(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 13 février. Danses de Mlle Ellen Sinding et M. Iril Gadescow. »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 13 février. Danses de Mlle Ellen Sinding et M. Iril Gadescow. »

13 février. Danses de Mlle Ellen Sinding et M. Iril Gadescow.

De plus en plus les spectacles de danse se multiplient ; les Vendredis de danse chez M. Hébertot sont devenus une institution régulière et voilà que Femina lui emboîte le pas ; le coquet plateau drapé de blanc se prête à merveille aux manifestations individuelles de la danse ; trop peu vaste pour servir aux évolutions d’un ensemble, il est de proportions heureuses qui permettent au danseur isolé de distribuer le mouvement, de « répartir le terrain » comme aurait dit un maître-à-danser italien du xve  siècle.

Mlle Ellen Sinding qui porte un nom déjà illustre en Scandinavie par l’œuvre d’un sculpteur et celle d’un musicien, est danseuse à ce théâtre de Christiania où les pièces de Holberg continuent la tradition moliéresque et où la grande tragédienne Johanna Dybwad interpréta à merveille les drames d’Henrik Ibsen. Ce théâtre n’a pas de troupe de chant et de danse régulière, mais j’y ai entendu avant la guerre interpréter très heureusement une œuvre de Puccini ; je pense aussi à la Pavane de Grieg, fort bien dansée dans le « Darnley » de Bjornson. Ce sont là des souvenirs qui datent un peu mais qui me restent présents et agréables.

Mlle Sinding a toute la franche ingénuité des vierges nordiques, leur élégance sans mièvrerie, cette culture sportive du corps qui est une base souvent précieuse de la culture plastique. On ne saurait être mieux faite. Elle possède pour mettre en valeur ces dons de la nature une éducation chorégraphique quelque peu rudimentaire ; si elle fait des pointes gentiment, ses jambes ne sont pas bien en dehors et elle dégage à peine. Somme toute, elle s’est trop empressée, croyons-nous, à quitter la classe pour appliquer les notions acquises à des créations sans originalité et d’où l’invention est absente. Dans la danse, les voyages ne forment pas la jeunesse ; il faut persévérer dans un travail ardu. Le programme nous annonce que cette charmante et juvénile Mlle Sinding est déjà « célèbre ». Eh bien, quand on est célèbre à 18 ans, il vaut mieux se méfier et travailler pour pouvoir durer. J’aime moins le danseur, M. Gadescow, qui est, comme tout le monde, premier danseur au Metropolitan de New-York ; lui aussi montre certaines acquisitions techniques ; mais il n’a ni ampleur ni parcours ; il aurait été bien fait si un cou trop court ne donnait à son corps athlétique quelque chose de tassé. Il avait oublié de mettre son maillot. Le métier est une grande chose, mais rien de plus décevant qu’un métier incomplet. Même remarque pour Mlle Sinding, mais elle s’en tire grâce au charme inattendu d’une éblouissante jeunesse.