Chapitre XII
Sommaire. — La maladresse des hommes vis-à-vis des femmes. — Le Manuel des amoureux, leçons dont le besoin se faisait généralement sentir. — Première leçon : Qu’est-ce qu’on entend par ces mots : faire la cour ? — Définition. — La blonde ; son tempérament, ses allures, ce qu’il faut être pour réussir près d’elle. — Eve, Vénus, mademoiselle Marquet. — Ravel. — Son opinion sur les blondes. — En mot d’un de mes amis. — La brune. — Définition de la brune. — Comment on doit lui parler. — La rousse. — Moyen de réussir auprès d’elle. — Les grises et les blanches. — La femme grise bas-bleu. — Le mépris qu’il faut avoir pour leurs amants. — Moi. — Les chauves. — Les perruques. — Celle de mademoiselle L***. — Une mèche de ses cheveux. — Un malin — Une de ses manières de se présenter à une femme. — Pourquoi mademoiselle S*** ne rit jamais.
I
Les petits malheurs qui arrivent aux gaudins, — et même aux autres hommes, — car les gandins sont du sexe masculin, — ont pour cause leur grande inexpérience vis-à-vis des femmes.
Aucun d’eux ne sait s’y prendre ; ils sont malheureux par ignorance.
C’est surtout dans leur façon de faire la cour qu’ils sont d’une maladresse sans égale.
Je n’ai jamais rencontré un seul homme qui s’y soit pris d’une manière intelligente.
II
C’est dans la charitable intention de combler ce vide social que l’idée m’est venue d’écrire un Manuel des Amoureux à l’usage des inexpérimentés.
Je crois, en publiant ici ces leçons, rendre un service à la partie mâle de mes lecteurs. Par ce moyen, mon livre aura son utilité.
III
Combien pourraient en dire autant ?
MANUEL DES AMOUREUX
D. Qu’est-ce que vous entendez par ces mots : Faire la cour ?
R. Faire la cour signifie peindre sa flamme à une femme qui a su captiver votre cœur, entourer l’objet aimé de vos soins et chercher par des prévenances et des attentions sans égales à lui plaire.
D. Y a-t-il plusieurs façons de faire la cour ?
R. Autant qu’on veut.
D. Dites-nous quelques-unes de ces façons, si cela ne vous ennuie pas trop ?
R. Au contraire, enchantée de vous être agréable.
D. Trop aimable, vraiment ; nous vous écoutons.
R. J’y vais alors.
IV.
La blonde.
Pour faire la cour à une blonde, il est préalablement de toute nécessité qu’on ait étudié son caractère, ses habitudes, ses goûts.
La blonde diffère énormément des autres femmes. Quelques poëtes affirment qu’elle est la seule jolie d’entre toutes.
Je suis assez de leur avis, et j’ai bien mes raisons pour cela.
Je suis blonde.
V
Ève, — la première biche connue, disent toujours ces poëtes amoureux, — était blonde comme les blés.
La chevelure de Vénus, la patronne des lorettes, était de cette couleur tant vantée.
Mademoiselle Marquet du Vaudeville, une des jolies femmes de Paris, est blende à rendre jalouse une Allemande.
Toutes les beautés remarquables ont été, sont, ou seront blondes.
On trouvera peu de contradicteurs à cet aphorisme féminin.
VI
Ravel seul, dans une pièce de Lambert Thiboust, a dit du mal des blondes.
Il les appelle les Vénus à la chope. Mais c’était Ravel, et chacun sait que cet amusant comique, qui me foule la rate chaque fois que je le vois, est le grand prêtre des paradoxes.
Et les paradoxes confirment la règle comme les exceptions.
VII
Mon Dieu ! que je m’exprime bien aujourd’hui !
VIII
Or la blonde est d’un tempérament à nulle autre femme pareille.
Elle est douce, poétique et généralement amoureuse de tout ce qui est brun, violent et élégiaque.
Pour lui faire la cour et pour lui plaire, il faut scrupuleusement posséder toutes ces qualités.
IX
Ou être riche.
X
La blonde est délicate, faible, langoureuse, lymphatique.
Elle aime la poésie, les soupirs étouffés, les clignements d’yeux, les billets tendres.
