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1323. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Mme de Lambert, qui n’était pas du même parti qu’elle en littérature et qui penchait décidément pour les modernes, mais qui avait de l’élévation et de l’équité, a dit à son sujet dans une lettre adressée à ce même père Buffier sous la Régence : J’aime M. de La Motte, et j’estime infiniment Mme Dacier. […] Dans ce cours d’études de Tanneguy Le Fèvre, il se mêle de la gaieté, une sorte de plaisir qui réjouit le maître et anime l’enfant : « Car ôtez le plaisir des études, je suis fort persuadé qu’un enfant ne saurait les aimer. » C’est ainsi qu’à la lecture d’Homère, de Térence, même d’Aristophane (en y mettant du choix), il jouit de voir la jeune intelligence prendre et se divertir comme à une chose naturelle, et tirer d’elle-même plus d’une conclusion avant qu’on ait besoin de la lui montrer : « On m’a dit souvent, et je l’ai lu aussi, qu’il y a beaucoup de plaisir à voir croître un jeune arbre ; mais je crois qu’il y a plus de plaisir encore à voir croître un bel esprit. » C’est pendant qu’on élevait de la sorte l’un ou l’autre de ses frères que Mme Dacier enfant, et à laquelle on ne songeait pas, écoutait, profitait en silence ; et un jour que son frère interrogé ne répondait pas à une question, elle, sans lever la tête de son ouvrage, lui souffla ce qu’il devait répondre. […] Dacier, antérieurs à leur mariage, les endroits où ils aiment à se citer l’un l’autre, et à se faire en quelque sorte la cour sous le couvert des anciens110. […] Là, pendant plus d’une année, ils suivirent leur méthode studieuse en la transportant et la renfermant cette fois dans les matières de religion, et ils tombèrent tout à fait d’accord sur la conduite qu’ils avaient à tenir ; mais ils voulurent faire plus, ils aimèrent mieux différer de quelques mois leur déclaration publique, et ils s’appliquèrent dans l’intervalle à user de leur influence, de l’estime qu’ils inspiraient et des raisons dont ils étaient remplis, pour ramener la ville entière avec eux. […] J’aime, au reste, à marier ces productions, par quelque côté parentes, bien plutôt qu’à les opposer : la Bible de Royaumont, le Télémaque, Rollin, l’Homère de Mme Dacier, me paraissent aller bien ensemble pour la couleur.

1324. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — II » pp. 126-147

On ne saurait se figurer ce que sont les vers de Marolles, « ces fruits tardifs d’une muse naissante dans un âge avancé » ; car c’est ainsi qu’il les appelle, et il les aime et les chérit par-dessus tout, en cette qualité de derniers nés. […] Il a beau se plaindre et gémir, regardez ses portraits, toujours un sourire de satisfaction flotte et surnage et repousse tout soupçon d’amertume : cet homme, quoi qu’il fasse et quoi qu’on fasse, est content de lui, il a bonne opinion de lui, et il augure bien du succès définitif de ses vers, et par une très bonne raison qu’il va nous dire : « Parce que je les aime, et que je suis persuadé de n’avoir jamais rien fait de mieux. » Marolles eut pour adversaire en son temps, et pour juge inexorable un homme auquel il fait allusion fréquemment comme étant alors l’arbitre des réputations et le dispensateur suprême des louanges, Chapelain, si déchu et si rabaissé aujourd’hui. […] Les deux catalogues qu’il a dressés de son trésor de gravures, et, comme il dit, de sa Bibliothèque imaginaire (j’aimerais mieux imagère), le premier en 1666 pour la collection acquise au roi par Colbert, le second en 1672 pour une nouvelle collection qu’il s’était formée depuis, mériteraient d’être appréciés par de plus connaisseurs que moi30. […] Il faut l’entendre parler de cette source de curiosité aimable : « J’ai parfaitement aimé ces choses-là, dit-il, et je les aime encore… Ceux qui ont été une fois touchés de cette sorte d’affection ne la sauraient presque abandonner, tant elle a de charmes par son admirable variété. » Il avait la mémoire présente de tout ce qu’il possédait en ce genre : on pouvait lui montrer une pièce quelconque ou antique ou moderne, il disait à l’instant s’il l’avait ou non parmi les siennes, et, dans ce dernier cas, il indiquait l’endroit juste où elle était classée : « Ce serait peut-être malaisé à croire d’un nombre aussi prodigieux que l’est celui des estampes que j’ai assemblées, si je ne l’avais éprouvé plusieurs fois.

1325. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

D’Argenson n’aime pas seulement les vieux mots à la gauloise, victuailles, crevailles, qui, bien placés, ont leur franchise ; il a gardé du xvie  siècle des débris de locutions qui effaroucheraient même le plumitif du greffe et qu’il emploie sans hésiter, sans barguigner ; par exemple : ains au contraire ; — icelle ; iceluy. […] Le bien de tous se serait fait, j’aime à le croire, mais certainement de la manière la plus désagréable pour chacun. […] la France l’aime et la suit volontiers. […] ) Je ne trouve pas grand mal qu’il ne soit plus notre ministre, car je n’aime qu’une politique bourgeoise, où on vit bien avec ses voisins et où on n’est que leur arbitre, afin de travailler une bonne fois et de suite à perfectionner le dedans du royaume et à rendre tous les Français heureux. […] Il faut aimer le bonheur des peuples et la gloire du royaume, mais, dans la concurrence, il faut que la gloire cède au bonheur ; au lieu qu’un ministre de cette espèce fait toujours céder le bonheur à la gloire.

1326. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Aimez donc votre sujet, épousez-le, embrassez-le, biographe ou peintre ; et, s’il y a doute et conflit, prenez parti pour, plaidez pour : ne rendez pas les armes dès le premier moment. […] Ne vous étonnez pas qu’elle aimât Montaigne, et qu’elle sentît comme lui, dans la vue de l’incertitude universelle : « On nous a jetés dans ce inonde on ne sait pourquoi, et il faut finir son temps pour devenir je ne sais quoi. — C’est mon bréviaire, ajoutait-elle, que ce Montaigne, ma consolation, et la patrie de mon âme et de mon esprit ! » Et sur son La Bruyère, on lisait : « Ce livre appartient en 1804 à la comtesse d’Albany, et elle y fait les notes d’après ses observations sur ce monde où elle a trop vécu, à l’âge de cinquante et un ans, après avoir perdu tout ce qui l’attachait à cette malheureuse vie. » Que j’aimerais à avoir sous les yeux et à étudier de près cet exemplaire-là ! […] Je ne sais que devenir ; toutes les occupations me sont odieuses ; j’aimais tant la lecture ! […] Je sais que vous avez de l’amitié pour moi, et que vous aimiez cet ami incomparable : c’est ce qui fait que je me livre avec vous à ma douleur. » Enfin, le 4 août 1804, à un correspondant qu’on ne nomme pas : « Voilà cinq mois que j’ai perdu cet ami incomparable, et il me paraît que c’est hier ; je le pleure tous les jours, et rien ne pourra m’en consoler.

1327. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Le public, qui aime à mettre vite une étiquette à chaque talent, l’a pris et adopté par ce côté, l’a classé comme un des peintres du Midi et de l’Orient, si bien que plus d’un lecteur a pu s’étonner de voir le paysagiste aux teintes éclatantes changer brusquement de pays, de sujet, de cadre, et nous donner des descriptions d’un aspect tout différent, d’une lumière modérée, et qui sont tout à fait françaises de ton et de caractère. […] Les paysans qui l’ont vu naître et grandir, et qui le retrouvent aux lieux où vivait son père, le respectent et l’aiment ; il s’arrange lui-même pour les aimer assez, surtout pour les servir et ne pas trop voir leurs laideurs et leurs défauts. […] Il aimait à courir la campagne, moins encore pour tendre les pièges aux oiseaux, que pour prêter l’oreille à la nature, qui déjà lui murmurait je ne sais quoi de secret, et pour converser avec l’esprit voilé de ces verts et doux paysages. […] Dominique qui, de son côté, essaye de tout pour se guérir, qui s’est jeté dans une vie intellectuelle forcée et qui a complètement cessé de la voir, visitant un jour un Salon d’exposition, s’arrête tout étonné devant une figure de femme, signée d’un illustre pinceau, et tout effrayante de réalité et de tristesse : il y peut lire dans un reflet étrange, dans un regard foudroyant d’éclat, l’aveu d’une âme qui souffre et qui aime.

1328. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Rien n’est cependant plus du sien, et Sa Majesté est persuadée qu’il convient tout à fait à son service, de faire entrer son armée en Piémont la campagne prochaine… Vous devez avoir reçu une lettre de Sa Majesté par laquelle elle vous marque que, voulant absolument que son armée entre en Piémont la campagne prochaine, elle ne vous rendra en aucune façon responsable des événements de la campagne, et c’est ce qu’elle m’a encore ordonné de vous confirmer… Comme je crois que vous voulez bien me compter au nombre de vos amis, j’ai cru ne pouvoir vous donner une plus grande marque que j’en suis que de vous avertir pour vous seul, s’il vous plaît, que Sa Majesté est persuadée que, si votre goût n’était point aheurté à une guerre défensive, il ne se trouverait peut-être pas tant de difficultés à en faire une offensive cette année : ainsi, quoique je ne sois pas capable de vous donner des conseils, cependant je crois devoir vous donner celui de renouveler de soins et d’attentions pour essayer de rendre facile, par l’avancement de la voiture (du voiturage) des farines, une chose que le roi désire aussi ardemment. » Catinat répondait en remerciant Barbezieux de cet avis amical, et il protestait que la défensive n’était point chez lui un parti pris et que son goût n’était point aheurté à ce genre de guerre ; qu’elle lui tenait, au contraire, l’esprit dans une continuelle inquiétude dont il aimerait mieux se décharger en agissant ; il ajoutait : « Le roi me demande des mémoires sur les dispositions de l’offensive : je ne puis que me donner l’honneur de les lui envoyer aussi détaillés qu’il m’est possible avec les difficultés qui se rencontrent dans leur exécution, afin qu’il lui plaise de donner ses ordres pour les surmonter. » Louis XIV se rendait en dernier ressort aux raisons et démonstrations de Catinat ; mais il se formait de lui peu à peu une idée qui n’était plus aussi avantageuse qu’auparavant, ni aussi brillante. […] Il aime le roi et l’État ; il sent que l’un et l’autre sont chargés d’une guerre qui ne peut se soutenir partout avec supériorité. […] on aimerait à le savoir ; les ombrages seuls de Saint-Gratien pourraient nous le dire. […] J’aime mon maître et ma patrie. […] Il y aurait maintenant à suivre Catinat dans cette retraite de Saint-Gratien si souvent célébrée, et où il aimait tant à réfléchir et à se taire.

