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2030. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 250-251

Comme il importe à tout le monde de savoir raisonner juste, de connoître la nature & les facultés de son ame, la structure de l'Univers & l'Auteur qui l'a créé & le conserve, rien n'étoit plus nécessaire que de donner de justes idées sur tous ces objets, & ce qui n'est pas moins nécessaire, de les mettre à la portée de tous les Lecteurs.

2031. (1870) La science et la conscience « Avant-propos »

La science et la conscience, affirmant le oui et le non sur les attributs essentiels à la nature humaine, deviennent ainsi suspectes, l’une aux savants, l’autre aux moralistes.

2032. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Éternellement la nature répète le drame sacré d’Éleusis. […] La nature outragée se vengea par des monstruosités et des météores. […] Cette extrémité rapetisse encore sa (mot illisible) de nature. […] Ô Nature ! […] Il est d’une nature peu sérieuse et n’a de pensées que pour ses intérêts.

2033. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VIII. Du pathétique »

Et à vrai dire il n’y a pas de sujets pathétiques : il y a des natures qui sentent fortement, des occasions où l’on sent fortement.

2034. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupuy, Ernest (1849-1918) »

Le corps n’est pas gisant depuis une journée Que, dans ses profondeurs, la vie est ramenée ; Les ferments ont trahi leur sourde invasion ; Le cadavre s’émeut, frappé par la lumière, Et l’on voit s’altérer sa majesté première Sous le labeur hideux d’une autre vision… ………………………………………………… Et ce débris boueux qui fut la créature, Touché par l’aquilon brûlant de la nature, Au lieu de reposer s’évertue à pourrir.

2035. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

Où a-t-il pris, entre autres choses, que la Morale n’a jamais été développée avec plus de vérité & plus de charmes que de nos jours ; que ce sont nos Ecrivains modernes qui ont réduit les Romans à être l’image de la Nature & l’Ecole de la Vertu ; que nos Tragédies modernes ont plus de pathétique & d’utilité que celles de Corneille & de Racine ; que les maximes des Tragédiens de nos jours sont plus vraies, & inspirent plus d’humanité ?

2036. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 295-296

Mercier a aussi exercé sa plume à des Eloges historiques, tels que ceux de Charles V & de Descartes ; à des Réflexions sur l’Art dramatique, où, parmi plusieurs hérésies littéraires, on trouve des idées neuves & vraiment instructives ; à des Songes philosophiques, propres à donner une idée de ce qu’il pourroit faire de bon, avec l’esprit & la facilité de penser qu’il a reçus de la Nature, s’il vouloit s’appliquer à être simple, naturel, & donner à son style cette chaleur qui suppose de l’ame, & fait vivre les Productions.

2037. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 530-531

La Nature s’est plu à le favoriser de ses dons les plus précieux.

2038. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 105-106

On ne laissera cependant pas ignorer qu'il a fait un Ouvrage intitulé de la Nature, où, selon lui, tout est intelligent & animé ; mais où, selon le Lecteur, tout s'obscurcit & tout expire au milieu du désordre & de l'absurdité.

2039. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Les vers de Mme Desbordes-Valmore, les plaintes et les cris exhalés en ses précédents recueils, ont assez montré que telle était sa nature et que la destinée n’avait pas manqué non plus à cette douloureuse vocation. […] Il faut lire encore la pièce qui suit et qui a pour titre : La Voix perdue. — Rapprochement singulier et qui est un lien entre ces natures poétiques, mystérieuses !

2040. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

De même pour Lamartine : j’aurais aimé qu’en développant son talent poétique aussi grandement, aussi démesurément même, que sa nature de génie l’y portait, il fût demeuré en politique d’accord avec lui-même, fidèle à ses origines, à ses précédents, à l’ordre d’opinions, de doctrines et, pour tout dire, de bienséances où il avait passé toute sa jeunesse et qui lui étaient comme son cadre naturel, — un M. […] Lainé plus énergique et moins fébrile, aussi pur, assistant, non sans une ombre de tristesse, à l’orgie parlementaire, à ce marché d’intrigues et de corruptions qui se démena durant tout le règne de Louis-Philippe, et sans y prendre d’autre part que de s’y pencher de temps en temps, et d’y plonger le regard pour le juger avec honnêteté et dégoût et pour le flétrir (comme il fit à un moment pour la coalition sous le ministère Molé), mais, je le répète, sans jamais en revendiquer profit pour lui ni en tirer prétexte à des combinaisons ambitieuses : je l’eusse voulu, en un mot, plus platonique et plus désintéressé, plus parfait qu’il n’est donné sans doute à la nature humaine de l’être.

2041. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

De nos jours, les esprits aristocratiques n’ont pas manqué, qui ont cherché à exclure de leur sphère d’intelligence ceux qui n’étaient pas censés capables d’y atteindre : de Maistre, par nature et de race, était ainsi ; les doctrinaires, les esprits distingués qu’on a qualifiés de ce nom, ont pris également sur ce ton les choses, et par nature aussi, ou par système et mot d’ordre d’école, ils n’ont pas moins voulu marquer la limite distincte entre eux et le commun des entendements.

2042. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

Pastourelle Le persiflage, gamin de Paris153, a jeté bas d’un coup de pied la barrière élevée par la nature entre la comédie et la satire. […] Entrée des domestiques avec les plateaux De toutes les nations lettrées la France est la moins comique et la moins poétique159. — La poésie française réduit tout ce qui est grand dans la nature aux proportions de mets d’apparat servis sur des plats de cristal160.

2043. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Richepin, Jean (1849-1926) »

Après Michelet, après Victor Hugo, la Mer nous donne ce que nous exigeons des poètes : une interprétation personnelle, nouvelle, variée, de la nature. […] C’est une ironie de philosophe qui inspire Pied, valet de Faust, enseignant au savant docteur les sciences de l’ignorance et de la nature.

2044. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXV. Mort de Jésus. »

Ce triste soulagement des condamnés vulgaires n’allait pas à sa haute nature. […] La vraie cause de la mort était la position contre nature du corps, laquelle entraînait un trouble affreux dans la circulation, de terribles maux de tête et de cœur, et enfin la rigidité des membres.

2045. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Il veut, à n’importe quel prix, quelle que soit sa nature, trempé dans n’importe quels excréments, le succès. […] Mais plus encore que leur incohérence et leur banalité, il faut condamner la nature même de ces métaphores.

2046. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Le déiste ne ressemble pas mal à un philosophe qui se contenterait de démontrer l’existence du beau, mais qui ne serait jamais sorti de son cabinet pour contempler les beautés de la nature et de l’art. […] Si la philosophie ne peut devenir une religion, il n’est nullement contraire à la nature des choses qu’une religion devienne une philosophie.

2047. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

Faguet blâme surtout les descriptions de Télémaque, qui, dit-il, sont trop générales », parce que Fénelon a « insuffisamment le sentiment de ce qui est caractéristique dans la nature ». […] On ne peut pas dire : le style de Fénelon… Ses qualités sont de second ordre. » Pas de relief, pas d’originalité, pas de tour personnel, pas de style personnel, descriptions trop générales, aucun sentiment caractérisé de la nature… Talent de second ordre… Voilà ce que dit M. 

2048. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Si, dans les vers dont vous me parlez, l’image se joint au sentiment et ne l’affaiblit pas, c’est le plus grand charme de la poésie ; et je préfère, ainsi que vous apparemment, ces vers-là à tous les autres : si le sentiment est de nature à exiger la plus grande simplicité dans l’expression, les vers de cette espèce n’ont rien de commun avec les vers d’image, ni par conséquent aucun terme de comparaison avec eux ; on sera plus touché des uns ou des autres, selon qu’on sera plus sensible à ce qui touche ou à ce qui étonne. […] Tout dépend de la nature du sujet, de l’endroit où est placé le vers, soit de sentiment, soit d’image, et surtout du genre de sensibilité de celui qui lit.

2049. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Il dut se demander si sa conscience éveillée de continuateur ne lui créait pas l’obligation d’imiter, autant que le lui permettrait la nature de son esprit, l’homme dont on venait pour ainsi dire de lui mettre la plume à la main. […] Comme, au vrai sens de la nature humaine, portraitistes et moralistes ne sont qu’un, s’il fallait par un seul mot caractériser le genre de talent d’Amédée Renée, je dirais qu’il tend à devenir — et qu’il en est bien près — le La Bruyère de l’Histoire.

