— Merci, si je buvais… j’aurais des fibrilles bleues dans le nez… les folles courtisanes ne m’aimeraient plus… je serais obligé de posséder des femmes à vingt sous… je deviendrais abject et repoussant, et alors… » * * * — Jamais siècle n’a plus blagué, même dans le domaine de la science. […] Les anecdotes trop peu connues l’effarouchent, les documents vierges l’effrayent : une histoire, comme nous la comprenons du xviiie siècle, développée à travers une longue série de lettres autographes et de pièces inédites servant à mettre en montre tous les côtés du siècle : une histoire, neuve, originale, sortant de la forme générale des histoires ordinaires, ne nous rapportera pas le vingtième d’une grosse compilation, où nous aurons à patauger des pages entières dans du connu et du ressassé. […] 7 avril Nous dînons chez Broggi, à côté d’un petit vieillard à cheveux blancs, qui est un des grands, des purs, des beaux caractères de ce siècle, asservi à l’argent. […] Tout devient noir en ce siècle, et la photographie, n’est-ce pas l’habit noir des choses ? […] Et je pensais très tristement, que si demain Montmartre devenait un Vésuve, et qu’il enterrât sous sa lave Paris, je pensais à l’étonnement des fouilleurs des siècles futurs, quand sortirait de la lave ou de la cendre, le Priapeion célèbre de Paris.
… » Si connues que soient ces idées, il faut pourtant y insister, parce que ce goût de la mort et des pourritures, physiques ou sociales, a infecté tout le siècle précédent et qu’il en a contaminé toutes les écoles littéraires, jusqu’aux naturalistes et jusqu’aux symbolistes de ces récentes années. […] Ainsi s’explique que des nationalités aient pu revivre après des siècles. […] nous sortons à peine d’un long cauchemar de trente années, — courte période qui pèsera autant sur notre avenir que les siècles les plus sombres de notre gestation nationale. […] Ils diront adieu à la vieille utopie sentimentale de fraternité universelle, pour laquelle nous avons gâché tout un siècle de notre histoire ; et si chacun d’eux garde au fond de son cœur les cultes de ses pères, ils ne reconnaîtront d’autres divinités pour la Patrie que la Force qui fonde les empires et la Raison qui la conduit ! […] Regardons plutôt autour de nous, voyons ce que l’Anglo-Germain a fait de l’Europe depuis qu’il s’est emparé de l’hégémonie, pendant le dernier tiers du siècle qui vient de finir.
Froissart a de bonne heure son idéal : les grands romans de chevalerie, les grands exploits des siècles précédents, qui se renouvellent dans ce siècle, ont mis en circulation une certaine idée d’honneur et de courtoisie ; il en est épris ; elle a relui sur son berceau, et toute sa vie sera consacrée à en retracer et à en perpétuer par écrit l’image. […] Le roman de Cléomadès, par le poète Adenet, un des célèbres trouvères du siècle précédent, fut un de ces livres favoris, et par lequel lui vint le mal qu’il désirait tant.
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire s’est occupé avec étendue de Buffon ; une comparaison qu’il établit de l’éloquent historien de la nature avec Linné, et où il marque vivement les contrastes des deux génies, se termine en ces termes : Linné, un de ces types si rares de la perfection de l’intelligence humaine, où la synthèse et l’analyse se complètent dans un juste équilibre, et se fécondent l’une l’autre : Buffon, un de ces hommes puissants par la synthèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, s’engagent seuls dans les voies nouvelles, et s’avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie, comme un conquérant de son épée ! […] Elle est dans ces soudaines inspirations qui si souvent l’entraînent hors de son siècle et parfois le portent en avant du nôtre, dans les éclairs de sa pensée, dont la lumière, au lieu de s’affaiblir avec la distance, semble se projeter plus éclatante à mesure qu’elle atteint un plus lointain horizon. […] [NdA] Je ne vois que des hommes fiers du progrès de leur siècle, de l’avancement des sciences et de l’industrie ; au milieu de tout cet orgueil et de ces triomphes, je reste frappé d’une chose : Combien l’homme, l’immense majorité des hommes continuent d’être dépendants d’une seule moisson bonne ou mauvaise, aux époques les plus civilisées !
Tout en apprenant du latin, du grec, de l’hébreu, et en se rompant aux mâles études, l’enfance et la première jeunesse de d’Aubigné furent telles, et si fréquemment débauchées et libertines, qu’en tout autre siècle il eût probablement dérivé et donné dans cette espèce d’incrédulité qu’on désigne sous le nom de scepticisme, et que les mauvaises mœurs insinuent si aisément : mais au xvie siècle, ces courants amollissants et dissolvants n’existaient pas, et les dissipations même, dans leur violence et leur crudité grossière, n’empêchaient pas de respirer l’air ardent des croyances diverses et des fanatismes. […] Il dut à sa race, à sa trempe d’éducation et au rude milieu où il fut plongé, de conserver, à travers ses passions contradictoires et qu’il combattait très peu, un fonds de moralité qui étonne et qui ne fait souvent que leur prêter une plus verte sève : nature généreuse après tout, témoin subsistant d’un siècle plus robuste et plus endurci que les nôtres, et qui nous en rend au hasard et avec saillie les caractères les plus heurtés. […] Cette Histoire in-folio qui commence à la naissance de Henri IV et qui se termine à la fin du siècle et à l’édit de Nantes, se compose de trois tomes qui furent imprimés successivement en 1616, 1618, 1620.
Dans la seconde moitié du xviie siècle on se croyait dans un grand siècle, et on avait raison ; on se croyait dans un siècle régulateur et digne de servir à jamais de modèle aux autres époques, et en cela on s’attribuait un peu plus qu’on ne devait. […] Un homme d’esprit plus impartial que Despréaux, et qui y apportait moins de vivacité de goût, le docte Huet, a jugé Santeul avec beaucoup de vérité quand il a dit : Si l’on avait dressé à cette date (vers 1660) une pléiade des poètes, comme autrefois en Égypte du temps de Ptolémée Philadelphe, ou comme au siècle passé en France, on y aurait certainement donné place à Pierre Petit, médecin, à Charles du Périer et à Jean-Baptiste Santeul, de la congrégation de Saint-Victor à Paris.
Les principaux de ces poètes, ceux qui avaient le plus d’avenir, se rattachaient à l’ordre d’idées et d’affections inaugurées dès le commencement du siècle par M. de Chateaubriand, et dont la Restauration favorisait le réveil ; et, pour cette autre initiation qui tient plus particulièrement à la forme poétique, ils aimaient à se réclamer d’André Chénier, non pas tant pour l’imiter directement que par instinct de fraîcheur, de renouvellement, et par amour pour cette beauté grecque dont il nous rendait les vives élégances et les grâces. […] Mais dans ces considérations générales où l’on opère sur des siècles et des âges tout entiers, et où la critique parcourt à vol d’oiseau d’immenses espaces, on oublie trop un point essentiel, c’est que le poète vient à une heure précise et à un moment. […] Depuis un siècle on n’avait sur tout cela en France que des romans en prose interminables, affadissants.
Le xvie siècle, qui a produit un si grand nombre de bons capitaines et d’écrivains d’épée, a eu comme un dernier rejeton dans le duc de Rohan, qui s’illustra sous ce double aspect durant le premier tiers du siècle suivant. […] Rohan, qui y admire l’arsenal et qui en dénombre l’artillerie (370 pièces de fonte), ajoute : « Ils n’ont point de canon de batterie : leur raison tient fort du roturier ; car, à ce qu’ils disent, ils ne veulent attaquer personne, mais seulement se défendre. » Venise le saisit vivement par son originalité d’aspect, son arsenal, sa belle police, ses palais, ses tableaux même et ses bizarres magnificences : Pour le faire court, dit-il, si je voulais remarquer tout ce qui en est digne, je craindrais que le papier me manquât : contente-toi donc, ma mémoire, de te ressouvenir qu’ayant vu Venise, tu as vu un des cabinets de merveilles du monde, duquel je suis parti aussi ravi et content tout ensemble de l’avoir vue, que triste d’y avoir demeuré si peu, méritant non trois ou quatre semaines, mais un siècle, pour la considérer à l’égal de ce qu’elle mérite. […] Il y aura moins de violence peut-être aux nouvelles factions, mais aussi plus d’art et de corruption malicieuse : « Le temps passé a fait connaître beaucoup de défauts, dont ceux de ce siècle feront leur profit.
