(1775) La littérature renversée, ou l’art de faire des pièces de théâtre sans paroles [graphies originales] « Les ressources, ou le tableau du monde, pantomime.  » pp. 15-16
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(1775) La littérature renversée, ou l’art de faire des pièces de théâtre sans paroles [graphies originales] « Les ressources, ou le tableau du monde, pantomime.  » pp. 15-16

Les ressources,
ou le tableau du monde,
pantomime.

Personnages de la Pantomime.

  • LE SULTAN.
  • ARLEQUIN.
  • LA MAITRESSE d’Arlequin.
  • Premier MAGICIEN.
  • Second MAGICIEN.
  • PAILLASSE.
  • Une PARVENUE.
  • Gens d’Affaires.
  • Troupe de Joueurs.
  • Plusieurs petits Génies.
  • Troupe de Démons.
  • Foule de Peuple.

La Scène est dans la Turquie Européenne.

Scene premiere.

Le Théâtre représente un Palais magnifique.

Arlequin vient avec sa Maitresse ; il l’assure de son amour ; il lui fait entendre ensuite que le Sultan est fort embarrassé, qu’il est sans argent, sans ressource : ils s’en moquent.

Scene II.

La Maitresse d’Arlequin se retire à l’aspect du Sultan, qui fait les démonstrations du plus affreux désespoir. Il embrasse Arlequin, & lui prodigue les marques d’une vive amitié : celui-ci feint de le plaindre quand le Sultan le regarde, & rit à l’écart. Lazzis d’Arlequin.

Scene III.

Les Créanciers du Sultan viennent en foule ; ils sont mis grottesquement. Le Sultan les caresse d’abord ; mais comme ils se montrent inexorables, il les chasse : Arlequin les suit, sous prétexte de les appaiser.

Scene IV.

Le Sultan, désespéré, reste seul. Une Musique agréable se sait entendre. Un Magicien descend du Ciel, dans un char. Le Sultan, épouvanté, se jette la face contre terre.

Scene V.

Le Magicien sait signe au Sultan de se relever, & lui sait entendre qu’il vient lui donner du secours. On apporte par son ordre trois grands coffres, qu’il assure devoir bientôt se remplir d’argent. Le Sultan, au comble de la joie, fait sonner de la trompette, pour appeller le Peuple.

Scene VI.

Foule de Peuple de tout âge & de toute condition. On entend une Musique éclatante. Plusieurs petits Génies descendent sur des nuages dorés, chargés de faisceaux d’échasses. Ils les posent au milieu du Théâtre, & remontent dans leurs nuages. Le Magicien fait signe au Peuple qu’on ne peut avoir des échasses qu’avec de l’argent. Marques de désespoir de la part de ceux qui sont pauvres. Paillasse ne peut en acheter qu’une seule. Scène plaisante de ceux qui, par orgueil, en prennent plus qu’il ne leur en faut pour marcher. On voit de jolies femmes en faire présent à leurs amans. Quelques-unes en vendent en cachette, sans que le Sultan s’en apperçoive. L’argent est mis dans les coffres. Le Magicien remonte au Ciel.

Scene VII.

Arlequin paraît avec un autre Magicien ; il lui fait entendre qu’il voudrait avoir l’argent qui est dans les coffres. Le Magicien fait des conjurations, & sort avec Arlequin, en lui faisant signe qu’il ne tardera point à posséder les trésors qu’il envie.

Scene VIII.

Le Sultan, enchanté, ouvre les coffres pour considérer ses richesses ; il n’en sort qu’une épaisse fumée. Le Sultan se livre de nouveau au désespoir, & sort en adressant des vœux au Ciel.

Scene IX.

Le Théâtre change & représente une rue.

Paillasse, monté sur son échasse, fait beaucoup de lazzis ; mais, comme pour l’avoir, il a donné tout son argent, il fait entendre qu’il meurt de faim. Un Pauvre vient lui demander l’aumône. Paillasse exprime sa misère, Le Mendiant lui propose de se défaire de son échasse. Mais Paillasse, attaché à cette marque d’honneur, rejette avec dédain la proposition. Cependant, craignant de mourir tout-à-fait de faim, il consent, après bien des signes d’irrésolution, à en vendre la moitié. Ils se retirent, chacun d’un côté différent.

Scene X.

Le Théâtre représente un jardin agréable.

Arlequin danse avec ses amis, leurs maitresses & la sienne, dont il est de plus-en-plus enchanté. Sa tendre amie, lorsqu’il ne s’en apperçoit pas, écoute avec plaisir un autre soupirant, le recherche, minaude & lui sourit. On sert un repas splendide. Tous s’enivrent. On propose de jouer : Arlequin perd tout son argent, & s’en va, désespéré, rebuté par sa maitresse, qui le voit sans le sol. Tous les Acteurs de la scène sortent après lui, en se moquant du pauvre Arlequin.