2050. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Grandement compris, excusé en ce qu’il a de vrai, saisi sur le vif de la nature humaine elle-même, le point d’honneur, cette opinion plus forte que les institutions au Moyen Âge, aurait mis sa lumière au sein des faits incohérents. […] Son livre de la Paix et la Trêve de Dieu, quoique intéressant par les textes, n’est pas de nature à beaucoup changer l’opinion générale de notre temps sur le Moyen-Âge, qu’il serait pourtant si nécessaire, selon nous, et d’éclaircir et de fixer.

2051. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions.

2052. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

L’auraient-ils cru eux-mêmes, quand ils écrivaient le livre que voici, ces distingués, ces aristocrates de talent, ces élégants, ces admirateurs des élégances pomponnées du xviiie  siècle, le plus artificiel des siècles, le plus recherché et le plus quintessencié dans ses mœurs et dans ses arts, et dont le Diogène fut Rousseau, qui eut la prétention de le ramener à la nature ? Dieu sait, du reste, par quels chemins il l’y ramena et comme il l’y ramena, — à cette nature que le menteur qu’il était faussa davantage !

2053. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Armand Carrel » pp. 15-29

C’est la destinée et la nature des choses qu’il en soit ainsi, du reste. […] Il oscilla toujours entre le mot d’ordre de son parti, et sa nature impatiente de le recevoir.

2054. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Inspiration ou imitation, mais imitation qui par sa spontanéité vaut nature, l’auteur de Guy Livingstone est un byronien incontestable, et c’est peut-être le plus byronien des écrivains que, depuis la mort de Byron, ait produits l’Angleterre. […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que vous retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage, sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.

2055. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

C’est vice de conformation et de nature ; mais alors qu’il ne déclame pas, alors qu’il est le plus heureusement et le plus purement orateur, il a, de nature et de conformation aussi, cette force d’expression et d’idée vulgaire dont je parlais tout à l’heure et qui l’empêchera toujours d’atteindre à la hauteur de pensée et à la concentration de forme du grand écrivain.

2056. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Matter, qui, du reste, multiplie dans son livre les preuves à l’appui d’une affirmation qui doit changer l’opinion commune et superficielle, Swedenborg n’est pas, au fond, ce qu’on croit : — un visionnaire tombé du ciel comme un aérolithe, le polem sine matre creatam des grandes natures phénoménales et solitaires. […] Il n’eut plus d’accointances qu’avec le monde extra-mondain du ciel ou de l’enfer, et il vécut avec les trépassés et les anges, qui, dans son système, d’ailleurs, sont la nature et la forme humaines.

2057. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

Nous connaissions, par expérience, la supériorité de ces historiens donnés par la nature. […] Ce fut pour avoir écrit un peu plus tard Namouna, Rolla et Mardoche, qu’on l’accusa d’imiter Byron, les veines de ces trois marbres ressemblant aux veines de ces trois autres : Manfred, Beppo, Don Juan… Seulement, pourquoi n’aurait-il pas byronisé de nature aussi bien que d’imitation ?

2058. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Le Romantisme de 1830, dont il fut un des Rois chevelus, s’y atteste par une opulente chevelure blonde, digne du peigne d’or avec lequel il la peignait peut-être, cet homme qui avait, pour les autres, le culte de soi des natures élevées et délicates, en toutes choses… Alfred de Vigny ne fut point un dandy comme Byron et comme Alfred de Musset, qui, lui, commença comme Byron et finit comme Sheridan. […] Évidemment, de destinée révélée par la physiologie, l’auteur des Destinées semblait fait pour porter la mitre ou la barrette comme Fénelon et le cardinal de Polignac, natures analogues à la sienne, si la Révolution n’avait pas renversé sens dessus dessous toutes les existences, comme la main d’un enfant secoue et mêle, dans leur sac, tous les numéros d’un loto.

2059. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

… On le voit, par cette analyse très-rapide, cette chaîne d’événements est presque vulgaire, et l’on peut dire que tout en est arrangé comme au théâtre, dans l’intérêt du dénoûment ; mais voici ce que la critique, pour être juste, est tenue d’ajouter : Tout cela n’est point taillé en grande et vraie nature, en plein drap de nature humaine.

2060. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Inspiration ou imitation, mais imitation qui par sa spontanéité vaut nature, l’auteur de Guy Livingstone est un byronien incontestable, et c’est peut-être le plus byronien des écrivains que, depuis la mort de Byron, ait produits l’Angleterre. […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que TOUS retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.

2061. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

… II Les Ames mortes, en effet, sont le déshonneur universel de la Russie, et jusque de sa nature extérieure, que le réaliste Gogol insulte par les descriptions qu’il en fait et les indignes objets auxquels il la compare. […] Insupportable, nous l’avons dit déjà, par le sujet et la manière ; insupportable par la monotonie de son trait, qui est toujours le même ; insupportable par la vulgarité de son observation, qui ne s’élève jamais, quoiqu’il ait essayé, dans la seconde partie des Ames mortes, de peindre des gens qui ne sont pas simplement des radoteurs ou des imbéciles ; insupportable enfin par sa description de la nature, qui nous reposerait du moins de cette indigne société de crétins nuancés dans laquelle il nous fait vivre, et qu’il nous peint toujours à l’aide du même procédé : la comparaison de l’objet naturel avec le premier engin de civilisation venu.

2062. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

C’est ainsi, dit-il, en parlant de Constance, qu’il apprenait à commander, mais en même temps il apprenait aussi à obéir ; et il obéissait à ce qu’il y a de plus saint sur la terre, la nature et la loi. […] S’il a des frères, il les chérit ; et tous les liens formés par la nature lui sont sacrés.

2063. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Quelle grandeur plus gigantesque et plus libre dans ces applications des arts étendues, pour ainsi dire, sur l’échelle d’une nature plus vaste et d’une croissance de nations si rapide qu’elle semble illimitée ! […] Au milieu de ce grand peuple accru des dépouilles de l’ancien monde et des inventions puissantes de chaque jour, parmi ces ouvriers de la onzième heure qui achèvent si vite leur tâche et reçoivent un plein salaire, dans cette nation rude et savante, nouvellement née et pleine d’expérience, enorgueillie de sa force comme de la magnifique nature subjuguée par ses arts, la poésie de l’âme, nourrie par la religion, la patrie, la famille, ne peut manquer un jour d’avoir son Orient et son Midi.

2064. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Cette imitation se montre à deux marques : l’usage de l’inversion, et une quantité de mots latins corrompus, plus semblables toutefois aux mots primitifs par l’orthographe que par la prononciation, qui, en les assimilant peu à peu, allait en changer la nature. […] Ce sont d’abord beaucoup de mots soit indigènes soit tirés du latin, ou plutôt, nés d’une sorte de consentement de l’esprit français à certains mots latins conformes à sa nature. […] Par exemple, en Égypte, il s’est enquis de la nature et des propriétés du Nil et quoique sa foi naïve fasse descendre ce fleuve du paradis terrestre, il en donne une description qui n’a pas cessé d’être exacte. […] N’est-ce pas une nouveauté admirable, à cette époque de notre littérature et de notre langue que cette courte et frappante description du Nil : « Ce flum (fleuve), dit Joinville, est divers de toutes autres rivières ; car quant viennent les autres rivieres aval, et plus y chieent (tombent) de petites rivieres et de petitz ruissiaus, et en ce flum (fleuve) n’en chiet nulles ; aincois avient ainsi que il vient tout en un chanel jusques en Egypte, et lors gete (jette) de lises branches qui s’espandent parmi Egypte, Et quant ce vient après la saint Remy, les sept rivieres s’espandent par le païs, et cuevrent les terres pleinnes ; et quant elles se retroient, les gaungneurs (laboureurs) vont chascun labourer en sa terre à une charue sanz rouelles (roues) ; de quoy ils treuvent dedens la terre les fourmens, les orges, les comminz, le ris ; et vivent si bien que nulz n’i sauroit quémander ; ne se scet l’en dont celle treuve (trouvaille) vient mez que de la volenté Dieu… L’yaue (l’eau) du flum est de telle nature, que, quant nous la pendion en poz de terre blans que l’en fait ou pais, aus cordes de nos paveillons, l’yaue devenoit ou (au) chaut du jour aussi froide comme de fonteinne. […] Très que n’avoie que douze ans, Estoie forment goulousans (désireux) De veoir danses et caroles, D’oïr ménestrels et paroles Qui s’apertiennent à déduit, Et se ma nature introduit Que d’amer par amour tous chiaus (ceux) Qui aimment et chiens et oisiaus6.

