(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre X. Vues des Philosophes : objet des Législateurs relativement à la Danse. »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre X. Vues des Philosophes : objet des Législateurs relativement à la Danse. »

Chapitre X. Vues des Philosophes : objet des Législateurs relativement à la Danse.

Les hommes communs ne considèrent dans les plaisirs que le plaisir même. Ils sentent, et toutes les puissances de leur âme réduites presque à l’instinct, ne sont occupées qu’à sentir. La Nature semble avoir chargé de penser pour eux certains êtres privilégiés qu’elle produit quelquefois pour sa propre gloire, et pour le bonheur du reste de l’humanité.

Ces hommes supérieurs à l’espèce ordinaire, examinent, comparent, approfondissent. L’examen qu’ils ajoutent à la jouissance, leur rend le plaisir plus piquant et la réflexion leur suggère les moyens de le multiplier et de le rendre utile.

C’est ainsi que les Sages des premiers temps, aperçurent dans la Danse un exercice avantageux pour le corps, un délassement honnête pour l’esprit, et un préservatif efficace contre les maladies de l’âme.

Lorsque le corps se meut, l’esprit se repose. Les figures, les pas, les mouvements de la Danse amusent également et le Danseur qui les exécute, et le Spectateur qui suit des yeux le tableau vivant dont il est frappé. Cette distraction est une espèce de relâche, qui ménage à l’âme de nouvelles forces pour agir.

Mais lorsque l’âme agit, surtout au printemps de l’âge, que de passions contraires l’embarrassent, que d’ennemis domestiques l’assiègent ! combien de Tyrans qui cherchent à l’asservir ?

La jeunesse emportée par un sang animé, des sens neufs, des esprits de feu, a besoin d’un exercice violent, qui réglé par la justesse de l’harmonie, accoutume ses saillies à une sorte de mesure. C’est le poison le plus subtil que la Nature souffle au-dedans : une commotion vive en arrête le progrès, détourne sa malignité et la pousse au-dehors, comme le venin de la Tarentule.

La crainte flétrit le cœur, la mélancolie obscurcit l’esprit, et l’âme est emportée loin d’elle-même par la colère et par la joie.

Un exercice qui rend le corps plus souple, plus vigoureux, plus léger, porte dans le cœur une confiance fière qui le ranime, et dans l’esprit une vivacité aimable qui l’éclaire ; des agitations mesurées dont la machine est souvent occupée, sont pour elle, comme une huile salutaire qui en adoucit les ressorts. L’habitude se rend ainsi maîtresse d’une manière insensible de l’impétuosité de la colère, et des transports rapides de la joie.

« L’homme, dit un ancien philosophe, a un sens capable d’ordre et de désordre, qui lui est particulier, et que les autres animaux n’ont pas. Don précieux, faveur singulière des Dieux ! c’est par ce sens qu’ils nous meuvent avec une délicatesse de plaisir qui nous ajuste à leurs desseins, et qui nous attire doucement, en secondant l’impulsion qu’ils nous ont donnée. » Voilà le système de l’attraction adapté au moral, longtemps avant que Newton ne l’eût appliqué au Physique.

Ce sens, si l’on en croit Platon, produit l’harmonie de tous les mouvements de l’âme et du corps que la Danse sert à entretenir. « Lorsque (dit il poétiquement), la raison répète à la mémoire les concerts que cette harmonie a formés, toutes les puissances de l’âme se réveillent ; et il se forme une Danse juste et mesurée entre tous ces divers mouvements. »

On dirait que ce philosophe ne nous considère que comme des espèces de clavecins bien accordés, sur lesquels des mains exercées touchent les airs différents, qu’un caprice heureux leur suggère.

Le grand Art des législateurs est de savoir profiter des découvertes des Sages. Ce fut celui de Lycurgue ; et voilà le principe secret de quelques-unes de ses Lois, que faute d’attention on trouve quelquefois bizarres, et qui firent cependant, du peuple le plus pauvre du monde, le Peuple le plus redoutable et le plus heureux.