Le caractère des dessins que je n’ai pas qualité pour juger est pur, simple, linéaire ; l’artiste, évidemment, s’est attaché à interpréter le plus possible son auteur dans le sens délicat et chaste, dans l’intention du beau pur ; il ne faut chercher ici rien de ce que les gravures du Régent faisaient saillir, l’ingénuité traduite spirituellement, galamment, et même avec une pointe de libertinage. […] Rien de plus vain, de plus frivole, de moins ingénieux ; rien surtout de moins délicat sur l’article des bienséances.
Si nous analysons les édifices des Grecs, nous rencontrons toujours cet esprit fin, délicat, qui sait tirer parti de toute difficulté, de tout obstacle, au profit de l’art, jusque dans les moindres détails. […] Il est visible qu’ils n’étudiaient pas ces parties importantes de l’architecture en géométral, mais qu’ils se rendaient un compte très exact et très fin de l’effet perspectif ; c’était véritablement en artistes qu’ils combinaient ces effets… Ces calculs de l’homme doué d’un sentiment juste et délicat de la forme n’entrent pas dans le cerveau du Romain… » Ce n’est certes pas déprécier ces grandes et belles architectures anciennes en vue de celle du Moyen-Âge, que de les différencier ainsi.
Les beaux esprits, les délicats, en avançant, se mettent à convoiter ce dernier bal commode, riant, honoré. […] Ce tact, cette justesse délicate qu’il n’a cessé de garder sur des scènes plus passionnées, ne pouvait lui manquer au sein de l’Académie, où il est permis d’en faire preuve à loisir.
André Chénier, lui, nature gracieuse et studieuse, mais énergique pourtant et passionnée, vaincu violemment et intercepté avant l’heure, a son harmonie à la fois délicate et grande. […] Il ne devint malade de la poitrine qu’un an avant sa mort ; jusque-là il était seulement délicat et volontiers mélancolique, bien qu’enclin aussi à se dissiper.
Une teinte rosée relève la délicate blancheur de sa peau. […] Revenu à Paris, M. de Chateaubriand prit la place de son ami ; cette ingratitude, qui avait l’air d’une perfidie, offensa toutes les âmes délicates.
Il a appliqué à l’étude de la littérature un fort tempérament de polémiste et d’orateur, une rare puissance d’abstraction, de logique et de synthèse, une grande richesse d’information bibliographique et chronologique ; et tout cela a valu beaucoup, parce que des impressions fines et originales, de vives intuitions déterminées au contact des œuvres, un goût enfin sûr et délicat lui ont fourni la base de ses constructions. […] Au reste, en dehors de ces groupes révolutionnaires, il se fait encore de bons vers, des vers délicats et parfois puissants, dans les formes consacrées.
Weiss : … Il est des choses sacrées sur lesquelles il faut être délicat à outrance ; la société du XVIIe siècle ne l’était guère, et Molière pas du tout. […] Weiss, la faiblesse de préférer Esther à Athalie. » — L’usage est de répéter que l’action dramatique manque un peu dans Bérénice. « Il y a au contraire un drame, le plus douloureux, le plus fier, le plus délicat des drames.
Mais, consciemment ou non, il a fait à la bourgeoisie contre laquelle hurlait le romantisme la plus délicate flatterie d’amour-propre qu’elle pût recevoir. […] Quel raffiné inventa jamais la suavité mystérieuse, la noblesse infiniment délicate que Mallarmé montrait dans son petit salon ou dans son canot de Valvins ?
Question délicate et dont, selon les âges et les saisons, on aurait pu donner des solutions assez diverses. […] raison qui finement s’exprime ; Le goût n’est rien qu’un bon sens délicat ; Et le génie est la raison sublime.
D’autres fois, c’est la constitution physique de l’adulte qui se montre en désaccord avec la présomption du premier âge : celui que la gloire d’Annibal ou de Napoléon enflamma pour le métier des armes, se révèle de complexion délicate. […] Son souci est de ne point penser selon les modes ordinaires car il ignore que les hommes ne diffèrent pas entre eux par leurs opinions qui sont marchandises communes, mais par les raisons, selon qu’elles sont superficielles ou profondes, ’grossières ou délicates, qui les persuadent de ces opinions.
Le type du prince Valkowski dans Humiliés révèle quelques-unes des fanges dormantes de l’humanité, et dessine surtout dans cette conversation serpentine et gratuitement insultante où il parle avec des crudités canailles de la liaison de son fils avec une jeune femme, devant celui qui l’eut pour fiancée, « pour, dit-il, baver sur votre amour. » Et comme le romancier mesure l’odieux de certains actes, il sait aussi décrire l’agonie morale qu’ils infligent aux âmes délicates et froissées. […] Sous la chamarrure des uniformes, en le déguenillement des souque-nilles, à travers le poli ou le débraillé des manières, ou des paroles choisies ou éructées, il sait discerner le fond même, boueux ou délicat, de l’homme, la simple créature matérielle, souffrante, transgressante, endolorie, irascible, périssable et vive.
S’il s’agit surtout d’une science toute jeune, et qui commence à peine à se constituer en science positive, de la science la plus complexe et la plus délicate d’entre les sciences physiques, de celle qui nous touche de plus près, puisque par un côté elle confine à la médecine, par l’autre à la psychologie et à la morale, on attachera plus d’importance encore à cette entreprise. […] Quoi qu’il en soit, on peut se demander jusqu’où doit aller cette justification des hypothèses, et comment on distinguera, en cette matière délicate, ce qui est permis et ce qui est défendu.
Rien ne prouve mieux l’insuffisance du principe matérialiste et sensualiste que ce progrès spontané et régulier de la pensée qui conduit un Biran et un Cabanis29 à s’élever d’eux-mêmes au-dessus de leurs propres principes jusqu’à une philosophie plus délicate et plus haute. […] Voilà la doctrine de l’esprit telle que se la représentent le sens commun et l’école : c’est une sorte de matérialisme spiritualiste qui révolte les esprits raffinés et délicats tout autant que l’autre.
François Coppée a quelque chose de l’attitude fine et délicate d’Aramis. […] Ce sévère et délicat esprit avait toujours eu peu de goût pour les rumeurs de la foule ; il s’était fait une sorte de gloire à l’écart. […] Seul Alphonse Daudet avait publié ses délicates Amoureuses, mais le roman devait bientôt nous le prendre, en nous laissant un long regret. […] Il est, sinon l’un des plus vastes, du moins l’un des plus délicats esprits du dix-neuvième siècle. […] D’ailleurs, son service, quoique délicat, n’avait rien de compliqué.