2065. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

« Il y a, dit-il, dans la nature humaine une certaine fausseté qui doit en définitive, comme tout ce qui vient de la nature, aboutir à une bonne fin [encore cette même idée optimiste de Descartes dans laquelle j’avoue que j’entre très difficilement]. […] Elle reste dans la nature. […] Il est absolument contraire à son talent, à la nature de son génie. […] Elle se réfugie dans une sorte de sobriété un peu terne qui est bien exactement le contraire de la nature de Lélia. […] Donc Mme Aubray, c’est la lutte de ce qui constitue notre nature à tous.

2066. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 472-473

Ce n’est pas que les vers de la Pucelle ne contiennent quelquefois des pensées justes, ne renferment des sentimens raisonnables ; mais tout y est mort, tout y annonce le pénible travail qui les a enfantés ; ils ont l’air d’avoir été arrachés par violence à la nature.

2067. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 208-209

Les préceptes en sont toujours judicieux, toujours fondés sur la nature ; ils sont le fruit de trente ans d’expérience dans l’Art qui en est l’objet.

2068. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 256-257

Il devoit beaucoup à la Nature, & il en avoit reçu les germes du génie.

2069. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Belle » p. 127

L’artiste Belle n’était pas bastant pour une composition de cette nature, qui demande de la verve, de la chaleur, de l’imagination, de la poésie.

2070. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IX. De l’astronomie poétique » pp. 233-234

. — Avec ces trois vérités philologiques s’accordent deux principes philosophiques : le premier est tiré de la nature sociale des peuples ; ils admettent difficilement les dieux étrangers, à moins qu’ils ne soient parvenus au dernier degré de liberté religieuse, ce qui n’arrive que dans une extrême décadence.

2071. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Serait-ce de la nature ? […] On apercevra la hauteur de ses vues, et la nature des règles qui la séparent des espèces variées de notre genre comique. […] dit l’homme avec injure ; « Quel montre est plus hideux que toi dans la nature ? […] « Jamais de la nature il ne faut s’écarter. […] Les modèles parurent et devancèrent les règles écrites : en déduirait-on que le génie les créa sans se faire des règles ou sans les prendre de la nature ?

2072. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Et, la réalité, nous l’éconduisons comme Vigny la nature. […] Habiller joliment les fantômes de l’âme et de la nature, jeu exquis de l’art ! […] L’art est le salut de la nature, l’accomplissement de la vie. […] Elle aime la nature et, plus que la nature, la campagne. […] Il évite les descriptions abondantes et, devant la nature, il n’est pas pris de démence.

2073. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Comment se fait-il qu’ayant gardé son nom il eût changé de nature, et quelle série de rénovations avait fait d’un peuple germanique un peuple latin ? […] tant la jouissance de la liberté fait vite découvrir aux hommes la nature de la liberté ! […] Au commandement de Conscience, voici que Nature envoie d’en haut l’escadron des fléaux et des maladies, « fièvres et fluxions,  — toux et maux de cœur,  — crampes et maux de dents,  — rhumatismes et rougeoles,  — teignes et gales de la tête,  — inflammations et tumeurs — et enflures brûlantes,  — frénésies et maladies ignobles,  — fourriers de Nature. » Des cris partent : « Au secours ! […] Cette idée des types s’applique dans toute la nature physique et morale. […] Where thrugh they be artyd by necessitie so to watch, labour and grub in the ground for their sustenance, that their nature is much wastid and the kynd of them brought to nowght.

2074. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guimberteau, Léonce »

La nature n’est qu’une forme de l’idée.

2075. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Holmès, Augusta (1847-1903) »

L’art est plein de ces fantaisies qui n’ont rien de dangereux pour les vraies natures.

2076. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 385-387

Pour rendre son travail encore plus utile, M. l’Abbé Brotier l’a enrichi de plus de six mille notes, toutes nécessaires pour l’intelligence de l’Ecrivain de l’ancienne Rome le plus rempli de difficultés par la nature de son Ouvrage.

2077. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Vien » p. 173

Il y a des détails de nature à faire illusion.

2078. (1874) Premiers lundis. Tome II « X. Marmier. Esquisses poétiques »

Comme tous les élégiaques du temps, il est placé au point de vue purement individuel : ce sont des souvenirs d’enfance, des regrets du premier amour, des plaintes sans amertume sur une condition obscure et gênée, des vers harmonieux aux châteaux, aux bois, aux amis qu’il aime ; des vœux de loisir et de rêverie, des confidences de ses goûts qui révèlent une nature aimante et mélancolique.

2079. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Girardin, Delphine de (1804-1855) »

Certes, je ne voudrais pas exclure de la poésie l’élégance, mais, quand je vois celle-ci mise en première ligne, j’ai toujours peur que la façon, la fashion, ne prime la nature, et que l’enveloppe n’emporte le fond.

2080. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gide, André (1869-1951) »

Maurice Le Blond Je pourrais citer de jeunes auteurs… qui n’ont pas plus de vingt-cinq ans, et qui tentent en France des poèmes de vie et de nature comme M. 

2081. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Grandmougin, Charles (1850-1930) »

Sa muse est une libre fille de la nature.

2082. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valéry, Paul (1871-1945) »

On n’isole pas impunément de la vie l’essence de toute beauté… Nous rêvons, je crois, d’un autre art, plus large, plus humain, avec des libres correspondances dans la nature et dans l’homme.

2083. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

La Nature elle-même semble avoir voulu tenir de lui une nouvelle vie, car elle l’a pourvu des plus heureux talens, pour développer ses ouvrages & les faire admirer.

2084. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 8, des differens genres de la poësie et de leur caractere » pp. 62-63

Ovide nous charme dans celles de ses élegies où il n’a pas substitué son esprit au langage de la nature.

2085. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Réduire la poésie aux démarches de la connaissance rationnelle, du discours, c’est aller contre la nature même, c’est vouloir un cercle carré. […] Ce que la nature même des choses a étroitement uni, Thibaudet lui-même ne pourra le séparer. […] Cette musique, néanmoins, est d’une telle nature, qu’à la manière d’un sortilège, elle provoque directement, dans l’âme profonde, non pas de tout lecteur, mais de quelques-uns, cette expérience de réalisation, d’union au réel. […] Son classement de nos forces psychiques en dynamismes particuliers communiant avec les diverses formes des mouvements physiques dans un élargissement continu, sans confusion ni amoindrissement de leur nature ou de leur pouvoir, satisfait à première vue autant l’intuition du sens commun qu’un intellectualisme rigoureux. […] Mais elle provient d’une erreur dangereuse, qui est de croire que le sentiment n’a que faire des outils de la logique courante, qu’il doit les dédaigner parce qu’il en connaît l’impuissance finale, qu’au surplus il ne saurait pas les manier, puisque le propre de sa nature est de se suffire à elle-même.

2086. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Mme de Charrière n’a rien non plus de Jean-Jacques ; tout est nature en son roman, comme en quelque antique nouvelle d’Italie. […] Beautés frappantes et aimables de la nature, tous les jours mes yeux vous admirent, tous les jours vous vous faites sentir à mon cœur !  […] Ce qu’il y a de plus clair à conclure, c’est qu’entre ce Mari sentimental de M. de Constant et cette Femme sentimentale de Mme de Charrière, l’idéal du mariage est très-compromis ; ce double aspect des deux romans en vis-à-vis conduit à un résultat assez triste, mais curieux pour les observateurs de la nature humaine. […] Ou, pour parler moins haut et plus à l’unisson de la nature, en fait de morale je suis comme Mme de Charrière : il me suffit qu’il y ait quelque chose dans quelqu’un 235 Mme de Charrière eut, ce semble, une vieillesse assez triste et qui renfermait stoïquement sa plainte. Ame forte et fière, comme on l’a pu voir par un fragment de lettre cité au commencement, et qui se rapporte à sa fin, elle s’était faite aux nécessités diverses de la société ou de la nature.

