(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre quatrième — Chapitre XII. Règles générales à observer dans les actions de Danse »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre quatrième — Chapitre XII. Règles générales à observer dans les actions de Danse »

Chapitre XII. Règles générales à observer dans les actions de Danse

Toute Représentation théâtrale doit avoir trois parties essentielles.

Par un Dialogue vif, ou par quelque événement adroitement amené, on fait connaître au Spectateur le sujet qu’on va retracer à ses yeux, le caractère, la qualité, les mœurs des personnages qu’on va faire agir : c’est ce qu’on a nommé, l’Exposition.

Des circonstances, des obstacles qui naissent du fond du sujet, l’embrouillent et suspendent la marche, sans l’arrêter. Il se forme une sorte d’embarras dans le jeu des personnages qui intrigue la curiosité du Spectateur, à qui la manière dont on pourra le débrouiller est inconnue : c’est cet embarras qu’on appelle le Nœud.

De cet embarras, on voit successivement sortir des clartés qu’on n’attendait point. Elles développent l’action, et la conduisent par des degrés insensibles à une conclusion ingénieuse : c’est ce qu’on nomme le Dénouement.

Si quelqu’une de ces trois parties est défectueuse, l’action théâtrale est imparfaite. Si elles sont toutes les trois dans les proportions convenables, l’action est complète, et le charme de la représentation infaillible.

La Danse théâtrale, dès lors qu’elle est une représentation, doit donc être formée de ces trois parties qui seules la constituent. Ainsi, elle sera, plus ou moins parfaite, selon que son exposition sera plus ou moins précise, son nœud plus ou moins ingénieux, son dénouement plus ou moins bien amené.

Cette division n’est pas la seule qu’il faut connaître et pratiquer. Un Ouvrage dramatique est composé de cinq Actes, de trois ou d’un seul ; et un Acte est composé de Scènes en dialogue ou en monologue. Or, chaque Acte, chaque Scène doit avoir son exposition, son nœud et son dénouement, tout comme l’action entière dont ils sont les parties.

Il en est ainsi de toute représentation en Danse. Les trois parties dont on parle, sont, le commencement, le milieu et la fin, qui constituent tout ce qui est action.

Sans leur réunion, il n’en est point de parfaite. Le vice ou le défaut de l’une se répand sur les autres. La chaîne est rompue, et le tableau, quelque beauté qu’il ait d’ailleurs, est sans aucun mérite théâtral.

Il y avait donc, dans le pas des Lutteurs des Fêtes Grecques et Romaines que le Public a si constamment applaudi, une faute de composition bien importante, puisqu’il était sans dénouement. Les deux Athlètes, en se défiant exposaient très bien le sujet : leur combat formait le nœud de cette belle action ; mais comment se dénouait-elle ? quelle en était la fin ? lequel des deux combattants était le vainqueur ou le vaincu ?

Je fais cette critique sans craindre de rabaisser le Maître150 des Ballets qui a composé cette Entrée ; on peut relever les distractions des talents supérieurs, sans craindre de les blesser, ni de leur nuire. J’ai choisi d’ailleurs, de propos délibéré, cette action de Danse, que son succès doit avoir gravée dans le souvenir du Public, et dans l’esprit de nos jeunes Danseurs, afin de donner plus de poids, par un exemple frappant, à une règle qui ne saurait être trop scrupuleusement observée.

Outre les lois du Théâtre qui deviennent communes à la Danse, dès qu’elle y est portée, elle y est assujettie encore à des règles particulières qui dérivent des principes primitifs de l’Art.

La Danse doit peindre par les gestes. Il n’est donc rien de ce qui serait rejeté par un Peintre de bon goût, qu’elle puisse admettre ; et par la raison des contraires, tout ce qui serait choisi par ce même Peintre, doit être saisi, distribué, placé dans un Ballet en action.

Voici sur ce point une règle aussi sûre que simple. Il faut que la nature soit en tout le guide de l’Art, et que l’Art cherche en tout à imiter la nature.

Au surplus, c’est toujours au talent seul qu’il appartient de finir dans la pratique ce que les préceptes de la théorie ne peuvent qu’ébaucher.

Copies monotones des froides Copies qui vous ont précédé, sujets communs qui n’êtes qu’un composé mécanique et sans âme de pieds, de jambes, et de bras, je n’ai point écrit pour vous. On peut faire tout ce que vous avez fait, et tout ce que vous pouvez faire, sans avoir besoin de savoir lire. Continuez de vous dessiner d’après des modèles que vous n’atteindrez jamais. Croyez toute votre vie aussi opiniâtrement qu’un Dervis Turc, qu’une pirouette bien soutenue est le chef-d’œuvre de l’Art. Vous remplissez votre vocation ; je vous en loue.

Mais vous que la nature a comblé de ses dons, jeunesse vive et brillante qui êtes l’ornement du Théâtre, l’amour du Public, et l’espoir de l’Art, ouvrez les yeux, et lisez. Apprenez ce que le grand talent peut produire. Saviez-vous que Pylade eût existé ? Vous avait-on parlé de Thymèle et d’Empuse ?

On ne vous a montré jusqu’ici que d’anciennes rubriques, de vieilles routines qui ne sont pas dignes de vous. Un champ plus vaste et moins stérile s’offre aujourd’hui à vos regards. Osez-y suivre la route que le goût vous indique. Écoutez la voix de la gloire qui vous appelle. La carrière est ouverte : courez au but que l’Art vous propose. Considérez le prix inestimable qui vous attend.

Anoblissez vos travaux. Étudiez les passions, connaissez leurs effets, les métamorphoses qu’elles opèrent dans les caractères, les impressions qu’elles font sur les traits, les mouvements extérieurs qu’elles excitent.

Habituez votre âme à sentir, vos gestes seront bientôt d’accord avec elle pour exprimer. Pénétrez-vous alors, jusqu’à l’enthousiasme, du sujet que vous aurez à représenter. [Voir Enthousiasme] Votre imagination échauffée vous en retracera les différentes situations par des tableaux de feu. Dessinez-vous ; dessinez-les, d’après elle : on peut vous répondre d’avance, qu’ils seront une imitation de la belle nature.