Chapitre XII. Des Danses des Lacédémoniens
Un Étranger que le hasard eût conduit à Lacédémone, sans avoir été prévenu d’avance de la sévérité de mœurs qui y régnait, aurait cru, dès l’abord, se trouver au milieu d’un Peuple frivole uniquement occupé du plaisir.
Sur des Chœurs de Musique entretenus des fonds publics, on voyait un jour les hommes déjà faits41 former des Danses légères. Ils étaient nus, et celui qui conduisait la Danse, était couronné de palmes. De jeunes enfants les suivaient : ils imitaient leurs pas, répétaient leurs mouvements, se modelaient sur leurs attitudes. Ces deux troupes se réunissaient dans les places publiques, pour chanter en chœur des Hymnes en l’honneur d’Apollon. Tout le Peuple répondait à leurs Chants, et applaudissait à leurs Danses.
Un autre jour les Vieillards42 rassemblés au son des Instruments champêtres représentaient par des figures expressives, des pas graves, des mouvements de caractère, la simplicité, la sagesse, le bonheur du siècle de Saturne. Cette image touchante se gravait dans les cœurs : elle était une nouvelle leçon de vertu pour des Peuples qui ne vivaient que pour elle43.
Quelquefois toute la jeunesse réunie paraissait dans les rues sans autre ornement que les belles proportions dont elle était redevable à la nature. Un jeune homme leste, vigoureux et d’une contenance fière était à la tête de tous les autres. Il les animait du geste et de la voix : alors la symphonie se faisait entendre et la danse commençait. C’était une espèce de branle44 que ces jeunes Spartiates exécutaient vivement avec des pas légers, des mouvements rapides et des figures variées qui exigeaient la plus grande prestesse et beaucoup de vigueur.
Toutes les jeunes filles de Sparte, parées de leur propre beauté et sans autre voile que leur pudeur, venaient immédiatement après eux avec des pas lents, et une contenance modeste.
Les premiers se retournaient aux temps marqués : ils pénétraient dans la troupe des jeunes danseuses ; et ils s’unissaient tous par de mutuels entrelacements de bras, en conservant toujours, les uns, la vivacité, les autres la lenteur de leur premier mouvement45. C’est de cette manière ingénieuse et noble qu’ils représentaient l’union qui doit régner entre la force et la tempérance.
Si l’on entrait dans les Temples, on n’y entendait que des Chants, on n’y voyait que des Danses : ce culte journalier devenait encore plus éclatant dans les Fêtes solennelles.
Celles de Diane, avant la réforme de Lycurgue46, avaient été la source des plus grands malheurs. Hélène, la plus belle et la plus dangereuse de toutes les femmes de la terre, fut enlevée d’abord par Thésée, et ensuite par Pâris, qui l’avaient vue l’un et l’autre étaler ses charmes dans les Danses de deux de ces Fêtes.
Les soins de Lycurgue changèrent cette Institution. Elle devint la Solennité des Lacédémoniens la plus auguste et la plus pure. Toutes les jeunes filles se rassemblaient autour des Autels de Diane pour y exécuter la danse de l’innocence. Leurs pas, leurs regards, leurs mouvements étaient si modestes, si remplis d’agréments et de décence, qu’elles ne faisaient jamais naître l’amour, sans inspirer un nouveau goût pour la vertu. « Toutes les Danses des Lacédémoniens, dit Plutarque, avaient, je ne sais quel aiguillon qui enflammait le courage, et qui excitait dans l’âme des Spectateurs un propos délibéré, et une ardente volonté de faire quelque belle chose47. »
Telle est dans un État la force de l’éducation établie sur de bons principes, lorsqu’elle est générale, et que des exemples contagieux n’en dérangent point les effets48.
Parcourez la forêt la plus belle, voyez que de troncs difformes, que de tiges faibles, languissantes, inutiles, et reconnaissez l’insuffisance de la Nature.
Entrez dans ces jardins plantés, et cultivés par des mains habiles. Ces arbres vous paraissent tous d’une égale beauté. Chacun de leurs rameaux s’élève vers le ciel : il n’en est point qui rampe sur la terre. Admirez le pouvoir, les fruits, les miracles d’une bonne culture.