1329. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Necker et de M. de Montmorin, qui forment à peu près tout le Conseil du roi ; je ne les aime ni l’un ni l’autre, et je ne suppose pas qu’ils aient du goût pour moi ; mais peu importe que nous nous aimions, si nous pouvons nous entendre. […] Il viendra chez moi celle après-dînée, et je ne le quitterai point que je ne l’aie coule à fond. » Napoléon disait : Je connais le tirant d’eau de chacun de mes généraux, et Frédéric aussi aimait à couler à fond ses philosophes. — Ici il y a une pause dans sa lettre ; le roi reçoit la visite de Raynal et ne reprend la plume qu’après : « Enfin, j’ai vu l’auteur du Stathoudéral et du Commerce de l’Europe. […] Depuis que les preuves du contraire ont abondé et qu’on a eu les papiers du comte de La Marck, ce passage de l’Histoire de la Révolution n’a pas été modifié : l’illustre historien revoit peu ses ouvrages, il aime à les laisser dans leur première improvisation ; il est douteux qu’il ait jamais relu son Histoire de la Révolution, pleine d’inexactitudes pour les détails (c’était inévitable au moment où il l’écrivit), mais qui reste vraie dans les ensembles et par la touche juste et large qu’il a su donner des principaux moments de ce grand drame. […] Jean de Muller qui le vit à Berne a dit de lui : « Il aime à parler, sa conversation est instructive, et c’est un honnête homme. » (Études sur l’histoire littéraire de la Saisie française, par E.

1330. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Il n’aimait pas à prendre de peine. […] Tout cela dégoûte beaucoup. — Adieu, chère amie de moi, soignez-vous, ne vous impatientez pas comme je le fais, et aimez-moi. » Ce n’est là qu’un échantillon. […] Royer-Collard était depuis longtemps un homme, un nom dont on aimait à se couvrir quand on avait un côté faible. Cousin, dans un temps, quand on attaquait sa religion, aimait à se replier sur M.  […] On m’assure qu’à propos de cette manie qu’avait Louis-Philippe de démolir ses ministres les uns par les autres, et de les user pour sa plus grande gloire, on y lit cette phrase ou quelque chose d’approchant : « Je n’aime pas ces ogres de réputation qui croient augmenter la leur en dévorant celle des autres. » 44.

1331. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Adolphe est un des livres que nous aimons le plus dans leur tristesse ; en mainte occasion nous avons parlé de l’auteur avec intérêt, avec sympathie, et comme étant nous-même de ceux qui entrent le plus dans quelques-unes de ses faiblesses. […] A un certain degré, cette mêlée, cette lutte de diverses natures en une seule, aurait pu paraître intéressante, et elle a certainement paru telle à quelques personnes qui l’ont connu ; je sais une femme distinguée qui a écrit : « On sent dans Benjamin Constant un besoin d’être aimé, dirigé, soigné, qui charme à côté de si grandes facultés… » Pourtant, à moins d’être femme peut-être, et avec la meilleure volonté du monde, il n’y a pas moyen de n’être point ici frappé de ce choc d’éléments inconciliables et d’un désaccord qui crie. […] je craindrais bien plutôt, en relisant ses défauts dans Adolphe, de les aimer. […] En attendant qu’elle nous réunisse, cher Fauriel, songez que nous sommes séparés, que je vous aime, et que vous me ferez un vif plaisir de m’écrire. […] Cette femme aimable lui disait un jour avec un sourire triste, en le voyant devenir muscadin : « Benjamin, vous faites votre toilette, vous ne m’aimez plus ! 

1332. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Il aime l’ordre, il en met partout. » Avec cette justice parfaite et cette bonté qui dérivait de la règle et du tempérament, il ne cessa de faire du bien dans ses alentours, et les gens de Montbard l’adoraient. […] Il n’aimait ni sa personne ni ses talents : il ne l’appelait que le grand phrasier, le roi des phrasiers  ; il le contrefaisait en charge (d’Alembert avait ce malheureux talent de singer les gens). […] En général, Buffon peint la nature sous tous les points de vue qui peuvent élever l’âme, qui peuvent l’agrandir, la rasséréner et la calmer ; il aime d’un mot à tout ramener à l’homme ; il a de la volupté souvent dans le pinceau, mais il n’a pas cette sensibilité où Rousseau et d’autres excelleront : Buffon est un génie qui manque d’attendrissement. […] On dit que Buffon aimait fort le romancier Richardson « à cause de sa grande vérité, et parce qu’il avait regardé de près tous les objets qu’il peignait ». […] Buffon, en causant, n’aimait ni les contradictions ni les interruptions ; il se taisait et gardait le silence à la première objection qu’on lui faisait : « Je ne puis me résoudre, disait-il, à continuer la conversation avec un homme qui se croit permis, en pensant à une chose pour la première fois, de contredire quelqu’un qui s’en est occupé toute sa vie. » Cela le conduisait à avoir des familiers et des admirateurs à domicile, qui ne le contredisaient jamais ; il les supportait aisément.

1333. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Sans trop serrer de près les questions qui se rattachaient aux deux époques critiques de la vie du maréchal, j’avais entendu causer quelques-uns de ses amis, et j’avais été frappé du degré de chaleur et d’affection que tous mettaient à le défendre et à continuer de l’aimer. […] J’aimais déjà la magnificence ; j’achetai une jolie chaise de poste, un bel équipage de cheval, de très bonnes cartes… » On aura remarqué ce trait de caractère : J’aimais déjà la magnificence . […] J’aime à multiplier ces citations qui me dispensent d’avoir un avis en de telles matières, et qui ont l’avantage, ce me semble, d’exprimer sensiblement aux yeux de tous le feu, l’éclat, la verve militaire de Marmont. […] Marmont, mis hors de combat par de si graves blessures, fut transporté à Burgos et jusqu’à Bayonne, et reçu partout avec les honneurs dus à sa dignité : « Spectacle imposant, dit-il, de cette entrée en pompe d’un général d’armée mutilé sur le champ de bataille, porté avec respect devant les troupes, entrant au bruit du canon et escorté de tout son état-major. » Et comme il faut que l’esprit français se trouve partout, même dans les revers : « Je fis la plaisanterie, ajoute-t-il, de dire que j’avais, pendant ce voyage, assisté plusieurs fois à l’enterrement de Marlborough. » Sur la foi de son chirurgien Fabre, Marmont résista à toutes les insinuations qu’on lui faisait de se laisser couper le bras (qui était le bras droit) ; il aima mieux souffrir et obtenir une lente guérison.

1334. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Je pourrais, en citant, donner de jolis mots qui s’y rencontrent ; mais c’est le sens même et la suite qui fait le prix de ce délicieux morceau ; voici quelques traits pourtant : Son esprit, dit-il de Montaigne, a cette assurance et cette franchise aimable que l’on ne trouve que dans ces enfants bien nés, dont la contrainte du monde et de l’éducation ne gêna point encore les mouvements faciles et naturels… Les vérités (dans son livre) sont enveloppées de tant de rêveries, si j’ose le dire, de tant d’enfantillages, qu’on n’est jamais tenté de lui supposer une intention sérieuse… Sa philosophie est un labyrinthe charmant où tout le monde aime à s’égarer, mais dont un penseur seul tient le fil… En conservant la candeur et l’ingénuité du premier âge, Montaigne en a conservé les droits et la liberté. […] On ne s’intéresse à ses semblables qu’à raison de l’intérêt qu’on prend à soi-même et qu’on ose attendre de leur part. » Et il cite à ce propos un mot de Rousseau, qui venait un jour de s’épancher auprès d’un ami, et qui remarquait que cet ami (peut-être Grimm lui-même) recevait son épanchement sans lui rendre du sien : « Ne m’aimeriez-vous pas ? […] « J’aimerais mieux, dit-il quelque part, avoir dit une chose sublime dans ma vie que d’avoir imprimé douze volumes de petites choses. » Les choses dont a parlé Fontenelle ne sont point petites ; mais, malgré les qualités heureuses de clarté, de netteté et de précision qu’il y introduit, il y a mêlé aussi des petitesses. […] S’il avait eu à s’expliquer sur la méthode historique qui y avait présidé, il aurait élevé quelques objections : Je n’aime pas, dit-il à propos de je ne sais quel livre de considérations politiques, je n’aime pas trop ces ébauches de théories politiques a priori, quoique l’autorité du président de Montesquieu, qui les affectionnait particulièrement, soit en leur faveur.

1335. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Henri Heine I15 La maison Lévy a commencé par les deux volumes : De l’Allemagne, la publication des œuvres complètes de Henri Heine, si impatiemment désirée de tous ceux qui, dans ce temps de prose, ont le courage et l’esprit d’aimer la poésie. […] Tout en était nouveau, ardent de jeunesse et de génie, enivrant, enivré, audacieux d’une immense audace, cette herbe si rare que les honnêtes moutons de Dindenaut ne broutent pas, mais qu’ils aiment assez à voir brouter. […] Comme ce doux Hylas, aimé d’Hercule, dont il avait alors spirituellement la beauté vierge, s’il eût été entraîné au sein du torrent amer, il fût tombé au moins dans une onde que le soleil aurait tiédie, et la Nature, glorifiée par Schelling, l’aurait reçu dans ses bras de déesse, comme les nymphes y reçurent Hylas. […] L’Aigle du génie poétique l’enleva heureusement à la polémique pour laquelle, par ses facultés aiguës et vibrantes, il était fait, cet Apollon Sagittaire, qui aurait pu lancer ses flèches, toutes-puissantes et mortelles, à toutes les adorations bêtes de la libre pensée et de son époque, depuis Goethe, qu’il renia, jusqu’à Kant, qu’il traita de Robespierre, et Hegel dont il se moqua ; mais il aima mieux les retourner contre son cœur, ces flèches étincelantes, et jamais elles ne furent plus meurtrières ! […] Et quand on songe que de tels supplices sont mêlés, dans cette Correspondance, à d’ignobles questions d’argent, à des possibilités ou à des perspectives de misère pour la femme qu’il aime, quand il ne sera plus, à des débats honteux d’affaires et de famille, toute cette prose abjecte jetée à travers la poésie de ces nobles et grandioses souffrances, le cœur se soulève, il semble que toute cette Correspondance soit, par toutes ces basses horreurs, profanée !

1336. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il aimait sa patrie à travers la révolution. […] Tacite, que Napoléon n’aimait pas, eut trouvé le rôle un peu court pour sa taille. […] Napoléon n’aimait point lesidéologues, c’est ainsi qu’il appelait les métaphysiciens, et il leur témoigna, en toute occasion, cette antipathie. […] En général, les conquérants n’aiment point les idéologues, selon un mot bien connu, et ils comprennent, sous cette dénomination, à peu près tous ceux qui se livrent aux travaux de la pensée ; il est dès lors assez naturel que les idéologues n’aiment pas les conquérants. […] Je ne te connais pas ; mais je t’aime comme si je te connaissais.

