Plan du Ballet
23C’est de la Tragédie de Monsieur de Voltaire que je l’ai tiré ; j’ai suivi à peu près son plan pour ce qui regarde les événements ; mais j’ai été forcé d’y faire des changements pour approprier son plan au plan d’un Ballet. Je ne me suis pas écarté de mes maximes. J’ai conservé les personnages de Sémiramis, de Ninias, d’Oroès Pontife de Babylone, et surtout l’ombre de Ninus. On retrouvera les confidents dans ceux qui suivent de plus près les trois personnages. A l’égard d’Assur complice du crime de la Reine, d’Azoma, de Cédar, personnages purement épisodiques, j’ai dû les abandonner. C’est l’ombre de Ninus qui joue un grand rôle dans mon Ballet. Elle me sert beaucoup pour me faire entendre, et rend ma catastrophe vraiment terrible et tragique. Le Ballet est divisé en trois actes.
24Le premier se passe dans un Cabinet magnifique de la Reine. On la voit assise et endormie, appuyée à une table couverte de rouleaux, qui dans l’Antiquité tenaient la place des livres, et des papiers. Son sommeil est extrêmement agité ; il semble qu’elle a des rêves affreux. L’ombre de Ninus paraît ; Sémiramis croit la voir en songe, et son trouble en augmente. L’ombre après l’avoir menacée d’un poignard qu’elle tient en sa main, la secoue, la réveille et disparaît. La Reine se lève ; l’horreur est peinte sur son visage ; elle cherche partout le fantôme, et elle croit le voir partout. Alors en levant les yeux, elle est frappée d’un nouveau prodige : une main trace devant elle sur les murs de son Cabinet ce vers.
Mon fils, va me venger : tremble, épouse perfide !
25En lisant ces mots, sa frayeur redouble ; ses cris qu’on suppose, rappellent auprès d’elle ses femmes. Elle voudrait leur dire ce qu’elle a vu ; elle marque la place où la main avait écrit, mais tout a disparu ; son accablement continuant toujours, elle se retire soutenue par ses femmes.
26Dans le second acte la décoration représente un temple enfermé dans l’enceinte du Palais. Tout y est préparé pour le choix que la Reine va faire d’un époux ; on y voit un trône ; Oroès et les Mages sons placés à la droite du trône, les Satrapes à la gauche ; les gardes, le peuple occupent le fond du temple. Sémiramis paraît ; en sa présence on prête le serment de reconnaître pour Roi celui qu’elle choisira pour époux. Ninias entre suivi de soldats : il porte aux pieds de Sémiramis les trophées de ses victoires et les dépouilles des ennemis vaincus. On voit que la Reine s’occupe d’abord de lui. Elle voudrait même lui déclarer à l’instant son inclination ; mais un remord se fait sentir dans son âme. Sémiramis le choisit enfin ; il se prosterne devant elle ; elle le relève, et s’adresse au Grand Prêtre pour lui ordonner d’accomplir la cérémonie. Oroés la refuse, en faisant entendre qu’il ne croit pas que cet hymen soit agréable aux Dieux : sur ses refus réitérés la Reine par un signe de mépris fait entendre quelle sera obéie par d’Autres. Elle conduit Ninias à l’autel ; mais tout d’un coup le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde, le simulacre de Bélus, et l’Autel sont frappés de la foudre ; l’épouvante s’empare de tous les esprits, et le temple reste vide dans un instant.
27La Scène du troisième Acte représente un Bosquet sacré où l’on voit les tombeaux des Rois d’Assyrie ; celui de Ninus est sur le devant. Au fond s’élève un temple consacré à Bélus. On voit d’abord entrer une foule de peuple qui vient lui faire des offrandes. On y danse un air qui est censé être composé sur un Cantique à la louange. On place des guirlandes sur les tombeaux ; on fait des libations. Sémiramis paraît ensuite accompagnée de ses femmes avec une guirlande dans le dessein d’apaiser les Mânes de Ninus. Elle approche en tremblant du tombeau ; mais elle le touche à peine, qu’il s’entrouvre, et le spectre de Ninus en sort. Tout s’enfuit encore, et la Reine reste seule. Elle fait des efforts pour s’éloigner du fantôme ; il la suit toujours, et lui ordonne d’entrer dans le tombeau. Elle se débat autant que la nature presque anéantie par l’horreur et par le désespoir peut le permettre en pareil cas. Le spectre la saisit enfin et l’entraîne ; le mausolée se referme. On voit que j’ai fait ici usage de ces vers que M. de fait prononcer à l’ombre de Ninus.
Arrête, et respecte ma cendre.Quand il en sera temps je t’y ferai descendre.
28 Ninias paraît alors dans le même dessein de faire des sacrifices aux Dieux. Il s’approche du mausolée de Ninus et aussitôt ces mots paraissent sur la base.
Viens, cours, venge ton père.
29Et dans le même moment un poignard tombe à ses pieds. Il recule épouvanté ; mais les Mages rentrent avec Oroès. Instruit par lui, et par les mots qu’il a vus sur le tombeau, qu’il est fils de Ninus, il reçoit le Bandeau Royal, et l’épée de son père, et on lui ordonne de la part des Dieux d’entrer dans le tombeau, et d’immoler comme une victime qui leur est agréable, la personne qu’il y rencontrera. Ninias entre, et en attendant, les Prêtres rappellent le peuple, et continuent leurs prières. Ninias sort ensuite du tombeau comme égaré ; le poignard qu’il tient en sa main est ensanglanté. Des gémissements qui partent du Mausolée, et qu’il entend, le pénètrent d’horreur. Il tombe entre les bras des Mages. Alors Sémiramis paraît, pâle, échevelée, la mort▶ peinte sur son visage, et se traînant à peine. Des femmes accourent et la soutiennent. Ninias s’apercevant qu’il a tué sa mère, court se jeter à ses pieds ; il y déplore son erreur et sa malheureuse destinée. Il lui présente le poignard teint encore de son sang, la suppliant de lui donner la ◀mort. Le fer échappe de la main de Sémiramis. Elle reconnaît son fils, l’embrasse, lui pardonne, tombe, et meurt. Ninias reprend le poignard pour se percer ; les Mages le désarment, l’entrainent ; la toile tombe, et le spectacle finit.