(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 28 décembre. Nostalgie d’étoile. »
/ 141
(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 28 décembre. Nostalgie d’étoile. »

28 décembre. Nostalgie d’étoile.

De la surface blafarde et vibrante de l’écran, Antinéa se détache ; son ombre souveraine se condense, se matérialise, descend dans l’espace réel d’une scène de music-hall. Mlle Stacia Napierkowska, dansant à l’Alhambra, me fait songer aux légendes de toutes les mythologies où l’on voit déesses ou Péris quitter leur séjour éthéré pour vivre et souffrir parmi les mortels. Combien je comprends cette star du cinéma qui, lasse de sa gloire intangible, se retourne vers son passé de danseuse pour entendre les applaudissements d’une salle qu’elle voit.

Ce qui fait le charme personnel de sa danse c’est, avec le mystère de ses yeux d’ombre et l’acuité de son profil, surtout la serpentine souplesse du torse et le dessin sinueux des pas. Elle met en valeur les cambrures et les inflexions de son corps par le jeu des tissus pittoresques, châles d’Espagne ou mouchoirs bariolés. Après une danse espagnole qui parcourt le plateau par onduleux méandres, et qui a un caractère local bien vague, Mlle Napierkowska interprète le Moment Musical de Schubert. Pinçant avec coquetterie son tutu léger et bouffant, un peu penchée, elle marche sur les pointes, en fléchissant les jambes comme dans un menuet de jadis, un pas d’une grâce très discrète. Je lui reprocherai pourtant de ne jamais tendre dûment le genou, ce qui cause une impression de malaise. Puis, c’est l’inévitable, l’inusable, l’insupportable danse d’Anitra, cette rengaine orientaliste qui poursuit le critique de scène en scène.

Pourquoi l’horizon musical du danseur est-il si borné ? Certes, la pièce de Grieg a un rythme séduisant et un thème mélodique agréable. Mais qu’une danseuse qui a vu l’Orient tel qu’il est et non l’Orient « comme on le danse », se contente de cette petite chose factice et désuète, j’ai peine à me l’expliquer. Et Schubert ? N’aurait-il pas fait autre chose que ce Moment qu’Isadora interpréta il y a vingt ans ? Et les valses, les impromptus ? D’ailleurs, pour un pas au rythme allègre et marqué par ce joli « staccato » des pointes, pourquoi n’avoir pas directement recours aux suites de Rameau ou de Couperin ? Le domaine de la musique de danse et issue de la danse est si vaste, si peu exploré ! Que de recherches et de trouvailles à faire ! Et cependant on se tient à quelques scies musicales qui aliènent au danseur le public des concerts qui aurait pu devenir le sien.