(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre troisième — Chapitre VII. Principes Physiques du vice de l’Exécution primitive de l’Opéra Français. »
/ 95
(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre troisième — Chapitre VII. Principes Physiques du vice de l’Exécution primitive de l’Opéra Français. »

Chapitre VII. Principes Physiques du vice de l’Exécution primitive de l’Opéra Français.

En examinant les vues de Quinault, le plan de son Spectacle, les belles combinaisons qui y sont répandues, la connaissance profonde des différents Arts qu’il y a rassemblés, qu’elles supposent dans ce beau génie ; je me suis demandé mille fois, pourquoi au Théâtre, la plus grande partie de ce qu’il m’est démontré que Quinault a voulu faire, semble s’évaporer, se perdre, s’anéantir, et j’ai cru en voir évidemment la cause dans l’exécution primitive.

Mais pourquoi cette exécution a-t-elle été si défectueuse ? Quelle est la source d’où coulaient les vices qui s’y sont répandus ? L’art n’avait rien à gagner dans ma première découverte, sans le secours de cette seconde ; et cette recherche une fois faite avec quelque succès, les remèdes étaient aisés, et les progrès de l’art infaillibles.

Or, je crois apercevoir dans la faiblesse de tous les sujets employés pour l’exécution du plan de Quinault les principes physiques des défauts sans nombre qui l’ont énervée.

La Danse, la Musique instrumentale et vocale, l’art de la décoration, celui des machines, étaient, pour ainsi dire, au berceau ; et le dessein du Poète aurait exigé des exécutants consommés dans tous ces différents genres.

Le plan était en grand, comme le sont tous ceux que forme le génie ; et dans la construction de l’édifice, on crut devoir le resserrer, le rapetisser, le mutiler, si je puis me servir de ces expressions, pour le proportionner à la force des sujets, qui étaient employés à le bâtir, et à l’étendue du terrain sur lequel on allait l’élever. Tout ce peuple d’Artistes, qui ne vit dans Quinault qu’un Poète peu considérable, était encore à cent ans loin de lui pour la connaissance de l’art.

Quinault ne fit qu’une faute qu’une modestie mal entendue lui suggéra, dont ses ennemis se prévalurent, qui a fait méconnaître le genre, et qui en a retardé le progrès beaucoup plus sans doute qu’on ne pourra se le persuader. Il donna le titre de Tragédie à la composition nouvelle qu’il venait de créer. Boileau, Racine, et les autres Juges134 de la Littérature Française y cherchèrent dès lors les différents traits de physionomie du Poème qu’on nommait communément Tragédie, et ils l’apprécièrent à proportion du plus ou du moins de ressemblance qu’ils lui trouvèrent avec ce genre déjà établi.

Par cette fausse dénomination Quinault les aida lui-même à se bien convaincre, que sa composition n’était rien moins qu’un genre tout à fait nouveau. Ils ne virent dans Thésée même qu’une Tragédie manquée ; ils le dirent et le publièrent ; les Échos du Parnasse et du monde le répétèrent après eux. De là Paris, la Littérature, les Provinces, les Étrangers se formèrent une idée fausse du genre, qui s’est conservée jusqu’à nos jours, et que je ne me flatte pas de pouvoir détruire. Ce danger était prévenu, si, à la place de ce titre, Quinault avait mis à la tête de ses Poèmes Lyriques, Cadmus, Thésée, Atys Opéra. Ce seul mot aurait donné à Boileau l’idée d’un genre, et cette idée une fois aperçue, sa sagacité et le désir qu’il avait d’être juste, auraient fait le reste. Racine d’autre part tout à fait indifférent sur les succès heureux ou malheureux de Quinault, n’aurait plus vu des Tragédies autres que les siennes occuper Paris. Il aurait applaudi sans peine Armide Opéra. Il était peut-être impossible qu’il ne fût pas révolté contre Armide Tragédie.