Elle vient enfin, après des années, de triompher de cette pudeur excessive et qui privait douloureusement quelques amis du beau et du délicat. […] Malheureusement le sujet est bien délicat pour un talent fait de mémoire et d’hyperboles. […] J’admire une plume « instrument vibrant et délicat où la fantaisie elle-même a toute la force de la réalité ». […] Vauvenargues, qui mourut jeune, employa ce moyen jeune et bégayant pour exprimer son âme noble et délicate. […] Peut-être le bel et bête Hugues Le Roux, qui signe la préface de ce « bréviaire délicat (oh !
Ce plaisir, nous devons le dire, a été mêlé de regret pour une nombreuse partie de l’auditoire ; on écoutait, on saisissait quelques mots, on sentait que quantité de choses justes, délicates et fines passaient tout près de là ; on les devinait au sourire même de celui qui parlait, et à la satisfaction de tous ceux qui se trouvaient assez voisins pour en jouir ; on était bien sûr de ne pas se tromper en joignant ses applaudissements aux leurs, mais on éprouvait, en réalité, un peu du supplice de Tantale.
Mais à prendre les choses par un côté plus exclusivement français et gaulois, plus littéraire, en abordant nos vieux romans suivant l’aspect plus familier à nos érudits, en venant modestement à la suite de Lamonnoye, de Bouhier, de Sainte-Palaye, des savants auteurs de l’Histoire littéraire, sans arriver de l’Allemagne ni s’être nourri des Æebelungen ou des Eddas, mais s’adressant tout simplement à M. de Monmerqué, il y a lieu, sous le rapport du goût et d’une critique soigneuse et délicate, de faire des travaux précieux sur les vieux monuments de notre langue.
Elles achèvent, ces délicates mains, de donner à ces immondes créatures un aspect de monstres.
C’est ce que l’Aréopage donna bien à entendre dans une cause délicate et embarrassante dont le jugement lui fut renvoyé.
Les modernes sont en général plus savants, plus délicats, plus déliés, souvent même plus intéressants dans leurs compositions que les anciens ; mais ceux-ci sont plus simples, plus augustes, plus tragiques, plus abondants, et surtout plus vrais que les modernes.
Le brillant qui naît d’une action metaphorique, les pensées délicates qu’elle suggere et les tours fins avec lesquels on applique son allegorie aux folies des hommes ; en un mot toutes les graces qu’un bel esprit peut tirer d’une pareille fiction, ne sont point en leur place sur le théatre.
Ne seroit-ce point parce que les enfans naissent plus délicats, que l’expérience fait prendre des précautions plus scrupuleuses pour les conserver ?
En face du grand ouvrier de la morale de Jésus-Christ, de ce sombre fouilleur du cœur humain, Nicole, avec ses petits traités de morale, ne fait plus l’effet que d’un de ces patients tourneurs en ivoire qui cisèlent des cathédrales à mettre sous le pouce dans un dé de verre, et encore la cathédrale a un détail de fines nervures et de ténuité délicate que n’avait pas Nicole.
Quand on touche aux fils saignants des cœurs délicats avec cette délicatesse de main, on est mieux qu’un miniaturiste d’une époque fanée, on est un moraliste et un émouvant écrivain.
L’esprit d’Aristophane inspirait Shakespeare, inspirait Legrand, lorsqu’ils composaient leurs délicates fantaisies. […] Le spectateur ignorant ne voit et n’admire dans une œuvre d’art que sa vérité extérieure et grossière ; mais l’amateur délicat considère surtout la vérité intérieure de la composition. […] Je veux bien que ce mariage s’accomplisse, mais n’oubliez pas que vous vous êtes engagé à prendre ma fille sans dot81. » Il y a plusieurs traits assez délicats dans la peinture du caractère de Chrysale ; lorsqu’après avoir fait le brave contre sa femme en l’absence de celle-ci, il s’écrie à son aspect : « Secondez-moi bien tous82 ! […] Mais, parmi les débris du naufrage de Molière, il y a deux ou trois choses dont, pour moi, je regretterais la perte, et notamment celle des coups de bâton. à l’usage des adultes, que notre siècle trop délicat ou trop compatissant voudrait abolir119. […] C’est à ce dernier genre de malheur qu’il faut rapporter ces moyens corporels d’éducation pour les adultes, que notre siècle, ou très délicat, ou très compatissant, veut bannir du théâtre, quoique Molière, Holberg et d’autres grands maîtres en aient fait un fréquent usage.
Mais c’était une bonne chose pour cette cour pavée d’encadrer une si délicate petite figure ; elle passait comme un sourire le long des vieilles maisons noires et des dalles usées, les laissant plus sombres, plus tristes, plus grimaçantes que jamais ; cela ne fait pas de doute ! […] C’est une ivresse, et sur une âme délicate l’effet serait trop fort ; mais il convient au public, et le public l’a justifié. […] Pecksniff aura des gestes de longanimité sublime, des sourires de compassion ineffable, des élans, des mouvements d’abandon, des grâces, des tendresses qui séduiront les plus difficiles et charmeront les plus délicats. […] Ils ont une carnation si fraîche, un teint si délicat, une chair si transparente, et des yeux bleus si purs, qu’ils ressemblent à de belles fleurs. […] Prenez garde de froisser les âmes délicates qui fleurissent dans toutes les conditions, sous tous les habits, à tous les âges.
Ceux qui du premier coup y réussissent, ayant l’œil naturellement délicat et juste, ceux-là sont désignés pour l’art. […] J’admets que ceux qui sont spécialement coloristes doivent avoir un sens de la couleur très délicat et très exercé. […] Ce qu’il y a de plus fin, de plus délicat dans les heures instables leur restera interdit. […] Le goût est plus délicat quand il est averti. […] C’est un art délicat.
Lorsque, comparant l’amour et l’amitié, il ajoute que l’amour est presque la folie de l’amitié, il est délicat. […] Quoi de plus délicat que ce mot : « L’âme s’échappe du vieillard sans effort ; elle est sur le bord de sa lèvre… ? […] On y voit partout un penseur délicat, subtil et profond, un homme de bien. […] Le secret et le silence sont les conditions d’un pacte entre le bienfaiteur délicat et son obligé ; et ces conditions sont également sacrées pour tous deux. […] qu’est-ce que cet intérêt si délicat sur l’article de votre réputation, cette sensibilité si exquise à la piqûre la plus légère de la satire ?
Le sujet, pour être mince, n’en était que plus délicat ; il s’agissait de le broder agréablement, sinon de le créer.
L’ensemble de ces travaux, que l’amitié, nous l’espérons, se fera un devoir de recueillir, formerait l’ouvrage le plus ingénieux et le plus complet sur ce sujet délicat.
Il ne se peut pas (je sais trop quel délicat est l’auteur) qu’il ne soit pas ravi du charme unique et clair de l’Eau de Jouvence, par exemple.