1337. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Des que l’on sait, par exemple, que canere signifie chanter, on en conclut avec certitude la signification des mots cantare, chanter à pleine voix ; cantitare, chanter souvent ; canturire, avoir grande envie de chanter ; cantillare, chanter bas & à différentes reprises ; cantio, l’action de chanter ; cantus, le chant, l’effet de cette action ; cantor & cantrix, un homme ou une femme qui fait profession de chanter, un chanteur, une chanteuse ; canax, qui aime à chanter. […] On trouve dans toutes les langues des inflexions équivalentes à celles de la nôtre, pour exprimer le présent absolu, comme j’aime ; le présent relatif, comme j’aimois ; le présent conditionnel, comme j’aimerois. Il en est de même pour les trois prétérits ; l’absolu, j’ai aimé ; le relatif, j’avois aimé ; & le conditionnel, j’aurois aimé. […] Cette locution autorisée par l’usage des meilleurs auteurs latins, devoit faire conclure naturellement que laudaturus sim, ainsi que les autres expressions que nous avons indiquées plus haut, étoient du mode subjonctif ; & l’on a mieux aimé imaginer des exceptions chimériques & embarrassantes, que de suivre une conséquence si palpable. […] R. propose une question, savoir comment il se peut faire qu’il y ait un impératif dans le verbe passif, vû que ce qui nous vient des autres ne semble pas dépendre de nous, pour nous être commandé à nous-mêmes : & on répond que c’est que la disposition & la cause en est souvent en notre pouvoir ; qu’ainsi l’on dira amator ab hero, c’est-à-dire faites si bien que votre maître vous aime.

1338. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

comme j’aurais aimé à te faire paître tes belles chèvres sur les montagnes pour ouïr ta voix ! […] J’aime mieux ne pas me détourner de l’idéal pur, et ne pas venir mêler sans nécessité le Moyen-Age à la Grèce, Gautier de Coincy à Théocrite. […] Et il aimait non pas avec des roses, ni avec des pommes, ni avec des boucles de cheveux qu’on s’envoie, mais en proie à des fureurs funestes. […] Mon cœur a-t-il aimé jusqu’ici ? […] et elle aime tout ce qu’aiment les femmes sages.

1339. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

C’est pendant les heures tranquilles de la nuit que Mozart, comme Beethoven, aimait à travailler, et qu’il trouvait ses plus heureuses inspirations. […] « Je laisse à penser à ceux qui savent aimer l’impression que fit sur moi la présence de tous ces amis plus ou moins chers, venant, après vingt ans d’absence, fêter mon arrivée au milieu de la nuit, comme si leur impatience n’avait pu attendre le jour. […] Nous montâmes les degrés, ma jeune femme et moi ; comme elle portait un voile qui lui couvrait entièrement la figure, mon frère, qui se souvenait du voile noir de Trieste que j’avais soulevé par badinage la première fois que je la vis, fit le même geste que moi ; il avait aimé tout enfant, à Trieste, celle qui était devenue ma femme, d’une tendresse passionnée. […] Quant à nous, nous aimons mieux détacher ce plomb des ailes du musicien et nous laisser emporter par lui seul au troisième ciel. […] Nous aimons à retrouver ainsi dans Hoffmann nos propres enthousiasmes pour les divines mélodies du Raphaël de Salzbourg.

1340. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Voltaire aimait la vérité, il n’a pas toujours craint le péril de la dire ; mais, comme Fontenelle, il lui préférait sa commodité. […] Il aime de la puissance l’extérieur, le paraître, et, comme tant de Français dans les honneurs, il se croit grandi de la longueur de son ombre. […] J’aime jusqu’à cette fin de phrase, quoique traînante : « S’ils ne lui en font point. […] C’est l’instant où l’homme se montre dans le maître, et où les enfants se sentent aimés de celui qui les instruit. […] Mais, à la différence de l’abeille, il le sait ; et s’il met tant de soin à composer son trésor, c’est qu’il aime ceux auxquels il le destine.

1341. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Il y a des âmes qui ne peuvent souffrir cet isolement et qui aiment mieux se rattacher à des fables que de faire bande à part dans l’humanité. […] S’allier aux méchants, se faire maudire par ceux qu’on aime ou sacrifier l’avenir ! […] Le peuple aime qu’on plaisante. […] Le roi, la famille royale sont dieux pour lui, et il a la bonhomie de les aimer. […] La liberté y est toute au-dedans ; elle a aimé à penser librement dans les cachots et sur le bûcher.

1342. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Je la revois, à neuf heures, cette tête aimée, blanche de la pâleur d’un lys flétri, qui serait éclairé par un clair de lune. […] Ces jours-là, j’aime à lire de l’histoire, surtout de la vieille histoire : il me semble que je ne la lis pas, mais bien plutôt que je la rêve. […] Et nous voici devant la grande baie qui regarde Catinat, et devant un amoncellement de meubles et de porcelaines encombrant le vide, avec la profusion qu’aime la princesse. […] À côté du pupitre, à portée de la main, les crayons, la sanguine, la craie, la gomme élastique employés par la princesse, tous objets qu’elle n’aime pas qu’on touche, disant que les autres sont des sales. […] À mon adieu, la princesse riposte, presque brutalement : « Pas ce mot, je ne l’aime pas, dites au revoir ? 

1343. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Je ne puis pas dire que j’aimai jamais cette captivité du collège : né et élevé dans la sauvage liberté des champs, les murs me furent toujours odieux ; ils pèsent sur mon âme encore aujourd’hui : je vis dans l’horizon plus que dans moi-même. […] Ils m’approchaient avec une certaine déférence, ils m’aimaient avec réserve. […] Toutes mes passions futures encore en pressentiments, toutes mes facultés de comprendre, de sentir et d’aimer encore en germe, toutes les voluptés et toutes les douleurs de ma vie encore en songe, s’étaient, pour ainsi dire, concentrées, recueillies et condensées dans cette passion de Dieu, comme pour offrir au Créateur de mon être, au printemps de mes jours, les prémices, les flammes et les parfums d’une existence que rien n’avait encore profanée, éteinte ou évaporée avant lui. […] Une lecture que nous fit exceptionnellement dans notre salle de rhétoriciens un de nos maîtres les plus aimés, le père Béquet, m’en apprit davantage que tous les vers classiques de Virgile ou d’Horace interprétés péniblement jusque-là. […] Nous l’aimions tous, surtout les plus grands et les plus lettrés d’entre nous.

1344. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Nous aimons l’aimer. […] Je l’ai trop aimé, je l’aime trop pour n’être point partial à son égard, comme envers un artiste à qui l’on doit des émotions sans analogue. […] La profonde souffrance d’aimer plus qu’on n’est aimé fait la matière intime de ce roman. […] Je pense combien Goethe l’en eût aimé. […] J’aimais ce geste et cette pitié de l’énergique opérateur à la seule idée de ces déchets de l’humanité, comme j’aimais Dupré pour son enthousiasme.

1345. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

C’est la température vraie de ce globe où l’on meurt, mais aussi de ce globe où l’on vit ; de ce globe où l’on souffre, mais aussi de ce globe où l’on aime ! […] Qu’on t’appelle Destin, Nature, Providence,             Inconcevable loi, Qu’on tremble sous ta main, ou bien qu’on la blasphème, Soumis ou révolté, qu’on te craigne ou qu’on t’aime ;             Toujours, c’est toujours toi ! […] Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime, Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,             Plaisirs, concerts divins ! […] Un Caton libre encor déchirant ses entrailles             Sur la foi de Platon ; Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu’il aime, Doute, au dernier moment, de cette vertu même. […] Vivre veut dire, si vous l’aimez mieux, voir environ quarante mille huit cents fois (si vous vivez quatre-vingts ans) se lever et se coucher un grand globe lumineux appelé soleil sur un globe ténébreux appelé terre.

1346. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Voltaire avait beau lui écrire, toujours en cette même année 1760 : « Vous êtes ferme et actif, vous aimez le bien public ; vous êtes mon homme, et je vous aime de tout mon cœur. […] Je n’entrerai pas ici dans la discussion du genre de torts intimes que Mme d’Épinay a reprochés à Duclos, et qui sont trop voisins de l’alcôve : en réduisant ces torts à ce qui en rejaillit sur le caractère général de l’homme, il paraît certain que Duclos dans son habitude journalière, sorti de chez lui dès le matin et passant sa vie dans le monde, aimait à s’installer chez les gens, et qu’une fois implanté dans une maison, il y prenait racine, y dominait bientôt, s’y comportait comme chez lui, donnant du coude à qui le gênait, et y portait enfin, avec les saillies et les éclats de son esprit, tous les inconvénients de son impétuosité et de son humeur. […] Duclos était resté bon et tendre fils ; le chagrin qu’il éprouva en perdant « la seule personne, dit-il, dont on puisse être sûr d’être aimé », le rendit malade.

1347. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Lundi 30 septembre 1861 « C’était le point attaqué, et j’aime la lutte. »VEUILLOT, L’Honnête Femme. […] J’admets qu’on les aime modérément ; mais pourquoi, chaque fois que l’on passe chez eux, commencer par les insulter ? […] Le premier livre qui le tira de ce pêle-mêle, en lui donnant un terme de comparaison, et qui l’initia à la littérature classique, ce fut Gil Blas, qu’il vit entre les mains d’un ami ; le livre, à peine lu, le dégoûta à l’instant « de la faconde moderne, du roman d’intrigue, du roman de thèse, du roman de passion, et de tout cet absurde et de toute cette emphase qu’il avait tant aimés. » Ce prompt effet du naturel et du simple sur un esprit ferme et né pour le bon style est rendu à merveille. […] Il devrait l’aimer, pensera-t-on, pour sa bile même et son fiel si coloré, pour cet excès précisément et cette rage de pinceau dans lesquels il semble vouloir l’imiter souvent.

1348. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Mais quand on a rendu à Boileau tous ces hommages et toute cette justice, il faut s’arrêter : il n’entendait bien et n’aimait que les vers ou une certaine prose régulière, ferme, élevée, dont Pascal, dans ses Provinciales, offrait le modèle. […] Boileau n’aimait et n’estimait guère rien en dehors des livres ; il n’avait nul goût pour les sciences, pas même la curiosité de se tenir au courant de leurs résultats généraux ; le tour précieux et maniéré, que Fontenelle donna à son livre de la Pluralité des Mondes, l’empêcha toujours d’en reconnaître la vérité et la supériorité philosophique. […] Là aussi, « dans cet ordre littéraire comme dans l’ordre religieux, a dit un pieux et savant Anglais44, un peu de foi et beaucoup d’humilité au point de départ sont souvent récompensés de la grâce et du don qui fait aimer, c’est-à-dire comprendre les belles choses. » Je n’irai pourtant pas jusqu’à dire, avec un autre critique de la même nation, « qu’il faut feindre le goût que l’on n’a pas jusqu’à ce que ce goût vienne, et que la fiction prolongée finit par devenir une réalité. » Ce serait donner de gaîté de cœur dans la superstition et l’idolâtrie. […] On ne connaît bien, a-t-on dit, que ce qu’on aime : on ne comprend bien que ce qu’on a été.

1349. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Plein de zèle et bouillant d’ardeur, aimé des soldats, appelé d’eux tous le caporal Dagobert, parce qu’il était toujours le premier au feu, il va faire preuve d’idées hardies, au besoin même de conceptions d’ensemble, mais surtout de qualités spéciales brillantes, et illustrer bien des épisodes de ces premières guerres. […] Il avait toutes les qualités d’un vieux militaire : extrêmement brave de sa personne, il aimait les braves et en était aimé ; il était bon, quoique vif, très actif, juste, avait le coup d’œil militaire, le sang-froid et de l’opiniâtreté dans le combat. » Dugommier avait, du premier coup d’œil, apprécié le jeune commandant d’artillerie qui le secondait si bien. […] Comme on aime le guerrier intrépide, intelligent, resté droit et pur !