Elle croit encore aux amoureux qui menacent de se suicider.
Elle a des larmes pour les infortunes du cœur, et des commisérations pour les malheurs de l’âme.
Une blonde n’a jamais résisté aux paroles suivantes :
« Quand vous recevrez cette lettre, cruelle, j’aurai cessé d’exister.
Minuit.
XI
Une fois qu’elle est votre maîtresse, le seul moyen de la conserver, c’est de la frapper de temps en temps quelque peu.
XII
Un de mes amis disait un jour :
« Les blondes, c’est comme les œufs à la neige, ça demande à être battu. »
Qui expliquera jamais le cœur des femmes ? Personne. Pas même moi, qui suis de la confrérie.
XIII
Or, avant : employer la poésie.
Après : aimer les brunes.
Passons à l’autre leçon.
XIV
La brune.
Toutes les jolies femmes sont brunes.
Excepté celles qui sont blondes.
Cléopâtre était brune ; mademoiselle Page est brune.
Rachel était brune.
XV
Les Italiennes, les Espagnoles, les Turques, sont brunes.
Quoi de plus joli que des yeux noirs encadrés dans des cheveux d’ébéne !
Le type de la jolie femme, selon moi, c’est l’Andalouse.
Ses grands yeux bleus à force d’être noirs, qui, suivant l’expression d’un poëte de l’endroit, semblent porter le deuil des victimes qu’ils ont faits, sont les plus belles choses du monde.
On aime une blonde.
On est fou d’une Andalouse.
XVI
Le tempérament de la brune est l’opposé direct de celui de la blonde.
Autant cette dernière est bucolique, nonchalante, autant la brune est emportée, vive et indomptable.
Pour réussir auprès d’une brune, il faut :
Être blond.
Badin.
Insouciant,
Et froid.
XVII
Ou avoir des millions.
XVIII
On triomphe d’une brune sans grande peine : il suffit de se montrer avec elle extrêmement réservé, indifférent, et de faire la cour à une de ses amies.
La brune est jalouse avant tout.
Avant comme après, il est adroit d’exploiter sa jalousie.
XIX
On n’a jamais vu une blonde faire des avances à ses soupirants.
Il n’est pas rare de voir une brune faire elle-même une déclaration à l’homme qui lui plaît.
Ne pas se fier à cela cependant.
Attendre une brune est une faute.
Trois fois sur dix elle va au-devant de celui qui ne pense pas à elle
On dirait qu’elle a deviné que celui-là n’en veut pas.
XX
La brune s’obtient par le rire.
Quand elle a de jolies dents, si l’on est spirituel, on est sûr de la victoire.
Une fois qu’elle est votre maîtresse, le moyen de rester son amant, c’est de se métamorphoser en poëte.
Chez toutes les femmes - de quelle couleur qu’elle soit — entre l’allure qu’il faut prendre pour la conquérir et celle qu’il faut avoir pour la garder, la différence est immense.
La fiancée et la femme font deux en matière de mariage légitime.
L’enviée et la maîtresse font deux en matière d’amour non autorisé.
XXI
Donc :
Avant : manier l’indifférence, le sans façons.
Pendant : faire rimer beau jour avec amour.
Après : aimer les rousses.
XXII.
La rousse.
La rousse est le fruit de la blonde et de la brune combinées.
L’ardeur de l’une a brûlé la pâleur de l’autre.
Supposez des cheveux blonds soumis à l’action d’un calorique ardent, et vous aurez la rousse.
XXIII
Toutes les jolies femmes sont rousses.
Excepté celles qui sont blondes et celles qui sont brunes.
La rousse est adorable quand elle n’est pas affreuse.
Ce qu’il y a de charmant dans cette classe nuancée, c’est que les femmes qui la composent sont ou bien ou mal.
Connaissez-vous une rousse gentille ?
Elle est accomplie ou laide à consoler mademoiselle X***.
XXIV
Pour devenir l’objet aimé d’une rousse, on doit :
Être châtain,
Galant,
Poëte par bouffées,
Indifférent par caprices,
Avoir enfin le caractère brun et blond à la fois.
Pour la conserver, il faut la quitter.
C’est avec les rousses surtout que les absents ont toujours raison.
