(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1664 — 13 février : Le Ballet des Amours déguisés — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 16 février 1664 »
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(1671) Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671 «  1664 — 13 février : Le Ballet des Amours déguisés — La Muse Historique de Loret — Loret, lettre du 16 février 1664 »

Loret, lettre du 16 février 1664

Mercredi, fut le premier jour
Où le beau Ballet de la Cour,
Agréable par excellence,
Avec grande magnificence,
Au Palais Royal fut dansé,
Où le Commandant, Charnassé,
Gentilhomme digne d’estime,
À la prière d’un intime,
Qui l’en requit obligeamment,
M’y fit placer commodément,
Et tout contre, par bonne chance,
D’une Belle, de connaissance.
Ce Ballet des mieux composés,
S’intitule Amours Déguisés.
Après la première Musique
Qui fut tout à fait harmonique,
Mercure, Pallas et Vénus,
Sur le Théâtre intervenus,
Firent, entre eux, un Dialogue,
Qui du sujet est le Prologue,
Où ces belles Divinités,
En Vers par elles récités,
Prétendent donner la victoire,
L’une à l’Amour, l’autre à la Gloire :
Pallas, avec son sage Esprit,
Le parti de la Gloire prit,
(Seul but des Lettres et des Armes ;)
Et Venus avec ses doux charmes
À qui tant de cœurs font la cour,
Ne parla qu’en faveur d’Amour,
Chacune dans leurs contreverses,
Alléguant des raisons diverses :
Enfin, ne pouvant s’accorder,
Mercure, sans rien décider,
Leur fait accepter pour Arbitre
Louis, qui mérite le titre
Du Roi qui le plus judicieux
Qui soit sous la rondeur des Cieux,
Roi, qui dans la fleur de son âge
Est aussi charmant qu’il est sage,
Et dont ces trois Divinités
Prônant les hautes qualités,
À son honneur cent choses disent
Et ses Vertus immortalisent.
L’excellent Acteur, Floridor,31
Qui vaut mieux que son pesant d’or,32
Dans son héroïque figure,
Représenta le Dieu Mercure.
Mademoiselle Des-Oeillets,
Qui dans ses Rôles, ou Rôlets,
A paru toujours admirable,
(D’autres disent incomparable)
Ayant, et lance et coutelas,
Faisait la Guerrière Pallas,
Et du sieur Monfleury la Fille,
Qui d’un air assez charmant brille,
Et mieux que ses riches atours,
Était la Mère des Amours,
Dont tous trois de l’honneur acquirent,
Et firent bien tout ce qu’ils firent.
Le Ballet après commença,
Où notre Monarque dansa
Avec cette grâce Royale
Qui dans l’Europe est sans égale.
Après lui, Monsieur d’Orléans,
Fut le plus Galant de léans,
Montrant une si noble adresse,
Que par le bel air et justesse,
Dont ses pas étaient animés,
Plusieurs beaux yeux furent charmés.
Maint Prince, Duc et Pair de France,
Qui savent aussi bien la danse,
Que le Métier de guerroyer,
Lorsque Mars veut les employer,
Audit Ballet se signalèrent,
Et fort galamment y dansèrent,
Étant Gens d’élite et de choix,
Mais qui plus, qui moins, toutefois,
Enfin, mainte Personne illustre
Parut, illec, dans tout son lustre.
La jeune Reine mêmement,
De la Cour le cher Ornement,
De mille grâces assortie,
Voulut être de la partie,
Avec cette douce fierté,
Naturelle à Sa Majesté,
Qui marque sa naissance Auguste,
Y dansa fort bien et fort juste.
Plusieurs autres nobles Objets,
Dont bien des cœurs sont les sujets,
Augmentant, comme des miracles,
La pompe et l’éclat des spectacles,
Avec un parfait agrément,
Y dansèrent pareillement ;
Et comme elles sont toutes belles,
Je vais spécifier icelles
Dans un style simple et naïf,
Et non d’un ton superlatif
Sans affecter, même, aucun ordre,
De peur qu’on y trouvât à mordre,
Ni relever leurs qualités
Par pointes et subtilités.
De leurs Noms voici, donc, la liste,
Comme ils viendront à l’improviste,
Sans y chercher d’autre façon ;
On m’a donné cette leçon.
Primo, cette aimable Princesse,
Qui de Soissons est la Comtesse,
Un des beaux Esprits de la Cour,
Digne d’honneur, digne d’amour,
Et (ce qui vaut mieux qu’on Domaine)
Surintendante chez la Reine.
D’Elbeuf la Fille, et non la Sœur,
Dont les yeux ont grande douceur,
Dont la face est claire et sereine,
Et qui vient du Sang de Lorraine.
