Chapitre IV. Origine de la Danse, définition qui en a été faite par les Philosophes.
L’Homme a eu des sensations au premier moment qu’il a respiré, et les sons de la voix, le jeu des traits du visage, les mouvements du corps ont été seuls les expressions de ce qu’il a senti.
Il y a naturellement dans la voix des sons de plaisir et de douleur, de colère et de tendresse, d’affliction et de joie. Il y a de même dans les mouvements du visage et du corps, des gestes de tous ces caractères ; les uns ont été les sources primitives du Chant, et les autres de la Danse.
C’est là ce langage universel entendu par toutes les Nations et par les animaux même ; parce qu’il est antérieur à toutes les conventions, et naturel à tous les êtres qui respirent sur la terre.
Ces sons inarticulés qui étaient une espèce de chant ; et (si on peut s’exprimer ainsi) la Musique naturelle, en se développant peu à peu, peignirent d’une manière non équivoque, quoique grossière, toutes les différentes situations de l’âme, et ils furent précédés et suivis à l’extérieur de gestes relatifs à toutes ces diverses situations.
Le corps fut paisible ou s’agita, les yeux s’enflammèrent ou s’éteignirent ; le visage se colora ou pâlit ; les bras s’ouvrirent ou se fermèrent, s’élevèrent vers le ciel ou retombèrent vers la terre ; les pieds formèrent des pas lents ou rapides ; tout le corps enfin répondit par des positions, des attitudes, des sauts, des ébranlements aux sons dont l’âme peignait ses mouvements. Ainsi le Chant, qui est l’expression primitive du sentiment, en a fait développer une seconde qui était dans l’homme, et c’est cette expression qu’on a nommée Danse.
On voit par là que le Chant et la Danse, que quelques Auteurs et le vulgaire ont cru des expressions outrées, nous sont cependant aussi naturels que le geste même et la voix. L’un et l’autre ne sont en effet, que les instruments de ces deux Arts auxquels ils ont donné lieu, et dont la Nature elle-même est le principe.
Dès qu’il y a eu des hommes, il y a eu sans doute des Chants et des Danses. Suivez ces tendres enfants, depuis leur entrée dans le monde, jusqu’au moment où leur raison se développe c’est la Nature primitive qui se peint dans les sons de leur voix, dans les traits de leur visage, dans leurs regards, dans tous leurs mouvements. Observez cette pâleur subite, ces contorsions vives, ces cris perçants, lorsque leur âme est affectée d’un sentiment de douleur. Voyez ce souris aimable, ces regards de feu, ces mouvements rapides, lorsqu’elle est émue par un sentiment de joie. Vous serez alors aisément persuadé, que l’on a chanté et dansé depuis la création du monde jusqu’à nous, et qu’il est vraisemblable que les hommes chanteront et danseront jusqu’à la destruction totale de espèce humaine.
Les différentes affections de l’âme sont donc l’origine des gestes, et la Danse qui en est composée, est par conséquent l’Art de les faire avec grâce et mesure relativement aux affections qu’ils doivent exprimer.
Aussi a-t-elle été définie par les Philosophes qui l’ont le mieux connue, l’Art des gestes. Quoiqu’ils soient tous naturels à l’homme, on a cependant trouvé des moyens, pour donner aux mouvements du corps les agréments dont ils étaient susceptibles. La Nature a fourni les positions : l’expérience a donné les règles.
On apprend ainsi à danser, quoiqu’on ait en soi tous les pas dont se forme la Danse, comme on apprend à chanter, quoiqu’on ait dans la voix tous les sons dont se forme le chant ; parce qu’on développe, par le secours de l’Art, le don reçu de la nature.