1350. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Ils respectent leur propre bonheur ; ils ménagent de certains préjugés, comme l’homme qui aurait épousé la femme qu’il aime serait enclin à soutenir l’indissolubilité du mariage. […] Se peut-il que, sur cette terre, on veuille du don de la vie, lorsqu’elle ne sert qu’à former des liens que doit briser la mort, qu’à aimer ce qu’il faut perdre, qu’à recueillir dans son cœur une image dont l’objet peut disparaître du monde où l’on reste encore après lui !  […] Gessner, Zacharie, plusieurs poètes dans le genre pastoral, font aimer la campagne, et paraissent inspirés par ses douces impressions. […] Les Anglais n’écrivent point pour les femmes ; les Français les ont rendues, par le rang qu’ils leur ont accordé dans la société, d’excellents juges de l’esprit et du goût ; les Allemands doivent les aimer, comme les Germains d’autrefois, en leur supposant quelques qualités divines.

1351. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Dès lors, partout où sera l’émeute et l’insurrection, même la plus évidemment injuste et folle, même la plus sanglante, vous retrouverez cet insurgé délicat, qui n’aime pas l’odeur du peuple et à qui le peuple fait peur. […] Si je ne garantis point qu’il aime le peuple à la façon des apôtres mystiques de la révolution sociale, je suis sûr qu’il déteste du meilleur de son âme les représentants officiels de l’égoïsme bourgeois et de l’hypocrisie parlementaire. […] Il aime, pour lui-même et pour les siens, la vie large et facile, et son humeur généreuse lui a mis sur les bras des charges de toutes sortes. […] Il a la joie de sentir qu’il domine, qu’il dirige, qu’il a dans sa main des milliers de misérables qui croient en lui et qui pourtant lui sont aussi étrangers que possible et qu’il n’aime pas.

1352. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Aime-t-il les contrastes violents, les effets de lumière éclatants ? […] Il est tout aussi évident que Marivaux aime à démêler les coquetteries, les manèges, les timidités de l’amour-goût, d’un amour mondain, aimable, qui se cache ou s’ignore et qui arrive à peine à être une passionnette. […] Je veux dire que tel écrivain aimera à considérer le détail, à étudier les infiniment petits, à décrire avec un soin minutieux un coin de nature ou une particularité de caractère, à débattre une question microscopique, à couper, suivant l’expression consacrée, un cheveu en quatre ; que tel autre, au contraire, se plaira aux grandes généralisations hâtives, aux considérations philosophiques hasardeuses, aux vastes systèmes embrassant l’univers ; qu’un troisième, réunissant les qualités de l’un et de l’autre, essaiera de concilier l’exactitude et la précision dans les moindres choses avec les vues d’ensemble suggérées par l’étude des faits particuliers. […] La plupart du temps, on peut déterminer sans grande peine si une œuvre est d’esprit pessimiste ou optimiste, si elle présente le monde de façon qu’on l’aime et l’approuve tel qu’il existe, ou tout au moins qu’on le croie susceptible d’être amendé, ou bien si elle s’obstine à le montrer incurablement mauvais de façon à tuer l’espérance du mieux.

1353. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

En réalité, l’homme qui aima, après 1810, la femme célébrée sous le nom d’Elvire, avait au moins vingt-cinq ans ; il était plus près de trente que de vingt. […] Ces sortes d’ouvrages qu’une génération accueille à leur naissance, qu’on peut lire à deux, et avec lesquels, pour ainsi dire, on aime, sont très délicats à analyser ; il semble que le critique, en venant y relever ce qui le choque et ce qui détonne, s’immisce plus ou moins dans des sentiments particuliers et chers, et qu’il fasse le rôle d’un trouble-fête. […] Et puisqu’on a tant fait que de lui changer son nom, j’avouerai que je n’aime guère ce nom de Julie. […] Ses harmonies nous font aimer les dissonances qu’il bannissait du monde, et qu’on y trouve à chaque pas.

1354. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Suit une liste des principaux articles convenus entre les contractants : Que Dieu sera toujours servi et honoré, craint et aimé comme il se doit. […] Parmi ceux dont le cardinal de Retz se souvint à son arrivée, il en est un que j’aime à distinguer, parce qu’il était bel esprit, poli, honnête homme et pauvre : c’est le célèbre avocat Patru, l’un des premiers académiciens français, si prisé de Boileau, un de ceux qui, les premiers, parlèrent le plus purement notre langue, un de ces Parisiens spirituels et malins que Retz n’avait pas eu de peine à rallier autour de lui pendant la Fronde, avec les Marigny, les Montreuil, les Bachaumont. […] Mais c’est Mme de Sévigné qui nous fait le mieux connaître le cardinal de Retz après son retour, et qui nous le fait aimer. […] Cette dernière et brusque idée d’humilité solennelle, qui visait à la pénitence, fit beaucoup causer et en divers sens : Je ne vois, Dieu merci, écrivait Mme de Sévigné (24 juillet 1675), que des gens qui envisagent son action dans toute sa beauté, et qui l’aiment comme nous.

1355. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

Vers excellent ; mais je n’aime point l’habit de deux paroisses. […] Tous ces éloges directs ne me paraissent ni ingénieux ni dignes de La Fontaine : et ce qui sait se faire estimer joint à ce qui sait se faire aimer, tout cela me paraît d’un ton trivial et bourgeois. […] Qu’il aimait mieux un trait d’amour, Que quatre pages de louanges ; Ce mot seul vaut mieux que tout ce que dit ici La Fontaine à cette dame et à madame de Mazarin. […] Tout le discours du solitaire est parfait, et ceux qui aiment les vers le savent par cœur.

1356. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Bersot : « Notre langue est bien française… elle mérite bien qu’on la recommande à ceux qui la parlent pour qu’ils l’aiment, la respectent et en soient fiers devant l’étranger… Elle est ce que l’écrivain la fait, ou plutôt elle est ce qu’il est, s’empreint de son génie et de sa passion ; elle est à la fois langue de Racine et de Corneille, de La Rochefoucauld et de La Fontaine, de Voltaire, de Rousseau, de Sévigné, de Fénelon, de Pascal, de Bossuet, ne résistant qu’à ceux qui risquent d’altérer sa clarté ou qui prétendent forcer son incomparable justesse. […] Ce calcul me semble d’une rigoureuse exactitude : j’aimerais à développer, comme je l’ai fait pour la prose, la perpétuelle fécondité de notre muse plusieurs fois séculaire : mais le temps ne me permet d’insister que sur l’un des titres de notre poésie française, le plus contesté d’ailleurs, je veux parler du mécanisme de notre versification. […] Sans omettre les réserves du goût et de la morale, aimons ce dix-neuvième siècle français dont nous sommes les enfants et qui, dans notre pays, s’est attesté par de tels monuments de prose élevée et de poésie souveraine. Aimons ce siècle de tout notre patriotisme littéraire, car il nous a fait de nouveau les maîtres de la forme et de la pensée devant les peuples éblouis, car il a une fois de plus imposé notre génie à l’émulation de l’Europe, et, j’oserai le dire, en imprimant à ce génie un caractère plus sympathique et plus humain encore et par là peut-être plus durable.

1357. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

C’est là malheureusement un travers assez fréquent chez les écrivains qui aiment à compliquer l’histoire d’un peu de roman. […] On aimait aussi les violentes oppositions de mots, les fortes antithèses comme les Rayons et les Ombres de Victor Hugo, quoique je ne sache pas que l’on ait alors même rien fait de mieux dans ce genre que l’Âme noire du Prieur blanc, de notre contemporain Saint-Pol-Roux le Magnifique. […] Si Théophile Gautier annonça vingt ans durant son Capitaine Fracasse, nom dont il aimait la puissante sonorité, il finit du moins par le faire paraître. […] Habitude vicieuse et pleine de périls au théâtre surtout : car le public — il faut bien le constater — n’aime guère l’abscons ni le mystérieux, et, peu enclin à chercher la signification secrète des mots, affectionne les idées simples et d’assimilation facile.

1358. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

Elle avait d’autres manières d’aimer le genre humain. […] Elle n’en fait point aimer la tyrannie. […] La communiante avec Lamennais, qui communiait aussi avec Garibaldi, le Christ moderne, et qui prend la Révolution italienne pour une hostie, ne pouvait pas la juger… Le livre de l’Italie des Italiens est un acte d’adoration perpétuelle, dans lequel, pour la première fois, et contrairement à la loi de l’amour, celle qui adore ne s’efface pas, ne s’enfonce pas dans l’être aimé. […] J’aime mieux ne pas la croire que de croire à ces hontes… et j’ai moins chance de me tromper.

1359. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Béchet le père, secrétaire général de la préfecture du Jura, et de plus homme réellement instruit, aimait à réunir chez lui les condisciples de son fils. […] J’aime à croire cependant que Waterloo lui aura inspiré de tout autres sentiments que la capitulation de Paris.

1360. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIV » pp. 294-298

Oui, j’aime dire hautement devant vous, messieurs, combien, depuis quinze ans que je m’entretiens avec eux, nos jeunes étudiants m’ont rendu facile et doux l’accomplissement des devoirs du professorat, combien ils m’ont fait chérir ces causeries familières qui parfois aussi pourtant ont leurs difficultés ; car j’y dois critiquer quelquefois ceux que je voudrais toujours admirer 51. Chargé de diriger la marche encore incertaine de tant de jeunes esprits, c’est vers l’Antiquité ou vers le xviie  siècle que j’aime à les conduire, comme vers le modèle qui trompe le moins.

1361. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Ce fol Amour, archier de grant renom, M’ha dans les camps de Mars, son compaignon Faict enrober, moi gentille fillette De seize hyvers, et m’ha donné sajette De son carquois, et m’ha dict : « Belle amie, Avec ce fer frape et n’espargne mie Gents cavaliers ; cil que tu frapera, Tant dur qu’il soit, je dys qu’il t’aimera. » — Ainsi ha dict et juré sur sa foy ; Mais n’ha pas dict « Il n’aimera que toi ! 

1362. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

Izolette réunit tous les charmes et toutes les vertus ; elle aime Arthur dès le premier jour : mais elle n’a pas l’air assez mélancolique ni assez idéal ; et le jeune et bel Arthur, qui a été élevé par le philosophe systématique Olburge, dans tout le vague de théories hyperboliques, ressent pour elle je ne sais quel mécontentement. […] Bref, l’Étrangère aime Arthur et le repousse ; Izolette délaissée pleure et dépérit : quant au noble héros, il s’élève par tous les degrés de la démence aux plus horribles crimes, et finit par mourir suicide.

1363. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Dans son premier point de vue intitulé la Vie dans la Mort, le poète, errant le 2 novembre dans un cimetière, y suppose la vie non encore éteinte, et essaye de se représenter les tourments, les agonies morales, les passions ulcérantes de tous ces morts, si, vivant encore d’une demi-existence, ils pouvaient sentir et savoir ce qui se continue sans eux sur la terre : Sentir qu’on a passé sans laisser plus de marque Qu’au dos de l’océan le sillon d’une barque ;   Que l’on est mort pour tous ; Voir que vos mieux aimés si vite vous oublient, Et qu’un saule pleureur aux longs bras qui se plient   Seul se plaigne sur vous. […] Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses… Dans le voyage à la Lénore, que fait ensuite le poète, il est bien à lui de nous présenter le vieux Faust qui, désabusé de la science où il n’a pu trouver le dernier mot, dit pour conclusion : Aimez, car tout est là !