Je songe souvent que c’est votre adhésion, en apparence tardive, qui donnera l’existence définitive à ces délicates choses que l’on perd par trop de zèle : un état légal, où l’ordre soit aussi assuré que la liberté ; un état social, où la justice ne soit pas trop violée ; un état religieux, qui donne à l’âme humaine son aliment idéal, sans contrainte officielle ni chimères superstitieuses.
l’un d’eux tient les Tuileries, l’un d’eux balafre Philibert Delorme au beau milieu du visage, et ce n’est pas, certes, un des médiocres scandales de notre temps de voir avec quelle effronterie la lourde architecture de ce monsieur vient s’épater tout au travers d’une des plus délicates façades de la renaissance !
Les personnes délicates souffrent-elles dans leurs cabinets des tableaux dont les figures sont hideuses, comme seroit le tableau de Promethée attaché au rocher et peint par le Guerchin.
Il est l’auteur des Lendemains, d’Apaisement, de Sites, suite de sonnets délicats ; c’est un des plus jeunes poètes du groupe et l’un de ceux qui promettent le plus.
J’avais dix-huit ans à peine, j’étais frêle et délicat, et je gantais sept un quart. […] De délicat j’étais devenu très-vigoureux. […] A la moindre provocation cette gaieté éclatait et soulevait sa forte poitrine elle surprenait même quelque délicat, mais il fallait bien la partager quelque effort qu’on fit pour tenir son sérieux. […] Une femme délicate et petite-maîtresse avait sans doute imposé cette aversion à Balzac. […] Nous effleurons en passant ce côté tendre et délicat de la vie de Balzac, parce que nous n’avons rien à dire qui ne lui fasse honneur.
Delille, qui vient de mourir, y reçoit de fines critiques s’exhalant dans des hommages, et cet habile et inexprimable mélange dénotait bien celui qui saurait, sans refuser l’admiration, maintenir la dignité et la malice délicate de la critique devant les poëtes. […] Chez les anciens, Cicéron, Sénèque et Pline le Jeune nous offrent seuls des exemples comparables d’une littérature à la fois si abondante et si délicate dans de pareils empêchements : frigidis negotiis, disait Pline, quæ simul et avocant animum et comminuunt. […] Villemain dans le Globe, qui débuta après lui par des couronnes académiques, a porté dans la poésie latine qu’il professe un sel délicat et rare, une urbanité élégante et simple, une aménité de parole où l’art disparaît, pour ainsi dire, dans une décence naturelle.
Que si l’on examine de plus près les témoignages des contemporains de Louise Labé, les indications et inductions qui ressortent de ces vers mêmes, on n’atteint pas à la certitude (où est la certitude en un sujet si délicat ?) […] Dès l’abord, dans la dispute qui s’engage entre Amour et Folie au seuil de l’Olympe, chacun voulant arriver avant l’autre au festin des Dieux, Folie, insultée par Amour qu’elle a coudoyé, et après lui avoir arraché les yeux de colère, s’écrie éloquemment : « Tu as offensé la Royne des hommes, celle qui leur gouverne le cerveau, cœur et esprit ; à l’ombre de laquelle tous se retirent une fois en leur vie, et y demeurent les uns plus, les autres moins, selon leur mérite. » Les plaintes d’Amour et son recours à sa mère après le fatal accident, surtout le petit dialogue familier entre Cupidon et Jupiter, dans lequel l’enfant aveugle fait la leçon au roi des Dieux, sont semés de traits justes et délicats, d’observations senties, qui décèlent un maître dans la science du cœur. […] Voilà bien le jugement d’une femme, mais d’une femme délicate, éprise des beaux sentiments, non d’une Ninon.
Il y a dans la seconde moitié un endroit où Gustave, près de quitter Valérie, et l’entretenant avec trouble, se blesse tout d’un coup au front en s’appuyant contre une fenêtre ; c’est là une blessure un peu illusoire et de convention ; le plus délicat des amants ne saurait se blesser ainsi. […] Marmier, qui a écrit sur Mme de Krüdner un morceau senti204, a très-bien remarqué dans Valérie nombre de pensées déjà profondes et religieuses, qui font entrevoir la femme d’avenir sous le voile des premières élégances ; j’en veux citer aussi quelques traits qui sont des présages : « Son corps délicat est une fleur que le plus léger souffle fait incliner, et son âme forte et courageuse braverait la mort pour la vertu et pour l’amour. » « …. […] Il existe peu de méchants ; ceux qui ne sont pas retenus par la conscience le sont par la société ; l’honneur, cette fière et délicate production de la vertu, l’honneur garde les avenues du cœur et repousse les actions viles et basses, comme l’instinct naturel repousse les actions atroces.
Sa taille, naturellement élevée, mais légèrement inclinée par la modestie, cette convenance de son âge, était mince et élégante ; ses yeux sincères, son front délicat, sa bouche accentuée d’une grâce sévère. […] L’œuvre était délicate et difficile, car ces hommes se faisaient soutenir par leur gouvernement. […] Elle était déjà d’un certain âge, et l’on voyait dans toute sa personne, aussi délicate que majestueuse, les traces plutôt que l’éclat de sa grande beauté.
En pleine éruption de roman socialiste, par une évolution imprévue, elle revient à son Berry, s’y renferme, et se met à décrire les aspects de sa chère province, des scènes rustiques toutes simples, sans éclats de passion ni tapage de doctrines : elle écrit la Mare au Diable (1846), la Petite Fadette (1848), François le Champi (1850), qui sont les chefs-d’œuvre du genre idyllique en France, avec leurs paysans idéalisés, et pourtant ressemblants, leurs dialogues délicats, et pourtant naturels820. […] Cela lui rend impossible les notations délicates de sentiments poétiques, les fines analyses de passions tendres, d’exaltations idéalistes : là Balzac s’enfonce dans le pire pathos, étale un pâteux galimatias ; lisez, si vous pouvez, le Lys dans la vallée. […] La méthode qu’il emploie, est l’analyse : il décompose l’action de ses personnages en idées et en sentiments, et chaque état de conscience est résolu en ses éléments par une opération délicate et précise.
« Un caractère particulier de la France, et surtout de Paris, écrivait, en 1817, Joseph de Maistre, c’est le besoin et l’art de célébrer. » Depuis 1817, grâce à la politique, le besoin est devenu plus grand, et l’art moins délicat. […] Ce que le poète, dans ces prouesses d’art pur, laisse échapper de sentiments délicats et d’aperçus fins sur la vie morale, fait regretter qu’il n’ait pas eu plus souvent besoin de tourner du dehors au dedans un œil qui voit si bien, et qu’il ait semblé parfois se servir de l’art, comme les Orientaux de l’opium, pour se dérober aux souffrances de la pensée. […] Elle parle plus volontiers de ses plaisirs que de ses dégoûts ; elle tient plus à nous faire aimer les beautés des livres, qu’à nous rendre trop délicats sur les défauts des écrivains.
