Chapitre IV. De quelques Danses des Grecs
Dans les mariages des Athéniens, une troupe légère vêtue d’étoffes fines et de couleurs riantes, la tête couronnée de Myrtes, et le sein paré de fleurs, paraissait au milieu du festin sur des symphonies tendres. Peu à peu les mouvements devenaient plus rapides : des pas pressés, des figures animées, peignaient aux yeux des Convives la joie aimable d’une noce. Cette Danse qu’on avait nommée la Danse de l’Hymen , est une de celles qui, au rapport d’Homère, étaient gravées avec tant d’art sur le bouclier d’Achille.
Elle était comme le dénouement d’une action plus compliquée qu’on retraçait tous les ans dans les Fêtes Hyménées, qu’un trait héroïque d’amour avait fait instituer.
Un jeune homme d’Athènes d’une extrême beauté ; mais d’une origine fort obscure, devint éperdument amoureux d’une jeune fille dont la naissance était infiniment au-dessus de la sienne.
Cette inégalité le força à cacher sa passion, sans lui inspirer la résolution de la vaincre. Il se tut ; mais il suivit partout l’objet de sa tendresse, sans chercher d’autre plaisir que celui de le voir, et sans espérer même la douceur d’en être aperçu.
Un jour que les jeunes filles d’Athènes les plus illustres devaient célébrer sur les bords de la Mer la fête de Cérès, de laquelle les Lois avaient exclu tous les hommes, le jeune Hymen, (car c’est ainsi qu’il se nommait) instruit que sa Maîtresse devait en être, se travestit à la hâte, et courut se joindre à la troupe dévote qui sortait de la Ville.
Il était dans cet âge aimable où un garçon fort beau, à l’aide d’un habit emprunté peut aisément passer pour une belle fille. Quoiqu’inconnu, son air modeste, ses traits animés, et peut-être l’air tendre que lui donnait l’amour, le firent recevoir sans examen et sans obstacle.
La Fête commence. Un saint zèle dicte les Chants, et anime la Danse. Toute la troupe est déjà remplie d’une joie pure… Tout-à-coup des Corsaires paraissent, fondent sur cette jeunesse effrayée, l’enchaînent, l’entraînent sur leur vaisseau, forcent de voiles et arrivent rapidement sur un bord qui leur était connu et où ils se croyaient en sûreté. Là ils débarquent leur proie, se livrent sans ménagement à tous les excès de la bonne chère, et s’endorment enfin noyés de vin et accablés de lassitude.
Alors le jeune Hymen propose à ses Compagnes d’égorger leurs Ravisseurs. Elles frémissent : ils les rassure. Il parle, il presse, il persuade. Il saisit une épée ; ses jeunes compagnes s’arment à son exemple : il donne le signal. Chaque bras est levé et en même temps et frappe en même temps. Tous les Corsaires sont immolés et les Athéniens sont libres.
Mais comment et par où sortir de ce lieu inconnu ? Hymen, sans se découvrir, offre de partir pour Athènes, se flatte d’en démêler la route, et promet de hâter son retour.
On répond à ses offres par mille cris de reconnaissance et de joie. Lui, cependant court au vaisseau, l’examine, en retire les provisions, en détache les cordages et les voiles. On l’aide dans ce travail et il en trace un nouveau.
Il rapproche à force les branches de quelques arbres qu’il voit dans les terres, il y attache les voiles du vaisseau, et forme ainsi pour ses compagnes un asile éloigné du rivage et à l’abri des flots de la mer. Il part ensuite après avoir pourvu aux besoins et à la sûreté de ce qu’il aime.
L’Amour à qui il devait le courage qu’il venait de faire éclater, lui donna les nouvelles forces qui lui étaient nécessaires pour faire son voyage, et les lumières dont il avait besoin pour ne pas s’égarer. Il marche sans s’arrêter et il arrive.
La ville d’Athènes était plongée dans la consternation la plus profonde. Les Temples, les Rues, les Places publiques, les Maisons des Particuliers ne retentissaient que de gémissements. Chaque Citoyen pleurait une fille, une sœur, une amante.
On entend alors une jeune fille qui s’écrie : Athéniens, accourez tous : venez, écoutez-moi. Je viens vous rendre ces filles chéries que vous pleurez. Elles vivent. Vous les reverrez. J’en atteste les Dieux qui vous les ont conservées. J’en jure par l’Amour qui m’a inspiré assez de courage pour les sauver.
À ces mots le Peuple accourt. Les gémissements sont suspendus : un mouvement confus d’espérance et de joie, succède à la tristesse. On entoure en tumulte le jeune Hymen.
Il demande du silence. Toutes les bouches se ferment, et tous les yeux se fixent sur lui. Il raconte alors son aventure avec cette vivacité, cette noblesse, cette confiance que donne la passion dont il est animé, et le sentiment d’une belle action. Il voit tour à tour dans les regards de cette foule de peuple qui l’écoute, la surprise, l’admiration et la joie. Il profite de ce moment. Il se découvre, se nomme, et demande pour récompense la jeune Athénienne qu’il aime.
Un applaudissement universel lui répond du consentement de ses Concitoyens. Il part : on le suit : on ramène ses compagnes : un Mariage solennel le rend le plus heureux de tous les maris, et l’aimable Athénienne qui l’épouse, est dans les suites la plus fortunée de toutes les Athéniennes.
Cet événement extraordinaire, et des nœuds si bien assortis, restèrent profondément gravés dans le souvenir des Athéniens. Ils firent du jeune Hymen un Dieu, qu’ils invoquèrent dans leurs Mariages. Les Poètes, qui étaient les seuls Généalogistes de ces temps reculés, lui eurent bientôt trouvé une origine illustre ; et les Magistrats pour exciter la vertu par des exemples, instituèrent les Fêtes hyménées, dans lesquelles on retraçait tous les ans l’histoire qu’on vient de rapporter. Les Danses particulières de l’Hymen, qu’on exécutait dans les mariages, étaient à peu près les mêmes que celles qui terminaient cette Fête solennelle.
On ne doit point les confondre avec celles qu’on imagina dans les suites pour peindre la volupté. Les Grecs la connaissaient, étaient dignes de la sentir et ils la portèrent aussi loin qu’aucun Peuple délicat de la terre ; mais ils ne furent pas longtemps sans la confondre avec la licence dans les Danses qu’ils nommèrent lascives. Leur nom désigne assez quel était leur emploi, les figures vives dont elles étaient composées, les airs expressifs sur lesquels on les exécutait. [Voir Danses lascives]
Je tire le rideau sur ces objets indécents. L’honnête est inséparable de l’utile.