(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre quatrième — Chapitre VII. Influence constante du bon ou du mauvais Gouvernement sur les Arts. »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre quatrième — Chapitre VII. Influence constante du bon ou du mauvais Gouvernement sur les Arts. »

Chapitre VII. Influence constante du bon ou du mauvais Gouvernement sur les Arts.

Sous l’Empire de Constance, on chassa de Rome tous les Philosophes sur le prétexte d’une disette prochaine, et on y conserva77 trois mille Danseurs, dont le plus grand nombre était mauvais, et dont aucun n’avait une supériorité éminente sur les autres.

Il est aisé de conclure d’un trait aussi caractéristique de ce siècle, que les connaissances, l’esprit et le goût y étaient totalement affaiblis, que la science du gouvernement n’y était plus connue, que la Danse elle-même si répandue et si chérie y était devenue un spectacle d’habitude et sans choix, et la Philosophie un vain amas de sophismes inexplicables et sans vertu.

Dans un siècle où on aurait pensé, la prévoyance du Gouvernement aurait su prévenir la disette, rendre les leçons des Philosophes profitables, et faire servir les Représentations même du Théâtre à la correction et à l’amusement des Citoyens ; mais la corruption des mœurs, l’avilissement des arts, et l’affaiblissement de l’esprit sont trois fléaux de l’humanité qui ne vont jamais les uns sans les autres.

Tout courut ainsi vers un dépérissement sensible, depuis le règne d’Auguste. La chute des beaux-arts ne fut quelquefois suspendue, que pour devenir ensuite plus rapide.

Antonin, et quelques autres Empereurs luttèrent en vain contre l’impulsion que la mauvaise administration de leurs Prédécesseurs avaient donnée à la machine générale. Les grands coups étaient portés. Elle s’écroulait et ne pouvait plus se rétablir, que par une révolution qu’un miracle seul pouvait amener. Le miracle n’arriva pas, et les arts furent anéantis avec l’Empire.

On a vu ailleurs que Domitien répudia sa Femme, fit assassiner Pâris qui l’avait déshonorée, et chassa de Rome tous les Pantomimes, qu’il punissait ainsi de la faute d’un seul. Faustine fit à Marc-Antonin, qu’elle avait placé sur le trône, une pareille injure. Il la sut le dernier ; mais il la sut, la souffrit avec fermeté, ne fit tuer personne, tourna ses vues du côté de l’art, réforma, autant qu’il était en son pouvoir, les abus qui avaient infecté le Théâtre, restreignit à certains jours de la semaine, les représentations dont la continuité était préjudiciable au commerce, prescrivit des bornes à la licence, et décerna des prix aux talents.

Cet Empereur qui connaissait le prix des beaux-arts, les aurait sans doute sauvés de leur chute prochaine, si de son temps le mal n’avoir pas été déjà sans remède. On peut juger de la prudence avec laquelle il dirigeait les rênes de l’Empire, par la sagesse qu’il sut opposer aux dérèglements de sa femme. Ses Amis (car Marc-Antonin quoique sur le trône, mérita d’en avoir), lui conseillaient un jour de suivre l’exemple de Domitien dont il éprouvait le sort, et de répudier l’inconstante Faustine. Mais si je la répudie, leur dit l’Empereur, ne dois-je pas lui rendre la dot ?78 Ce flegme parut alors le dernier effort de la sagesse humaine.

Il causerait moins d’admiration de nos jours. Si nous sommes moins bons Danseurs, nous sommes meilleurs Philosophes.