2087. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Et comme les institutions libres ont ce beau privilège, que l’art de persuader en est l’âme et que, même corrompues, elles ne peuvent se passer du talent, son amitié et sa haine ne pouvaient être indifférentes à personne et, dans cette arène où luttaient les plus heureux génies de l’Angleterre, la nature l’avait jeté tout armé. […] Ce que les couvents font sur le continent où ils absorbent les natures excentriques et maladives, les sectes le font chez nous, et il faudrait à leur défaut inventer autre chose. […] « Quiconque, disait-il, voyage dans ce pays et y considère l’aspect de la nature, l’aspect, l’extérieur et les habitations des hommes, ne se croira pas dans une contrée où la loi, la religion, où la plus vulgaire humanité soient respectées. » L’imprimeur de cet écrit fut accusé. […] La politique, rabaissée dans le voyage de Lilliput aux débats d’une fourmilière, disparaît devant la calme sagesse des habitants de Brobdingnag et de ce roi philosophe qui, prenant dans sa main et caressant doucement le panégyriste éloquent des institutions et des mœurs de l’Angleterre, lui dit, sans émotion, que d’après ses propres peintures, « la plupart de ses compatriotes sont la plus pernicieuse vermine à qui la nature ait jamais permis de ramper sur la surface de la terre ». […] Une vue complète de la nature, de ses lois, de son tranquille et immense empire, réduit à leur juste valeur les agitations du monde, sans les avilir, par le seul rapprochement de leur mobile petitesse et de l’ensemble des choses.

2088. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Notre nation, par une infinité de causes, aussi dangereuses à développer que faciles à connaître, est demeurée ensevelie pendant plusieurs siècles dans les ténèbres les plus profondes ; elle n’en était pas même plus à plaindre, si nous en croyons quelques philosophes, qui prétendent que la nature humaine se déprave à force de lumières. […] Qu’il serait surtout étonné de voir qu’au centre d’une religion aussi humble que la nôtre, et aussi faite pour rapprocher les hommes, on affecte de rappeler continuellement à nos jeunes seigneurs la gloire de leur nom et de leur naissance, et qu’on ne trouve point pour les exciter de motifs plus réels et plus nobles ; au lieu de leur redire sans cesse que les autres hommes sont leurs égaux par l’intention de la nature, plusieurs fort au-dessus d’eux par les talents, et qu’un grand nom, pour qui sait penser, est un poids aussi redoutable qu’une célébrité précoce ? […] Tous les hommes, quoi qu’en dise l’imbécillité, la flatterie ou l’orgueil, sont égaux par le droit de la nature : le principe de cette égalité se trouve dans le besoin qu’ils ont les uns des autres, et dans la nécessité ou ils sont de vivre en société ; mais l’égalité naturelle est en quelque manière détruite par une inégalité de convention, qui, en distinguant les rangs, prescrit à chacun un certain ordre de devoirs extérieurs ; je dis extérieurs ; car les devoirs intérieurs et réels sont d’ailleurs parfaitement égaux pour tous, quoique d’une espèce différente. […] Les grands talents n’ont besoin pour se développer d’aucun autre principe que de l’impulsion de la nature. […] En fait de talents et de génie, la nature se plaît, pour ainsi dire, à ouvrir de temps en temps des mines qu’elle referme ensuite absolument et pour plusieurs siècles.

2089. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Pour un homme de l’organisation supérieure de Féval, à la double nature aristocratique et artiste, pour cet homme d’esprit qui échappe à tout par le don précieux de l’ironie et n’est dupe de rien, pas même peut-être de ses propres inventions, ne voilà-t-il pas une belle position et une belle gloire que d’être le Dennery du roman et de trôner comme roi d’un genre dans lequel Ponson du Terrail est évidemment le dauphin ! […] Paul Féval, qui appartient moins d’origine et de nature intellectuelle à Balzac qu’à Alexandre Dumas, je l’ai dit déjà, a déjà publié, chez Dentu seulement, quarante romans, sans compter ceux qu’il a publiés ailleurs, et, toujours infatigable, il vient d’y ajouter le quarante et unième, Le Chevalier de Kéramour 16, qui ne lui rapportera certainement que ce quarante et unième fauteuil idéal qu’occupèrent avant lui Dumas et Balzac. […] Selon moi, Raymond Brucker fut, de nature, ce que je me permettrai d’appeler un homme-cause (chose rare !) […] Dans la forme du roman, et sous le masque de verre de ce nom de « Jean », qui ne trompe personne, c’est Raymond Brucker qui raconte en son propre nom ; et il y est d’une vérité frappante d’accent et de physionomie, animés l’un et l’autre par des détails charmants, et qui, évidemment, ne peuvent appartenir qu’à cette nature de Raymond Brucker, presque ininventable d’originalité. […] Et quelques lignes plus bas : « Il apportait dans l’expiation la fougue et la force de sa nature.

2090. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Cela est si vrai, et c’était tellement le mouvement et la pente d’alors de solliciter un tel poète, que, vers 1780 et dans les années qui suivent, nous trouvons trois talents occupés du même sujet et visant chacun à la gloire difficile d’un poëme sur la nature des choses. […] C’est là, sans doute, qu’il se proposait de peindre « toutes les espèces à qui la nature ou les plaisirs (per Veneris res) ont ouvert les portes de la vie. » « Traduire quelque part, se dit-il, le magnum crescendi immissis certamen habenis. » Il revient, en plus d’un endroit, sur ce système naturel des atomes, ou, comme il les appelle, des organes secrets vivants, dont l’infinité constitue L’Océan éternel où bouillonne la vie. […] Fidèle à l’antique, il ne l’était pas moins à la nature ; si, en imitant les anciens, il a l’air souvent d’avoir senti avant eux, souvent, lorsqu’il n’a l’air que de les imiter, il a réellement observé lui-même. […] Ainsi le poète se rafraîchissait aux images de la nature, à la veille du 10 août65.

2091. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Ajoutons ici que l’âme éprouve le besoin ou l’instinct de s’exprimer, selon la nature de ses sensations, tantôt en paroles, tantôt en chant. […] Je ne parle pas de nous autres poètes : la nature impressionnable, et jusqu’à un certain point maladive, de notre fibre, a dû nous arracher plus souvent qu’à d’autres ces enthousiasmes de cœur et d’esprit, ces délires d’amour, de piété ou de patriotisme, qui étoufferaient la poitrine si on ne les criait pas en chants ou en vers. […] XVII Cette explosion de son âme ignorante et simple donna à sa voix, ordinairement faible et douce, un volume de son et une énergie de vibration qui faisaient frémir les feuilles des arbres comme un souffle de tempête, tempête de sentiments et de joie dans un cœur d’adolescent, qui se communiquait par l’écho des rochers de la vallée à la nature inanimée, et qui semblait vouloir porter jusqu’à la cime des montagnes et jusqu’aux astres du firmament la nouvelle, le retentissement, l’enthousiasme de son bonheur. […] Les cailloux bruissaient en roulant sous ses souliers ferrés ; il tenait à la main, par suite de sa vieille habitude, la longue gaule de noisetier écorcé, armée de l’aiguillon de ses bœufs ; il en frappait par intervalles, à coups répétés, les buissons du sentier et les branches pendantes des rameaux des bois sur la route, comme s’il eût porté un défi à toute la nature.