Mademoiselle de Nemours,
Qui, dans la fleur de ses beaux jours,
Est un amas de belles choses,
Et, surtout, de lys et de roses.
Sa Cadette, dont l’air charmant,33
Pourrait d’un Dieu faire un amant,
Blanche et fraîche comme une Aurore,
Et qui là représentait Flore.
La noble Dame de Créqui,
Adorable Duchesse, et qui
Peut passer, dans toute croyance,
Pour un des beaux Objets de France.
La jeune Madame de Foix,
Dont chacun dit, à haute voix,
Que dans tout le Monde habitable
On ne voit rien de plus aimable.
L’agréable et jeune Sully,
Au visage frais et joli.
L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés presque divines,
Les yeux, la gorge, et l’embonpoint
Blessent et ne guérissent point.
Vilequier, Marquise excellente,
Spirituelles, intelligente,
Dont la Personne a des appas,
Et qui, surtout, fait de beaux pas,
Étant parée, ou non parée,
En dansant toujours admirée.
L’agréable de Montespan,
Que l’on peut nommer un beau plan
De toutes les grâces touchantes
Qui rendent les Dames charmantes.
La jeune Dame de Vibray,
Laquelle, pour dire le vrai,
Et bien parler comme il faut d’elle,
À la gloire d’être fort belle,
D’honnêtes Gens m’ont dit cela,
Car je ne la vis pas bien là.
Montauzier, digne et rare Fille,
En qui la vertu toujours brille,
L’esprit, la prudence et l’honneur,
Qui n’est pas un petit bonheur,
Brancas, dont l’angélique face
L’éclat des plus beaux lys efface,
Fille qu’on aime, avec raison,
Et d’illustre et bonne Maison.
Grancé, belle et jeune Normande,
Des plus aimables de sa bande,
Et qui, parmi ces qualités,
Est fort noble des côtés.
Castelnau, beauté singulière,
Douce fleur, rose printannière,
Dont le Père, Homme martial,
En mourant fut fait Maréchal.
Mademoiselle de la Mothe,
Pour qui maint noble cœur sanglote,
Ayant des mérites assez,
Pour attacher les mieux sensés.
Dardennes, Fille ravissante,
D’humeur belle et divertissante,
Et qui porte dans ses beaux yeux
De quoi charmer des demi-Dieux.
D’Arquien, dont l’esprit est fort sage,
Et dont les yeux et le visage
Ont je ne sais quoi d’assez doux
Pour mériter un digne Époux.
Cologon, la belle inhumaine,
Qu’on estime fort chez la Reine,
Et qui par ses charmes vainqueurs
Se peut asservir bien des cœurs.
De-Pons, illustre Demoiselle,
De l’Honneur visible modèle,
Très digne du doux Sacrement,
Et qui danse admirablement.
J’ai pensé faire une folie,
En oubliant cette jolie,
Cette pucelle Sévigny,
Objet de mérite infini :
Certes, moi, qui l’ai deux fois vue
De divins agréments pourvue,
Et d’une très rare beauté,
Aux Ballets de Sa Majesté,
Si quelqu’un s’en venait me dire,
Et fut-ce le Roi notre Sire,
As-tu rien vu de si mignon ?
Je dirais hardiment que non.
Outre ces Beautés éclatantes,
La plupart des Dames importantes,
Cinq ou six Fillettes encor,
Chacun valant un Trésor,
Fort joliment s’y trémoussèrent,
C’est-à-dire très bien dansèrent,
Mais leurs noms étant oubliés
Ne sont point ici publiés.
Il s’y fit des Concerts si rares,
Qu’ils eussent touché des Barbares,
On chanta quatre ou cinq Récits
Qui tenaient tous nos sens sursis.
Ces trois aimables Demoiselles,
Qui sont si bonnes Chanterelles,
Dont tu vois les noms à côté,34
N’avaient jamais si bien chanté.
Les habits étaient admirables,
Les perspectives agréables,
Riches et beaux les ornements,
Et, merveilleux, les changements.
Mais étant pressé de conclure,
Par mon Imprimeur qui murmure,
En me disant, holà, holà,
Je suis contraint de briser là,
Non pas sans dire malepeste ;
Apprenez de Balard le reste,
Il en a fait un Imprimé
Par qui tout Paris est semé ;
Et, de plus, la Gazette en Prose
En rapporte aussi mainte chose.
Du moins ce beau Ballet Royal,
Et sérieux, et jovial,
Si par hasard je l’estropie
Dans cette imparfaite Copie,
Il se peut vanter qu’aujourd’hui
Je n’ai discouru que de lui :
Enfin, je suis fort las d’écrire,
Et ne croyais pas en tant dire.