Scene XI.

Le Théâtre change, & représente une Salle des appartemens du Sultan.

Des Courtisans, qui se promènent dans la salle, font entendre que le Sultan, accablé de douleur, est tombé malade : les uns s’en affligent, les autres s’en réjouïssent.

Scene XII.

On apporte le Sultan sur un lit ; il se plaint du sort, & veut mourir.

Scene XIII.

La muraille de la Salle s’entrouvre avec fracas. Le premier Magicien paraît, & touche le lit, qui se change en un Trône superbe. Il fait entendre au Sultan, qu’il va réparer ses pertes. Les faux Courtisans, épouvantés, prennent la fuite.

Scene XIV.

De petits Génies sortent de dessous quatre tables, qui sont changées en cornes d’abondance. Ils en tirent des robes de toutes couleurs, & sur-tout beaucoup de noires. Les petits Génies entrent ensuite dans les cornes d’abondance, & disparaissent. On sonne de la trompette.

Scene XV.

Le Peuple accourt ; une partie a des échasses, & l’autre n’en a point. On vend les robes : plusieurs de ceux qui ont des échasses en achettent ; les autres qui ont employé toute leur fortune au premier achat, ne peuvent en avoir : sujet de chagrin pour eux. Grand nombre de ceux qui n’ont point d’échasses font emplette de robes. Les autres, toujours pauvres, restent dans leur premier état. Pendant cette Scène, plusieurs femmes charmantes distribuent de ces robes à la dérobée. Paillasse se jette aux genoux du Sultan, pour en obtenir une. Le Sultan inexorable la lui refuse constamment ; mais il trouve le moyen d’en excroquer une de plusieurs couleurs. On lui rend hommage. Marques singulières de sa gloire & de son amour-propre. L’argent se met de nouveau dans les coffres. Le Magicien disparaît.

Scene XVI.

Arlequin & le second Magicien entrent par le fond du Théâtre. Le Sultan continue de faire des amitiés à Arlequin, qui, feignant d’en être touché, conjure encore le Magicien, son ami, de lui procurer les trésors renfermés dans les coffres. Le Magicien qu’il implore fait de nouvelles conjurations, & sort avec Arlequin & tout le peuple.

Scene XVII.

Le Sultan, entouré de ses fidèles Courtisans, veut voir ses richesses. Les coffres s’ouvrent ; il s’en élève des tourbillons de flammes : un bruit affreux se fait entendre. Le Palais semble être tout en feu. Le Parquet s’entr’ouvre.

Scene XVIII.

Plusieurs Démons sortent des entrailles de la terre, armés de fourches & de flambeaux. Ils font des grimaces ; des gestes effrayans & des sauts périlleux. La peur s’empare de tout le monde. Le Sultan & toute sa Cour s’échappent, pénétrés de frayeur. Les Démons redoublent leurs sauts, s’abandonnent à la joie, se jettent enfin dans les coffres, & tout disparaît.

Scene XIX.

Le Théâtre représente une Salle richement ornée, éclairée par des lustres & des girandoles.

On voit Arlequin avec beaucoup de monde : sa Maitresse le dédaigne toujours.

Scene XX.

Les Démons rapportent les coffres. Arlequin distribue une partie de l’argent. Sa Maitresse le recherche alors ; enchanté, il lui prodigue ses richesses. On joue. Devenu plus défiant par la première épreuve qu’il a faite, Arlequin s’apperçoit que quelques-uns des Joueurs le filoutent : il en jette un par la fenêtre. Les autres Escrocs prennent le parti de celui qui vient d’être puni par Arlequin. Combat entre les amis du mort & ceux d’Arlequin. Plusieurs sont tués de part & d’autre. Les Vainqueurs chargent les morts sur leurs épaules, & sortent.

Scene XXI.

Le Théâtre représente une Campagne arrosée d’une rivière.

Arlequin & ses amis jettent dans la rivière les corps de ceux qu’ils ont tués.

Scene XXII.

Le Théâtre représente l’Appartement du Sultan,

Plusieurs Courtisans vêtus de noir & en longs manteaux, font entendre que le Sultan est mort de douleur.

Scene XXIII.

Le Théâtre représente une grande Place, au milieu de laquelle est un bûcher.

Pompe funèbre du Sultan : son corps est mis sur le bûcher.

Scene XXIV.

Arlequin & le second Magicien paraissent sur un char traîné par quatre éléphans. L’un & l’autre insultent à la mémoire du Sultan. On met le feu au bûcher.