1364. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

Le livre de la vie est un livre suprême, Que l’on ne peut fermer ni rouvrir à son choix, Où le feuillet fatal se tourne de lui-même ; Le passage attachant ne s’y lit qu’une fois : On voudrait s’arrêter à la page où l’on aime, Et la page où l’on meurt est déjà sous les doigts. […] Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,            La poudre, les tambours battants, Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre,            Et des combats pour passe-temps : Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes ;            Toujours l’air, toujours le travail, Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,            Toujours du sang jusqu’au poitrail.

1365. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Armand Carrel Si Béranger n’était pas l’écrivain le plus populaire de l’époque, ce serait certainement l’un des plus ingénieux, des plus instruits, des plus attachants causeurs que l’on puisse rencontrer dans cette société qui l’a beaucoup recherché et qu’il a beaucoup fuie, lui préférant tantôt la retraite, tantôt l’amitié de quelques jeunes gens bons et généreux, enfants de ce peuple dont il est le peintre fidèle et le poète aimé. […] Il eut l’air de se griser, il fit semblant d’aimer la fille.

1366. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

Bouchor, ce pour quoi nous l’aimons, c’est qu’il a entendu la voix profonde qui conseille au poète, en ce temps, de se ressouvenir des plus anciennes leçons, d’écouter l’enseignement immémorial des mages primitifs, de se pencher au bord des métaphysiques et des religions antiques. […] Je déclare, tout d’abord, que j’admire et que j’aime, plus que personne, le poète de Tobie , de Noël et de Sainte-Cécile… Je me reproche de considérer ses poèmes comme des documents historiques, au lieu de m’abandonner au murmure berceur de sa chanson.

1367. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France 9 septembre 1884 Quelle fatalité, Messieurs, que la mort soit venue prendre parmi nous le plus jeune, le plus désigné pour les grandes œuvres, le plus aimé ! […] Son assiduité était admirable ; il aimait à dépasser à cet égard les obligations qui nous sont imposées.

1368. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — Première journée (1865). Les soucis du pouvoir » pp. 215-224

Certes, je t’aime, tu es le plus cher à mon cœur parmi tous les plus chers ; mais, dussent tes muscles sécher sous toi et se racornir comme de vieilles cordes de violon, — tu n’auras point ta chaise ; tu demeureras, jusqu’au dernier jour, accroupi dans la posture sacrée de nos pères. […] En une scène folle, J’aime, au Palais-Royal, Que Ravel batifole Près d’Aline Duval, Et qu’ardent et farouche, Trouvant cela très louche, Hyacinthe se mouche Pour troubler son rival !

1369. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Ses lois le font aimer de ceux qu’ont subjugués ses armes. […] Nous aimions à gravir les coteaux ensemble, à voguer sur le lac, à parcourir les bois à la chute des feuilles : promenades dont le souvenir remplit encore mon âme de délices. […] Cependant je sens que j’aime la monotonie des sentiments de la vie, et si j’avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l’habitude. […] Sans parents, sans amis, pour ainsi dire, sur la terre, n’ayant point encore aimé, j’étais accablé d’une surabondance de vie. […] Je lui écrivis ; elle me répondit que, sur le point de se consacrer à Dieu, il ne lui était pas permis de donner une pensée au monde ; que, si je l’aimais, j’éviterais de l’accabler de ma douleur.

1370. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Segrais a dit de madame de Châtillon : Quel serait le brutal qui ne l’aimerait pas ? […] Je ne sais qui de Somaise ou de de Pure cite une belle précieuse qui ne permet pas de dire j’aime le melon, parce que c’est prostituer le mot j’aime, et qui n’autorise pas au-delà du mot j’estime pour cet usage. […] Il faut se persuader que la satire du poète répondait au goût et aux opinions de madame de Rambouillet, loin d’effleurer sa personne ; à moins qu’on n’aime mieux croire nos biographes doués de plus de discernement et de tact qu’elle n’en avait sur ce qui la concernait elle-même. […] J’aime à voir madame de Maintenon dévider ses fusées, compter ses pelotons et préparer son métier a tapisserie, devant Louis XIV, ses ministres délibérant en conseil d’état sur les affaires de l’Europe dans la chambre de cette femme illustre et bonne. J’aimerais à savoir que madame de Sévigné brodait ou faisait de la tapisserie, Il y avait sûrement de l’élégance et de l’esprit dans ses dessins, et le fac simile d’un fauteuil de son aiguille me ferait autant de plaisir que le fac simile d’une de ses lettres.

1371. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Soyez persuadé que, partout où je serai, vous aurez un ami qui vous aimera et vous estimera plus qu’un frère. […] Si cette recommandation est suffisante, je le servirai de tout mon cœur, car il est fait pour être aimé. […] Soyez persuadé que je vous aimerai et vous estimerai toute ma vie. […] Il aime les femmes à la fureur ; d’ailleurs, un bon homme. […] [NdA] Expression familière à Bernardin de Saint-Pierre qui aime ces images de la sagesse orientale.

1372. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

vraiment, ce n’est pas une médiocre jouissance pour ceux qui aiment la vérité, que le spectacle de l’atroce embarras qu’elle cause parfois à ceux qui la détestent ! […] Nous ne citerons pas la belle réponse de Christophe de Beaumont, archevêque de Paris, au Pape (24 avril 1774) ; nous n’aimons à citer que des exemples d’obéissance. […] les parlements n’étaient aimés ni respectés des philosophes ; cependant ils s’entendirent au premier mot contre le formidable Institut. […] … Avant d’être pape, Clément XIV aimait les Jésuites. […] Il fallait donc que de bien grandes raisons fussent en lui, de bien grands projets peut-être, pour s’engager avec des ennemis contre ce qu’il avait toujours aimé.

1373. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Mais, fort contre tous les vices, il est pourtant faible devant les attraits d’une femme séductrice qu’il mésestime et qu’il aime. […] Il n’aima la gloire que pour elle-même ; capable de diriger les grandes affaires, il négligea celles de la fortune, pour vaquer plus librement aux travaux de sa réputation. […] Le jaloux Othello assassine une maîtresse qu’il idolâtre et dont il est aimé, comme Orosmane immole Zaïre. […] Pyrrhus aime Andromaque, fidèle à l’ombre d’Hector, et trahit Hermione en l’épousant : voici la première action. […] J’aime mieux que l’auteur ne l’ait pas rejetée par un timide scrupule que d’être privé du plaisir de l’admirer.

1374. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Tant qu’on n’aime que les livres, tant qu’on sait s’occuper, il n’est point à craindre qu’on donne dans des travers. […] Elle n’aime que la ville, & il faut trouver des raisons valables pour qu’elle y réside continuellement. […] Personne n’aime autant à faire illusion que les importans. […] On n’aima jamais les hommes qui sonnent le toccin, parce qu’on aime la douceur & la paix. […] Mon ami, me répondit-il, c’est qu’on n’aime plus, c’est qu’on ne boit plus.

1375. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Je n’aime guère Diderot — et vous l’allez bien voir ; — mais l’une des raisons que j’ai de ne pas l’aimer, c’est qu’après l’avoir plus d’une fois relu, je suis encore et toujours en doute de ce qu’il fut. […] On peut également les comprendre ; il faut s’exercer à les comprendre, à nous donner le sens de celle des deux que nous n’aimons pas. On ne peut pas également les aimer, également les sentir, également en jouir ; et quiconque prétend le contraire, il se trompe. […] Ou bien encore, celui-ci, comme Boileau, a peu aimé les femmes, et celui-là, comme Rousseau, longtemps ou toujours malade, a fini par mourir fou ? […] Voilà, si nous en avions le temps, ce que j’aimerais à vous montrer.

1376. (1895) Hommes et livres

Il exhorta dom Thierry Ruinart à aimer la vérité ! […] Chimène aime Rodrigue, parce qu’elle ne connaît rien de meilleur. […] Évidemment, Alberoni aime l’argent ; il ne fait pas tout pour l’argent. […] C’est l’Italie qu’il aime, à Parme, comme chacun de nous aime la France en son village. […] Les gens du monde aiment qu’on les occupe d’eux-mêmes.

1377. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

La multitude au jugement de laquelle on en a appelé conserve plus longtemps que les coteries la reconnaissance qu’elle vous doit pour le soin que vous avez mis à lui plaire… » Horace était d’avis qu’un peintre doit exposer, que c’est un devoir surtout pour un artiste aimé et accepté du public. […] Quant à nous, mon cher Delaroche, je ne vous offre pas notre secours… Depuis longtemps je déplore qu’un autre ordre de choses n’ait pu s’établir entre nous, et je vous jure que je n’éprouve aucun sentiment de jalousie pour ceux qui, plus heureux que nous, seront à même de vous donner des marques de dévouement ; tout en enviant leur sort, dites-leur que nous les bénissons, que nous les bénirons, s’ils aiment nos enfants comme les leurs… » Nous, public, qui ne nous trouvons introduit que par accident et par faveur dans ces discussions si particulières et qui, sous une forme ou sous une autre, se rencontrent dans presque toutes les familles, notre rôle n’est pas, on le pense bien, d’avoir le moindre avis sur le fond ; faisons la part de ce qu’il peut y avoir d’exagération naturelle dans l’expression d’Horace, dans cette émulation et cette rivalité de tendresse, et disons-nous que, si nous entendions Delaroche, il aurait sans doute, pour répondre, son éloquence à lui, et il en avait beaucoup. […] moi qui ai tant aimé l’armée, tant aimé la marine !  […] Il prend le premier dessin, et après l’avoir regardé quelque temps : « Eh bien, j’aime mieux l’autre. » Il n’avait pas encore vu l’autre. […] De ce que tu te reconnais en eux à première vue, de ce que tu les aimes d’instinct, de ce que, toi et eux, vous vous entendez sans apprentissage et sans effort, de ce qu’ils sont de la maison enfin, ce n’est pas du tout une raison pour les moins considérer et les faire descendre dans ton estime.

1378. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

… Vous aimez le latin, donc vous êtes un réactionnaire. […] C’était quand vous causiez à cette dame qui partait à Trouville. » Mais si la Sorbonne se moque bien de ces barbarismes, les « artistes » semblent eux-mêmes les aimer — les « affectionner », comme ils disent. […] J’aime à croire que les racines grecques et les racines latines importent plus aux Marges que les racines politiques. […] Tous les jours on entend dans les salons des phrases de cette qualité : « J’aime à ce que vous veniez me voir. — Je pars à Nice. — Madame X. a une jolie dentition. — La rue de la Paix est très passagère », etc., etc. […] déjà trop restreint, de ceux qui aiment les lettres et notre langue charmante pour elle-même, qui trouvent dans leur seul esprit des jouissances nobles et désintéressées.

