(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre troisième — Chapitre I. Naissance du Théâtre »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre troisième — Chapitre I. Naissance du Théâtre »

Chapitre I. Naissance du Théâtre

Soit que le hasard ou le goût, ait guidé les Anciens dans l’arrangement de leurs plaisirs, et dans l’ordonnance de leurs Fêtes, on a pu remarquer, que leurs Danses eurent toutes un caractère très distinct les unes des autres. Les symphonies, les habits, la composition entière répondaient toujours à la Fête qu’on célébrait, à l’événement, à la circonstance qui en était l’occasion. La Danse était déjà un Art régulier parmi eux, dans le temps même que toutes les belles inventions des hommes étaient encore confondues dans le chaos de la barbarie.

On peut juger, par cette seule réflexion, du point éminent auquel les Grecs portèrent, dans les suites, cet Art qu’ils connurent sitôt et qu’ils cultivèrent si vite, eux qui du barbouillage et des tréteaux informes de Thespis formèrent avec tant de rapidité ce théâtre sublime, qui a servi depuis de modèle aux Corneilles, aux Molières aux Quinaults49.

Dès que la flamme du Génie eut fait briller à leur esprit l’idée d’un théâtre, toutes les idées subséquentes s’offrirent en foule à leur imagination, et ils les développèrent avec cette facilité précieuse qui est toujours la marque du grand talent.

Comme la représentation, et par conséquent l’imitation fut leur objet principal, il était naturel, que ces hommes extraordinaires, que la tradition avait agrandis dans leur mémoire, se présentassent les premiers à leur esprit, comme les sujets les plus propres à faire le fond des tableaux animés, qu’ils se proposaient de peindre.

Le sujet trouvé, la manière de la traiter en devenait une suite nécessaire. Le jeu des passions, les formes variées qu’elles prennent, suivant les caractères qu’elles subjuguent ou qui les maîtrisent, les événements terribles qu’elles amènent furent pour les inventeurs, comme autant d’études qui les guidèrent dans le premier dessein, et les figures une fois décidées, elles vinrent se placer d’elles-mêmes dans la composition générale. Telle fut, sans doute, l’opération simple, mais sublime, qui donna la naissance à la Tragédie.

Les Mœurs ordinaires des contemporains, que la pénétration, la gaieté, et la vivacité grecque, saisissaient toujours du côté ridicule ; l’esprit épigrammatique si naturel aux Athéniens, la liberté de leur gouvernement, l’influence que chacun des Citoyens avait dans les affaires publiques, le moyen facile dans des représentations imitatives, de peindre, avec les couleurs les plus défavorables, des Rivaux qu’on avait toujours un intérêt éloigné ou prochain de dégrader ; tous ces objets saisis vivement par des Esprits susceptibles de la plus grande chaleur, produisirent en peu de temps la Comédie. Il ne fut question que d’imaginer une action ordinaire prise dans les mœurs, pour lier ensemble le jeu des personnages qu’on avait à faire mouvoir ; et l’on sait avec quelle promptitude la malignité humaine imagine.

Ces deux grands tableaux de genre différent, offerts dans leur jour aux regards des Athéniens, leur en rappelèrent un troisième qui devait nécessairement augmenter le charme du Spectacle. La Danse qu’on employait partout, ne manquait qu’au théâtre ; et elle y fut bientôt portée avec le caractère d’imitation qu’elle avait toujours eu, auquel on ajouta celui, de représentation qui était propre au local, où on venait de l’introduire.

On ne s’en servit d’abord, que pour suspendre l’action principale, en la continuant. Elle représentait une action étrangère à la Pièce, sur des Chants qui lui étaient relatifs. Tels furent les Chœurs qu’on fit servir d’intermèdes. Les vers qu’ils chantaient avaient un rapport prochain avec la Tragédie, et les figures qu’ils formaient par leur Danse, retraçaient la marche et le cours des Astres, l’ordre et l’harmonie de leurs mouvements.

La première saillie des Grecs, sur ce point, fut, on l’avoue, une bévue ; mais quelle faute glorieuse ! le Génie seul était capable d’un pareil écart.

Observons cependant, que la Danse du théâtre, dès sa naissance, fut la peinture d’une action. Les grâces du corps, la souplesse des bras, l’agilité des pieds, ne furent dès lors, pour le Danseur, que ce que sont pour le peintre les différentes couleurs qu’il emploie ; c’est-à-dire, la matière première du tableau.

La Danse a conservé le caractère de son établissement chez les Grecs et chez les Romains. Elle a dégénéré dans les siècles suivants, et après avoir été anéantie, ainsi que tous les Arts, elle n’a reparu à sa renaissance que faible et languissante. Devenue en France une partie essentielle d’un nouveau spectacle, que les Romains auraient jugé digne de leur magnificence ; et qui aurait flatté le goût délicat des Grecs, il est inconcevable que ses progrès aient été si lents. C’est un enfant de quatre-vingts ans qui bégaye encore. [Voir Ballet]