(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre II. Des Danses des Anciens dans les Fêtes publiques »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre II. Des Danses des Anciens dans les Fêtes publiques »

Chapitre II. Des Danses des Anciens dans les Fêtes publiques

Toutes les actions publiques des Anciens avaient quelque Analogie avec leurs superstitions. Leurs premières Fêtes n’eurent pour objet que leurs Dieux, et les Danses qu’ils formèrent pour les honorer, eurent toutes par conséquent quelque rapport aux fonctions qu’ils leur avaient attribuées, aux maux qu’ils en craignaient, ou aux faveurs qu’ils espéraient en recevoir.

Toutes ces Danses tiennent par leur origine à la danse sacrée ; mais après la simplicité des premiers temps, lorsque l’Empire tyrannique des passions eut détruit le règne paisible de l’innocence, dans la dépravation générale des mœurs, toutes ces danses ne tinrent plus par leur exécution, qu’au plaisir.

À mesure d’ailleurs que la Danse devint un Art, et qu’on la cultiva comme un exercice, le charme qui en résultait pour les Exécutants et pour les Spectateurs, redoubla la passion qu’on avoir déjà pour ce genre d’amusement.

Le nombre des Danses se multiplia34, le goût leur assigna leurs divers caractères, la Musique si expressive chez les Grecs, suivit les idées primitives dans les airs qu’elle composa, et chacune des Fêtes qu’on célébrait, devint un spectacle animé, dont tous les Citoyens étaient Acteurs et Spectateurs tour à tour.

Ce ne furent plus les seuls Prêtres du Conquérant de l’Inde qui célébrèrent les Orgies. On voyait au commencement de l’Automne la jeunesse Grecque couronnée de Pampres et de Lierre, former des pas mesurés au son des fifres et des tambours ; elle ne respirait dans ses Chants, dans ses mouvements, dans ses attitudes que la liberté, le plaisir et la joie : ses danses étaient l’image vive de la gaieté, des transports de Bacchus.

Au retour du printemps, dans toute l’Attique, à Sparte, dans l’Arcadie, les jeunes garçons et les jeunes filles une couronne de chêne et de roses sur la tête, le sein paré de fleurs nouvelles, et vêtus à la légère35 couraient dans les bois en formant des Danses pastorales. C’était l’innocence des premiers temps qu’ils peignaient dans leurs pas. Ils jouissaient des plaisirs de l’âge d’or, qu’ils faisaient renaître.

Dans le temps de la Moisson, de nouveaux amusements célébraient les douceurs de l’abondance ; et lorsque les rigueurs de l’Hiver ramenaient les Peuples dans leurs foyers, pour y jouir des bienfaits des autres Saisons, les Danses des Festins leur fournissaient de nouveaux sujets de joie.

On faisait remonter en Grèce l’origine de ces Danses au retour de Bacchus de sa conquête des Indes. Quelques auteurs l’attribuent à Terpsichore, et quelques autres à Comus36. [Voir Cordace, Cycinnis, Danse des Lapithes, Emmelie]

À Rome et dans toute l’Italie, le premier jour du mois de Mai, la jeunesse sortait par troupes au lever de l’Aurore. Au son des instruments champêtres, elle allait en dansant cueillir des rameaux verts, qu’elle rapportait dans la Ville de la même manière. Toutes les portes des maisons en étaient bientôt ornées. Les Pères, les Mères, les Parents, les Amis, attendaient toutes ces troupes différentes dans les rues, où on avait soin de tenir des tables proprement servies pour leur retour.

Pendant ce jour les travaux étaient suspendus. Après le festin, les concerts de Musique et les Danses recommençaient, on ne songeait qu’au plaisir. Le Peuple, les Magistrats, la Noblesse confondus et réunis par la joie générale, semblaient ne composer qu’une même famille. Ils étaient tous parés de rameaux naissants. Se montrer sans cette marque distinctive de la Fête, aurait paru une sorte d’infamie : les Sénateurs mettaient une espèce d’honneur à en avoir les premiers.

Cette Fête commencée dès l’Aurore et continuée tout le jour, fut par la succession des temps poussée bien avant dans la nuit. Les Danses, qui étaient d’abord qu’une expression ingénue de la joie que causait le retour du Printemps, dégénérèrent bientôt en des images plus libres, et de ce premier pas vers la corruption, elles se précipitèrent avec rapidité dans la plus effrénée licence. Rome, toute l’Italie furent plongées dans la plus honteuse dissolution. Tibère lui-même en rougit, et il fit rendre un Décret pour abolir cette Fête, mais les racines de la corruption étaient déjà trop profondes. Après les premiers moments de la promulgation de la Loi, la Fête et les Danses du premier jour de Mai furent renouvelées, et elles se répandirent dans presque toute l’Europe.

Ces grands arbres au haut desquels on attache des Écussons entourés de guirlandes de fleurs, et que dans plusieurs villes de France on plante le premier jour de Mai, au-devant des maisons des Gens en Place, sont un reste de cette ancienne Fête. Ce n’est pas la seule occasion où l’orgueil a usurpé les droits du plaisir.