(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre deuxième — Chapitre I. Des Ballets Ambulatoires »
/ 99
(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Seconde partie — Livre deuxième — Chapitre I. Des Ballets Ambulatoires »

Chapitre I. Des Ballets Ambulatoires

Ce n’est pas seulement au Théâtre, que la Danse a formé le fond d’un grand Spectacle. Des Fêtes consacrées par la piété, autorisées par l’usage, et rendues augustes par le motif qui les fait célébrer l’ont fait employer encore de la manière la plus solennelle dans des occasions particulières.

Les Portugais imaginèrent autrefois, et ont depuis mis souvent en pratique des Ballets Ambulatoires, dont l’appareil, la pompe, la magnificence ne le cèdent en rien aux Spectacles que nous venons de décrire. La première idée leur en est venue des Tyrrhéniens ; et l’Antiquité a donné à ce genre le nom de pompe Tyrrhénique88.

La mer, le rivage, les rues, les places publiques, sont les Théâtres sur lesquels on fait voir successivement ces représentations. Je crois qu’on ne fera pas fâché d’en trouver ici une description exacte, et je vais, pour cette raison, en rapporter deux des plus célèbres.

On donna l’un de ces Ballets Ambulatoires à l’occasion de la Canonisation du Cardinal Charles Borromée, qui sous le pontificat de Pie IV avait été Protecteur du Portugal89.

A trois mille du Port de Lisbonne, sur le pont d’un gros vaisseau orné de voiles de différentes couleurs, de banderoles, de cordages de soie, on avait élevé un superbe baldaquin d’étoffe d’or, sous lequel on avait placé l’image du Cardinal Protecteur.

On supposait, qu’il venait, pour la seconde fois, prendre la protection du Royaume. Ainsi tous les vaisseaux du port magnifiquement appareillés vinrent jusqu’à cet endroit à sa rencontre, lui rendirent les honneurs de la mer, et toute cette Flotte vogua ensuite en bon ordre jusqu’à la rade de Lisbonne, où elle entra au bruit de toute l’artillerie de la Ville.

Les Châsses de saint Vincent, et de saint Antoine de Padoue90 furent portées en pompe jusqu’au Port. On feignait que ces deux principaux Patrons du Portugal allaient en recevoir le Protecteur.

Les Châsses de ces deux saints portées par les Grands de l’État, étaient suivies de tous les corps Ecclésiastiques, qui au moment du débarquement reçurent l’image de Charles, avec les transports de la plus vive joie, et au bruit du Canon de la Ville et des Vaisseaux.

L’Image fut placée tout de fuite sur un riche brancard et entourée, en des positions subalternes, de toutes les Images des autres Saints particulièrement honorés en Portugal : elles étaient toutes portées sur des brancards dorés, ornés de festons, de banderoles, et de beaucoup de pierreries.

La Marche alors commença : elle fut composée des différents corps Religieux, des Ecclésiastiques, de toute la Noblesse et d’une foule innombrable de Peuple.

Quatre Chars d’une grandeur extraordinaire étaient distribués entre tous ces différents États. Le premier représentait le Palais de la Renommée ; le second, la ville de Milan ; le troisième, le Portugal ; le quatrième, l’Église.

Autour de chacune de ces machines roulantes, des troupes de Danseurs exécutaient au son des plus éclatantes Symphonies, les actions célèbres du Saint, et ceux qui étaient autour du Char de la Renommée semblaient par leurs attitudes aller les apprendre à tous les Peuples du monde.

Cette pompe passa du Port dans la Ville, sous plusieurs arcs de triomphe. Les rues étaient parées de Tapisseries les plus riches ; la terre était jonchée de Fleurs. Sur des Théâtres élevés en plusieurs quartiers de la Ville, on voyait exécuter des Danses vives sur des Symphonies qui exprimaient l’allégresse publique : dans tous les détours des rues, une foule d’Instruments de toutes les espèces étaient répandus sur des échafauds.

On étala dans cette Fête, des richesses immenses. L’image seule du nouveau Saint fut enrichie de plus d’un million de pierreries. [Voir Fête (Beaux-Arts)]

La Béatification d’Ignace de Loyola donna lieu au second Ballet de ce genre, qu’on se propose de rapporter.

« Le 31 Janvier (1610) après l’Office solennel du matin et du soir, sur les quatre heures après midi, deux cents Arquebusiers se rendirent à la porte de Notre-Dame de Lorette, où ils trouvèrent une machine de bois d’une grandeur énorme qui représentait le cheval de Troie.

Ce Cheval commença dès lors à se mouvoir par de secrets ressorts, tandis qu’autour de ce Cheval se représentaient en Ballets les principaux événements de la guerre de Troie.

Ces représentations durèrent deux bonnes heures, après quoi on arriva à la place Saint-Roch où est la Maison Professe des Jésuites.

Une partie de cette Place représentait la ville de Troie avec ses tours et ses murailles. Aux approches du Cheval, une partie des murailles tomba. Les soldats Grecs sortirent de cette machine, et les Troyens de leur Ville, armés et couverts de feux d’artifice avec lesquels ils firent un combat merveilleux.

Le Cheval jetait des feux contre la Ville ; la Ville contre le Cheval ; et l’un de plus beaux spectacles fut la décharge de dix-huit Arbres tous chargés de semblables feux.

Le lendemain, d’abord après le dîner, parurent sur Mer au quartier de Pampuglia, quatre Brigantins richement parés, peints et dorés, avec quantité de banderoles et de grands chœurs de musique. Quatre Ambassadeurs, au nom des quatre Parties du Monde, ayant appris la Béatification d’Ignace de Loyola, pour reconnaître les bienfaits que toutes les Parties du Monde avaient reçus de lui, venaient lui faire hommage, et lui offrir des présents, avec les respects des Royaumes et des Provinces de chacune de ces Parties.

Toutes les Galères et les Vaisseaux du Port saluèrent ces Brigantins. Étant arrivés à la place de la Marine, les Ambassadeurs descendirent, et montèrent en même temps sur des Chars superbement ornés, et, accompagnés de trois cents Cavaliers, s’avancèrent vers le Collège, précédés de plusieurs Trompettes.

Après quoi des Peuples de diverses Nations, vêtus à la manière de leurs Pays, faisaient un ballet très agréable, composant quatre Troupes ou Quadrilles, pour les quatre Parties du Monde.

Les Royaumes et les Provinces, représentés par autant de Génies marchaient, avec ces Nations ; et les Peuples différents, devant les Chars des Ambassadeurs de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique, et de l’Amérique, dont chacun était escorté de soixante-dix Cavaliers.

La Troupe de l’Amérique était la première, et entre ses danses elle en avait une plaisante de jeunes Enfants déguisés en Singes, en Guenons, et en Perroquets. Devant le Char étaient douze Nains montés sur des Haquenées : le Char était tiré par un Dragon.

La diversité et la richesse des habits ne faisaient pas le moindre ornement du ballet et de cette Fête, quelques-uns ayant pour plus de deux cent mille écus de pierreries. » [Voir Fête (Beaux-Arts)]