2092. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

» V Tantôt on la poussait, par je ne sais quel engouement contre nature, à s’armer pour le démembrement de l’empire ottoman en faveur d’un pacha d’Égypte, ci-devant marchand de tabac à Salonique, ami des Anglais, révolté contre le sultan son maître ; à donner ainsi, aux dépens de la Turquie, notre alliée naturelle, un empire arabe aux Anglais, pour doubler ainsi leur empire des Indes, et à livrer, d’un autre côté, l’empire ottoman, affaibli d’autant, à la Russie ; politique à contresens de tous les intérêts de la France, que M.  […] Et à quelle mesure, dirons-nous aux partisans nombreux de ce sophisme, à quel degré du thermomètre moral reconnaîtrez-vous que l’immoralité change de nature, et que ce qui était crime dans le petit nombre devient moralité dans le grand nombre ? […] Il y en a deux : premièrement, la force nationale, qui donne aux États les conditions défensives de leur nationalité par les armes ; car nous ne sommes pas de ces béats de la paix universelle qui croient supprimer la guerre entre les peuples, comme si l’on pouvait supprimer jamais l’injustice, la cupidité, l’ambition, l’oppression, l’égoïsme, les passions, qui forment malheureusement la moitié de la nature des individus ou des peuples ! […] XXIX Le règne de Louis-Philippe ne pouvait pas, par sa nature, renouer cette alliance avec le cabinet de Vienne.

2093. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Il faut dire, sans en tirer de conséquences, que l’on condamna peu après un faussaire du nom d’Haudiquier, pour fabrication de titres, et que Despréaux se trouva lui avoir payé vingt-cinq louis pour un travail de la nature duquel on n’est pas éclairci. […] Voilà sous quel aspect la nature apparut à l’enfant qui devait être un poète, quand on le menait promener à la vigne paternelle. […] Et puis nous avons depuis Rousseau et Chateaubriand des besoins d’imagination et de sensibilité que nos pères ignoraient : moins suspendus que nous aux formes fugitives de l’être, moins frémissants de sympathie avec la vie universelle, méprisant dans la nature la matière, et ne faisant des sens que les instruments de l’utilité pratique et des plaisirs inférieurs, ils ne sentaient pas comme nous la sécheresse des pures conceptions intellectuelles : ils se satisfaisaient de posséder la vérité abstraite sans aspirer à toucher la réalité concrète. […] Boileau est tout simplement un cartésien, de ce premier cartésianisme, encore inconscient de sa nature intime et qui se flattait de donner un appui à la foi qu’il était fait pour ruiner.

2094. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

On reconnaît, à un accent qui ne trompe pas, qu’elle a commencé par admirer sincèrement l’empereur et qu’elle ne s’est détachée de lui que lentement et malgré elle, à mesure que se découvrait la vraie nature de ce terrible homme. […] Taine est un entomologiste ; la nature l’avait créé pour classer et décrire des collections épinglées. […] Car, que pouvons-nous rêver de supérieur à la beauté de l’homme et de la femme, à celle de la nature ou à l’éclat du soleil  ? […] Pascal, qu’il retrouve dans son froid paradis, a beau lui dire : « Ne cherche pas davantage ; l’homme, dans cette vie nouvelle, connaît tout, hormis la cause première : La cause où la nature entière est contenue Outrepasse la sphère où l’homme est circonscrit, Elle est l’inabordable et dernière inconnue Du problème imposé par le monde à l’esprit. » Il est bon, là, Pascal !

2095. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

C’était une belle et grande fille (tu ne l’as vue que fanée) ; elle avait de la sève de nature, un teint splendide, un sang pur et fort. […]  » L’église restait la seule diversion de la pauvre enfant Elle était pieuse par nature, quoique trop peu intelligente pour rien comprendre aux mystères de notre religion. […] IV Ma mère continua ainsi : « Tout n’est au fond qu’une grande illusion, et ce qui le prouve, c’est que, dans beaucoup de cas, rien n’est plus facile que de duper la nature par des singeries qu’elle ne sait pas distinguer de la réalité. […] ces pauvres filles prouvent par leurs égarements les saintes lois de la nature et leur inévitable fatalité.

2096. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

De là le premier problème que la nature avait à résoudre : traduire pour l’esprit les choses simultanées en choses successives, faire prendre à l’espace la forme du temps. […] Enfin les perceptions comme telles sont surtout, à notre avis, la conscience de relations, de différences, de changements et de mouvements : conséquemment elles tiennent de la nature abstraite et superficielle des signes ou symboles ; les émotions, au contraire, sont des états généraux et profonds : elles sont donc autrement difficiles à reproduire qu’une simple esquisse de nature intellectuelle. […] Entre la forme vive et la forme idéale il n’y a plus alors différence essentielle de nature ; les deux formes sont également des réactions centrales, indirectement provoquées, et il y a surtout entre elles des différences de degré.

2097. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Or, après ces malhonnêtes actions involontaires, ces petits crimes arrachés à sa droite nature, elle s’enfonçait en de tels reproches, en de tels remords, en de telles tristesses, en de tels noirs de l’âme, que dans cet enfer, où elle roulait de fautes en fautes, désespérée et inassouvie, elle s’était mise à boire pour échapper à elle-même, se sauver du présent, se noyer et sombrer quelques heures dans ces sommeils, dans ces torpeurs léthargiques qui la vautraient toute une journée en travers d’un lit, sur lequel elle échouait en le faisant. […] Ce livre, j’ai la conscience de l’avoir fait austère et chaste, sans que jamais la page échappée à la nature délicate et brûlante de mon sujet, apporte autre chose à l’esprit de mon lecteur qu’une méditation triste. […] mais, pour moi, les succès de ces livres ne sont que de brillants combats d’avant-garde, et la grande bataille qui décidera de la victoire du réalisme, du naturalisme, de l’étude d’après nature en littérature, ne se livrera pas sur le terrain que les auteurs de ces deux romans ont choisi. […] voilà… Nous avons commencé, nous, par la canaille, parce que la femme et l’homme du peuple, plus rapprochés de la nature et de la sauvagerie, sont des créatures simples et peu compliquées, tandis que le Parisien et la Parisienne de la société, ces civilisés excessifs, dont l’originalité tranchée est faite toute de nuances, toute de demi-teintes, toute de ces riens insaisissables, pareils aux riens coquets et neutres avec lesquels se façonne le caractère d’une toilette distinguée de femme, demandent des années pour qu’on les perce, pour qu’on les sache, pour qu’on les attrape, — et le romancier du plus grand génie, croyez-le bien, ne les devinera jamais, ces gens de salon, avec les racontars d’amis qui vont pour lui à la découverte dans le monde.

2098. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

La peinture a aussi ses régles, quoiqu’elle ne tende qu’à flater les sens par l’imitation de la nature. […] Ils ont plus de véritables beautés les uns que les autres ; ils rendent les ouvrages plus ou moins estimables, quoiqu’ils n’en changent pas la nature. […] Mais je ne sçais si la nature du sublime est encore bien éclaircie. […] Je trouverois aussi raisonnable de croire que la nature s’est épuisée sur la différence des visages, et qu’il ne peut plus naître d’homme à l’avenir qui ne ressemble précisément à quelqu’autre qui ait été.

2099. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

De cette puissante voix qui se fait entendre tout à la fois dans vos ouvrages, dans les journaux, dans les salons vous avez dit : « L’art dramatique n’est point connu en France, nos prédécesseurs n’y entendaient rien, nos pères ont eu tort de rire, ou d’éprouver de vives émotions à la représentation de leurs anciens ouvrages, il n’y a de vrai beau que la nature, moi seul je ferai connaître aux Français le vrai beau. » À ces paroles mémorables cent novateurs ont répondu par des cris de joie ; vous êtes tout à coup devenu leur prophète, leur Dieu ; vous avez parlé, ils vous ont écouté avec respect ; vous avez prêché votre loi, ils ont suivi vos préceptes ; vous avez ordonné des chefs-d’œuvre, ils ont travaillé ; enfin vous avez opéré vos miracles, et les théâtres sont tombés. […] C’est un grand avantage pour un auteur de pouvoir faire beaucoup parler de soi, en se mettant sous la protection des lois, d’avoir un célèbre avocat qui puisse vous dire en face « que vous avez reçu une mission de votre génie pour rappeler notre littérature à la vérité, non à cette vérité de convention et d’artifice, mais à cette vérité qui se puise dans la réalité de notre nature, de nos mœurs et de nos habitudes ». Votre éloquent défenseur, qui sans doute connaît tous vos ouvrages, a vu peut-être une grande réalité de nature dans votre Marion de Lorme, qui se prostitue à un magistrat pour sauver son amant, ou dans le viol d’une jeune fille qui n’est pas trop fâchée de l’événement, ou dans le mauvais lieu que va visiter François Ier. Passez-moi cette réflexion ; mais je n’ai pu m’empêcher de la faire en songeant qu’un grand orateur, un célèbre jurisconsulte peut très mal raisonner quand il s’agit de théâtre, et qu’il vaut beaucoup mieux une vérité de convention et d’artifice qu’une réalité de nature qui ferait baisser les yeux à la jeune femme de l’avocat, s’il la conduisait aux pièces de son client.

