirer,
Pour en liberté, respirer,
Avecque ses Nymphes, seulette,
Elle pousse une Chançonnette
Qui découvre que ses désirs,
Ses passions, et ses plaisirs,
Se terminent tous dans la Chasse,
Où maint Gibier elle terrasse.
Elle rentre après, dans le Bois,
De son Destin, suivant les Loix,
Qui jusques-là, bornent ses Fêtes,
À vaincre et massacrer des Bêtes.
Mais un des Faunes qui l’oyait,
Quand de la sorte, elle chantait,
En vient, tout seul, ensuite, rire :
Et se mêle de lui prédire
Qu’un jour, les Mystères d’Amour
Pourront bien lui plaire à leur tour.
Par là, finit le premier Acte,
Selon qu’en ma mémoire exacte,
J’en ai le détail retenu :
Et voici tout le contenu
Du second, sans erreur quelconque.
D’abord, au fonds d’une Spelunque,
Se voit Endimion qui dort,
Jouissant d’un tranquil Sort :
Mais l’Amour qui veut qu’il soupire,
Vient, et l’un de ses Traits lui tire,
Et, par d’autres petits Amours,
Lesquels volent à son secours,
Ce Dieu des plaisirs, et des peines,
Le fait, encor, charger de chaînes,
Afin de s’assurer mieux :
Mais, en voulant couronner ses feux,
Il va, soudain, à la Déesse,
Inspirer la même tendresse.
Six des Amours, en ce miment,
Tout-à-fait, agréablement,
Dansent de joie, une Bourrée,
Laquelle, grandement, agrée :
Et le Berger, lors, éveillé,
Qui, de la sorte, est enrôlé,
Dessous le Dieu, par qui l’on aime,
S’en plaint comme d’un mal extrême.
Il est consolé, toutesfois,
Par Dame Echo, de qui la voix
Lui répond qu’il faut qu’il espère,
Et qu’Amour lui sera prospère.
Enfin, viennent des Fagoteurs,
Lesquels, en habiles Sauteurs ;
Amassant leur bois, en cadence,
Forment, encore, une Danse :
Et le Faune qui met son nez,
Aux affaires, de tous côtés,
Aussi, parmi-eux, se présente,
Et, les raillant, derechef, chante,
Puis le beau Goguenard s’enfuit,
Et, par là, cet Acte finit.
Dans le trois, qui ferme la Pièce,
Diane montre sa liesse,
D’avoir eu, selon ses souhaits,
Dans sa Chasse, en entier Succès :
Mais on l’oit, en même temps, plaindre,
De ce qu’elle se sent contraindre,
À brûler pour le beau Chasseur,
Dont la vue a charmé son Cœur,
Auparavant, comme insensible,
Et, bref, à l’Amour, invincible.
Afin de charmer ses douleurs,
Elle s’en va cueillir des Fleurs
Qu’elle aperçoit dans un Parterre :
Et, lors, six Cueilleuses, belle-erre,
Viennent devant Elle, danser.
Or, pour la mieux embarrasser,
L’Amour, en son Art, un grand Maître,
Fait, encor, le Berger paraître,
Qui, derechef, lui plaît si fort,
Que, malgré tout son vain effort,
Elle s’en déclare vaincue :
Et voilà la Pièce conclue,
Hors que les Faunes, avec Pan,
Lequel se carre comme un Paon,
Les Cupidons, avec leur Sire,
Et les Bergers, pour vous tout dire,
Viennent, par leurs Chants, et leur Pas,
De ce Couple rempli d’Appas,
Célébrer l’aimable Aventure :
Qui, ce me semble, est la Peinture,
Du Triomphe de mon Héros,
Si digne d’amour, et de los,
Sur la belle et rare Princesse
Qui va, de sa Royale Altesse,
Répondant à son Amitié,
Etre l’excellente Moitié.
Pour retourner à l’Opéra,
Le Lecteur, s’il lui plaît, saura,
Que l’Autheur est un Gentilhomme161
De Monsieur, qui Guichard se nomme,
Et, toute flaterie à part,
D’écrire, en Vers, et Prose, a l’Art,
Voire, de manière galante,
Naturelle, aisée, et ◀brillante,
Laquelle lui coûte si peu,
Que tout, pour lui, n’est rien qu’un Jeu :
Ayant fait cette Pastorale,
Dont le détail je vous étale,
En quinze jours, tant seulement,
Et néanmoins, heureusement,
Au reste, le Sieur de Sablière,162
D’intelligence singulière,
En la Musique, a fait les Chants,
Tout de même, en très-peu de temps.
Leviez, dont la voix est plus belle
Que n’est celle de Philomelle,
Y représente Endimion,
Avec pleine admiration.
Sa Diane, chose certaine,
Est une petite Syreine,
Dont le Chant est beaucoup chéri,
Qu’on nomme Mad’moiselle Aubry.
Pour l’Amour, c’est un petit Ange
Qui vaut un excès de louange,
Et c’est, pour vous le dire, enfin,
La jeune, et mignonne Turpin,
Qui par sa voix, et par sa grâce,
Tous les autres Chantres, surpasse.