(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 1er janvier 1923. Carte de visite. »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 1er janvier 1923. Carte de visite. »

1er janvier 1923. Carte de visite.

Nous avons, au courant de l’année, vécu à l’Opéra tant d’heures magnifiques ou amères mais toujours émouvantes et fécondes, que nous nous faisons un devoir de présenter aux dirigeants et au personnel de l’illustre maison, avec nos amitiés, quelques vœux pour l’année qui commence. Nous souhaitons d’abord qu’on revienne à l’usage si heureusement inauguré des soirées entièrement consacrées à la danse qui n’est pas qu’un « vain ornement » du spectacle lyrique. Nous souhaitons encore que les créations en souffrance comme celle de Cydalise, qui compte six mois de répétitions, souvent inutiles car interrompues, comme celle de Padmavati toujours dans les limbes, soient réalisées dans le plus bref délai ; que les reprises faciles à effectuer comme celle des Deux Pigeons, si attendus, ne languissent pas infiniment ; que la 400e de Coppélia, petit chef-d’œuvre français dont le succès est inépuisable, serve d’occasion pour renouveler décors et costumes et pour nous rendre le troisième acte arbitrairement coupé ; qu’on maintienne au programme Castor et Pollux, qui appartient au fond national, impérissable ; qu’on ne laisse pas à l’étranger la gloire d’avoir monté avant l’Opéra des œuvres telles que la Valse de Ravel.

Pour que toutes ces aspirations aboutissent, nous souhaitons à l’Opéra de pouvoir compléter les cadres actuels de la troupe de danse qui, aujourd’hui n’est pas dûment outillée pour les grandes entreprises ; qu’en maintenant le classement par emplois et le concours annuel, on renonce au système égalitaire du« tour de liste ». On ne devrait pas danser Cléopâtre ou Phryné parce qu’on est grand sujet, mais en raison de ses aptitudes pour tel rôle ou telle variation. Et l’on pourrait, en matinée, distribuer aux jeunes qui promettent des rôles dépassant leur emploi ; cela serait un concours permanent qui stimulerait le travail.

Nous souhaitons que la classe de rythmique reprenne sa place dans l’enseignement auxiliaire ; qu’elle se tourne vers les chanteurs et les chœurs qui ont, peut-être, besoin d’elle ; que le professeur de rythmique n’usurpe plus les droits du maître de ballet en montant des œuvres hybrides qui, n’ayant rien à voir avec la danse, ont le don d’exaspérer les musiciens à qui elles paraissent s’adresser ; qu’on abolisse les « emplois de consolation » comme celui de grand sujet de rythmique qui sapent la hiérarchie naturelle et pourraient être envisagés comme certificats d’incapacité.

Tout cela nous ramène vers l’école de danse qui est l’avenir.

Comme aucune juridiction ne trace de limites aux vœux de nouvel an, nous souhaitons à cette école une subvention supplémentaire suffisante pour lui créer un budget indépendant. Dès lors, l’école de danse fournirait à tous les théâtres subventionnés un personnel soigneusement éduqué et tenu de continuer un travail régulier sous le contrôle effectif de l’Académie Nationale. On créerait une classe de perfectionnement pour les étoiles, dirigée par de grands artistes ayant pris leur retraite ou des maîtres étrangers, car il est humainement impossible qu’elles viennent demander des conseils à une collègue, surtout quand cette collègue est une très grande danseuse. C’est pourquoi, d’ailleurs, elles vont chercher autre part ce qu’elles devraient avoir chez elles. On créerait une classe de pantomime au lieu d’avoir recours à des succédanés. On créerait encore une classe d’ensemble, car danseuses et danseurs ne se rencontrent aujourd’hui qu’aux répétitions et en scène ; pour rendre aux adages leur grand style de jadis, danseuse et cavalier doivent longuement travailler ensemble sous l’œil du professeur.

Mais, pour revenir aux réalités palpables, souhaitons à Mlle Zambelli et à M. Aveline de travailler avec le même succès à la formation d’une jeune élite, et à M. Ricaux de poursuivre avec la même intelligence courageuse son dessein de récréer la danse masculine à l’Opéra.

Sur ce, le critique de Comœdia offre une cordiale poignée de main au directeur de la maison de danse et à son vaillant état-major ; il prie également toutes ces dames et tous ces messieurs d’agréer l’expression de son admiration et de sa sympathie pour la troupe qu’il croit destinée à rétablir, dans toute sa gloire, le Ballet français.