2100. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Ils ne trafiquent point des dons de la nature ; Nous vendons cher les biens qui nous ont peu coûté. […] il n’en est point de telle en la nature ; Sur le point de jouir, tout s’enfuit de nos mains : Les dieux se font un jeu de l’espoir des humains. […] La Fontaine l’a traduit comme vous savez qu’il traduisait quand il rencontrait une de ces choses s’accommodant, et si bien, à sa nature et à son genre. […] Lorsque l’amour s’empare de deux cœurs, Pour rompre leur commerce et vaincre leurs ardeurs, Employez les secrets de l’art et la nature, Faites faire une tour d’une épaisse structure, Rendez les fondements voisins des sombres lieux, Elevez son sommet jusqu’aux voûtes des cieux, Enfermez l’un des deux dans le plus haut étage, Qu’à l’autre le plus bas devienne le partage, Dans l’espace entre deux, par différents détours, Disposez plus d’Argus qu’un siècle n’a de jours, Empruntez des ressorts les plus cachés obstacles ; Plus grands sont les revers, plus grands sont les miracles : L’un, pour descendre en bas osera tout tenter, L’autre aiguillonnera ses esprits pour monter.

2101. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXV » pp. 299-300

Mérimée ne s’est en rien départi de ce trait essentiel de sa nature qui perce dans toutes les productions de son talent : la peur d’être ou de paraître dupe en admirant.

2102. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemoyne, André (1822-1907) »

Nous citerons ces strophes : ……………………………………………… Les chiens déconcertés renoncent à la piste : Voici l’heure paisible où finissent les jours ; Libre vers son refuge, il monte grave et triste… À l’horizon lointain expirent les abois, Sur les chênes dormants la nuit remet son voile… Lui qui ne verra plus l’aurore dans les bois, Donne un dernier regard à la première étoile… C’est un sentiment profond de la nature qui donne de tels accents et qui fait que le lecteur croit voir le tableau que le poète a tracé.

2103. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Le Vavasseur, Gustave (1819-1896) »

. — Études d’après nature (1864). — Inter amicos (1866). — La Rime (1875). — Dans les herbages (1876). — Les Vingt-Huit Jours (1882). — Poésies complètes (1889).

2104. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Préface de la seconde édition »

Rien n’est survenu depuis qui fût de nature à l’ébranler, et j’y persévère, comme en ce qui fait à la fois la règle et la joie de mon esprit.

2105. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 371-373

Il est aisé de voir que l’Auteur a beaucoup réfléchi sur les penchans de la Nature, qu’il a le talent d’en saisir & d’en peindre jusqu’aux moindres agitations & aux moindres signes.

2106. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 430-432

D’après cette définition, l’homme le plus favorisé de la Nature & de la fortune ne sauroit être long-temps heureux.

2107. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 157-158

En remontant jusqu’à la source primitive d’un systême de musique connu à la Chine depuis plus de quatre mille ans ; en approfondissant les principes sur lesquels ce systême appuie ; en développant ses rapports avec les autres sciences ; en déchirant ce voile épais qui nous a caché jusqu’ici la majestueuse simplicité de sa marche, ce Savant eût pénétré peut-être jusque dans le Sanctuaire de la Nature… Son Ouvrage nous eût peut-être fait connoître à fond le plus ancien systême de musique qui ait eu cours dans l’Univers [celui des Chinois] ; & en l’exposant avec cette clarté, cette précision, cette méthode qu’on admire dans son Mémoire, il eût servi comme de flambeau pour éclairer tout à la fois & les Gens de Lettres & les Harmonistes : les premiers, dans la recherche des usages antiques, & les derniers dans celle du secret merveilleux de rendre à leur Art l’espece de toute-puissance dont il jouissoit autrefois, & qu’il a malheureusement perdue depuis. »  

2108. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — I »

Mais les conclusions auxquelles ont abouti les derniers de ces chapitres sont de nature à faire douter de la validité de cette qualification.

2109. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Choiseul pourtant résiste au conseil ; il croit y voir honte et danger ; il fait des objections et amène Bernis à s’expliquer sur cette paix qui est de nature à rompre l’alliance. […] La nature ne l’a point marqué au front du sceau du commandement et de l’autorité. […] L’illusion, et, si je puis dire, la bonhomie de Bernis en cette circonstance, et connaissant le terrain de la Cour comme il le faisait, fut de ne pas s’être rendu compte à l’avance de ces incompatibilités tout à fait inévitables, et qui ressortaient de la nature des choses : il avait conçu et combiné une révolution de ministère comme on concerterait à huis-clos un arrangement de la vie privée.

2110. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

On mettrait au premier rang quelques morceaux que le poète n’a point achevés, tels que le fragment Aux mânes de Damon où se trouve cette belle stance sur l’Orne et ses campagnes, le seul endroit où il ait exprimé avec vérité et largeur le sentiment de la nature champêtre. […] Le docte et ingénieux Orelli combat cette critique : « Supprimez cette fin, dit-il, nous n’aurons plus qu’une amplification de rhétorique en l’honneur de la vie champêtre, célébrée sans motif et sans but, une description plus digne réellement de Vanière et de Gessner que d’Horace. » C’est pourtant ce que Racan a fait et ce qu’eût fait aussi Fénelon ; il a supprimé toute ironie, et comme, en le faisant, il était dans sa nature, il a retrouvé par ce côté non pas la supériorité, mais une originalité en face d’Horace. […] Son gentilhomme de campagne, il ne va pas le demander aux anciens ; il l’a sous les yeux, et il le décrit d’après nature : Il laboure le champ que labourait son père : Il ne s’informe point de ce qu’on délibère Dans ces graves Conseils d’affaires accablés ; Il voit sans intérêt la mer grosse d’orages, Et n’observe des vents les sinistres présages Que pour le soin qu’il a du salut de ses blés.

2111. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Quarante-huit ans après, c’était le même homme qui publiait son Mémoire sur la société polie ; ce qui faisait dire à M. de Talleyrand, parlant au fils de l’auteur : « Il y a une chose remarquable dans la vie de votre père, et qui n’est peut-être arrivée à personne avant lui, c’est qu’à cinquante ans de distance il a publié deux ouvrages, dont le premier a fondé sa réputation, et dont le second vient de la couronner. » En même temps et aux approches de 89, Roederer avait l’habitude et le besoin d’écrire sous forme plus courante et plus brève sur toutes les questions du jour, sur les événements ou conflits qui occupaient à Metz l’attention publique : en un mot, comme Franklin, il était par nature et par goût journaliste ; il le sera pendant une grande partie de sa vie, et conciliera, tant qu’il y aura moyen, ce genre de publication avec les hauts emplois et les dignités même de l’État. […] Jamais il n’abjura le fonds d’idées de 1789 ni la conquête de certains résultats civils, politiques, auxquels sa raison ne pouvait renoncer ; il continua d’être le citoyen résolu d’une société sans privilèges : mais il devint plus méfiant dans sa poursuite du mieux ; sa logique, inflexible apprit à connaître les obstacles, les limites ; il ne fit plus abstraction de la nature et des passions des hommes dans cet art social qui s’applique avant tout aux hommes mêmes, qui opère sur eux et par eux. […] Roederer veut démontrer que, dès 1792, l’autorité n’était nulle part ailleurs que dans le peuple ; qu’à force de se mettre en garde contre le pouvoir arbitraire, de le battre en brèche, de le mater et de le mutiler, l’Assemblée constituante obéissant à l’esprit du temps avait laissé grandir autour d’elle et en dehors une puissance formidable d’une tout autre nature, non moins arbitraire et mille fois plus tyrannique.