qu’avant de se décider à écrire sur quelque portion de ce beau siècle, on devrait bien s’y être préparé de longue main, et, pour cela, dès la jeunesse, dès l’enfance, avoir insensiblement reçu une première couche générale de connaissance classique française, de bon et juste langage, comme du temps de Fontanes et de la jeunesse de M. Villemain, avoir lu Le Siècle de Louis XIV de Voltaire ; avoir su par cœur tant de belles pages citées dans les cours, dans les leçons de littérature, et qui honorent le goût ! […] ; on observerait les proportions et le ton, les convenances ; on ne commencerait point par donner tête baissée dans l’inédit, avant d’avoir lu ce qui est imprimé depuis deux siècles, ce qui hier encore était en lumière et faisait l’agrément de toutes les mémoires ornées ; on ne débuterait pas avec le xviie siècle par des découvertes : mais si l’on en faisait, on les exprimerait d’une façon plus simple, mieux assortie aux objets, plus digne de ce xviie siècle lui-même ; on ne jurerait pas avec lui en venant parler de lui ; on ne parlerait pas un langage à faire dresser les cheveux sur la tête à ce monde poli qu’on met en avant à tout propos ; on ne s’attaquerait pas enfin, de but en blanc, à ces gens de Versailles comme si l’on arrivait de Poissy ou de Pontoise.
Pour moi, je suis toujours porté à m’étonner quand je vois de jeunes esprits indistinctement curieux et avides de butin à tout prix se plonger si avant dans l’étude de la littérature du xviie siècle, pour en rapporter précisément ce que ce siècle a condamné en dernier ressort, ce qu’il avait, en grande partie, rejeté. […] Quand il entreprit d’écrire, puis de mettre au jour cet ouvrage tant médité, La Bruyère pensait donc peu à des fadaises dès longtemps oubliées et aussi enterrées que les romans des Scudéri ; il pensait à ce qui est vivant, aux antiques et aux récents modèles ; il songeait surtout à la difficulté de satisfaire tant de juges délicats et rassasiés, tous ceux qu’il a énumérés dans son Discours de réception à l’Académie, cercle redoutable et sévère, sourcilleux aréopage et qui, sur la fin du grand siècle, devait être tenté de dire à chaque nouveau venu : « Il est trop tard, tous les chefs-d’œuvre sont faits ! […] Je ne vois guère que deux points où son bon sens si ferme se trouve en défaut : la révocation de l’Édit de Nantes, qu’il a louée comme l’a fait presque tout son siècle (mais peut-être, de sa part, était-ce une pure concession politique), et le détrônement de Jacques II ; en ce dernier cas il a certainement obéi à une indignation généreuse et à un sentiment de pitié.
S’en suit-il que deux siècles plus tard, à l’époque d’Hamilcar et d’Hannibal, il y eût encore de ces immolations publiques et officielles ? […] Walter Scott, le maître et le vrai fondateur du roman historique, vivait dans son Écosse, à peu de siècles, à peu de générations de distance des événements et des personnages qu’il nous a retracés avec tant de vie et de vraisemblance. […] Il a pu même, grâce à ce génie des vieux temps qu’il avait si bien écouté et deviné, remonter une ou deux fois avec succès jusqu’aux siècles reculés du Moyen-Age.
Les grands, les riches, les heureux du siècle seraient charmés qu’il n’y eût point de Dieu ; mais l’attente d’une autre vie console de celle-ci le peuple et le misérable. […] Je donnerai ce préambule ; mais qu’on veuille bien distinguer et dégager la vérité de l’accent, sous ce qui nous semble aujourd’hui un peu déclamatoire et qui appartient au langage du siècle ; il n’est pas mal, d’ailleurs, de voir le sentiment des malheurs publics se mêler si intimement aux infortunes personnelles du rêveur ; les générations qui souffraient ainsi, et dont les âmes se soulevaient avec de tels gémissements sous toutes les sortes d’oppressions, méritaient de vivre assez pour assister et coopérer à la délivrance de 89. […] Tout ce que j’ai vu dans mon siècle serait capable de me faire mépriser les hommes, si je ne craignais de rejeter sur eux les torts de mon caractère, qui sont ceux de ma nature.
Il s’est donc attaché à notre grand tragique, et il s’est complu à démontrer en lui une âme et une intelligence essentiellement historique, pleine de prévisions et de divinations : non qu’il ait jamais supposé que le vieux poète, en s’attaquant successivement aux divers points de l’histoire romaine pendant une si longue série de siècles, depuis Horace et la fondation de la République jusqu’à l’Empire d’Orient et aux invasions d’Attila, ait eu l’idée préconçue d’écrire un cours régulier d’histoire ; mais le critique était dans son droit et dans le vrai en faisant remarquer toutefois le singulier enchaînement qu’offre en ce sens l’œuvre dramatique de Corneille, et en relevant dans chacune de ses pièces historiques, même dans celles qu’on relit le moins et qu’on est dans l’habitude de dédaigner le plus, des passages étonnants, des pensées et des tirades dignes d’un esprit politique, véritablement romain. […] Il est bien vrai que, plus d’un siècle après, dans le recueil de Pièces intéressantes, donné par La Place, on lit les Stances de Corneille tronquées et sous ce titre : La comtesse de … à la marquise de … Mais qu’est-ce que cela prouve, et la publication d’un éditeur de la fin du xviiie siècle peut-elle prévaloir contre celle qui fut faite du temps de Corneille et de son aveu ? […] Revenant aux jugements littéraires et aux études remarquables, de date plus ou moins ancienne, mais qui ont également paru dans ces derniers temps, je trouve dans le volume intitulé : Poètes du siècle de Louis XIV, par M.
Placé à l’entrée de nos deux principaux siècles littéraires, il leur tourne le dos et regarde le seizième ; il y tend la main aux aïeux gaulois, à Montaigne, à Ronsard, à Rabelais, de même qu’André Chénier, jeté à l’issue de ces deux mêmes siècles classiques, tend déjà les bras au nôtre, et semble le frère aîné des poètes nouveaux. […] André de Chénier aima les femmes non moins vivement que Regnier, et d’un amour non moins sensuel, mais avec des différences qui tiennent à son siècle et à sa nature.
Les préceptes du goût, dans leur application à la littérature républicaine, sont d’une nature plus simple, mais non moins rigoureuse que les préceptes du goût adoptés par les écrivains du siècle de Louis XIV. […] Si l’on appelle politesse les formes de galanterie du siècle de Louis XIV, certes, les premiers hommes de l’antiquité n’en avaient pas la moindre idée, et ils n’en sont pas moins les modèles les plus imposants que l’histoire et l’imagination même puissent offrir à l’admiration des siècles.
Cependant, comme aux deux siècles précédents, les agitations parlementaires font parfois appel ou donnent issue aux facultés oratoires des magistrats : dans les querelles religieuses de la première moitié du siècle, on distingue l’âpre fermeté du janséniste abbé Pucelle, dans les luttes du Parlement contre la cour et les ministres qui précèdent la Révolution, les fougueux emportements de Duval d’Epréménil. […] Une détestable rhétorique semble apporter des collèges à la tribune tout l’arsenal des métaphores, comparaisons, allusions, citations qui servaient depuis deux siècles aux discours latins des écoliers.
Il n’y a guère d’écrivain dans ce siècle chez qui abondent à ce point les réminiscences ou même les imitations de la littérature classique, grecque, latine et française. […] Jean Richepin continue dans notre siècle la tradition de ces réfractaires. […] Et la Chanson du sang, cette « légende des siècles » en raccourci, où chaque globule de son sang, légué au poète par ses ancêtres, chante sa chanson dans ses veines, est bien près d’être un chef-d’œuvre.
Après eux et leur successeur immédiat, saint Thomas, cette connaissance s’obscurcit ; on écrit aux xive et xve siècles dans un latin de plus en plus barbare. La tradition antique, déjà si incertaine dans les deux siècles précédents, se mêle de fables grossières qui font de Cicéron deux personnages, et de Virgile un magicien. […] Elle est ravagée par deux siècles de guerres effroyables, tantôt avec l’Angleterre, qui lui arrache un moment sa nationalité et lui donne pour roi un régent anglais ; tantôt avec son ancienne organisation féodale : elle ne produit point d’homme de génie dans les lettres.
