(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 9 octobre. Madame Joergen-Jensen dans « Coppélia ». »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 9 octobre. Madame Joergen-Jensen dans « Coppélia ». »

9 octobre. Madame Joergen-Jensen dans « Coppélia ».

C’est un bel et utile usage que renouvelle l’Opéra en recueillant de grand cœur les étoiles étrangères. Cet afflux de sang nouveau rajeunit singulièrement jusqu’aux plus vieilles rengaines du répertoire. Et puis, c’est bon signe. Car tant d’hospitalité révèle une belle confiance en soi. Aussi nos Swanilda parisiennes étaient-elles venues offrir à la ballerine danoise salut et fraternité.

Mais si Mme Joergen-Jensen est reçue à son passage à Paris avec le même engouement que naguère sa compatriote Lucile Grahn, cela ne tient pas uniquement à cette belle solidarité internationale qui est une vertu de la confrérie chorégraphique. Entre le ballet de l’Opéra et celui du Théâtre Royal de Copenhague il existe des liens très réels. De même que le Marseillais Marius Petipa avait été le « grand chef » du ballet russe, un autre maître français, Bournonville, venant après Galéotti, fonda la grande tradition danoise. Il créa à Copenhague l’enseignement classique et tira de la légende nationale des ballets d’action — dont celui de la Petite Sirène, d’après Andersen, que j’ai encore pu voir interprété par Mme Price de Plane, mime remarquable. Le ballet danois est ainsi de vraie souche française et nourri, en même temps, de la plus belle sève Scandinave.

Mme Joergen-Jensen a donc interprété Coppélia. Elle est sans aucun doute un fort bon sujet, très sûr de ses moyens. Elle n’a pas, il est vrai, les pointes « italiennes » de Mlle Zambelli qui — et je n’hésite pas à appliquer à notre étoile un mot admirable de Théophile Gautier sur la Fuoco — sont « comme deux flèches d’acier rebondissant sur un pavé de marbre ». De plus, ses arabesques ne sont point assurées par cet équilibre absolu que donnent des jambes posées bien en dehors. Enfin, son « vocabulaire » de temps n’est pas très riche. Mais ses mouvements de danse sont bien liés, désinvoltes, très sensibles à la mesure : ainsi j’ai beaucoup aimé ses jetés en tournant. Elle « dit » la ballade de l’épée en utilisant d’une manière très sensée le langage assez pauvret de la gesticulation conventionnelle, car elle est une traditionaliste convaincue. Mais elle ravive cette scène par son beau regard sombre et par de bien piquants jeux de physionomie.

Somme toute, je préfère le second acte mimé par elle avec un humour charmant et dansé avec un sens très juste du grotesque.

Quant au reste de l’exécution et surtout de la mise en scène, j’ai trop peu à en dire — ou trop, si je m’y mets : cela sera pour une autre fois. Mais ne pourrions-nous pas tirer profit de la visite de la ballerine danoise en nous conformant à la maxime de Bournonville selon qui « la danse théâtrale n’admet pas le travesti ». Je sais parfaitement bien que Saint-Léon a fait exécuter, à la première représentation, le rôle de Franz par Mlle Fiocre, le modèle préféré du sculpteur Carpeaux. Or, les petites moues précieuses et le clic-clac des hauts talons de Franz-travesti sont insupportables. Je ne mets point ici en cause Mlle Valsi qui fait de son mieux. Et qu’on ne vienne pas évoquer la tradition : on n’a pas hésité à couper tout un acte où, cependant, en 1870, la Bozacchi avait triomphé. Si l’on profitait de la 400e qui est proche pour nous faire présent d’un Franz masculin et non plus d’une « garçonne » ?

Mme Joergen-Jensen a été vivement applaudie. Ce sont donc les meilleurs souvenirs de ce terrible Paris qu’elle pourra rapporter dans son admirable capitale où le ballet danse un français si pur, où l’on peut voir la plus belle collection de sculpture française « extra muros », et où les amazones qui galopent au bord de la Lange Linie ont un sourire de fée, naïf et hautain, qu’on ne saurait oublier.