Quel successeur pour Sainte-Beuve, si modeste, trop modeste même, qui revient sans cesse sur des jugements de la veille pour les compléter, pour les modifier, lui qui fut jusqu’à la fin si humain, si délicat ! […] c’est qu’ayant à dire des choses fortes et profondes, fines et délicates, ils ne trouvaient pas toujours de suite le moyen d’exprimer toute cette délicatesse, toute cette force qu’ils ressentaient. […] La vérité c’est que Flaubert s’est fait du style l’idée la plus puérile et la plus insensée, c’est qu’il ignore le véritable génie de la langue, ses sens délicats et souples, enfin cet art des valeurs qui seul indique le grand écrivain, et qu’il méprise avec la plupart des autres modernes, avec le Parnasse, avec les romantiques.
Mais un jour vient où, pour les âmes très délicates, les signes de l’art apparaissent trop sensibles, incapables désormais d’être négligés. […] Mais quelles paroles diraient les élégances délicates, les spirituelles musiques si brèves et si précises, courant sans arrêt, au travers de ces pages31 ? […] Mais le caractère constant de ces œuvres est la sereine grâce : des allégrettos brefs et légers, des menuets adorablement réguliers : partout la délicate plaisanterie d’une âme ingénue.
Qu’on lise tels airs de Richard cœur de Lion, « Je crains de lui parler la nuit … » « La danse n’est pas ce que j’aime … » les notes y ont la précision merveilleuse de mots ; et puis c’est un âge délicat et léger qui s’épand, tandis que sont inquiètement dandinées les phrases douces. […] Emportés par une subite fièvre généreuse, ils cessèrent être réalistes : ils perdirent ainsi le pouvoir de toucher les âmes un peu délicates. […] Mais pour les rares « différents », pour ceux qui furent habitués par Bach, et par Grétry, et par Beethoven, à la recréation affinée d’émotions délicates, elle demeure précieuse seulement comme une inconsciente fabrication de termes nouveaux et d’utiles procédés.
Car ces êtres touchants, presque aériens, délicats, frêles comme des ombres, marchent pourtant devant nous en une grâce onduleuse et, par un don singulier, ce sont uniquement les natures poétiques que l’auteur réussit à créer vivantes. […] Et une phrase embrouillée loue chez Émile Boissier, qui a « compris la beauté sereine de l’Armor », et aussi chez l’auteur des Fêtes galantes, et encore chez Laurent Tailhade, des qualités diverses telles « un art très délicat » et une grande « intensité de grâce latine ». […] Pour délicat que soit le bouquet et pétillante la coupe, le vin enivre et l’ivresse cause l’écœurement.
Qu’il y ait dans la mémoire un automatisme capable de fonctionner tout seul, c’est chose évidente ; les maladies mêmes et les illusions dont elle est susceptible prouvent ce qu’il y a de délicat et de fragile dans cette merveille de mécanique naturelle. […] « Peut-être, a-t-on dit avec raison, l’instrument le plus délicat, réceptacle et moteur tout ensemble, serait le phonographe68 ». […] Selon nous, dans ce problème délicat, il y a des distinctions nécessaires à établir.
Est-il en passant, nécessaire de remarquer quelle étrange incompréhension de la langue et de sa plus essentielle phonétique, et de son euphonie, a été, de plusieurs, la suppression dans les vers de l’E muet, — en quoi ils se démontrent sourds aux demi-tonalités et de plus délicates nuances encore… Ainsi dit, nous ne voulons même un instant nous arrêter à étudier l’onde multiple et idéale du Rythme, — qui, pour en avertir maintenant, ne peut provenir de la traditionnelle pauvreté de la règle d’équidistances des temps marqués, dont s’est mesuré le vers. […] Mais, en transition, nous rapporterons de Rousseau une phrase délicate : « Le chant mélodieux et appréciable n’est, dit-il, qu’une imitation paisible des accents de la voix parlante. […] Nous l’élidons si nous devons le réduire à sa plus simple expression, mais d’autre part lui donnons toutes ses tonalités délicates, si, au singulier ou au pluriel, il se trouve, précédé d’une voyelle, — terminer un mot que va suivre une lettre-consonne… Il sied de n’éteindre de lueurs de la diaprure phonétique, et nulle vague douce de la mer entière des durées harmonieuses.
Vers délicats, mélancoliques, dont l’inspiration rappelle un peu celle de M. […] Pourtant, il n’a pu feuilleter les écrits contemporains ni suivre les représentations théâtrales sans rencontrer une foule de délicats problèmes, sur lesquels il a été appelé à donner son avis. […] En tout cas, il n’a pas l’air de dormir, et, sur le thème un peu monotone de nos devoirs, il a brodé des variations souvent fort délicates. […] Aussi, M. de Vogüé rompt-il franchement avec la doctrine de l’art pour l’art, qui fut certainement la doctrine littéraire favorite de la période actuelle, celle des délicats, comme se dénomment aujourd’hui ceux qui s’intitulaient jadis beaux esprits : « Ces délicats sont singuliers, dit-il dans cet avant-propos du Roman Russe qui est un véritable manifeste. […] Alexandre Dumas, il fixent toute leur attention sur les délicats problèmes de l’amour, ou qu’avec M.
Les fleurs délicates ne grandissent pas sous les coups du vent et au soleil capricieux de la grand’route. […] Il est délicat d’insister sur ce point, pourtant essentiel. […] Quoi de plus noble que la nostalgie d’une belle vie sentimentale, et quel plus rare signe d’une âme délicate que de se façonner par avance une tendresse choisie ? […] Des mots représentent une sensibilité délicate, d’autres une sensibilité brutale. […] Ainsi font les poètes et les amoureux… Une femme délicate et malheureuse se trouve seule dans son salon intime, par un après-midi voilé d’hiver.
Pendant huit années, il se consacra d’ailleurs, presque sans partage, aux études médicales et aux préparations pénibles qu’elles exigent ; il disséquait dans les amphithéâtres, légèrement vêtu en hiver et sans aucune des précautions ordinaires à ceux qui ne passent pas pour délicats. […] Nous touchons là, dans ce caractère essentiellement moral, à quelqu’une des difficultés secrètes qui sont le scrupule des consciences délicates et qu’on ne peut que sonder discrètement. […] Littré précise, serre de près, et qu’il s’est accoutumé à traiter comme ferait un chimiste pour des combinaisons délicates de substances. […] On part d’Horace, le point de départ invariable, l’alpha et l’oméga des gens de goût ; on commence et on finit par lui, et, dans l’intervalle, on a fait une revue et une tournée instructive en compagnie d’un rédacteur spirituel et poli, s’exprimant dans une prose facile, encore qu’un peu traînante : on n’est pas sorti d’un empirisme délicat.