1379. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Et ils ont fait de ce côté des essais qui ne nous semblent pas indignes de l’attention de ceux qui aiment les vers. […] Alfred de Vigny écrivait en 1829 : « Les esprits paresseux et routiniers aiment à entendre aujourd’hui ce qu’ils entendaient hier : mêmes idées, mêmes expressions, mêmes sens ; tout ce qui est nouveau leur semble ridicule ; tout ce qui est inusité, barbare. » Je cite ces paroles avant d’aller plus loin, car elles me paraissent, malgré leur date, d’une piquante actualité. […] Ne serait-il pas meilleur, Monsieur, de laisser en repos ce gentilhomme qui aimait les beaux discours, et de tourner ensemble notre colère contre Noël et Chapsal, vos ennemis et les miens ? […] Certes, vous avez, Monsieur, très habilement défendu contre moi Vaugelas, « ce gentilhomme qui aimait les beaux discours ». […] Vous admirez Lamartine, tout en estimant, j’aime à le croire, Charles Baudelaire ; et moi j’admire Baudelaire tout en estimant Lamartine.

1380. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

., item les bons vins53. » C’est aussi le Dieu de Platon, « le grand plasmateur54  » ; c’est enfin le Dieu de l’Évangile, « qu’il convient servir, aimer et craindre, et dont la parole demeure éternellement55. » Pourquoi ne serait-ce pas surtout ce dernier ? […] Ronsard, qui ne l’aimait pas, à cause de ses traits contre les superstitieux d’antiquité, lui en fait une en vers français, dont les derniers sont piquants. […] Platon lui faisait aimer les belles pensées, la grâce et la variété de ces peintures de la vie, qu’il excelle à mêler aux plus hautes spéculations de l’esprit. […] Rabelais aimait la pensée pour la pensée. […] En effet, à la différence d’Horace qui buvait peu et à petits coups, et qui, tout en chantant le vin, fut souvent forcé de s’en tenir à l’eau, les éloges que Rabelais fait du Piot et de la Dive Bouteille sont d’un buveur effectif, et de l’homme qui déclarait mieux aimer boire frais que d’être papimane ou papefigue.

1381. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Il écrit à une dame huguenote, qu’il aimait, « que les huguenots n’ont fait de bon qu’elle ; mais qu’à cela près, ce sont les plus grands ennemis de la France. » Tous les deux ont une grande vanité ; mais la vanité de Balzac, quoiqu’en ait dit Descartes, allait beaucoup au-delà de l’impression forte qu’un homme de mérite reçoit de sa supériorité sur les autres. […] Chacun, dit-il, aime qu’on lui fasse ainsi violence ; impossible de se roidir contre la force des pensées de Balzac, impossible d’y contredire. […] Mais cette première image charmait les esprits ; chacun, pour parler comme Sirmond, aimait cette douce violence que nous font les ouvrages écrits par un auteur persuadé. […] On appela tout cela l’éloquence, et l’on se fit de l’éloquence un idéal auquel j’aime à voir tous les auteurs du temps aspirer, même au risque d’un peu d’emphase, et de cette « raisonnable fureur » à laquelle Balzac avoue naïvement s’être laissé parfois emporter. […] Il aima mieux le plaisir que les affaires, et la vogue d’un bel esprit que la considération d’un moraliste ; et il passa de mode comme ces galands de ruban d’Angleterre, qu’il offrait à Mlle de Rambouillet, avec ces billets d’envoi si musqués et si peu dignes d’un homme.

1382. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

sans cet homme noir, je n’aurais pu t’aimer ? […] Il revient des eaux en bonne santé, beaucoup plus riche de gloire et de richesse, et en fonds de quatre amies qui l’aiment, chacune d’elles comme quatre ; ce sont Μmes de Grammont, de Rancé, d’Amblimont et la comtesse de Choiseul. […] Le sujet est l’amour fraternel entre les deux fils de Soliman, deux fils de lits différents et que tout devrait séparer, ambition, amour, mais qui s’aiment et qui meurent dans les bras l’un de l’autre. […] Chamfort, on le sait, rangeait ses amis en trois classes : « mes amis qui m’aiment, mes amis qui ne se soucient pas du tout de moi, et mes amis qui me détestent ». […] « Quiconque n’est pas misanthrope à quarante ans, pensait-il, n’a jamais aimé les hommes. » Cela n’est vrai que du célibataire ; car la nature se venge d’ordinaire sur lui, s’il n’y prend garde, par des âcretés et des sécheresses, de n’avoir pas été satisfaite et obéie dans ses fins légitimes.

1383. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Lui-même, il l’avoue, et il raconte qu’au sortir de ces fêtes de dommage, il rentrait dans sa maison, plus disposé à aimer l’argent, l’ambition, la luxure, qu’il ne l’était au moment d’en sortir, — « Eh ! […] — C’est Molière lui-même qui éveille sa troupe, car en ce temps-là il était comédien, il était directeur de comédiens, il était poète,-il était courtisan, il était amoureux, il était jaloux, il aimait sa gloire comme il aimait sa femme. […] Elle en dit tant, que Molière, qui aime cette femme de tout son cœur, s’écrie, en frappant du pied : — Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête ! […] Ces comédiens étaient recherchés par les plus grands seigneurs ; ces comédiennes étaient belles et galantes, on les aimait pour leur beauté, pour leur esprit, pour leurs amours ; il y avait de ces femmes qui tenaient pour leur amant, Racine ou M. de Sévigné ; il y en avait une qui portait le nom de Molière ! On les voulait voir, on les voulait entendre, on les voulait aimer.

1384. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Il aime mieux dire plutôt avec une incroyable sincérité, en parlant de ces mœurs dont les hautes classes en délire donnaient le spectacle à tout un peuple, qui les regardait à travers la grille de Trianon : Certes, non ! […] « Les générations aiment les types… Richelieu le fut de la galanterie comme le marquis de Bièvre du calembour et Roquelaure des bons mots et des aventures burlesques… » Mais d’être types, cela a-t-il empêché l’un de faire ses calembours, l’autre de dire ses bons mots ? […] « Le régent pouvait aimer le plaisir et les distractions, nous dit M.  […] aimait le plaisir (pour celle-là, il en est plus sûr !) […] Capefigue, finissant sa carrière d’historien sensé, grave et religieux, par des amours de jeune homme, ont porté coup à son aplomb et à sa confiance, et que ces reproches venant jusque de voix amies (car nous aimons M. 

1385. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Eh bien, ce peintre si coupable que fut Michelet dans son livre de l’Amour, ce peintre qu’on avait la faiblesse d’aimer quand il aurait fallu la force de le maudire, c’est lui qu’on cherche presque en vain, dans son autre livre de la Femme, à travers ces idées connues, si fausses et si vides, qui, elles ! […] Son amour de l’enfance finit par tomber dans ce qu’il aime. Il a des histoires de petites filles qui meurent de leurs poupées cassées, et, quoique ce soit incroyable, cependant on l’accepterait, et on l’aimerait, ce bon Frœbel-Michelet, si, à côté de l’éducation philogyne, il n’y avait pas les petites scélératesses du penseur qui hait cruellement l’Église et Notre-Seigneur Jésus-Christ. […] C’est ce Michelet, qu’on, méprisait pour ses idées et qu’on aimait pour son talent, comme Phryné, qu’on aimait, vous savez bien pourquoi ; c’est ce Michelet que je vous défie de retrouver, même en parcelles, dans le livre que voici ! […] Mais l’histoire qu’il nous prépare est telle, que nous aimerions mieux finir aujourd’hui que de patauger un jour dans cette histoire-là !

1386. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

C’est le père du héros, et si j’en crois la lettre qu’il écrit à son fils avant de se tuer, un tout autre homme que monsieur son fils, et que j’aurais mieux aimé voir à la besogne. […] Il se marie à la fille d’une femme qu’il a aimée et qu’il n’a pas eue, ce Lovelace manqué, ce Lovelace borné par Grandisson ! […] C’est la vérité — la navrante vérité pour ceux qui aiment le mouvement, la verve, l’originalité et la vie, — qu’il y a en France un pareil monde, et que c’est le monde ! […] Je n’ai jamais manqué de parler de lui quand il a publié quelque chose, et j’aurais, je l’avoue, aimé à me taire sur son nouveau livre, parce que ce livre n’ajoute pas aux qualités de son auteur et à l’estime que je fais de lui. […] La marquise de Talyas, furieuse de voir sa triste marionnette d’amant aller d’elle, qu’il aimait tout à l’heure, à la femme qu’il n’aimait pas, sans transition, sans hésitation, sans la conscience du plus petit reproche, — la marquise de Talyas, outrée d’une si odieuse, d’une si froide, d’une si infâme infidélité, est, par vengeance, sur le point d’avouer son coupable amour à son mari, et de lui livrer les lettres qui la déshonorent et qui lui feront tuer son amant, après qu’elle-même se sera tuée, — la marquise de Talyas, ce monstre athée, corrompu, silencieux, beau et énigmatique comme la Joconde, se métamorphose tout à coup, foudroyée par la vue du sang qu’elle a versé, et rend les lettres, qui devaient tout perdre, à la fiancée de son amant : « C’est mon cadeau de noces », lui dit-elle.

1387. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

J’aime à voir cet apôtre, occupé du matin au soir de sa mission, appliqué sans relâche à secouer les indifférents, à ranimer les tièdes, à convaincre les incrédules. […] Le « sabre de mon père » a tué « la croix de ma mère. » J’aimerais à voir M.  […] Il a deux filles : la cadette va se marier avec un pharmacien de Clamart ; l’aînée, nature douce et triste, faite pour les sacrifices, aime en secret le prétendu de sa sœur. […] Le drame et la comédie sont partout : partout où il y a des hommes ils aiment, ils sentent, ils souffrent. […] Au début il s’est appelé, il y a vingt-cinq ans, le réalisme ; il aime mieux s’appeler aujourd’hui d’un nom nouveau.

1388. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

J’aime à trouver, quand je vais me délasser au théâtre, une imagination folle qui me fasse rire comme un enfant. […] Serait-ce que, comme notre tragédie n’est qu’une suite d’odes 3 entremêlées de narrations épiques 4, que nous aimons à voir déclamer à la scène par Talma ; de même, notre comédie ne serait, depuis Destouches et Collin d’Harleville, qu’une épître badine, fine, spirituelle, que nous aimons à entendre lire, sous forme de dialogue, par Mlle Mars et Damas5 ?

1389. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Anatole France Celui-là a beaucoup aidé à aimer. […] Voilà pourquoi il est chèrement aimé. […] Me blâmera-t-on de ne point aimer les romantiques tirades où éclatent des douzaines de pieds de cette sorte : Ce sang qui rend ma main froide comme un tombeau.

1390. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Ce qu’il aime en eux est bon et digne d’être aimé ; mais il n’a pas assez de pénétration pour discerner l’apparence de la réalité. […] Sans doute, ces mesures conservatrices avaient eu leur côté utile ; il est bon que le peuple juif ait aimé sa Loi jusqu’à la folie, puisque c’est cet amour frénétique qui, en sauvant le mosaïsme sons Antiochus Épiphane et sous Hérode, a gardé le levain d’où devait sortir le christianisme.

