Robinet, lettre du 21 juillet 1668
Dans le PARC de ce beau VERSAILLE,
Qui n’est pas un Lieu de Broussaille,
Mais le Palais le plus riant
Où, du Couchant à l’Orient,
Les claires et pure Naïades,
Les gaies et vertes Dryades,
La jeune Flore et les Zéphirs,
Les Amours, les Jeux, les Plasirs,
Les Labyrinthes, la Verdure,
L’Art, en un mot, et la Nature
Fassent par leurs beaux Agréments
Le doux charme de tous les Sens ;
Là, dis-je, où le Ciel à la Terre
Ses plus chères faveurs desserre,
On vit, Lundi, ce que les yeux
Ne peuvent voir que chez les Dieux,
Ou chez LOUIS, qui les égale
Dedans la pompe d’un Régale.
Quatre Édifices enchantés
Et, je pense aussi, concertés
Dans les secrets d’une Magie
Dont la Puissance est infinie,
S’y voyaient en des Lieux divers,
Passant tout ce qu’en l’Univers
Ont produit les artistes Veilles,
Sans excepter les sept Merveilles.
[…]
[George Dandin]
Mais sur ce point c’en est assez :
Sus, Muse, promptement passés
En cette autre brillante Salle
Qui fut la Salle Théâtrale.
Ô le charmant Lieu que c’était !
L’Or partout là, certe101, éclatait.
Trois rangs de riches Hautes-lices
Décoraient ce Lieu de Délices,
Aussi haut, sans comparaison,
Que la vaste et grande Cloison
De l’Église de Notre-Dame,
Où l’on chante en si bonne gamme.
Maintes Cascades y jouaient,
Qui de tous côtés l’égayaient ;
Et, pour en gros ne rien ommettre
Dans les limites de ma Lettre,
En ce beau Rendez-vous des Jeux,
Un Théâtre auguste et pompeux,
D’une manière singulière,
S’y voyait dressé pour MOLIÈRE,
Le MOME cher et glorieux
Du bas Olympe de nos Dieux.
Lui-même donc, avec sa Troupe,
Laquelle avait les Ris en croupe,
Fit là le Début des Ébats
De notre COUR pleine d’Appas,
Par un Sujet Archi-comique,
Auquel rirait le plus Stoïque,
Vraiment, malgré bon gré ses Dents,
Tant sont plaisants les Incidents.
Cette petite Comédie
Du crû de son rare Génie
(Et je dis tout, disant cela)
Était aussi, par-ci, par-là,
De beaux Pas de Ballet mêlée,
Qui plûrent fort à l’Assemblée,
Ainsi que de divins Concerts
Et des plus mélodieux Airs,
Le tout du Sieur LULLY-BAPTISTE,
Dont Maint est le Singe et Copiste.
D’ailleurs, de ces Airs bien chantés,
Dont les Sens étaient enchantés,
MOLIÈRE avait fait les Paroles,
Qui valaient beaucoup de Pistoles ;
Car, en un mot, jusqu’en ce jour,
Soit pour Bacchus, soit pour l’Amour,
On n’en avait point fait de telles ;
C’est comme dire d’aussi belles.
Et, pour plaisir, plutôt que tard,
Allez voir chez le Sieur BALARD,
Qui de tout cela vend le Livre,
Que presque pour rien il délivre,
Si je vous mens ni peu ni prou ;
Et, si vous ne saviez pas où,
C’est à l’enseigne du Parnasse ;
Allez-y donc vite, de grâce.
Mais revenons à nos Moutons,
Et, pour achever, ajoutons
Que chacun fit là des merveilles
Qui n’eurent jamais de pareilles,
Et qu’à l’envi, soient les Acteurs,
Les Baladins et les Chanteurs,
Tous en ce jour se surpassèrent
Et bravement se signalèrent.
Mais, entre tous ces grands zélés,
Qui se sont si bien signalés,
Remarquable est la THORILLIÈRE,102
Qui, près de tomber dans la Bière,
Ayant été, durant le cours,
Tout au plus, d’environ huit jours,
Saigné dix fois pour une Fièvre,
Qui dans son Sang faisait la mièvre,
Quitta son Grabat prestement
Et voulut héroïquement
Du gros Lubin faire le Rôle,
Qui sans doute était le plus drôle.103
Voilà comment, en bonne foi,
Tout conspire aux Plaisirs d’un ROI
Qui, sans que trop de lui je dise,
L’Empire avec Jupin divise.
Voilà comment aux jours de Paix,
Ayant terminé ces hauts Faits,
Qui faisaient trembler tout le Monde
Dessous sa Gloire sans seconde,
Il se délasse avec éclat
Des grands Soins qu’il prend pour l’État,
Et qu’il est, tant en Paix qu’en Guerre,
Le plus GRAND Prince de la Terre.