Son siècle, plus fort que sa raison, l’empêcha de voir la main qui a prodigué ces variétés infinies de structure, et qui a mis jusque dans des infusoires invisibles une parcelle de vie que les plus désarmés n’abandonnent pas sans la défendre. Cette faiblesse a coûté à Buffon le meilleur du génie du naturaliste, l’exactitude, et le même siècle qui lui cachait Dieu a le plus douté de la solidité de sa science. […] Je reconnais là l’orgueil du siècle et l’orgueil de l’écrivain.
Ce livre signalait Mallarmé comme un poète qui, « dans un siècle de suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l’écart, abrité de la sottise environnante par son dédain, se complaisant à raffiner sur des pensées déjà spécieuses, les greffant de finesses byzantines, les perpétuant en des déductions légèrement indiquées que reliait à peine un imperceptible fil ». […] Je contemplais à mon aise d’inappréciables instants : la fraction d’une seconde, pendant laquelle s’étonne, brille, s’anéantit une idée ; l’atome de temps, germe de siècles psychologiques et de conséquences infinies, paraissaient enfin comme des êtres, tout environnés de leur néant rendu sensible. […] Moréas, après avoir admiré Mallarmé, disait vers la fin : « Je ne rouvrirai plus ses livres. » Pourtant, plus d’un quart de siècle après sa mort, la jeunesse intellectuelle qui a enterré d’un cœur joyeux le Parnasse et qui est en train d’enterrer si résolument le symbolisme, se préoccupe toujours de Stéphane Mallarmé.
Dans le cas présent, on a affaire à des intelligences neuves, non pas molles et tendres comme celles des enfants, à des intelligences en général droites, saines, bien qu’en partie atteintes déjà par les courants déclamatoires qui sont dans l’air du siècle, à des intelligences mâles et un peu rudes, peu maniables de prime-abord, et qui deviendraient aisément méfiantes, ombrageuses, qui se cabreraient certainement si on voulait leur imposer. […] Pour les explications, en tout cas, et même en les réduisant à ce qu’elles ont de moindre, le lecteur ne saurait se dispenser, par un préambule, de mettre l’auditoire au point de vue, de faire connaître en peu de mots l’auteur dont il va lire quelque chose, de montrer cet auteur en place dans son siècle, et d’amener tellement, pour ainsi dire, les deux parties en présence, que l’effet, à un certain degré du moins, soit immanquable. […] On expliquerait rapidement ainsi comment la langue s’est formée, comment elle compte déjà plusieurs siècles de chefs-d’œuvre.
Le premier de ces écrits, intitulé : Des préjugés (1762), indique un esprit tourné par goût aux considérations morales ; c’est comme un chapitre des Essais de Nicole, dans lequel sont distingués les préjugés de divers genre et de diverse nature : les préjugés d’usage et de société, ceux de parti, ceux qui tiennent au siècle, etc. […] Tel il va nous apparaître dans les événements politiques qui signalèrent la fin du dernier siècle et le commencement du nôtre. […] Il y disait en réponse à ceux qui regardaient le serment comme une garantie : Il eût été digne de notre siècle de reconnaître que le serment est une bien faible épreuve pour des hommes polis et raffinés ; qu’il n’est nécessaire que chez des peuples grossiers à qui la fausseté ou le mensonge coûte moins que le parjure ; mais que dans nos mœurs cette auguste cérémonie n’est plus qu’une forme outrageante pour le ciel, inutile pour la société, et offensante pour ceux qu’on oblige à s’y soumettre.
Longtemps on n’a osé le mettre tout à fait au même rang que les autres grands hommes, que les autres grands poètes qui ont illustré son siècle : Le Savetier et le Financier, disait Voltaire, Les Animaux malades de la peste, Le Meunier, son Fils et l’Âne, etc., etc., tout excellents qu’ils sont dans leur genre, ne seront jamais mis par moi au même rang que la scène d’Horace et de Curiace, ou que les pièces inimitables de Racine, ou que le parfait Art poétique de Boileau, ou que Le Misanthrope ou le Tartuffe de Molière. […] Ce Phèdre que d’habiles gens ne veulent nullement reconnaître pour être du siècle d’Auguste, mais qui est classique du moins par son exacte pratique du genre conçu dans toute sa simplicité et son élégance, est un auteur qu’il est permis de ne pas rouvrir quand on a une fois fini sa quatrième. […] Voltaire, voulant expliquer le peu de goût de Louis XIV pour La Fontaine, a dit : Vous me demandez pourquoi Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur La Fontaine comme sur les autres gens de lettres qui firent honneur au grand siècle.
Vaniteuse qui prend les rages de la vanité pour les fiertés de l’ambition, cette princesse des Ursins manquée, ratée avant d’avoir agi, qui ne voudrait pas du pouvoir, cette mâle chose qui se suffit à elle-même, s’il n’était pas extérieur et voyant comme une de ses toilettes, n’est, en somme, rien de plus qu’une cocotte, soufflée, comme un éléphant de baudruche, jusqu’à des proportions gigantesques, mais qui ne l’empêchent pas d’être une cocotte, cette variété de courtisane moderne, indigne même de ce nom de courtisane déshonoré dans d’autres siècles mais relevé en celui-ci, tant tout est tombé bas, même dans l’infamie ! […] Mais peindre la figure d’un monde qui passe, — qui demain sera passé, — voilà où gît l’intérêt de ces peintures, qui fixeront les modes, les manies, les engouements, les frivolités, les passions qui s’envolent chaque jour d’un siècle, sous les yeux charmés de l’avenir. […] Ce jeune écrivain, qui s’est intitulé Bachaumont et qui vaut dix fois mieux, que le masque qu’il a pris, ne se contente pas, comme l’homme de son masque, de ramasser, sans choix et à la pelle, les cancans et les mots et tous les détritus d’un siècle, et de les jeter dans un tombereau qu’il pousse à la postérité.
Il est déplorable pour ce siècle et pour les siècles qu’une aussi riche nature, qu’un aussi noble esprit ait fait fausse route. […] Jusqu’au milieu de ce siècle, même en tenant compte du ravage des années, la lumière qui colore l’œuvre d’art, est une lumière essentiellement fausse et irréelle, engendrant la fausseté et l’irréalité des formes qu’elle enveloppe.
Chaigneau, si ce vœu funeste, abrité par une loi aveugle, par un acte national de législateurs dupés, ne plane pas, depuis un quart de siècle, comme un nuage sinistre, sur notre politique étrangère… La France de 1897 ne peut plus ratifier par son indifférence le verbe odieux qui s’incarne dans ce bloc de pierres… La France a le droit de rayer le vote désastreux du 24 juillet 1873. […] Et comme depuis le commencement du siècle, l’Église est soumise en une certaine mesure à l’État, nous tenterons par tous les moyens de reconquérir l’ancienne et totale toute-puissance. » Tel est le calcul dans son édifiante simplicité. […] Dans l’esprit des fondateurs de l’œuvre, le vœu au Sacré-Cœur est avant tout un témoignage d’expiation des révoltes de la nation contre le joug catholique, et des crimes de libre pensée dont la France s’était rendue coupable ; c’est l’amende honorable du peuple qui s’était ouvertement éloigné de Dieu depuis la fin du siècle dernier, et qui implorait le pardon de ses offenses.
. — Changements survenus depuis trois siècles dans les physionomies et les idées. — Lourdeur de sa logique. — Traité du Divorce. […] On pense involontairement aux portraits des théologiens du siècle, âpres figures enfoncées dans l’acier par le dur burin des maîtres, et dont le front géométrique, les yeux fixes se détachent avec un relief violent hors d’un panneau de chêne noir. […] Au premier rang combattit Milton, prédestiné à la barbarie et à la grandeur par sa nature personnelle et par les mœurs environnantes, capable de manifester en haut relief la logique, le style et l’esprit du siècle. […] L’érudition et la réflexion jetèrent Milton dans un poëme métaphysique qui n’était point de son siècle, pendant que l’inspiration et l’ignorance révélaient à Bunyan le récit psychologique qui convenait à son siècle, et le génie du grand homme se trouva plus faible que la naïveté du chaudronnier. […] À ce titre, ce style et ces idées sont des monuments d’histoire ; ils concentrent, rappellent ou devancent le passé et l’avenir, et dans l’enceinte d’une seule œuvre, on découvre les événements et les sentiments de plusieurs siècles et d’une nation.