Par moments, il prolonge son ramage sur un ton langoureux ; ou bien, une seule note brève et claire éclate en un tshick-tshick sonore, et pour quelques instants il garde le silence ; volontiers il se poste sur la plus haute branche d’un arbrisseau, ou d’un buisson qu’il atteint en sautant légèrement d’un rameau à l’autre ; pendant qu’il monte, il change vingt fois de position et de côté, il se tourne et se retourne sans cesse, et, lorsqu’enfin il a gagné le sommet, il vous salue de sa plus délicate mélodie ; mais une nouvelle fantaisie lui passe par la tête, et sans que vous vous en doutiez, en un clin d’œil, il s’est évanoui. […] Leurs mutuelles caresses, si simples peut-être pour tout autre que moi, la manière délicate dont le mâle savait s’y prendre pour plaire à sa femelle, m’empêchaient d’en détacher mes yeux, et mon cœur en recevait des impressions que je ne puis oublier. […] Ainsi, sous cette frêle enveloppe existait déjà la vie ; et dans quelques semaines, une créature faible, délicate et sans défense, mais parfaite en chacune de ses parties, allait briser la coquille et réclamer les plus doux soins et toute l’attention de ses parents qui n’existeraient que pour elle ! […] Alors les hirondelles se montrent aussi délicates pour le choix d’un arbre qu’elles le sont ordinairement dans nos villes pour le choix de la cheminée où elles veulent fixer temporairement leur demeure : des sycomores d’une taille gigantesque et que ne soutient plus qu’une simple couche d’écorce et de bois, sont ceux qui semblent leur convenir le mieux.
Presque toutes ces figures, vagues et indécises, trahissent un esprit moins ferme que délicat, Mais cette délicatesse même n’était pas sans prix, surtout pour l’époque. […] Guillaume de Lorris était un trouvère du temps de saint Louis, d’un esprit délicat et doux, point ou médiocrement clerc mais très-versé sans doute dans la poésie des cours d’amour, et formé par les troubadours provençaux. […] Mais ces sentiments sont plus délicats et polis, si je puis dire ainsi, que touchants et passionnés. […] Toutefois, il garda jusqu’à la fin les goûts délicats qu’il tenait de Valentine de Milan, sa mère, et ce tour d’esprit, plus léger que vif, qui le portait à rimer tous les incidents de sa vie.
Maintenant cette représentation n’ayant pas lieu, je tiens à la disposition de la Société la somme de 500 francs pour laquelle j’avais annoncé vouloir contribuer au monument de Flaubert, regrettant, mon cher Maupassant, que vous ne m’ayez pas écrit directement, enchanté que j’aurais été de me décharger, en ces affaires délicates — où je n’ai été que l’instrument de vouloirs et de désirs qui n’étaient pas toujours les miens, — de toute initiative personnelle. […] C’est ainsi que cette gaîté névro-épileptique est en train de conquérir tout-Paris, et de mettre ses refrains dans la bouche des plus délicates intelligences. […] Mais, il n’y a qu’un très délicat observateur, capable de faire une pareille devinaille. […] Et nous voilà, avec Daudet, dans la loge de Sisos essayant ses robes, en compagnie de Doucet, ce couturier, délicat et intelligent collectionneur ; dans la loge de Cerny, dévêtant son svelte, et fantaisiste costume de petit mitron ; dans la loge de Mounet, tapissée de lambeaux d’affiches en pourriture, avec un étal sur une planche de pots pour le maquillage de l’artiste, semblable à l’appareillage de couleurs d’un peintre à la colle.
Niel n’a pas voulu traiter encore les questions délicates d’art et d’école que cet ordre de dessins soulève : il n’a fait que les indiquer dans son avant-propos, réservant ce sujet pour une époque plus avancée de sa publication, lorsque les pièces seront rassemblées en grand nombre et qu’il en ressortira plus de lumière. […] Pourtant il s’en consolait tout bas et prenait assez crûment son parti à la manière des vieux Gaulois, en se disant ou à peu près, comme dans le fabliau (je rends le sens, sinon les paroles) : « Après tout, ce n’est qu’une femme perdue, et il s’en retrouvera assez. » Je ne donne pas cette manière de sentir pour très délicate ni pour chevaleresque, mais elle est de Sully.
Une seule fois elle fut impitoyable : elle était blessée dans son endroit le plus délicat. […] Arrivée à Versailles au moment où l’astre de La Vallière déclinait et s’éclipsait, ayant vu les dernières années brillantes, elle entre peu dans cet ordre délicat et qui était fait pour flatter l’imagination : mais sans y entendre finesse, et tout uniment par sa franchise, elle nous découvre à nu la seconde partie du règne sous son aspect humain et très humain, naturel, et, pour tout dire, matériel.
» Un sentiment élevé et délicat s’y mêlait, ce charme intérieur attaché à l’étude toute désintéressée des lettres et dont nul n’a joui plus que lui. […] Daru pendant les années de la Restauration ; elle aimait à l’avoir pour président les jours de séances délicates et solennelles, soit qu’en recevant M. de Montmorency (1826) on eût à faire la part de l’homme de bien pour couvrir l’absence de l’homme de lettres, soit qu’en fêtant M.
Marcotte la première glace et qu’il se sera débarrassé du trop de cérémonie en lui écrivant, lorsqu’il se sera accoutumé à voir en lui ce qu’il était véritablement, bien moins un protecteur que le plus tendre et le plus délicat ami, il aura des choses charmantes à lui dire, et il s’y complaira plume en main, et même en oubliant pour des heures son pinceau. […] S’étant laissé aller un jour, comme il aimait à le faire dans les dernières années, à entretenir un ami de ses espérances religieuses et de sa confiance en une vie future, en l’immortalité, il se reprenait tout d’un coup, mais pour y appuyer davantage : Je fais la réflexion que ce sujet que je traite si volontiers est bien délicat, et qu’il vaudrait mieux garder pour soi les observations qu’on peut faire et en montrer le résultat par ses œuvres.