1391. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

L’indépendance des idées ne nous déplaît pas ; mais, à la place de notre contradicteur, nous n’aimerions pas sentir peser sur nous le démenti de tous ces grands hommes. « Mais, dira-t-il, la critique littéraire n’est pas affaire d’autorité, et que prouve l’opinion de tous ces gens réunis ?  […] Voilà le profit, voilà le point important ; c’est cela que nous voulons, c’est cela que nous conseillons, d’accord avec tous les grands écrivains qui, de Ronsard à Chénier, ne se sont point mal trouvés d’avoir étudié et aimé le divin poète « depuis trois mille ans jeune encore de gloire et d’immortalité » ! […] Je les connais et je les aime depuis le collège, où l’on nous donnait pour prix les trois gros volumes de Léon Gautier, pour nous familiariser avec ces pures beautés nationales.

1392. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Malgré les différences qu’on a cru voir entre le de Maistre qui parle à cet être abstrait et sans visage, le public, et le de Maistre qui parle à ses amis ou à ses enfants, aux visages qu’il aime, il y a pour le vrai critique le de Maistre de toutes les Correspondances dans le de Maistre des Œuvres, et j’en atteste particulièrement les Soirées de Saint-Pétersbourg ! […] Vous savez la phrase très commune, mais très vraie : « Quel mérite a-t-on d’aimer ses enfants ?  […] D’un autre côté, quand on aime ses enfants et qu’on a du génie, comme de Maistre, et de la tendresse dans le génie, on efface bien vite sous la vérité de ce qu’on écrit toutes les mignonneries de cette délicieuse Artificielle, de cette caillette, non pas d’esprit, mais de cœur, qui s’appelle madame de Sévigné !

1393. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Cela n’a point cette note insupportable de l’originalité qui déchire l’oreille de l’amour-propre, — cette oreille, délicate et longue, qu’il faut ménager, — et cela ne tire pas non plus brusquement les gens qui les aiment de la béatitude des idées communes… Prévost-Paradol ne sonne point du cor de Roland, en littérature ; de ce cor qu’on n’entend pas toujours, malgré sa puissance, qui meurt sans écho et qui brise les cœurs épuisés… Il joue, lui, d’un instrument plus commode. […] D’écrivain donc de vocation, de devoir, de goût, d’écrivain qui aime ce qu’il fait, et pour cette raison le fait bien, il n’y en a point chez Prévost-Paradol. Et peut-être même cesserait-il d’écrire, peut-être, ennuyé des sons creux qu’il file, enverrait-il promener la flûte de sa rhétorique, s’il ne se croyait tenu d’exécuter encore quelques airs funèbres en l’honneur de ce pauvre régime parlementaire qu’il aime comme lui-même, et qui, s’il n’était pas mort, lui aurait peut-être permis d’accoucher enfin de son grand ministre et de son grand orateur !

1394. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Taine était fait pour mieux que cela, et j’aime à en trouver une preuve de plus dans ses Études d’aujourd’hui. […] Taine m’avait fait aimer. […] Taine est de trouver tout bon, même ce qu’il n’aime pas ou ce qu’il déteste.

1395. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

On ne l’a point assez remarqué, le monde, cet ennuyé et ce capricieux, aime à la fureur les contrastes. Il aime les langages étranges et étrangers, et cette voix de moine en était une, par son calme même. […] Comme on voit tout ce que l’on veut dans les livres qu’on aime, l’imagination de ceux qui sont épris de l’Imitation y a mis aussi de la tendresse, mais il n’y en a pas plus que dans tous les livres d’oraison, et même il y en a beaucoup moins.

1396. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

De donnée, l’histoire en question, attestée par ces pages, est la plus plate et la plus vulgaire des réalités ; mais ce qui la sauve de la déshonorante admiration de ceux qui, en littérature, aiment la réalité pour sa vulgarité et sa platitude mêmes, c’est l’âme qui passe sur cette réalité et qui y met un accent absolument incompréhensible aux porcs littéraires du Réalisme, qui tracassent, pour l’instant, leur fumier, avec un groin presque superbe ! […] Voilà pourquoi ceux qui aiment la beauté partout où elle est, — qui l’aiment pour elle-même et même indépendamment de ce qu’elle exprime, liront ces pages où il y a tant à condamner, mais tant à plaindre et tant aussi à admirer !

1397. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Enfin, si Socrate lui-même avait pu lire les ouvrages de ses deux disciples, il eût peut-être plus admiré l’un, mais il eût plus tendrement aimé l’autre. […] On aime à voir le crime rendre hommage à la vertu, et l’homme libre échappé au tyran, célébré par le tyran même. […] si je dois vivre, si les jours de Démosthène doivent être conservés, que mes conservateurs soient mon pays, les flottes que j’ai armées à mes dépens, les fortifications que j’ai élevées, l’or que j’ai fourni à mes concitoyens, leur liberté que j’ai défendue, leurs lois que j’ai rétablies, le génie sacré de nos législateurs, les vertus de nos ancêtres, l’amour de mes concitoyens qui m’ont couronné plus d’une fois, la Grèce entière que j’ai vengée jusqu’à mon dernier soupir ; voilà quels doivent être mes défenseurs ; et si, dans ma vieillesse, je suis condamné à traîner une vie importune aux dépens des autres, que ce soit aux dépens des prisonniers que j’ai rachetés, des pères à qui j’ai payé la dot de leurs filles, des citoyens indigents dont j’ai acquitté les dettes ; ce n’est qu’à ceux-là que Démosthène veut devoir : s’ils ne peuvent rien pour moi, je choisis la mort ; cesse donc de me séduire, etc. » J’aime ensuite à voir la pitié de dédain avec laquelle il regarde le courtisan qui le croyait sans défense, parce qu’il n’avait autour de lui ni armes, ni soldats, ni remparts, comme si le courage n’était pas la défense la plus sûre pour un grand homme.

1398. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Ami des philosophes pythagoriciens et des arts de la Sicile, attiré par un despote corrompu à cette cour de Syracuse où, un siècle auparavant, Pindare avait été l’hôte favori d’un roi généreux, Platon aimait les hautes pensées et la majesté religieuse du grand lyrique thébain. Le goût du philosophe pour les institutions lacédémoniennes, son penchant à les imiter dans sa République idéale, la place qu’il y donne aux jeux guerriers et à une sorte d’éducation héroïque de l’âme et du corps, devaient lui rendre précieuse cette magnifique parole du poëte, qu’il cite parfois à l’égal des traditions antiques dont il aime il s’autoriser. […] comme les plus grands141 et les plus aimés des Dieux sont les bienvenus dans Athènes !

1399. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Il avait perdu sa mère, mais il trouva dans une belle-mère une tendresse inaccoutumée : J’ai une belle-mère à qui je dois peut-être tout mon bonheur, puisque c’est elle qui m’a donné les premiers éléments de cette éducation douce, attentive et pieuse qui m’a fait aimer de Dieu et des hommes… Ma pensée était libre auprès d’elle et l’eût toujours été si nous n’avions eu que nous pour témoins ; mais il y en avait un dont nous étions obligés de nous cacher comme si nous avions voulu faire du mal. […] Le maréchal de Richelieu, la marquise de Coislin, le duc de Bouillon, la duchesse de Bourbon, le duc d’Orléans (Égalité), quantité de princes russes, tout ce monde aristocratique aimait à connaître, à rencontrer M. de Saint-Martin, homme de qualité, ancien militaire et, vers la fin, chevalier de Saint-Louis, très protégé des Montbarrey ; et Saint-Martin, doux, poli, curieux, naïf, toujours digne pourtant, s’y prêtait, sans s’exagérer auprès d’eux son genre d’action et d’influence : « J’abhorre l’esprit du monde, disait-il, et cependant j’aime le monde et la société ; voilà où les trois quarts et demi de mes juges se sont trompés. » Il y a un très joli mot de lui sur les gens du monde qu’il faut prendre au vol pour les convertir : Les gens des grandes villes et surtout des villes de plaisir et de frivolité comme Paris, sont des êtres qu’il faudrait en quelque sorte tirer à la volée, si l’on voulait les atteindre. […] »   Quand j’ai aimé plus que Dieu quelque chose qui n’était pas Dieu, je suis devenu souffrant et malheureux : quand je suis revenu à aimer Dieu plus que toute autre chose, je me suis senti renaître, et le bonheur n’a pas tardé à revenir en moi.

1400. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Bazin, avec le tour d’ironie piquante et épigrammatique qui lui était trop habituel, aimait constamment à opposer, au héros un peu convenu de La Henriade ; ce Henri paradoxal et vivant, mais accidentel, et qui n’est que la moindre partie de tout l’homme, on ne doit pas le chercher dans les pages sérieuses de cette Histoire. […] Henri IV, une fois la guerre faite, aimait que ses gentilshommes demeurassent au logis plutôt qu’à la Cour. […] Sous Henri IV, l’élément prédominant ou qui tendait à le devenir était le gentilhomme de campagne, bon économe bon ménager de son bien ; Henri IV l’aimait et le favorisait de cette sorte, se piquant de n’être lui-même que le premier gentilhomme de son royaume ; bien différent en cela de Louis XIV, qui attirait tout à sa Cour et n’aimait les grands et les nobles qu’à l’état de courtisans. […] J’aime peu ces réactions en sens divers ; car on laisse toujours tomber en chemin quelque vérité.

1401. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Il me racontait un jour, comme il aimait à le faire en se parlant à lui-même dans une sorte de monologue, toute sa première vie et ses débuts ; qu’étant jeune avocat à Paris, reçu d’abord dans quelques maisons de l’île Saint-Louis, il se retira vite de ce monde secondaire de robins et de procureurs, dont le ton l’avait suffoqué. […] Les Anciens aimaient à se figurer, en les unissant et les accouplant dos à dos, les types et figures représentant les genres les plus contraires : ainsi ils assemblaient dans un même marbre, en les opposant nuque à nuque comme les deux faces de Janus, la figure d’un Aristophane et celle d’un Sophocle : si ce n’était une profanation, à cause du sang qui tache le front de Danton, je me figurerais ainsi, ne fut-ce qu’un instant, Danton et Royer Collard enchaînés, et leurs deux faces tournées vers des fins toutes contraires, — deux antagonistes éternels ! […] Son visage même accusait cela ; ces sourcils proéminents, ce nez, ce menton… La nature l’avait ébauché à grands traits, et le rabot n’y avait point passé. — Hommes et choses, il n’aimait et n’appréciait que ce qui était à une certaine hauteur et ne connaissait pas même le reste : il avait le goût haut placé. — En l’approchant, on sentait tout d’abord une supériorité naturelle ; aussi tout le monde lui rendait. […] Enfin, si l’on avait demandé vers 1846, et sur des points très-différents de la sphère politique, quel était l’homme de France qui jouissait de plus de considération, on aurait de toutes parts répondu : « C’est le Chancelier. » Un doctrinaire éminent, et des plus réconciliés avec lui49, disait alors en très-bonne part : « Le Chancelier, c’est l’homme aux expédients, — non pas celui qui en cherche, mais celui qui en trouve. » Je n’aime pourtant pas ce mot d’expédients qui n’en dit pas assez pour caractériser cette capacité diverse et fertile, et l’ensemble d’une faculté judicieuse si remarquable et si rare à ce degré. […] C’est ainsi encore qu’il déduit toutes les raisons qu’on a de marquer historiquement d’une note funeste cette première Chambre élective, et il hésite, dans sa conclusion, à la qualifier de Chambre de malheur, pour avoir si mal inauguré un régime qu’il aime et qui méritait de recommencer sous de meilleurs auspices.