À l’aurore du siècle, les dames, entre deux révérences, développent des portraits étudiés et des dissertations subtiles ; elles entendent Descartes, goûtent Nicole, approuvent Bossuet. […] En France, jansénistes et jésuites semblent des pantins de l’autre siècle occupés à se battre pour le divertissement de celui-ci. […] » et une complainte gémissante sur les vices du siècle, oh ! […] Sans le savoir, les deux peuples roulent depuis deux siècles vers ce choc terrible ; sans le savoir, ils n’ont travaillé que pour l’aggraver. […] Nous avons rejeté comme un venin l’infidélité qui a sali les commencements de notre siècle et du vôtre, et nous nous en sommes purgés pendant que vous vous en êtes imbus
Abordant ensuite la Légende des siècles, M. […] Barbey d’Aurevilly juge cette œuvre, honneur de notre époque, et qui sera tantôt l’honneur du siècle : « Salammbô est tombée définitivement dans le plus juste oubli. Elle y a rejoint les Incas : deux livres du même genre, avec les différences de siècle… M. […] Je ne parlerai ni d’Homère, ni de Virgile, quelque plaisir que nous en puissions éprouver tous, ici, ni de nos vieux poètes français, ni même du siècle de Louis XIV, pas même de la magnifique explosion romantique. […] Admirons qu’en ces dernières années d’un siècle qui en vaut bien un autre, mais qui passe pour ce qu’on appelle pratique à l’excès, prosaïque en un mot, étonnons-nous, non sans joie, que le nombre et non seulement le nombre, parbleu !
Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.
que nous veux-tu encore en ce siècle barbare ?) […] Cette fois, non plus comme dans l’autre occurrence, il ne s’agit pas de combat ni même de victoire contre l’oppressif sentiment qui créa les splendides mais si tristes grandes œuvres du commencement de ce siècle. […] Ils y verront que, jusque dans la docte Angleterre qu’ont faite depuis des siècles et des siècles l’illustre Oxford et la célèbre Cambridge, on n’a pas besoin, pour être païen, c’est-à-dire ami des belles formes et des beaux mots, de trop évoquer les Dieux de la Mythologie grecque et qu’on peut ne pas risquer de passer pour pédants et faire tout de même de beaux vers classiques et antiques (je veux dire exquis et forts) même dans une langue qui n’est pas celle de Ronsard. […] Enfin, uniques pour leur médiévale majesté, ses monuments, collèges, églises de la bonne époque (il ne s’agit ni de notre siècle, ni des deux et demi qui précèdent). […] Il publie au Fin de Siècle le premier volume de ses Confessions.
La distance entre le spectateur et les choses qui l’affecteront différera au gré des siècles divers et de l’esprit du siècle. […] Il est le grand homme de notre siècle. » Et Rodin répéta encore : « C’est l’homme du siècle. » Nous étions groupés autour des petites figures, dans lesquelles l’artiste avait réalisé ses idées sur l’amour. […] Vraiment cette fin de siècle est dignement représentée par le gueux qui a follement dépensé l’héritage des grands siècles du Moyen Âge. […] Qui donc, pensez-vous, a gardé intactes à travers les siècles notre religion et notre nationalité ? […] « Oui, voilà bien l’homme avec lequel aura à compter la fin de notre siècle.
Depuis deux siècles, et surtout depuis cinquante ans, on a entassé les commentaires et les considérations sur le caractère d’Alceste. […] Dire que des choses dont l’idée seule nous effare, — ou que nous ne concevons même pas, — paraîtront peut-être naturelles et nécessaires dans quelques siècles ! […] Il apprit aux hommes la douceur des pleurs, et tout le siècle se mit à larmoyer (nous nous y remettons). […] aux sentiments confus, aux rêves et aux désirs obscurs accumulés à travers les siècles dans l’âme innombrable des humbles et des petits. […] Depuis un bon tiers de siècle, M.
Les hommes nés avec ce siècle ou un peu avant ont été le public immédiat de Béranger. […] Cette aversion, du reste, est commune à presque tous les hommes nés avec le siècle ou un peu avant. […] En ce siècle de rimes riches, Méry a été millionnaire. […] Ce volume fut un événement rare dans les siècles. […] On s’y amusait fort, cependant, mais le siècle est devenu plus raffiné, et de tels plaisirs ne lui suffiraient pas.
J’y retrouve bien l’ami que j’ai perdu, le jeune poète aimable, fin, délicat, mais mutin, vif et fougueux à ses heures, l’écrivain chevaleresque et galant sans mignardise, joyeux sans forfanterie, mélancolique sans affectation, mais quelle que soit son humeur, toujours honnête et ne cessant de protester contre l’égoïsme, la sottise et toutes les mauvaises passions du siècle.
L’historien de Jeanne d’Arc et de Du Guesclin, le chroniqueur grandiose des guerres des xive et xve siècles dans le pays dont vous êtes présentement l’honneur et qui est notre pays à tous les deux, ces livres robustes et sensés, écrits avec toutes les qualités de l’esprit de la forte race à laquelle vous appartenez, seront jugés plus tard et prochainement, mais aujourd’hui ce que je vous offre n’est pas le témoignage de la justice, c’est le témoignage de la sympathie.
Ce qui dépopularisait, en effet, la poésie épique dans nos siècles nouveaux, c’était l’absence de réalité dans l’épopée. […] Sans passer, comme tant d’autres hommes de renommée, par les transes du travail et de l’infortune, il avait conquis du premier coup la plénitude du bien-être, du loisir, des honneurs, de la liberté et de l’influence sur son siècle. […] Chaque siècle, chaque peuple, chaque homme, selon Goethe, avait une croyance à la hauteur de son intelligence ou à la mesure de son horizon. […] Ces confidences et ces révélations de la science suprême avaient longtemps éclairé et régi le monde oriental ; puis elles s’étaient égarées, troublées, taries dans les sables, et, pour leur rendre leur pureté, il fallait, par des révélations purement humaines, les passer de siècle en siècle au filtre de la science et de la raison.
Le siècle avait autre chose à faire qu’à lire ses poésies et sa controverse. […] Personne ne les y avait introduites, sinon cette douce autorité qu’exerçaient les arts de la Grèce vaincue sur Rome victorieuse : Græcia capta ferum victorem cepit… et que sentirent, quinze siècles plus tard, ces vieillards de la Renaissance, qui venaient s’asseoir sur les bancs des écoles pour y apprendre la langue de l’Iliade. […] Pour nous, qui jugeons la querelle après un siècle et demi, Mme Dacier a un tort bien autrement grave : c’est que ses raisons ne valent pas son admiration, ni le plaidoyer la cause. […] Le beau de sa tactique, c’est de mettre les Latins au-dessus des Grecs à titre de modernes, afin d’encourager les modernes à se croire supérieurs, par le bénéfice des siècles, aux Latins et aux Grecs à la fois. […] Cette précaution prise, on peut se donner le plaisir de les admirer, soit qu’ils appliquent à des réformes sensées les vérités spéculatives du siècle précédent, et que, dans un combat nécessaire contre les abus, ils se servent, au risque de les souiller de poussière, de ces belles armures de guerre enlevées du musée où elles pendaient oisives, soit qu’ils emploient la méthode et la langue du dix-septième siècle à exprimer des vérités nouvelles dans la science des sociétés humaines, ou des découvertes dans la science de la nature.
Mais il est certain que, vers 1640, l’éducation du clergé n’était pas au niveau de l’esprit de règle et de mesure qui devenait de plus en plus la loi du siècle. […] Je n’ai rencontré dans le siècle qu’un seul homme qui méritât d’être comparé à ceux-là, c’est M. […] Mais les témoignages qui établissent les prétendus miracles du xviiie , du xviie , du xvie siècle, ou bien ceux du moyen âge, sont plus faibles encore, et on peut en dire autant des siècles antérieurs, car, plus on s’éloigne, plus la preuve d’un fait surnaturel devient difficile à fournir. […] Le bruit qu’il y avait des écrivains dans le siècle arrivait quelquefois jusqu’à nous ; mais nous étions si habitués à croire qu’il ne pouvait plus y en avoir de bons, que nous dédaignions à priori toutes les productions contemporaines. […] » Comme il arrive souvent, ce qu’il y a de meilleur en ce livre, ce sont les notes, c’est-à-dire une foule d’extraits et de morceaux choisis, tirés des écrivains célèbres des deux derniers siècles, surtout de Rousseau.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
Le temps des mêlées, des avantages de l’adresse et de la force de corps, et des grands tableaux de bataille est passé ; à moins qu’on ne fasse d’imagination, ou qu’on ne remonte aux siècles d’Alexandre et de Caesar.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
« Elle fut en liaison, nous dit-on, avec les plus beaux génies de son siècle, MM. […] Et son siècle pense comme lui. […] Uniquement de l’abandon qu’il a cru devoir faire de la prédication du dogme à l’esprit de son siècle. […] C’est l’Histoire de la guerre de 1741, — dans l’œuvre définitive, le Siècle de Louis XV. […] Ce siècle a l’air de s’amuser, mais il s’ennuie.