Les anciennes hymnes, les proses du Moyen Âge, dont toutes d’ailleurs n’avaient pas la beauté religieuse, la gravité ou l’onction des principales que nous connaissons, étaient jugées sévèrement par les délicats, et il parut aux hommes les plus considérables du clergé de France que c’était faire acte de convenance et de bonne liturgie que d’en remplacer quelques-unes par des strophes d’un rythme et d’une latinité plus d’accord avec les règles de l’ancienne poésie classique. […] Nous sommes délaissés, et une nuit profonde ensevelit les poètes latins ; plus d’honneur pour eux, pas un sourire pour leurs chants… Les poètes français ont je ne sais quelle douceur qui attire, et la tendre jeune fille ne lit plus que leurs vers tendres… Il n’a jamais nui de plaire à ce sexe délicat ; c’est encore comme cela maintenant, car ce qui leur a plu d’abord plaît à tous.
Je ne compte pas le grand Condé qui le pria un jour de s’abstenir de célébrer en vers ses louanges ; car les louanges de Santeul passaient aisément les bornes ; les sages les craignaient, et elles pouvaient choquer le tact des délicats. […] Il cherchait à couvrir le vague et l’indécis de sa rétractation par le pompeux des éloges décernés aux Rapin, aux Commire, aux La Rue, à toute la Société ; il fallait bien pourtant aborder ce point délicat d’Arnauld auquel on le ramenait toujours.
Engagé, disait-il dans des négociations très délicates et très épineuses, il craignait que ses lettres ne se ressentissent de son ennui. […] Frédéric lui écrit le 7 juillet (1757) ces paroles significatives, qui définissent bien, dans ces conjonctures si graves, le rôle délicat qu’elle s’est donné et qu’il lui confirme : Puisque, ma chère sœur, vous voulez vous charger du grand ouvrage de la paix, je vous supplie de vouloir envoyer ce M. de Mirabeau (ce nom est-il bien exact ?)
Puis, peu à peu, sur cette première couche littéraire, réputée aujourd’hui superficielle, et qui était du moins délicate et légère, on viendrait ajouter graduellement des teintes plus fortes, plus marquées, des figures plus expressives ; on lirait cette suite de mémoires charmants qui faisaient autrefois partie de toute éducation d’homme et de femme comme il faut : Mme de Motteville, Mlle de Montpensier, le cardinal de Retz, Mme de La Fayette, Mme de Caylus, tout Mme de Sévigné : Saint-Simon, qui outre déjà, ne viendrait que le dernier après tous les autres. […] À l’électrice Sophie de Brunswick, elle écrivait en 1698 : «… Je différerais même encore de me donner l’honneur d’écrire à Votre Altesse électorale, si je ne trouvais une espèce de consolation à entretenir une grande princesse qui est plus propre qu’une autre à me compatir par la bonté de son cœur et par l’amitié dont elle m’honore. » — Ô pure langue française, que tu es donc une chose délicate et fugitive pour que Mme des Ursins elle-même ait pu t’oublier et t’offenser quelquefois !
Son mérite y trouvait encore cet avantage d’avoir tout près de soi, et dans son cadre même, des connaisseurs délicats et des appréciateurs. […] Quand il entreprit d’écrire, puis de mettre au jour cet ouvrage tant médité, La Bruyère pensait donc peu à des fadaises dès longtemps oubliées et aussi enterrées que les romans des Scudéri ; il pensait à ce qui est vivant, aux antiques et aux récents modèles ; il songeait surtout à la difficulté de satisfaire tant de juges délicats et rassasiés, tous ceux qu’il a énumérés dans son Discours de réception à l’Académie, cercle redoutable et sévère, sourcilleux aréopage et qui, sur la fin du grand siècle, devait être tenté de dire à chaque nouveau venu : « Il est trop tard, tous les chefs-d’œuvre sont faits !
C’est le temps où Agrippa d’Aubigné savait quatre langues et traduisait le Criton de Platon « avant d’avoir vu tomber ses dents de lait. » Aujourd’hui les mœurs scolaires sont plus douces, et vos maîtres s’en applaudissent les premiers ; la place du grand fouetteur Tempête est supprimée dans l’Université, et le délicat Érasme vanterait les bons lits et la bonne chère de la jeunesse moderne. […] Je passe à l’extrême opposé : ayant à parler de Chapelle, l’ami de Molière (18 mai 1855), il manque le caractère de l’homme et le rapporte à une famille d’esprits dont il n’était pas ; car ce Chapelle, qui avait assurément de l’esprit et du plus naturel, mais un franc ivrogne et un paresseux, lui paraît représenter une classe d’amateurs et de connaisseurs « d’un goût singulièrement fin, délicat, difficile, qui ont tout lu, qui savent toutes choses, etc. » Rien de moins exact et de moins justifiable. — C’est ainsi encore que, sur la foi d’un de ses maîtres, M.
Les lettres qu’elle écrivait à cette dernière, pendant son voyage d’Espagne, étaient lues de tout ce monde délicat ; on se les montrait discrètement, et Mme de Sévigné les goûtait fort : « Ce sont, disait-elle à sa fille, des relations qui font la joie de beaucoup de personnes. […] Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris : et l’on ne peut s’empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont ou d’acheter une rivière… » Ce Mançanarès tout poudreux est revenu fort à propos en idée au savant et délicat Boissonade dans je ne sais plus quel commentaire, pour lui servir à justifier une expression pareille qu’on rencontre chez les auteurs anciens et qui semblait invraisemblable ; ainsi, le pulverulenta flumina de Stace est vrai au pied de la lettre. — Un jour qu’un spirituel voyageur français (Dumas fils) était à Madrid, et que, mourant de soif, on lui apporta un verre d’eau, c’est-à-dire ce qu’on a de plus rare : « Allez porter cela au Mançanarès, dit-il, ça pourra lui faire plaisir.
Aux heures de gaieté légère (car il en avait), Deleyre écrivait parfois des choses charmantes et délicates, dont Rousseau faisait son profit. […] » Je le demande, se peut-il de plus belle, de plus délicate manière de sentir ?
Que l’admiration de nous à eux, des modernes aux vrais Anciens, à ceux qui ont le mieux connu le beau, s’entretienne de phare en phare, de colline en colline, et ne s’éteigne pas ; que l’enthousiasme de ce côté n’aille pas mourir, — ce serait une diminution du génie humain lui-même ; — non un enthousiasme crédule, aveugle et indigne d’eux comme de nous, mais un enthousiasme léger, clairvoyant, intelligent, divinateur et réparateur, qui n’est que l’émotion la plus délicate et la plus vive en face de tant de belles choses, accomplies une fois en leur juste cercle et à jamais disparues. […] Psyché parut, plus brillante et plus belle ; L’Amour la vit, l’Amour brûla pour elle : L’Amour, bientôt, la mit au rang des dieux… C’est ce même rimailleur soi-disant classique qui, dans une pièce critique et satirique de 1825, qu’il s’est bien gardé de perdre et qu’il a tenu à conserver, débutait par ces mots : Et j’ai dit dans mon cœur : « Notre ami Lamartine Définitivement a le timbre fêlé… » Et ce sont les auteurs de pareilles inepties et platitudes qui se mêlent de juger à première vue les plus délicats d’entre les poètes de l’Éolie et de l’Ionie !
