Chapitre IX. De la Danse sacrée des Grecs et des Romains
Au temps où les Grecs étaient plongés dans la plus stupide ignorance, Orphée qui avait parcouru l’Égypte, et qui s’y était fait initier aux mystères d’Isis, sema, à son retour dans sa patrie, ses connaissances et ses erreurs.
Jamais terroir ne fut plus fertile. Bientôt la Grèce surpassa l’Égypte par la magnificence de ses fêtes, et par le nombre de ses superstitions.
La Danse fut donc établie pour honorer les Dieux dont Orphée instituait le culte ; et comme elle faisait une partie principale des cérémonies et des sacrifices, à mesure qu’on élevait des autels à quelque Divinité nouvelle, on instituait aussi pour l’honorer, des danses particulières ; et toutes ces Danses furent nommées sacrées.
Il en fut ainsi chez les Romains, qui adoptèrent successivement tous les Dieux des Grecs. Les Brigands qui avaient suivi Romulus, troupe féroce, rassemblée au hasard, prête à chaque instant à se diviser et à se détruire, ne connaissaient encore aucun de ces liens sacrés, qui rendent agréables, utiles, et solides, les sociétés des hommes. Numa crut, qu’en jetant parmi eux les fondements d’une Religion, il parviendrait au but glorieux qu’il se proposait. Il ne se trompa point. Les Romains lui durent leurs premières Lois, leurs superstitions, et peut-être leur gloire.
Ce roi forma d’abord un Collège de prêtres qu’il institua, pour desservir l’Autel de Mars. Il régla leurs fonctions, leur assigna des revenus, fixa leurs cérémonies, et il imagina, pour les rendre plus augustes, la Danse qu’ils exécutaient dans leurs marches, dans les sacrifices, et dans les fêtes solennelles. Elle fut nommée la Danse des Saliens 20.
Toutes celles qui furent instituées dans les suites, à Rome et dans l’Italie, pour honorer les Dieux, dérivèrent de cette première. Chacune des Divinités que Rome adopta, eut comme Mars des Temples, des Prêtres, et des Danses.
Les Philosophes21 des siècles les plus reculés qui ont cherché la première cause de la Danse sacrée, ont cru la trouver dans l’idée qu’ils s’étaient faite de la Divinité. Ils la regardaient comme l’harmonie du Monde, et ils croyaient, qu’elle ne pouvait être mieux honorée, que par des Danses régulières qui leur semblaient une image du concert et de l’accord de ses perfections.
C’est en partant de ce principe, que les Prêtres se persuadaient quelquefois de fort bonne foi, que la Divinité qu’ils adoraient en dansant, les agitait intérieurement, par ces trémoussements violents, qu’ils appelaient Fureur sacrée.
Leurs yeux alors s’enflammaient ; les contorsions les plus rapides succédaient à la Danse mesurée qu’ils avaient d’abord exécutée. Que ne peut pas la force de l’imagination sur les hommes d’un sang vif ? Les Prêtres alors se croyaient vraiment inspirés : les Peuples recueillaient leurs discours comme des oracles, et quelques événements amenés par le hasard avaient suffi pour établir l’extravagante crédulité des uns, et la sotte superstition des autres.
Les Perses et les Indiens qui adoraient le Soleil, les Gaulois, les Allemands, les Anglais, les Espagnols qui avaient leurs Dieux particuliers, tous les Peuples enfin du Monde connu, à quelque idole qu’ils aient sacrifié, ont toujours fait de la Danse l’objet principal de leur culte, et leurs Prêtres ont tous été danseurs par état.