La seconde loi, dont il s’agit à présent, détermine les causes de l’évolution intellectuelle d’un siècle à l’autre. […] Vous vous souvenez des commencements de poèmes de l’auteur de la Légende des Siècles tels que ceux-ci : J’eus un rêve, le mur des siècles m’apparut. […] Cette bonne tête-là, pendant des siècles, ne sut rien penser qui ne fût droit et fier. […] Ô fleur royale, Gloire de siècles éternels ! […] Souza résume en termes stricts la technique de six siècles et nous fait assister aux perfectionnements croissants du vers.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
Pendant longtemps, il a conservé des lettres que les plus célèbres écrivains de ce siècle lui avaient écrites. […] Tout un siècle était là, tout un siècle de gloire, Dans ce hardi jeune homme, appuyé sur sa sœur, Dans cette aimable tête et dans ce brave cœur. […] Pendant plusieurs siècles, une monarchie quasiment indigente végète sur un sol ingrat. […] Depuis près d’un siècle, la maison n’a pas bougé. […] Heureux l’homme qui, en ce siècle si dur, a passé sa vie à cueillir des fleurs et à écouter les oiseaux.
Toutes ces règles, inutiles et nuisibles, puisqu’elles n’ajoutent rien à la beauté du vers, ont été inventées et imposées par Malherbe et par Boileau, versificateurs qui tuèrent la poésie pour deux siècles. […] Réponse de Jean Moréas (XIXe Siècle, du 11 août 1885.) […] Oui, ils sont les dignes fils de ce grand et noble poète tant bafoué et calomnié de son vivant, et si mal connu encore à cette heure ; de ce pur artiste qui écrivait : « … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » Et, en remontant jusqu’aux premières années du siècle, on trouverait un autre ancêtre, Alfred de Vigny, l’auteur de Moïse, de La Colère de Samson, de La Maison du berger et de ce délicieux mystère où … les rêves pieux et les saintes louanges, Et tous les anges purs et tous les grands archanges… chantent sur leurs harpes d’or la naissance d’Éloa, cette ange charmante née d’une larme de Jésus. […] Jamais, non, jamais, je n’ai considéré cette aiguille des secondes, cette flèche si inquiète, si hardie et si émue à la fois, qui s’élance en avant et frémit comme du sentiment de son audace ou du plaisir de sa conquête sur le temps ; jamais je ne l’ai considérée sans penser que le poète a toujours eu et doit avoir cette marche prompte au-devant des siècles et au-delà de l’esprit général de sa nation, au-delà même de sa partie la plus éclairée. » JEAN MORÉAS.
Il reste que le paysan français, devant le minuscule oiseau, a été obligé de dire : petit roi, tout comme, vingt siècles plus tôt, le paysan grec. Cependant si le cas de roitelet était unique ou rare ; si l’on ne trouvait dans les langues européennes que trois ou quatre exemples de cette sorte, on pourrait imaginer une chanson, un conte, une de ces traditions populaires qui traversent les siècles, les montagnes, et les océans ; mais, au contraire, à la moindre recherche les exemples se multiplient et l’on est forcé de ramener la plupart des causes à une seule, la nécessité psychologique. […] Cependant il s’agit du mot latin lacertus, lequel veut dire lézard, et que les poètes ont maintes fois employé pour désigner le bras d’un héros ou d’un athlète. » Mais s’il est surprenant déjà qu’une telle image ait été formée une fois, car elle est très étrange, quoi que très juste, et elle aurait pu, certes, ne jamais sortir du réservoir profond des sensations, quel étonnement de la voir périodiquement retrouvée, qu’il s’agisse de lézard ou de souris, au cours des siècles et des langues ! […] Cependant je viens de lire : « Elle agite ses petits bras de lézard et me dit »144 … ; alors je suis assuré qu’appeler lézard le bras est, aujourd’hui comme il y a des siècles, une idée qui peut entrer spontanément au cerveau par l’œil, car je connais l’auteur : il est de ceux qui tiennent à créer leurs images, et s’il a refait la métaphore latine elle-même, c’est qu’elle s’est imposée à lui, comme elle s’imposa jadis à un poète ou à un paysan romain.
Quand un homme qu’on pourrait appeler le dernier des prophètes, écrivait, au commencement du siècle : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs », il montrait une fois de plus cette longue prévision qui est à la créature humaine ce que la prescience est à Dieu, et qui part d’une inspiration plus profonde que le génie. […] Après avoir travaillé l’esprit humain pendant quatre siècles et avoir versé dans ses veines un poison qu’il y retrouvera peut-être toujours, elles se sont enfin senties épuisées et une défaillance secrète a commencé de les saisir. […] Il y aurait dans sa chrétienne et généreuse initiative comme une expiation de la tyrannie de Cromwell, alourdie du poids de trois siècles. […] Dans un siècle aussi vieux de civilisation que le nôtre, il n’y avait qu’un moyen de retrouver la foi perdue : c’était de la refaire par la science.
Il est toutefois indéniable que le naturalisme a eu pour principe déterminant les axiomes émis par la physiologie vers le milieu de ce siècle, spécialement par Claude Bernard. […] Si l’on se reporte à l’époque où Zola entreprit simultanément la campagne naturaliste et son œuvre, c’est-à-dire vers 1865 — année de la Confession de Claude et de la polémique inaugurée au Salut public de Lyon — la grandeur de cette œuvre ne peut manquer d’apparaître au spectateur qui la considère par-delà le tiers de siècle révolu. […] J’ai dit que la conception de l’être vivant s’était largement modifiée dans la seconde partie de ce siècle. […] Et voilà ce qu’en fin de compte, nous lui disons : « Vous avez combattu pendant plus d’un quart de siècle le plus magnifique combat de la pensée moderne, celui de la réalité contre le mensonge, de la loyauté contre l’hypocrisie, de la vie contre la convention, de la force contre l’artifice, de l’instinct naturel contre les cérébralités pourries.
A la page 168 : « En remontant le fleuve (le Rhin, vers le cinquième siècle après J. […] Or, en supposant que, dans des siècles, on aperçoive une pareille borne pour l’histoire, on ne l’apercevra jamais pour la nature… Mon ami M. […] La poésie lyrique manque à la gloire du siècle de Louis XIV. […] Mais la présence, dans un siècle, de quelques hommes tels que Paul Claudel, permet à ce siècle de faire noblement figure en face de l’Histoire. » Ainsi s’exprime, dans la conclusion d’un récent opuscule, M. […] C’est assurément une perspective redoutable, qui a depuis un siècle inquiété presque tous les artistes.
André Chénier et Bernardin de Saint-Pierre, seuls, demeurent tout à fait à part : vrais et chastes poètes, artistes exquis et délicats, aimant le beau en lui-même, l’adorant sans autre but que de l’adorer, le cultivant avec mollesse, innocence et une ingénuité curieuse, ils étonnent et consolent à l’extrémité de ce siècle, comme des amis qu’on n’attend pas ; ils gardent discrètement et sauvent dans leur sein les dons les plus charmants de la Muse, aux approches de la tourmente sociale. […] Puis, plus tard, quand ils sentirent que cet esprit de révolution était la vie même et l’avenir de l’humanité, ils se réconcilièrent avec lui, et ils espérèrent, ainsi que beaucoup de gens honnêtes à cette époque, que la dynastie restaurée ferait sa paix avec le jeune siècle ; qu’on touchait à une période de progrès paisible ; et que la Monarchie selon la Charte ne serait pas un poème de plus par l’illustre auteur des Martyrs.
La critique ne vise plus qu’à expliquer l’œuvre artistique ou littéraire : analyser les éléments qui la composent, rapporter chacun d’eux à son origine et trouver le pourquoi de leur combinaison : faire exactement la part des circonstances biographiques, de l’esprit du siècle, des dispositions de la race, isoler le plus possible ce résidu qui est plus grand dans les plus grandes œuvres, ce je ne sais quoi où l’on aboutit toujours, et qui est le génie individuel et inexpliqué. […] Et cette cause n’est-elle pas un certain esprit général formé vers le commencement du siècle, qui trouve des expressions différentes, mais également fidèles dans certaines doctrines philosophiques et dans certaines règles littéraires ?