Le génie des Grecs est infini et varié ; il est naturellement délicat ; toutes les formes de l’art y atteignent vite et d’elles-mêmes à la perfection et à la fleur. […] Martha, fruit d’une étude lente, approfondie et délicate, est animé partout d’un souffle pur et respire comme une paisible sérénité : Marc-Aurèle y est traité comme il aurait aimé à l’être, dans un esprit de conciliation et de mansuétude.
La fatigue d’une organisation délicate chez l’un, le torrent des affaires chez l’autre, et pour le premier des infirmités, hélas ! […] ouverte à deux battants ; on y entre, on en sort, on y décrit tout ; ce n’est plus le poëte dérobant les fins mystères, c’est le docteur indiscret des secrètes maladies. — A défaut de M. de Balzac, qui ne semble pas en mesure de modifier la verve croissante de ces entraînements, et en se garant surtout du ruisseau impur des imitateurs, c’est à tels ou tels de ses disciples rivaux et de ses héritiers vraiment distingués qu’on voudrait demander parfois l’œuvre agréable dans laquelle le choix de l’expression, le soin du détail, quelque art littéraire enfin, se joindraient à toutes les veines délicates qu’ils ont141.
Sans doute, s’il fallait se décider entre leurs deux points de vue pris à part, et opter pour l’un à l’exclusion de l’autre, le type d’André Chénier pur se concevrait encore mieux maintenant que le type pur de Regnier ; il est même tel esprit noble et délicat auquel tout accommodement, fût-il le mieux ménagé, entre les deux genres, répugnerait comme une mésalliance, et qui aurait difficilement bonne grâce à le tenter. […] La fierté délicate d’André Chénier était telle que, durant ce séjour à Londres, comme les fonctions d’attaché n’avaient rien de bien actif et que le premier secrétaire faisait tout, il s’abstint d’abord de toucher ses appointements, et qu’il fallut qu’un jour M. de La Luzerne trouvât cela mauvais et le dît un peu haut pour l’y décider.
Et bien a pris à Pierre Loti de passer par la désespérance et la négation absolues ; car, à partir de ce moment, il parcourt le monde sans autre souci que d’y recueillir les sensations les plus fortes ou les plus délicates. […] je suis si peu un critique que, lorsqu’un écrivain me prend, je suis vraiment à lui tout entier ; et, comme un autre me prendra peut-être tout autant, et au point d’effacer presque en moi les impressions antérieures, comme d’ailleurs ces diverses impressions ne sont jamais de même sorte, je ne saurais les comparer ni assurer que celle-ci est supérieure à celle-là « Mais nous ne tenons point à connaître les émotions que vous donnent les livres ; c’est sur leur valeur que nous désirons être édifiés. » Peut-être ; mais la plus belle fille du monde… Et d’ailleurs, je suis ici d’autant plus incapable de m’élever au-dessus du sentir, que Pierre Loti est, je pense, la plus délicate machine à sensations que j’aie jamais rencontrée.
C’est qu’aussi jamais l’éclatement des cadres n’avait rendu, entre condisciples de conditions aussi mêlées, les contacts si âpres et multiplié à ce point, pour les sensibilités délicates, les causes de froissement. […] C’est une fausse conception de l’égalité qui mettait, sans apprentissage préalable, une pelle et une pioche dans leurs mains jusque-là exercées au seul maniement délicat de la plume et condamnait au labeur de portefaix, leur corps fragile, impuissant à se redresser de la courbature des pupitres.
L’esprit critique est l’homme sobre, ou, si l’on veut, délicat ; il s’assure avant tout de la qualité. […] Il y a une ligne très délicate au-delà de laquelle l’école philosophique devient secte : malheur à qui la franchit !
ces hommes si fins, si délicats, si habiles à saisir dans la vie pratique les nuances les plus déliées sont de vrais badauds pour les choses métaphysiques et y admettent des énormités à faire bondir le sens critique. […] Un système tout fait, qu’il ne soit pas nécessaire de comprendre et qui nous épargne la peine de chercher, voilà bien ce que la France demande en religion, parce qu’elle sent fort bien qu’elle n’a pas le sens délicat des choses de cet ordre.
Il était doué de plusieurs des qualités indispensables pour cette fonction délicate, et il ne s’est pas toujours montré exempt des défauts qu’il y faudrait éviter. […] La notice académique bien traitée, avec tact, avec sobriété et justesse, est un genre délicat, susceptible d’agrément, mais d’un agrément léger et peu saillant à distance.
Grâce à Dieu, nous n’écrivons point sa vie ; ce serait une tâche trop délicate, trop périlleuse. […] Elle veut être propre à tout et qu’on puisse dire d’elle comme de Gil Blas : « Vous avez l’outil universel. » Jamais on n’a eu à un moindre degré cette pudeur sur la science que Fénelon recommande aux femmes et qu’il leur voudrait vive et délicate, presque à l’égal des autres pudeurs.
Arrivé à Paris à la fin de 1818, l’abbé Gerbet entra au séminaire de Saint-Sulpice ; mais sa santé, déjà délicate, ne lui permettant pas d’y faire un long séjour, il s’établit comme pensionnaire dans la maison des Missions étrangères, où il suivait la règle des séminaristes. […] Cela tient, je suppose, à ce qu’il a toujours vécu trop près de sa pensée, n’ayant jamais eu l’occasion de la développer en public : en effet, sa santé délicate, sa voix faible et qui a besoin de l’oreille d’un ami, n’a jamais permis à ce riche talent de se produire dans l’enseignement ou dans les chaires.
Que prouveraient d’ailleurs quelques faits particuliers dans une question si délicate et si complexe ? […] C’est ce qu’il me paraît absolument impossible de découvrir, c’est du moins ce qui demanderait des observations si longues et si délicates, que je ne crois pas que la science puisse encore rien avancer de sérieux sur un pareil sujet.
Pour certains, du reste, amoureux de la réputation à petit bruit et délicate, elle n’en est que plus agréable et que plus chère. […] Encore l’on sait fort bien que les esprits « forts » et les esprits « délicats » ne rient pas plus qu’ils ne pleurent et, quand il y a matière à hilarité, se contentent de sourire, rire à gorge déployée n’étant pas beaucoup moins que pleurer signe que l’on est conquis et en possession de l’auteur.