Scene XXV.

Le jour s’obscurcit ; un bruit affreux & une musique délicieuse se font entendre alternativement ; la foudre tombe par éclats ; les éclairs semblent embrâser le Théâtre. Paillasse exprime sa frayeur par des Lazzis plaisans. Arlequin & le Magicien sont culbutés & engloutis dans les flammes, qui s’élevent de plusieurs abymes, ouverts tout-à-coup. Le char se change en un Trône brillant, sur lequel se montre le premier Magicien ; les quatre éléphans sont métamorphosés en Esprits aériens ; le feu du bûcher s’éteint, & à sa place paraît une Gloire éclatante de lumière, au milieu de laquelle est le Sultan ressuscité, qui prie son puissant Protecteur de le secourir. Le Magicien fait un signe, & ils sont tous enlevés dans les airs.

Scene XXVI.

Le Théâtre représente une Salle du Palais du Sultan. (Tout le Peuple est rassemblé).

Le Magicien fait sortir de dessous le Théâtre un mortier d’une énorme grandeur, & fait entendre que, pour de l’argent, on entrera dans le mortier, &, qu’après y avoir été pilé par les Esprits aériens, on en sortira plus beau, plus aimable qu’on ne l’était auparavant. Le Peuple se présente en foule pour essayer la métamorphose : mais très-peu sont reçus, parce qu’il ne s’en trouve guère qui aient de quoi payer. Ceux qui entrent dans le mortier, en sortent, après quelques coups de pilon, vêtus avec la dernière élégance. On les voit se promener, en s’examinant d’un œil satisfait. Des femmes font entrer dans le mortier quelques-uns de leurs amis : un d’eux, qu’on a pilé, apperçoit dans la foule une jeune Paysane très-jolie ; il offre une somme, afin qu’elle éprouve aussi l’heureux expédient ; & bientôt on la voit paraître vêtue en Duchesse. Un laquais, un porteur d’eau, un décroteur se présentent ensuite : au moyen de quelqu’argent qu’ils donnent, on leur permet de se métamorphoser. On les voit sortir en Gens d’affaires ; c’est-à-dire, avec une large figure, & des habits richement ridicules.

Scene XXVII.

Paillasse saute avec adresse dans le mortier : il en sort habillé grottesquement. Lazzis de Paillasse pour marquer son étonnement, mêlé d’orgueil.

Scene XXVIII.

Le Magicien, qui se doute que cette dernière ressource n’a pas rempli les coffres du Sultan, fait entendre qu’il est des gens riches, qu’on peut mettre à contribution : il les fait appeller.

Scene XXIX.

Les gens qu’a désigné le Magicien arrivent en corps. Il leur demande une somme considérable. Ils résistent, mais cèdent bien-tôt aux menaces qu’on leur fait. Ils vuident leurs poches, se dégraissent de tout ce qui leur donnait un embonpoint prodigieux, & paraissent diminués de moitié. Celui-là, qui avait les bras & les jambes prodigieusement enflés, devient semblable à un squelette ; celui-ci, dont le ventre hydropique était d’une grosseur énorme, diminue à vue d’œil, & se rapétisse tellement, qu’il est méconnaissable, &c. &c. &c. Le Magicien fait signe à tous les gens dégraissés, désenflés, débouffis, de sortir au plutôt. Mais s’appercevant qu’ils menacent le Peuple, il frappe la terre de sa baguette, elle s’entr’ouvre & les engloutit au bruit des fanfares, qui se font tout-à-coup entendre.

Scene derniere

Le Palais du Sultan devient plus riche & plus brillant. Des guirlandes de fleurs sont suspendues de tous côtés. On découvre dans le lointain des jardins illuminés & décorés des mains de l’Art & de la Nature. Le Peuple vient exprimer au Sultan sa joie & sa reconnaissance. Le Magicien l’assure qu’il doit compter maintenant sur un bonheur inaltérable. Le Peuple célèbre sa félicité. On forme un ballet, composé des différens états de la vie, & qui présente le tableau du Monde. Le Magicien est enlevé dans un globe de lumière, & fait connaître qu’il est un puissant Génie, par tout l’éclat qui l’environne : mais il fait entendre en même temps, qu’il n’a paru céder au Magicien, que pour donner plus d’éclat à son triomphe, & plus d’expérience au Sultan. Il laisse après lui une nouvelle clarté. L’alégresse redouble. Le Sultan n’a plus rien à desirer. Le Peuple se livre aux douces impressions qu’il éprouve ; & tout le monde se retire au bruit d’une musique vive, qui exprime tour-à-tour les horreurs de la guerre, & les charmes de la paix.