Elles adorent les gens qu’elles ne voient pas.
Je comprends cela, du reste, et vous ?
XXV
Résumons notre leçon comme nous l’avons fait pour les blonds et les brunes.
Avant : être incolore, ardent, doux, furieux.
Pendant : voyager.
Après : s’en souvenir.
XXVI.
Les grises.
La grise ou la blanche n’est placée ici que pour mémoire.
Les tout jeunes gens qui ont encore la faiblesse d’aimer les vieilles femmes deviennent de plus en plus rares.
Je n’en connais même plus.
La femme dont les cheveux sont gris ou blancs est généralement un bas-bleu incompris dont on se fait adorer quand on est journaliste ou auteur dramatique.
C’est la plus affreuse liaison qu’on puisse avoir dans la vie.
L’homme assez tombé pour devenir l’amant d’un bas-bleu est un être que je ne crains pas de qualifier de malheureux.
Le bas-bleu n’est possible que quand il a dix-huit ans et pas de prétentions.
Comme moi, par exemple.
XXVII
Lorsque la femme à cheveux gris ne travaille pas dans la littérature, si vous vous mettez à l’aimer, vous êtes sans excuse.
Je ne connais qu’un seul amour qui puisse aller aux grises et aux blanches.
C’est l’amour filial.
Passé cela, c’est parfaitement ridicule.
XXVIII.
Les chauves.
Les chauves n’existent pas ; si je les classe dans ces leçons, c’est par prudence.
Pour le cas où un jour j’arriverai à perdre mes cheveux.
Ce qui ne m’arrivera jamais tant qu’il y aura des perruques en ce monde.
Bien des femmes ont déjà le chignon faux, pourquoi les bandeaux ne le seraient-ils pas à un moment donné ?
Les hommes ne sont pas si habiles qu’on ne puisse, au moyen d’une chevelure postiche, leur faire croire encore à une jeunesse véritable.
Ce que je dis là, c’est dans l’intérêt de mademoiselle L*** qui refuse obstinément d’avouer que ses cheveux se démontent.
Et elle a bien tort : par cette franchise elle s’éviterait l’ennui de rougir quand un de ses soupirants lui demande une mèche de ses cheveux.
XXIX
Voilà mon Manuel de l’Amoureux, les levons qu’il contient sont courtes, mais exactes.
Je n’ai donné que des indications ; mais, en matière de stratégie, lorsqu’on connaît l’intérieur de la place, la ville, dit-on, est à moitié prise.
A partir de cette publication je souhaite que les hommes soient moins maladroits dans leurs façons d’assiéger les femmes.
Je le souhaite sans l’espérer.
XXX
Dans le commencement de ce chapitre j’ai vaillamment déclaré n’avoir jamais rencontré un seul homme habile à parler aux dames.
Je me suis trompée.
J’en connais un.
Mais celui-là est un véritable malin, qui aurait inventé l’adresse si, pour naître, elle avait attendu le jour de sa naissance.
Entre autres manières intelligentes de se présenter, qu’on me permette de raconter celle qu’il employa il y a quelques jours auprès d’une de mes amies :
Il ne la connaissait pas, ne l’avait jamais vue, et, nonobstant, un matin il s’en fut sonner à sa porte.
La bonne l’introduisit.
Une fois en face de mon amie, il s’assit sans dire mol et la regarda avec des yeux de somnambule.
Mon amie rompit le silence la première.
— Qu’y a-t-il pour votre service ? lui demanda-t-elle, fort intriguée de ce long mutisme.
Sans répondre, le malin en question continua son petit manége, tourna la tête dans tous les sens et se mit à fureter du regard dans tous les coins de la chambre.
— Mais que cherchez-vous donc, monsieur ! fit mon amie véritablement effrayée.
— Hélas ! mademoiselle, répondit-il enfin. je cherche le moyen d’entamer la conversation avec vous, et je ne le trouve pas.
XXXI
Cette habile naïveté eut le résultat que le malin en attendait.
Mon amie se mit à rire aux éclats. Et elle lui indiqua le moyen qu’il cherchait.
Quand une femme rit, elle devient d’une bonté inépuisable.
XXXII
C’est pour cela que S*** ne rit jamais.