Les personnages de ce Tallemant des Réaux archifin de siècle correspondent à un milieu particulier, ni l’aristocratie, ni la finance juive, ni le monde artiste : c’est le clan de la bourgeoisie surmenée, la bourgeoisie très millionnaire et gagnant beaucoup d’argent. […] Monde inexistant que le monde de Gyp, mais auquel sa virtuosité a donné une valeur de suggestion créatrice : j’entends que des femmes du dernier tiers de ce siècle ont été, sont, seront des Paulette, insensibles et chercheuses, parce que Gyp leur a fourni cette artistique figuration de l’hystérique.
L’historien envisage des périodes plus considérables et surtout plus distantes ingénieux et documenté, il peut nous donner la reconstitution d’un siècle d’art, en négligeant les phénomènes sans valeur dont la mode a fait tout le succès ; il peut, en considérant minutieusement des époques successives et des pays différents, discerner sans erreur probable tels courants artistiques. […] » La coloration de surfaces est un art soustrait de celui de l’architecte et de l’ornemaniste, et qui y retourne. — La teinture d’un mètre carré de toile pour représenter le passage d’un ruisseau par un chasseur entreprenant devant l’embarras d’une blanchisseuse, et l’application de cette toile, en faux jour, sur le panneau blanc et or d’un salon de damas rouge n’est pas le résultat définitif de siècles de peinture.
Un siècle plus tard, lorsque Alexandre prit Suse, il y trouva cinquante mille talents, plus d’un milliard d’aujourd’hui. […] Tel était le Grand Roi, incarnation formidable des puissances et des monstruosités de l’Orient, armé de forces qui, depuis un siècle, avaient tout dompté et tout asservi, dominateur absolu du monde.
L’esprit peut y briller, mais il n’y commande pas, et les femmes seules peuvent prendre des amusettes pour des influences… Du temps des salons du siècle dernier, que Mme Le Normand nous cite, les salons étaient, au fond, si peu puissants qu’ils n’empêchèrent pas la Révolution de se faire contre eux et de les fermer ! […] Inaliénable à son siècle et à sa mère qui firent d’elle, de cet être d’émotion et de vérité, un philosophe et un bas-bleu ; car, il faut bien l’avouer, et c’est mon désespoir, elle avait l’horrible teinte bleue littéraire qui est la gangrène, mortelle au sexe, chez les femmes.
Il naquit à la hauteur sociale où il fallait naître pour monter plus haut, dans un siècle où la naissance était une force ajoutée à celle que, par soi, on avait. […] Mais qu’à deux siècles de distance un homme qui n’a pas le génie absolu qui devine, là où les autres sont obligés de chercher, puisse nous donner le dessous de cartes d’une négociation qu’il ne connaît que par une correspondance officielle, franchement, je ne crois pas à un tel homme… et, dans tous les cas, ce ne serait pas Valfrey, écrivain exsangue, tête sans aperçu, et qui ne conçoit l’histoire de la diplomatie que comme le vil dépouillement d’un carton… IV Elle est autre chose, cependant.
Ardemment synthétique de tendance, quand le siècle et ses misérables philosophies ne jurent que par cette Fée aux miettes de l’analyse, en avant sur toutes les idées de son temps, et, pour preuve, dès 1845 repoussant, avec un mépris mérité, cette théorie obstinée de l’art pour l’art, triomphante alors, et qui prétend encore, à l’heure qu’il est, n’être pas battue, la revue de César Daly avait, parmi les autres buts qu’elle voulait atteindre, le but plus difficile et plus spécial de dégager l’inconnue de l’art qui va naître, et de prédire, en étudiant profondément la société moderne et ses nouvelles conditions, le caractère du style architectonique de l’avenir ; car l’architecture du xixe siècle n’est pas née. Nous avons bien senti quelques coups de talon de cet enfant enfermé dans les entrailles du siècle, mais ç’a été tout… Naîtra-t-il ?
Si aujourd’hui, par impossible, les atroces Tartuffes qui veulent la mort du Christianisme par l’appauvrissement de la Papauté, et les imbéciles, plus nombreux encore, qui croient que pour la gloire et le renouvellement de la Papauté, avilie, selon eux, dans le pouvoir et les richesses, il faudrait la jeter vivante à la voirie des grands chemins et qu’elle allât tendre sa tiare à l’aumône comme Bélisaire y tendait son casque, avaient une vue juste de la réalité, le sou que la Chrétienté y ferait pleuvoir de toutes parts serait l’atome constitutif d’un pouvoir temporel nouveau, qui — le monde étant différent de ce qu’il était il y a dix-huit siècles — ne se développerait pas comme la première fois, mais trouverait une autre forme de développement. […] IV Je n’ai point à entrer dans le détail immense des faits à travers lesquels cette légitimité sublime a agi pendant tant de siècles sans jamais forfaire à elle-même, ni quand, pour défendre les corps aussi bien que les âmes, elle s’appuya, un jour, du temps de Léon, sur Charlemagne ; un autre jour, du temps de Grégoire VII, sur la grande Mathilde ; sur Othon, au temps des effroyables anarchies romaines ; et, plus tard, sur elle-même.
Il était enfin naturel de croire qu’elle percerait assez avant dans l’intimité cachée de l’Histoire pour toucher le point initial de l’influence subie, pour pénétrer jusqu’au germe où dormait la vie dans cet œuf terrible, qui, pour ce qu’il a donné au monde, a dû mettre plus de trois quarts de siècle à couver ! […] L’auteur de L’Esprit révolutionnaire avant la Révolution l’est, lui, à force de n’être pas… Il y a dans son livre quelques personnes : Barbier, Mathieu Marais, Buvat, Joseph Languet, d’Argenson, Isambert, Bachaumont, Hardy, Bezenval, Ségur, Mirabeau, Lafayette, et les philosophes Diderot, Grimm, Morellet et Voltaire, — Voltaire, qui emplit tout son siècle et toutes nos bibliothèques !
Si, déjà, au commencement de ce siècle et dans la Préface de la première édition de ces Lettres, Ballanche, qui avait eu l’heureuse fortune de les sauver de l’oubli, écrivait : « qu’elles étaient destinées à former un parfait contraste avec tant de productions plus ou moins empreintes d’un funeste délire, de désolantes préoccupations, d’irrémédiables douleurs… », que dirait-il maintenant du moment où M. […] Son amour pour La Gervaisais fut si beau qu’il n’y a pas plus beau dans l’ordre du Génie, et que, je n’hésite pas à le dire, elle est aussi étonnante, dans son siècle, comme cœur de femme, que, comme tête d’homme, Napoléon !
Les honneurs et la gloire ne peuvent pas grand-chose, j’imagine, sur ce casanier de l’érudition qui, depuis qu’il n’est plus curé, s’est cloîtré dans la science, et qui doit joindre l’insouciante bonhomie du savant à l’indifférence du saint pour les choses du siècle. […] Il serait difficile pour ne pas dire impossible, à l’analyse de prendre pour vous la montrer, dans le fond de sa main, toute cette poussière de textes broyés par l’auteur de la Défense de l’Église sur toutes les questions les plus variées et les moins liées les unes aux autres, sur les saints, saint Pierre, saint Irénée, Saint-Vincent de Lérins, saint Boniface, sur la bibliothèque d’Alexandrie, sur la croyance religieuse des seigneurs gallo-romains aux quatrième et cinquième siècles, sur l’Église celtique, sur la hiérarchie ecclésiastique, sur les rapports de la Papauté avec les églises particulières, italienne septentrionale, espagnole, gallicane, etc., etc.
À travers les siècles, elle respire les entrailles maternelles dont elle est descendue, et toute fière, elle glorifie son limon. […] Cette païenne qui a toujours répugné au mariage parce qu’elle n’a jamais senti en elle que l’amour des courtisanes lettrées de la Grèce, cette femme qui pressentait, dès le douzième siècle, les libertés saint-simoniennes de notre temps, écrit dans ses lettres cette déclaration de principes : « Quoique le nom de femme soit jugé plus fort et plus saint (quel préjugé !)