2112. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Ce ne serait pas être juste, avant de quitter l’Histoire de ce dernier, que de n’y pas signaler encore quelques endroits tout littéraires et d’une heureuse richesse, où l’auteur est bien dans l’application de sa nature et dans l’emploi de son talent : par exemple, un passage soigné sur les écoles de philosophie grecque au moment où l’édit de Justinien les supprime ; et, tout à la fin de l’ouvrage, les considérations sur la Renaissance en Italie, sur l’arrivée des lettrés de Constantinople, sur les regrets de Pétrarque en recevant un Homère qu’il ne sait pas lire dans l’original, et sur le bonheur de Boccace, plus docte en ceci et plus favorisé. […] Deyverdun prend feu et lui répond (10 juin 1783) par l’aperçu d’une vie heureuse faite pour tenter ; il connaît bien son ami, il veut l’arracher à une condition politique qui n’est pas faite pour lui, et où sa nature véritable a dû nécessairement souffrir : « Rappelez-vous, mon cher ami, lui dit-il, que je vis avec peine votre entrée dans le Parlement, et je crois n’avoir été que trop bon prophète : je suis sûr que cette carrière vous a fait éprouver plus de privations que de jouissances, beaucoup plus de peines que de plaisirs. […] … Au reste, chacun des deux suivait sa voie, et Gibbon n’était pas intolérant en fait de manières d’être heureux ; il savait que chaque nature a la sienne.

2113. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Avertie par les premiers relâchements et par les fantaisies légères qu’elle avait vues poindre, elle s’occupa à faire à ses filles un rempart de leurs constitutions et de leur règle ; elle comprit, comme toutes les grandes fondatrices, qu’on n’arrive à tirer de la nature humaine un parti singulier et extraordinaire sur un point qu’en la supprimant ou la resserrant par tous les autres côtés. […] Comblée en apparence, et malgré son éclat, elle était de ces natures délicates qui sont restées plus sensibles aux secrètes injures du monde qu’à ses grossières offrandes. […] Mme de Maintenon est sortie tout à fait à son honneur de cette étude précise et nouvelle ; on peut même dire que sa cause est désormais gagnée : elle nous apparaît en définitive comme une de ces personnes rares et heureuses, qui sont arrivées, dans un sens, à la perfection de leur nature, et qui ont réussi un jour à la produire, à la modeler dans une œuvre vivante qui a eu son cours, et à laquelle est resté attaché leur nom.

2114. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

« Saint Louis, dit Tillemont, était blond et avait le visage beau comme ceux de la maison de Hainaut, dont il était sorti par sa grand-mère Isabelle, mère de Louis VIII. » Pour achever de comprendre ce genre de beauté noble et attrayante, d’une douce fierté, cette trempe royale et chrétienne tout ensemble, je crois qu’on y peut introduire quelque chose de l’idée d’un saint François de Sales avec moins de riant, avec plus de gravité de ton et de relief chevaleresque, avec le casque d’or et le glaive nu aux jours de bataille : mais c’était également une de ces natures en qui le feu intérieur reluit et qui se consument d’elles-mêmes de bonne heure par trop de zèle et de charité. […] C’est un dernier trait qui achève de peindre cette franche et droite nature […] Et Isaïe emploie aussi cette expression : « Je crierai comme une femme en travail. » Ce sont de ces images primitives et que donne la pure nature.

2115. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Mirabeau en est très préoccupé, il en fait bravade, et c’est encore là un des traits de sa nature. […] Cette réponse montrée par Vauvenargues au duc de Durfort et à d’autres officiers, à un dîner d’auberge à Besançon, paraît bonne et dans le caractère de celui qui l’écrit : « Mais nous plaignîmes, ajoute Vauvenargues, une pauvre fille, qui a de l’esprit et qui vous aime. » Sur ce chapitre essentiel et délicat, la différence des deux natures se prononce. Du sein même de ses études, de ses méditations économiques, dans un séjour au château de ses pères, où il s’est retiré pour une saison, Mirabeau confesse le vice qui est celui de tout son temps et qui lui gâtera sa vie, d’ailleurs intègre : « La volupté, mon cher ami, est devenue le bourreau de mon imagination, et je payerai bien cher mes folies et le dérangement de mœurs qui m’est devenu une seconde nature ; hors de là, je suis maintenant comme un poisson dans l’eau. » À côté de cet aveu que justifieront trop les futurs scandales et les éclats de sa vie domestique, mettez la sagesse et la sobriété de Vauvenargues, à qui son peu de santé interdirait sans doute les plaisirs, mais qui en est éloigné encore plus par la haute et pure idée qu’il se fait de l’amour, par le peu de goût qu’il a pour les femmes, « celles du moins qu’il connaît ». — « Je hais le jeu comme la fièvre, et le commerce des femmes comme je n’ose pas dire ; celles qui pourraient me toucher, ne voudraient seulement pas jeter un regard sur moi. » Vauvenargues avait toujours pris l’amour au sérieux : « Pour moi, je n’ai jamais été amoureux, que je ne crusse l’être pour toute ma vie ; et, si je le redevenais, j’aurais encore la même persuasion. » C’est pour cela qu’il recommençait rarement.

2116. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Essayez donc vous-mêmes d’appliquer ce principe à l’étude des deux poètes les plus grands qu’ait produits la nature humaine, Homère et Shakspeare ! Ce Shakspeare par lequel prophétise la nature, et dont un critique souverain a dit qu’il nous conduit à travers le monde tel qu’il est, bien et mal, lumière et ténèbres, grandeurs et abîmes, tous aspects différents et nécessaires : « Mais nous, hommes raffinés et sans expérience, nous nous écrions, à chaque sauterelle que nous rencontrons : Elle va nous dévorer !  […] Ces observations faites pour l’acquit de sa conscience, il doit, avant tout, homme pratique et de bon sens, porter un regard scrutateur sur l’âme et sur la nature d’Aurélie, afin de bien voir si cette apparence candide et calme ne recèle point un foyer de trouble et d’orage.

2117. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

En voyant arriver quelques mois auparavant le duc de Nivernais pour négocier la paix, comme il était très-petit et chétif, Charles Townshend, sur le premier coup d’œil, avait dit : « On nous a envoyé les préliminaires d’un homme pour signer les préliminaires de la paix. » Cette nature puissante et vitale des Anglais venait à bout aisément des nerfs de nos petits-maîtres et de nos petites-maîtresses qui n’en pouvaient plus et étaient littéralement sur les dents. […] … » Dutens, enfin, qui seul ne serait peut-être pas une autorité suffisante en matière de grâce et de goût, mais qui en est une en fait de sérieux, nous dit : « De toutes les femmes de la Cour les plus distinguées par l’esprit et les agréments, Mme la comtesse de Boufflers était certainement la plus remarquable : aucune n’avait plus d’amis et n’avait eu moins d’ennemis, parce qu’elle unissait à tous les dons de la nature et à la culture de l’esprit une simplicité aimable, des grâces charmantes, une bonté et une sensibilité qui la portaient à s’oublier sans cesse, pour ne s’occuper que des biens ou des maux de tous ceux qui l’entouraient. […] Plus d’un événement empêcha Mme de Boufflers d’exécuter ce projet qui allait si bien à sa curieuse et voyageuse nature.

2118. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Au premier abord, tout député du tiers-état qu’il était, il avait, selon la remarque de Montlosier, une attitude de grand seigneur et de grandes manières qui lui allaient fort bien et qu’il devait à la dignité de sa nature autant qu’aux hauts emplois qu’il avait exercés. […] Si l’incompréhensibilité des mystères révélés épouvantait ma raison, les merveilles de la nature me démontraient évidemment son auteur et l’existence d’un ordre moral à côté de l’ordre physique. […] Necker est encore celui qu’a tracé M. de Montyon dans ses Particularités et Observations sur les Ministres des Finances ; on y lit, entre autres coups de crayon d’après nature : « … Ses mouvements étaient inégaux, brusques, forces ; il portait la tête fort élevée et même renversée, et il y avait de l’affectation dans cette contenance : car le degré de renversement de sa tète était un thermomètre de la situation politique. » 91.