Éloa, cette sublimité dans le délicat et le pur, avait eu le succès qui convenait, — un succès chaste, comme elle, plus profond que sonore ; mais trois ans après, jour pour jour, Vigny, qui voulait mettre une fleur de prose à côté de cette fleur de poésie qui était sortie de sa pensée, calice de parfum et de blancheur, comme le nénuphar sort d’une eau limpide, Vigny publia Cinq-Mars, un roman historique bien plus inspiré, selon moi, par Walter Scott, alors régnant, qu’il n’est produit par une fantaisie vraiment libre ou une combinaison irréfléchie. […] Le penseur sur toutes les autres questions de la vie y est aussi, intéressant, varié, délicat, suraigu de perception en toutes choses ; mais tout ce qui a une âme n’y verra que le désespéré !
Il dit mille impertinences, & on l’écoute, parce qu’on est à sa table, & que son gros cuisinier au tact délicat a de la finesse pour lui. […] Les hommes délicats comme Fontenelle échappent enfin aux traits de l’envie ; & en sont exempts. […] J’aime cent fois mieux, puisqu’il faut m’expliquer, les Ouvrages du fils, remplis de vues fines, délicates & vraies, & d’appercevances neuves sur le cœur des femmes. […] Je sçais qu’il est fin, ingénieux, délicat ; & voilà pourquoi je souffre en le lisant ; il souille à mes yeux son esprit. […] Je ne dispute à personne un sentiment fin & délicat.
Nisard est des plus délicates, car elle ne porte précisément sur rien et elle plane sur tout. […] Poitou sait être, à l’occasion, écrivain très délicat. […] Les puissants mettent-ils toujours une sollicitude si attentive à ménager la fierté délicate des petits ? […] Il y a dans la pièce un personnage plus délicat que les autres, qui éprouve cette impression et qui en fait la remarque. […] Sainte-Beuve en sa fine et délicate préface, que ce livre soit si innocent.
C’est en même temps la chose la plus délicate à conseiller, parce qu’il est de politesse qu’on la présuppose.
L’esprit dans lequel le livre est conçu est un bon esprit ; j’appelle ainsi celui qui consiste à ne pas arriver sur le sujet avec une prévention et un système, à se pénétrer de l’esprit même de l’époque qui est en cause, à recueillir tous les témoignages, à s’éclairer de toutes les dépositions et à nous rendre avec gravité, avec bon sens et modération, le résultat de cette enquête si délicate et si compliquée.
Cette cigale, cette colombe, cette abeille, tous êtres légers et brillants, nourris de nectar et de parfums, pour être transportés parmi nous, demandent à la poésie une foule de soins délicats, d’attentions ingénieuses ; la moindre rudesse ou la moindre fadeur les ferait mourir.
Ce qui domine chez Henri, c’est quelque chose d’honnête, de régulier et de sérieux ; les idées d’ordre et de devoir sont toutes-puissantes sur son esprit ; sa sensibilité vive se cache sous des dehors graves et froids ; dans la situation délicate et même équivoque où il s’est placé, il ne déroge pas un seul instant à la prudence, à la franchise ni au courage ; en un mot, s’il y a du Paul Jones dans le corsaire, il y a du Washington dans ce jeune homme.
Mais un exemple en ces matières est toujours délicat à imaginer : on a beau faire, on sent que tout est convenu, factice, arrangé pour le besoin de la démonstration.
La besogne est délicate, et plus le sujet est spécial, plus le problème se complique.
Si votre esprit semble, à bien des égards, comme une moyenne délicate de l’esprit français, c’est peut-être que votre province est, historiquement, la province centrale par excellence. — Ici, plus aisément que partout ailleurs, on conçoit ce que signifiait déjà la Chanson de Roland quand elle parlait de « France la doulce ».
Nous touchons ici à l’un des problèmes les plus délicats de » l’histoire.
Platon est délicat dans tout ce qu’il pense & dans tout ce qu’il dit : Aristote ne l’est point du tout, pour être plus naturel.
Mais la raison ou bien les reflexions nous ont rendu depuis le peuple de l’Europe le plus délicat et le plus difficile sur toutes les bienséances du théatre.
Le cavalier doit sentir frémir dans sa main la bouche délicate du cheval, sous peine d’être renversé avec dédain par lui.
La grue de Numidie, délicate et frêle, s’avance comme une demoiselle timide, et considère avec inquiétude ces turbulents ébats. […] Platon l’a marqué, d’une main délicate et légère, dans le portrait de Protarque et de quelques autres. […] Mais cette moquerie est fine, ces piqûres sont légères, et ce sourire, divin ou ironique, est toujours délicat et charmant. […] Presque enfant, il a le goût le plus sensible et le plus délicat. […] Ici les émotions sont aussi délicates que la manière de les dire ; on reconnaît le tact exquis d’une femme et d’une femme de haut rang.
On peut comparer ce peuple à une ruche d’abeilles qui, née sous un ciel clément mais sur un sol maigre, profite des routes de l’air qui lui sont ouvertes, récolte, butine, essaime, se défend par sa dextérité et son aiguillon, construit des édifices délicats, compose un miel exquis, toujours en quête, agitée, bourdonnante, au milieu des massives créatures qui L’environnent, et ne savent que paître sous un maître ou s’entrechoquer au hasard. […] Le Grec reçoit d’eux cette technique et cette routine ; mais elles ne lui suffisent pas ; il ne se contente point de l’application industrielle et commerciale ; il est curieux, spéculatif ; il veut savoir le pourquoi, la raison des choses13 ; il cherche la preuve abstraite, il suit la délicate filière des idées qui conduisent d’un théorème à un théorème. […] Le Grec est raisonneur encore plus que métaphysicien ou savant ; il se plaît aux distinctions délicates, aux analyses subtiles ; il raffine, il tisse volontiers des toiles d’araignées16. […] Elle ne fait point partie d’une littérature secrète devant laquelle les gens austères se voilent la face et les esprits délicats se bouchent le nez. […] Selon d’autres, il est le plus jeune des dieux, car la vieillesse exclut l’amour ; il est le plus délicat, car il marche et se repose sur les choses les plus tendres, les cœurs, et seulement sur ceux qui sont tendres ; il est d’une essence liquide et subtile, car il entre dans les âmes et en sort sans qu’on s’en doute ; il a le teint d’une fleur, car il vil parmi les parfums et les fleurs.
Ce sont de si jolies petites créatures si fines, si délicates, si franches du collier, si promptes à se cabrer dans des emballements nerveux ! […] Ce gros homme a un goût désordonné pour les blondes délicates, fluettes, un peu pâles. […] Rien de plus curieux que d’entendre ce délicat raconter, avec d’infinies précautions et une correction de diplomate, ce qu’il a vu ou écouté là-bas. […] Ses pesantes semelles piétinent, de préférence, ce qui est délicat et noble, ce que la souffrance embellit et idéalise. […] Garçon délicat, romanesque.
Lequel est le plus délicat de M.