Il appartient donc à ce groupe d’esprits qui pensent que la Renaissance et l’expérimentalisme de Bacon ont détourné les sciences, aussi bien que les lettres, de la voie qu’elles devaient suivre au sein d’une civilisation chrétienne, et qui sont décidés à mourir ou à ne jamais vivre dans la popularité de leur siècle, pour les y faire rentrer, si Dieu lui-même ne s’y oppose pas. […] Le physiologisme, qui règne encore, quoique son conquérant ne soit plus, a inventé un état de santé qui ressemble fort à ce qu’était l’état de nature chez les publicistes du siècle dernier.
dans ce temps de démocratie où les Saints du peuple devraient être au moins respectés par tous ceux qui n’ont la bouche ou la plume pleine que de ce nom de peuple, parions que Benoit Labre, né d’ouvriers (ces rois actuels qui ont détrôné les autres), fera rire le siècle de toutes ses vilaines dents, et que ce nom même de Labre, d’assez piètre physionomie, j’en conviens ! […] Et cet enfant était la perle qui devait rouler sur le fumier du siècle, sans que le fumier s’en aperçut ; et celui de ce temps-ci ne s’en apercevrait pas davantage, si l’Église, de sa main maternelle, ne l’eût pas ramassée, cette perle, et ne l’eût mise à sa couronne.
Le cercle de raisonnements dans lequel tourne, depuis tant de siècles, cette ivre créature qu’on appelle l’homme, s’est épuisé et fermé sur lui. […] Elle se sait de ce vieux xixe siècle, profondément et presque exclusivement historique, comme tous les vieillards, qui n’ont plus d’autre fonction dans le monde que de raconter le passé, et c’est la science historique, la science même du siècle, qu’elle vient dresser, dans la plus monstrueuse de ses négations, contre la divinité de Notre-Seigneur.
Pour nous, c’est une belle pierre de plus apportée à l’incomparable monument qui se bâtit depuis des siècles, et qui porte le nom révéré et si simplement grandiose d’Annales de la Propagation de la foi. […] Un livre probe, savant et complet dans sa concision sévère, manquait absolument sur la nouvelle partie du monde découverte, il n’y a pas un siècle, par les navigateurs anglais.
Il s’est pris d’admiration pour Milton, à part de son siècle et aussi à part des théories du nôtre, et de cela — de ces deux à-partés — il est sorti un livre droit et simple, grave et renseigné, très heureusement pensé par places, et partout écrit avec une ampleur un peu traînante et un peu lourde, mais de cette lourdeur, que je ne crains pas, qui tient à l’étoffé du style et que l’on pourrait comparer à celle d’une draperie de velours. […] Il se gardera comme du feu, lui, le cerveau bien fait, de ces éblouissantes sottises qu’un siècle moins sot que le nôtre aurait outrageusement sifflées, et, pur de toutes ces inepties prétentieuses, son livre sera certainement la meilleure réponse qu’on puisse faire, par le temps qui court, aux interprétations critiques et aux systèmes de tant de pédants affolés !
Janin, c’est l’homme du dix-huitième siècle tout entier, et il est taillé à l’affreuse grandeur de ce siècle, qui tourne autour de lui, géant de cynisme, réflecteur du cynisme de tous, et qui en répercute, après les avoir concentrées, toutes les corruptions et tous les vices ! […] Cette différence dans la composition de ce qui n’est qu’un dialogue à ce qui est un livre — de ce qui n’est qu’une joute de morale entre deux interlocuteurs, et un feu roulant d’épigrammes littéraires dont le temps a émoussé la pointe ; d’anecdotes obscures et de commérages, à ce qui est l’histoire d’un siècle, liée autour d’un homme, — à ce qui est une question de société et de nature humaine, — cette différence doit produire mille autres conséquences différentes de celle-là qui est fondamentale, et elle n’a pas manqué de les produire.
» formule simpliste de cette générosité, de cet oubli de soi où communient tous nos siècles et toutes nos classes. […] A l’issue d’une guerre où tous les enfants de la France furent plus beaux que dans aucun siècle, la patrie doit un hommage aux femmes et aux mères des héros, l’enthousiasme glorieux de nos combattants est fait pour une grande part du courage et de l’abnégation des Françaises, et celles-ci, quand la funeste nouvelle tombe dans leurs foyers, sont dignes de recueillir (pour la défense de leur famille et de la patrie) le bulletin de vote du soldat dont l’âme était pareille à la leur.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
Tel qui, dans le temps, n’aurait pas été admis à l’antichambre chez Mme de La Fayette ou chez Mme de Maintenon, est homme à célébrer intrépidement les élégances du grand siècle. […] Tel qui en requérait la lacération eût rougi de ne pas les avoir dans sa bibliothèque, et plus d’un lisait par goût les pages qu’il faisait brûler par convenance. » On ne saurait mieux dire ni rendre plus fidèlement l’esprit d’un siècle. […] C’est ainsi que, remarquant la puissance actuelle de la presse, il la confisqua au profit de son empire, et la contraignit à devenir complice de son système de déception ; mais cet abus même indique qu’en cela, comme en tout, il comprit son siècle ; et la preuve qu’il le comprit, c’est qu’il ne chercha pas moins à le corrompre qu’à le comprimer. […] Puis, après avoir réfuté quelques systèmes exclusifs sortis du dernier siècle, l’auteur aborde sur deux ou trois questions, tant spéciales que générales, l’analyse du fond, et nous montre à l’œuvre cette science à laquelle il voudrait nous convertir. […] qui, narguant l’anachronisme, fait des chansons déjà, comme, trois siècles plus tard, en fera Villon, et dont l’esprit, même aux instants sérieux, a l’air (passez-moi le mot) de polissonner toujours.
La caractéristique des époques dites classiques (surtout au siècle de Louis XIV), c’est qu’on y craignait le trivial encore plus qu’on n’y aimait le réel ; or il faut aimer le réel assez pour le transfigurer et le dégager du trivial. […] Si oui, vous serez admis dans mon musée, chacun à sa place, ainsi que des statues de pierre. — Buffon, comme tout son siècle, avait plus d’intelligence que de cœur. « Que je vous plains ! […] Tous l’ont attribuée non pas à la maladie de Rousseau, mais au mal du siècle, à l’artifice des conventions sociales. […] La Légende des siècles. […] La poussière, aussi éternelle en Egypte que le granit, avait moulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les boues diluviennes durcies gardent la trace des pieds d’animaux qui la pétrirent.
— abîme béant que des siècles de labeur n’ont pu combler, — consiste pour les uns en l’universalité des êtres créés, devient pour d’autres, comme Aristote, le principe intérieur de l’univers qui le meut et l’organise, « la cause première du mouvement et du repos ». […] La nature des romantiques n’a rien à voir avec celle des classiques, et le motif rationnel par lequel furent attaquées les trois unités dans la Préface de Cromwell fut celui qui les imposa deux siècles plus tôt. […] Il semble donc bien établi qu’au cours des siècles la notion de vie se transforme avec les besoins nationaux et les exigences sociales. […] Impuissant à embrasser tout le réel, chaque siècle n’y puise que ce qu’il est capable d’en digérer. […] Le scrupule qui interdit à l’artiste d’utiliser un style tout en surface et de se servir de phrases toutes faites, dont le sens s’est évaporé au cours des siècles, apparaît aussi légitime que l’impossibilité logique pour un philosophe d’accepter sans examen les affirmations du consentement universel.
Lucien Muhlfeld Noces de Sathan dont on peut dire : « Depuis la destruction du Temple d’Éleusis, il y a seize siècles, le drame ésotérique s’était tu.
Ulric Guttinguer a été l’un de ces hérauts du réveil de notre poésie au commencement du siècle.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
[Portraits du prochain siècle (1894).]
Les beaux ouvrages de poésie en tout genre, soit en vers, soit en prose, qui ont honoré notre siècle, ont révélé cette vérité, à peine soupçonnée auparavant, que la poésie n’est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes.
Son Hercule sur le bûcher et son Milon de Crotone sont peints d’hier, mais jaunes, noirs, enfumés ; on les prendrait pour des morceaux du siècle passé.
Les deux écrivains qu’elle regarde sont les deux plus grands philosophes de leur Siècle, Newton & Léibnitz. […] Les peintres du siècle d’Auguste n’ont encore aucune supériorité sur leurs rivaux du côté du nombre. […] Il en vouloit principalement au mauvais goût des siècles précédens. […] Il semble avoir moins écrit pour ses contemporains, que pour les siècles à venir. […] Arnauld, le grand Arnauld, sorti de sa retraite, est reçu partout comme le Chrysostome de son siècle.
