(1797) Essai ou principes élémentaires de l'art de la danse, utiles aux personnes destinées à l'éducation de la jeunesse « Épître dédicatoire à Madame **** »
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(1797) Essai ou principes élémentaires de l'art de la danse, utiles aux personnes destinées à l'éducation de la jeunesse « Épître dédicatoire à Madame **** »

Épître dédicatoire à Madame ****

Madame,

Si l’art dont j’entreprends de tracer ici les règles n’eût été que frivole, je n’aurais point pris la liberté de vous faire l’hommage de cette faible production : mais en l’écrivant, j’ai entrevu l’espoir d’être utile, et j’ai pensé qu’à ce titre seul elle pouvait mériter de vous être présentée. [Je suis] trop heureux si le public la trouve digne de la protectrice éclairée qui, au défaut du talent, a bien voulu par son suffrage encourager les efforts de l’auteur.

Si je voulais donner à mon sujet une importance trop étrangère au but infiniment plus restreint que je me suis prescrit, il me serait aisé, Madame, de vous retracer le point étonnant de perfection où la danse a rapidement été portée de nos jours. Je vous ferais voir Terpsichore elle-même dictant à l’un de ses plus chers favoris (à Gardel) ces ballets si justement vantés, où les fictions les plus brillantes de la mythologie ont reçu plus d’éclat encore de cet art enchanteur, qu’elles ne lui en ont prêté. Psyché, le jugement de Pâris, Télémaque ; c’est dans ces productions que j’oserais nommer sublimes, que la danse, rivale audacieuse de la poésie et de la musique, s’affranchissant enfin de ses gothiques entraves prend un nouvel essor, et ce n’est plus que l’expression fidèle de la nature embellie. Nouveau Protée, elle revêt, avec un succès égal, les formes les plus disparates ; tour à tour sévère, séducteur de cette pantomime à la fois pittoresque et dramatique qui fait asservir à ses lois les nuances les plus fugitives du sentiment, ainsi que les mouvements de l’âme les plus rebelles et les plus impétueux.

Je le sens, Madame, en me laissant aller au plaisir de vous peindre ces prodiges nouveaux dont s’enorgueillit encore la scène française, je m’écarte sans doute de la route que vous n’aviez pas dédaigné de m’indiquer. Mais quoi ! il fallait bien une fois répondre aux détracteurs d’un art que vous aimez, et que j’ai le faible mérite d’avoir cultivé toute ma vie avec enthousiasme. Je n’ai point eu la présomption de vouloir initier les jeunes élèves dans les mystères qui ne s’apprennent que dans le sanctuaire de la divinité. Cette ambition était trop au-dessus de mes forces, et d’ailleurs, le but que j’ai dû me proposer n’aurait point été rempli. J’ai voulu simplement exposer avec clarté et précision les premiers principes, et si je puis m’exprimer ainsi, le mécanisme élémentaire de la danse. J’ai cherché surtout à me rendre utile aux mères de famille qui pourront facilement, à l’aide de cet ouvrage, se passer d’un maître, ou du moins présider aux leçons de leurs enfants, et en diriger elles-mêmes les progrès.

En parlant des mères de famille, était-il possible que je n’eusse pas devant les yeux celle qui devait leur servir à toutes de modèle ? Cet éloge, Madame, est le seul dont vous soyez jalouse, et c’est le seul aussi que je me permettrai. Que d’autres relèvent avec empressement ces dons aimables que la nature, en souriant, a versé sur votre personne, moi je ne parlerai que des vertus respectables dont vous vous êtes plu à les embellir, et qui n’admirerait pas cette surveillance attentive, cette sollicitude si tendre, et ces soins continuels que vous ne cessez de prêter à l’éducation des enfants que le ciel vous a donnés. J’ai été assez heureux pour en être quelquefois le témoin, et c’est surtout après avoir joui de ce touchant spectacle que j’ai pu m’écrier, avec toutes les personnes qui ont le bonheur de vous approcher : Le cœur d’une bonne mère est le chef-d’œuvre de la Divinité.

Je suis avec le plus profond respect,
Madame,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Martinet