2119. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Béranger qui, à plus de trente ans de là, eut bien des confidences de La Mennais, a dit dans une lettre à un ami : « Vous avez bien jugé la nature de son esprit. […] Il nous racontait son origine bretonne et, par les femmes, quelque peu irlandaise, origine qui jette un certain jour sur la nature de son génie, son enfance presque sauvage, ses études solitaires au bord do la mer, sa passion pour le cheval, la chasse, les armes, et son audacieux défi à Surcouf, le fameux corsaire qui faisait trembler l’océan Indien : sa jeunesse opulente (?) […] A peine a-t-il fait un pas dans la cléricature qu’il ne se sent aucun attrait à poursuivre, il exprime sous forme mystique et symbolique des fautes dont il s’accuse, et dont il est permis à chacun de soupçonner la nature : « (La Chesnaie, 1810)… Je crois que le Seigneur m’éclaire malgré ma profonde indignité ; je crois reconnaître au fond de mon âme quelques faibles rayons de cette lumière qui annonce sa présence et prépare à la goûter.

2120. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Il y a bien quelque quarante ans aussi que la rénovation poétique, qui est en pleine vogue à cette heure, a débuté chez nous dans les vers d’André Chénier, et à fait route latéralement dans la prose des Études, des Harmonies de la Nature, dans celle de Corinne, René, Oberman et des romans de Nodier, tous ces fils des Rêveries, toute cette postérité de Jean-Jacques. […] Les Contes d’Espagne et d’Italie, en mettant hors de ligne la puissance poétique de M. de Musset, posaient donc en même temps une sorte d’énigme sur la nature, les limites et la destinée de ce talent. […] L’image du plomb incrusté dans la réalité, de l’effigie d’airain emportée d’un coup de ciseau, cette image si juste quand elle s’applique au père de Mateo Falcone, de Tamango et de Catalina, jure énormément avec la nature tout ailée du génie à qui l’on doit Psyché, le Lis du Carmel, et ces Actes sans nombre d’où les chants séraphiques s’exhalent comme des bouffées de chauds aromes ou les nuées d’encens dans les sanctuaires73.

2121. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Tandis que dans les ordres d’idées différents, en politique, en religion, en philosophie, chaque homme, chaque œuvre tient son rang, et que tout fait bruit et nombre, le médiocre à côté du passable, et le passable à côté de l’excellent, dans l’art il n’y a que l’excellent qui compte ; et notez que l’excellent ici peut toujours être une exception, un jeu de la nature, un caprice du ciel, un don de Dieu. […] Les circonstances extérieures étant données, l’état politique et social étant connu, on conçoit quelle dut être sur une nature comme celle de Boileau l’influence de cette première éducation, de ces habitudes domestiques et de tout cet intérieur. […] pendant ce long séjour aux champs, en proie aux infirmités du corps qui, laissant l’âme entière, la disposent à la tristesse et à la rêverie, pas un mot de conversation, pas une ligne de correspondance, pas un vers qui trahisse chez Boileau une émotion tendre, un sentiment naïf et vrai de la nature et de la campagne3.

2122. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Sinon, je ne dénierai pas pour cela au génie la paternité de l’œuvre d’art, mais je chercherai à me rendre un compte précis de sa nature et de son mécanisme. […] La poésie de la nature, la grandeur de la science, la sublimité du mysticisme, le charme de la retraite : toutes choses intraduisibles en théâtre. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France.

2123. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Sinon, je ne dénierai pas pour cela au génie la paternité de l’œuvre d’art, mais je chercherai à me rendre un compte précis de sa nature et de son mécanisme. […] La poésie de la nature, la grandeur de la science, la sublimité du mysticisme, le charme de la retraite : toutes choses intraduisibles en théâtre. […] Bien qu’il ne soit pas malaisé de montrer, dans les drames religieux de l’Inde ancienne, l’image d’une vie tout intérieure, mais que des cultes pieux faisaient sociale ; dans les tragi-comédies du moyen âge espagnol, la double expression du mélange trouble, d’un obscurantisme fanatique et d’une nature lumineuse ; dans les licencieuses fantaisies du théâtre italien plus moderne, la mise en scène d’une société brillante et dissolue ; — mieux vaut rappeler, pour convaincre par des exemples tout à fait décisifs, les deux peuples dont la vie sociale fut le plus harmonieuse, et la vie théâtrale le plus artistique, la Grèce et la France.

2124. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Ce qui suffirait pour donner la plus haute idée de la qualité du talent de M. de Chateaubriand, c’est en général la nature distinguée des femmes qui s’y sont prises, qui se sont éprises de lui pour son talent. […] » Le plus piquant hommage qu’on puisse adresser aux hommes de cette nature et de cette manie, c’est de leur dire : « On vous comprend, on vous connaît, on vous admire ; mais vous avez des pareils, ou du moins des semblables, plus que vous ne le croyez. » Mme de La Tour ne lit pas comme son amie Claire ; elle ne se découragea point. […] Pour nous, quoi que la raison nous dise, pour tous ceux qui, à quelque degré, sont de sa postérité poétiquement, il nous sera toujours impossible de ne pas aimer Jean-Jacques, de ne pas lui pardonner beaucoup pour ses tableaux de jeunesse, pour son sentiment passionné de la nature, pour la rêverie dont il a apporté le génie parmi nous, et dont le premier il a créé l’expression dans notre langue.

2125. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Mlle de Lespinasse n’était point jolie ; mais, par l’esprit, par la grâce, par le don de plaire, la nature l’avait largement récompensée. […] Mais nul lieu commun d’ailleurs, nulle déclamation ; tout est de source et vient de nature. […] Tout en admirant une nature capable d’une si forte manière de sentir, on est tenté, en lisant, de supplier le ciel de détourner de nous, et de ce que nous aimons, une telle fatalité invincible, un tel coup de tonnerre.

2126. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Mme Geoffrin, bien observée, me paraît avoir été, par la nature de son esprit, par la méthode de son procédé, et par son genre d’influence, le Fontenelle des femmes, un Fontenelle plus actif en bienfaisance (nous reviendrons tout à l’heure sur ce trait-là), mais un vrai Fontenelle par la prudence, par la manière de concevoir et de composer son bonheur, par cette manière de dire, à plaisir familière, épigrammatique et ironique sans amertume. […] Sa bienfaisance était grande autant qu’ingénieuse, et chez elle un vrai don de nature : elle avait l’« humeur donnante », comme elle disait. « Donner et pardonner », c’était sa devise. […] Je crois retrouver là, même au sein d’une nature excellente, ce coin d’égoïsme et de sécheresse inhérente au xviiie  siècle.

2127. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

La roue de l’histoire, qui tourné sans cesse, nous a ramenés au point de vue qu’il faut pour mieux comprendre peut-être ce que c’est qu’une nature royale et souveraine, et de quel usage elle est dans une société : donnons-nous un moment le plaisir de la considérer en Louis XIV dans sa pureté et son exaltation héréditaire, et avant que Mirabeau soit venu. […] La nature l’avait désigné pour cela physiquement par un mélange unique de décence et de majesté. […] Les qualités solides, l’application laborieuse de son esprit, et les sentiments de son cœur, répondirent à ce vœu de la nature et au rôle de la destinée.

2128. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Lui, il arrive à Paris, après des études toutes littéraires, ayant lu Rousseau et Bernardin, épris de la nature, ayant fait son tour de Suisse et de Savoie, assez poète par l’esprit et par la sensibilité, sinon par le talent ; il penche naturellement du côté de la monarchie et de Louis XVI, mais avec bien du mélange. […] Parvenu à s’échapper de Paris, il alla passer ces années menacées sur les rivages de l’Ain et dans les montagnes du Jura ; c’est ce retour consolant à la nature, cette première saison d’exil et de mélancolique douceur, qu’il a voulu consacrer dans Le Printemps d’un proscrit, poème descriptif, qui n’a de joli que l’intention et le titre. […] — La nature, disait-il encore, a mis dans l’âme et dans le caractère de celui qu’elle destine aux grandes actions une sorte de verve semblable à celle qui crée les chefs-d’œuvre ».

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