(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 16 janvier. Une soirée à l’hôtel Charpentier. »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 16 janvier. Une soirée à l’hôtel Charpentier. »

16 janvier. Une soirée à l’hôtel Charpentier.

Pour reconstituer l’atmosphère unique de la soirée, toute cette ambiance d’une distinction suprême mais qui s’affirme sans effort, mondaine, soit, mais comme le furent les assemblées du Trianon, nous formulerons quelques remarques sur la partie dansée du spectacle. Mlle Zambelli et M. Albert Aveline ont incarné, dans l’à-propos de M. Guillot de Saix, les grâces légendaires de la Guimard et de Vestris ; or, ces grands souvenirs, qui auraient écrasé n’importe quels autres artistes, nos deux danseurs ont su les exalter et les rajeunir. Lulli, Rameau, Gluck, trois époques de la musique de danse française ont fourni la matière de trois « entrées ». Exécutées en souliers à talons, composées de ces temps sur la demi-pointe qui font le charme de la danse de cour, ces entrées plurent infiniment. Mes préférences vont au rigodon de Dardanus, transposition raffinée d’un thème populaire, avec ses demi-tours sautés et ces « jeux de mains » qui sont des « jeux de vilains » traduits dans le langage subtil du xviiie  siècle.

Mme J. Chasles a tenté, dans ses Caroles de Noël, de reconstituer les « danceries » du xve  siècle. Les pas exécutés : marche rythmée, accentuée par le fléchissement des genoux ou par des mouvements plongeant du corps, sont d’un archaïsme aisé et persuasif ; la tenue des élèves de Mme Chasles reste naturelle et très gracieuse sans l’ombre d’un cabotinage précoce. Mais le vrai triomphe de Mme Chasles et de son intelligent partenaire M. Pierre Marguerite, ce furent les « danses en crinoline » accompagnées par le piston de M. Tauthoux qui évoquait à lui seul tout l’orchestre de Mabille. On a pu voir ce que produit le sens du style appliqué par une artiste complète aux choses les plus futiles. Sa polka mazourka est représentative d’un passé. Ce n’est plus de l’érudition chorégraphique, c’est un avatar prodigieux et réjouissant.

Mme Trouhanowa fit valoir dans sa danse russe accompagnée par les refrains populaires de Mme Litvine, sa grande allure et sa monumentale beauté slave ; Mlle Svirskaya, costumée en bayadère de Besnard, tournoya dans son ample jupe rouge, plissée et qui s’ouvre en parasol, se drapa dans son châle constellé et fit résonner les clochettes attachées à ses chevilles nues ; le caractère occidental de la musique dont elle s’inspira nous déconcerta quelque peu. Enfin, une minuscule danseuse qui porte un nom familier aux fervents de la danse, Mlle Solange Schwarz, « de l’Opéra », interpréta avec la plus grande correction Le Cygne de Saint-Saëns. À considérer ses pointes bien placées, ses bras expressifs et toute sa petite personne sérieuse et élégante, on se croyait en présence d’une étoile authentique, vue par le gros bout de la jumelle. Et ce ne fut pas le moindre enchantement de cette soirée trop vite écoulée.