Sur les champs de bataille de l’Europe, vingt ans durant, il s’était fait un mélange de races comme on n’en avait point vu se brasser depuis des siècles, et une espèce de communauté européenne s’était en quelque sorte cimentée dans le sang. […] Et quand je cherche dans l’histoire a quoi je pourrais comparer Le Demi-Monde, je remonte le cours du siècle, je suis obligé d’en sortir, et je ne trouve à m’arrêter qu’aux environs du Barbier de Séville ou de Turcaret. […] Nous ne saurions en effet nous le dissimuler, ce sont bien les Poèmes antiques et les Poèmes barbares que Victor Hugo a imités, comme il pouvait et comme il savait imiter, mais enfin qu’il a imités dans sa Légende des siècles. […] Du style de Joseph de Maistre ; — et qu’à certains égards il est de la famille du style de Bossuet ; — ce qui s’explique, si tous les deux, parmi toutes les vérités de la religion, — se sont attachés particulièrement à l’idée de la Providence. — D’une autre ressemblance entre Bossuet et J. de Maistre ; — qui consiste en ceci que leur vrai caractère, — qui fut la douceur, — a différé du caractère de leur style ; — dans le même sens, et pour ainsi parler, de la même quantité. — Mais comme ils sont d’ailleurs séparés l’un de l’autre par un siècle ; — et que ce siècle est celui de l’Encyclopédie ; — Joseph de Maistre a des « lumières » que Bossuet n’avait point ; — et aussi des défauts. […] XIII, 1857 ; — Alfred de Musset : ses Nuits ; et sa Confession d’un enfant du siècle, 1835 ; — George Sand, Elle et Lui, Paris, 1859 ; — Paul de Musset, Lui et Elle, Paris, 1860 ; et Biographie d’Alfred de Musset, Paris, 1877 ; — Mme O.
Çà et là, la parenté apparaît plus directe qu’il ne sied ; je ne veux point parler de l’identité rythmique de certaines strophes, mais du mouvement même de l’imprécation des captifs ; cela rappelle trop l’anathème de Kasandra et l’emportement haineux du Corbeau et des Siècles maudits.
[Portraits du prochain siècle (1894).]
Emmanuel Des Essarts Ses livres, pénétrés d’idées humanitaires, expriment, dans une langue mâle et hardie, souvent pleine d’ampleur, les tendances et les aspirations les plus généreuses de notre siècle.
Si la Postérité, dont la bouleversante idée ne me donne pas du tout la danse Saint-Guy de l’amour-propre, s’occupe jamais de cet ouvrage que d’aucuns peuvent trouver trop long, mais qui ne finira que quand je n’aurai plus d’yeux à jeter sur mon siècle, je veux qu’elle trouve votre nom l’un des premiers parmi ceux de ce Décaméron d’amis qui ornent le front de mes volumes et qui me font ma vraie gloire de leur amitié.
De ces quatre siècles lequel choisir ? […] Il se met dans cette œuvre comme l’auteur s’y est mis : de là une combinaison nouvelle ; et ainsi de suite, de siècle en siècle. […] Cette France, tout en changeant de siècle en siècle, demeure elle-même toujours, et pareillement sa littérature. […] La moelle de chaque siècle, ajoutée à la leur, accroît leur force, leur puissance et leur joie. […] Un siècle après, Voltaire lui-même n’était-il pas encore du côté de celles-ci ?
La grande lignée de nos rois, les Louis IX, les Charles V, les Louis XII et même les François Ier, en rassemblant sous leur main la France et en augmentant le fonds de la nation, contribuaient cependant, de siècle en siècle, à jeter les fondements de l’idée de patrie. […] Cette fortune ressemble à ces grands arbres qu’il a plantés, appelés des Rosny, et qui ont été des siècles à prendre leurs dimensions et leur beauté majestueuse.
Joinville nous rend cet office dans le siècle de saint Louis. […] Cinq siècles et demi auparavant, le discours ou l’ordre du jour de saint Louis, cité par le scrupuleux Tillemont95, était en ces termes : Mes fidèles amis, nous serons insurmontables si nous demeurons unis dans la charité. […] Ulysse, Joinville, Childe-Harold, ce sont trois époques du monde, trois âges du cœur humain à travers les siècles.
Premièrement, il ne faut point faire fi de ces choses agréables qui ont été universellement goûtées en leur temps et dans le siècle où elles sont nées, dussent-elles avoir perdu de leur sel pour nous aujourd’hui : c’est un léger effort et un bon travail pour un esprit cultivé que de se remettre au point de vue convenable pour en bien juger. […] Chapelle est, des deux, le personnage le plus littéraire, et qui joue son rôle parmi les illustres du grand siècle. […] Ô nature grande et sincère, enfin après bien des siècles, tu es retrouvée !
» Je ne voudrais jamais que telle chose se pût dire de l’auteur, de l’artiste que l’on explique, même après des siècles, et que l’on commente. […] Le sol, la lumière, la végétation, les animaux, l’homme, sont autant de livres où la nature écrit en caractères différents la même pensée. » De même, en étudiant l’histoire, il est porté à voir dans les individus, et sans excepter les plus éminents, une production directe, un résultat à peu près fatal du siècle particulier où ils sont venus. […] Il en est de même pour les hommes et pour les esprits qui vivent dans le même siècle, c’est-à-dire sous un même climat moral : on peut bien, lorsqu’on les étudie un à un, montrer tous les rapports qu’ils ont avec ce temps où ils sont nés et où ils ont vécu ; mais jamais, si l’on ne connaissait que l’époque seule, et même la connût-on à fond dans ses principaux caractères, on n’en pourrait conclure à l’avance qu’elle a dû donner naissance à telle ou telle nature d’individus, à telles ou telles formes de talents.
Que de lettres historiques, par exemple, prêtées en ces siècles alexandrins, à des anciens, à des hommes célèbres qui ne les ont jamais écrites ! […] Au second siècle de notre ère, l’humanité était dans un triste état mental ; pour vous en faire idée, vous n’avez qu’à lire Philostrate ou Apulée. […] » Elle a inspiré ou tenté au grand siècle Quinault, Molière, Corneille et La Fontaine.
. — La Bruyère seul (cela est à noter) obtient grâce et lui plaît de prédilection entre tous les auteurs dits du grand siècle. — Mais, pour la plupart du temps, ses vrais goûts sont ailleurs : Shakespeare, Gœthe, Heine, peuplent son ciel et sont ses dieux ; il sent plus volontiers le chef-d’œuvre étranger que le chef-d’œuvre national. […] Une beauté incomparable, merveilleuse, ineffable, extraordinaire, incroyable, toutes ces qualifications indécises et commodes, si chères au grand siècle, à Mlle de Scudéry et à son admirateur, M. […] Il semble avoir pris partout pour devise ce mot de Jean et Jeannette ; « Le masque nous a rendus vrais. » Mais ce qu’il faut dire pour juger ce roman à son vrai point de vue, c’est que c’est le chef-d’œuvre de la littérature Louis XIII qui sort de terre, après plus de deux siècles, avec tout un vernis de nouveauté.
Le grand siècle du goût, qui allait finir, n’avait pas été précisément le siècle de la philosophie, de la science et des lumières : il s’agissait, l’heure venue, de les introduire. […] Enfin plusieurs siècles de travaux ont fait tomber le voile qui lui cachait le système du monde.
« Ce siècle-ci n’est pas fécond en grands hommes. » Il le dit et en prend son parti, se consolant de n’avoir ni Condé ni Turenne, puisque les ennemis de leur côté n’ont ni de prince Eugène ni de Marlborough. […] Louis XV, en effet, n’a pas une langue en rapport avec celle des grands écrivains qui l’entourent : il est comme puni par là de ne les avoir pas assez appréciés, et de n’avoir pas vu ni reconnu le génie de son siècle dans les parties véritablement supérieures où il se rencontrait en effet. […] On peut maintenant se faire une idée complète, ce me semble, du maréchal de Noailles, et donner la véritable définition de ce personnage multiple qui appartient à deux régimes et à deux siècles : un courtisan du temps de Louis XIV, tournant avec les années au citoyen.
Après tout, la pire des choses pour un siècle et pour un roi si admirés étant d’être et de devenir ennuyeux à la longue aux yeux de la postérité, Saint-Simon a paré à cet inconvénient-là par sa baguette d’Asmodée. Il a rendu au monarque et au siècle cet immense service, il les a rajeunis et rafraîchis ; c’est être ingrat que de le méconnaître. […] Le siècle de Louis XIV et le roi tout le premier, je le maintiens, sont heureux d’avoir eu en définitive leur Saint-Simon.