13 juin. Les ballets de Loïe Fuller.
Derechef, les Ballets fantastiques de Loïe Fuller transforment le plateau du Théâtre des Champs-Élysées en cercle magique. Or rien de ce qu’invente Fuller ne saurait être indifférent. Un quart de siècle n’a pu anéantir la fascination de sa « danse serpentine », cette trouvaille qui lui valut la gloire. Si elle a, de l’anglo-saxonne, cet idéal plastique insipide, primaire, ce faux-hellénisme scolaire qui apparente son école à celle d’Isadora (celle-ci, d’ailleurs, lui doit beaucoup), sa personnalité n’en apparaît que plus prestigieuse. C’est une grande imaginative, une créatrice de formes. Les légers tissus qu’elle manie s’incurvent en spirales, en volutes, en trombes ; ils animent et organisent l’espace, créent à la danseuse une ambiance de rêve, suscitent tout un monde infiniment varié d’entités abstraites. L’espace géométrique est aboli ; c’est la lumière qui crée autour de ce volcan de formes, en l’isolant, un espace idéal ; c’est la lumière encore qui, réverbérée par le verre, sature cette envolée frémissante de voiles d’une vie colorée, insaisissable et passionnante. Dans ce tourbillon de draperies — aile, fleur ou pétale gigantesque — la danseuse disparaît. En vérité, cette baguette dont la Fuller allonge son bras et amplifie puissamment l’envergure du mouvement est la baguette d’une vraie magicienne.
Telle j’avais encore revu Loïe Fuller avant la guerre. Ce sont ses élèves qu’elle nous présente aujourd’hui, les mêmes, n’est-ce pas, que nous avons vu gambader, toutes mignonnes, à la Gaîté, sur des musiques de Mozart et de Mendelssohn ? Fuller elle-même reste dans l’ombre. Essaim de papillons géants ou, dans Les gemmes féeriques, une surface unie creusée et bombée par un déferlement de vagues, — les danseuses restant totalement dissimulées derrière le voile énorme, surface chatoyante, incandescente de diamants liquides. Il y a encore le poème du feu où les voiles embrasés par la lumière rouge affectent les formes de la flamme, ou bien cette marche de Tannhauser où l’envolée des amples et légers manteaux suggère une atmosphère d’exaltation et de royale grandeur. Tout ce qui est danse, ou plutôt marche et course rythmée, chez les élèves de Fuller est quelconque. Tout ce qui tient de l’optique est plein d’intérêt. On en rêve l’application au théâtre ; c’est à Loïe Fuller que j’aurais confié (si j’étais roi !) la scène des Sorcières de Macbeth, l’Ariel de la Tempête, la réalisation de l’Or du Rhin ! Je ne lui reproche que quelques défaillances : les Main, le Ballet des Lumières, divertissement banal et symétrique où elle « nous en fait voir de toutes les couleurs », l’abus qu’elle fait de la musique rebattue de Grieg et l’audace singulière qu’elle a de juxtaposer Debussy et Godard.
En revanche, Mme Fuller nous ménageait une surprise : Les Sorcières gigantesques qui ont obtenu un succès d’imprévu très vif.
Les danseuses se profilent sur un écran violemment éclairé. Les ombres qu’elles projettent « doublent » chacun de leurs mouvements sur une échelle plus grande ; parallélisme réjouissant. Plus la danseuse s’éloigne de l’écran, plus son double grandit ; elle fuit vers l’avant-scène et voilà qu’une ombre gigantesque dont la tête touche au cintre la poursuit, enjambe la rampe et se fond dans l’obscurité de la salle. On voit enfin une énorme main d’ombre se saisir du groupe apeuré des danseuses collées contre l’écran et se fermer sur elles. Jamais, je crois bien, depuis le « Guignol » de mon enfance, je ne me suis tellement amusé au théâtre !
Voilà bien la Fuller ! L’ombre sur la scène n’avait jusqu’alors été qu’un élément fortuit et souvent fâcheux, menaçant l’illusion théâtrale laborieusement maintenue. Elle s’en empare, l’apprivoise et en fait une ressource plausible du spectacle.
Il y avait encore des danses de Mlle Anika Yan. J’ai regardé consciencieusement, j’ai lu également les explications fournies par le programme. Ma foi, je n’ai pas été convaincu.