1402. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Trop peu compétent pour mon compte en matière si éparse et si mobile, je ne ferai que courir, relevant quelques points à peine et en hâte d’arriver à son dernier succès, mais heureux au moins si j’ai montré que le propre de la critique est de n’être point prude, qu’elle aime et va querir partout les choses de l’esprit, qu’elle tient à honneur de s’en informer et d’en jouir. […] Il fit de bonnes et intelligentes études au collége Sainte-Barbe ; sa mère, qui l’aimait très-tendrement, le poussait à une émulation extrême qui, dans un caractère moins uni, eût pu engendrer la vanité. […] On raconte qu’au sortir du Mariage d’inclination, une jeune fille, se jetant tout d’un coup dans les bras de sa mère, lui avoua qu’elle devait se faire enlever le lendemain par quelqu’un qu’elle aimait. […] Ce petit Masham aimé de trois femmes qui se l’arrachent, et qui n’a rien fait pour cela, est un peu bête ; mais le moyen de ne l’être pas quand on est ainsi adonisé ? […] Il ne s’agit plus que de pourvoir au bonheur des petits amants, et cela sans que la reine se doute qu’elle est trompée et qu’ils s’aiment.

1403. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Combien donc j’aime mieux me reporter et convier le lecteur vers tant d’admirables et incontestables chapitres de M. […] Mes amis ont raison, j’aurais tort, en effet, De me plaindre ; en tous points mon bonheur est parfait : J’ai trente ans, je suis libre, on m’aime assez ; personne Ne me hait ; ma santé, grâce au ciel, est fort bonne ; L’étude, chaque jour, m’offre un plaisir nouveau, Et justement le temps est aujourd’hui très-beau. […] j’aimais voir l’eau couler Et briller ces flots purs, et mes pleurs les troubler. […] Maintenant j’ai quitté les folles rêveries ; C’est pour herboriser que j’aime les prairies. […] Quand j’étais malheureux, je voulais aimer, vivre ; Maintenant je n’ai plus le temps, je fais un livre.

1404. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Il nous parle lui-même d’un malheur qui a rompu le cours de leurs affections ; mais le mauvais succès ne l’aigrit pas contre sa belle inhumaine, comme il l’appelle : Je me trouve toujours en état de l’aimer ; Je me sens tout ému quand je l’entends nommer ; . . . . . . . . . . . . . . […] Et, toute mon amour en elle consommée, Je ne vois rien d’aimable après l’avoir aimée. Aussi n’aimé-je rien ; et nul objet vainqueur N’a possédé depuis ma veine ni mon cœur. […] Je ne sais si je m’abuse, mais je crois déjà voir en cette nature sensible, résignée et sobre, une naïveté attendrissante qui me rappelle le bon Ducis et ses amours, une vertueuse gaucherie pleine de droiture et de candeur comme je l’aime dans le vicaire de Wakefield ; et je me plais d’autant plus à y voir ou, si l’on veut, à y rêver tout cela, que j’aperçois le génie là-dessous, et qu’il s’agit du grand Corneille15. […] Il sent bien qu’il va un peu loin et s’en excuse : Nous nous aimons un peu, c’est notre faible à tous.

1405. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il n’avait pas de sensibilité : on ne lui connaît pas une passion ; il n’aimait dans la campagne que le silence, le loisir et le repos ; il y cherchait, si je puis dire, plutôt des satisfactions hygiéniques que des jouissances sentimentales ou esthétiques. Il avait une bonté intellectuelle sans tendresse, et il aimait ses amis solidement, vigoureusement, sans agitation ni expansion. […] Il l’a aimée uniquement ; mais il y a trouvé pour lui, il y a placé pour les autres un principe de noblesse morale, un engagement à se mettre au-dessus de tous les sentiments mesquins. […] Toutes les pensées et les expressions des pensées doivent avant tout satisfaire la raison : Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. […] Mais il vaut la peine d’y faire attention pour consoler ceux qui ont cru le génie français opprimé par le culte de l’antiquité : la raison ne reçoit de loi que d’elle-même ; et, du moment que c’est la nature qu’on aime dans l’antiquité, il pourra bien arriver que parfois (comme dans l’épopée ou l’églogue) on reçoive pour vraie nature ce qui n’existera pas hors des œuvres anciennes ; mais il arrivera bien plus communément qu’on trouvera dans les œuvres anciennes la nature contemporaine, crue éternelle ; et si elle n’y est pas, on l’y trouvera cependant.

1406. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Tebaldo dit à Lelio que, maintenant qu’il a reçu la confidence du secret paternel, en se rappelant les changements qu’il a remarqués en elle depuis quelque temps, il est convaincu qu’elle aime. […] À peine Fabio est-il parti, que Tebaldo dit à Lelio qu’il est sûr de son fait et qu’elle aime Fabio. […] Ils blâment Flaminio de vouloir aimer toujours Virginia, et, le voyant venir, ils se proposent de le détourner d’une passion qui ne lui fait pas d’honneur. […] Lisette dit à Flaminio qu’il peut être sûr que Virginia n’aime que lui, et qu’elle n’est nullement enceinte, comme l’a prétendu Zucca ( tanto è Virginia gravida, dit-elle, quanto io son vergine ). […] Scène de concetti, où Lelio peint son amour à Fabio en feignant de connaître une dame qui l’aime tendrement.

1407. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

J’aime mieux chercher à vous présenter le dessin qu’elle signifie que d’en défaire et d’en refaire avec vous le damier multicolore. […] Je ne parle pas de Baudelaire, si aimé pour son étrange génie plein de prévisions mystérieuses, mais Léon Dierx, mais José Maria de Heredia. […] L’emploi du symbole, comme moyen d’expression poétique, fut certes une des caractéristiques apparentes de l’art nouveau, mais j’aimerais mieux vous parler d’autres préoccupations qu’il eut, peut-être plus générales et à coup sûr non moins foncières. […] Ne constituent-ils pas une sorte de réalité idéale où 1 humanité aime à se représenter à ses propres yeux ? […] Maurice Maeterlinck construisait ses drames mystérieux et tragiques où meurt Maleine, où aiment Mélisande et Pelléas.

1408. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

L’humanité, en effet, aime l’idéal ; mais il faut que l’idéal soit une personne, un fait, un récit ; elle n’aime pas une abstraction. […] Je ne finirais pas, Messieurs, si je voulais énumérer tant de vertus humbles et en particulier les sacrifices discrets accomplis dans cette classe si intéressante des domestiques fidèles que vous aimez à récompenser. […] Enfin, un reliquat vous permet de donner mille francs à Jeanne Pécusseau, de Nantes, également enfant d’hospice, dont le dossier est un document inappréciable de ce qu’il peut y avoir de joie et d’affection dans un petit cercle de pauvres et d’humbles qui se connaissent et s’aiment entre eux. […] Elle aimait beaucoup ce petit sucrier, qui représentait pour elle des privations, et, se voyant mourir, elle souffrait à l’idée qu’il passerait en des mains peut-être moins pures que les siennes.

1409. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Claude l’écoute du haut de son froid mépris ; mais il lui déclare que, si elle s’attaque jamais aux deux êtres qu’il aime, à Antonin ou à Rebecca, il la tuera tranquillement, comme il tuerait une bête enragée. […] Mais elle craint d’offenser son mari, qu’elle respecte et qu’elle aime avec une sorte de passion religieuse, en installant sous son toit ce témoin vivant de sa faute. […] Elle aime avec une passion chaude et sensuelle, allumée par l’été de la Saint-Martin, le mirliflor qui l’exploite ; elle l’aime servilement, en ancienne servante, domptée par l’empire qu’il a sur sa chair, et qui la ramène, après chaque révolte, matée et soumise. […] Puisque cette fille est à lui, elle l’adoptera, l’aimera comme la sienne.

1410. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Mais ce Père était soupçonné de jansénisme, et Mme de Maintenon, dans son sens strict et toujours tourné à la considération utile, eût mieux aimé sa nièce sans directeur qu’avec celui-là qui était suspect en Cour. […] Faut-il peindre Mlle de Fontanges avec sa beauté et son genre de sottise romanesque, et faire sentir comment le roi, même quand elle aurait vécu, ne pouvait l’aimer longtemps, tout cela est dit en deux mots : On s’accoutume à la beauté, mais on ne s’accoutume point à la sottise tournée du côté du faux, surtout lorsqu’on vit en même temps avec des gens de l’esprit et du caractère de Mme de Montespan, à qui les moindres ridicules n’échappaient pas, et qui savait si bien les faire sentir aux autres par ce tour unique à la maison de Mortemart. […] Le roi, ayant marié le duc du Maine, fait d’abord à ce prince des représentations sur sa femme qui le ruine ; mais, « voyant enfin que ses représentations ne servent qu’à faire souffrir intérieurement un fils qu’il aime, il prend le parti du silence, et le laisse croupir dans son aveuglement et sa faiblesse ». […] que même en ces moments Mme de Caylus aurait aimé à s’asseoir souriante et muette auprès de sa tante ! […] ) qu’elle voit assez avec vous, ou ses maréchaux de France qui ne la charment pas au point de ne s’en pouvoir passer ; elle craint les ministres ; elle n’aime point les princesses ; si c’est le repos que vous lui voulez, elle n’en trouve qu’avec vous ; si c’est sa santé, elle y trouve son régime et sa commodité ; en un mot, elle trouve tout avec vous, et rien sans vous.

1411. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Condorcet aimait et admirait Turgot, rien de mieux ; mais il abhorrait et détestait M.  […] Turgot et moi qui aimions le peuple. » — « Ce discours est très vrai », écrivait Condorcet à Voltaire à cette date, en lui rapportant le mot de Louis XVI. […]  » Tel était le Condorcet heureux, florissant, illustre, généralement honoré et aimé dans la société, avant 89. […] Toutes les fois que le peuple en personne se met en communication avec l’Assemblée, Condorcet y applaudit : On sait, écrivait-il le 21 novembre 1791, que les séances du dimanche sont consacrées au saint et indispensable devoir d’entendre les pétitionnaires… L’Assemblée doit aimer à se sentir quelquefois électrisée par les expressions que l’enthousiasme d’un peuple libre et généreux vient porter dans le sein même de ses séances. […] [NdA] Quelques personnes (et il en reste encore), qui aiment mieux Condorcet que la vérité, ont essayé d’insinuer que, dans ces citations, j’avais pu me méprendre en imputant à Condorcet des articles qui n’étaient pas de lui.

1412. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Non pas que, dans sa vie besogneuse depuis sa sortie de Vincennes jusqu’à son entrée aux États généraux, Mirabeau, pour subvenir à ses besoins de tout genre, intellectuels et autres, n’ait eu souvent recours à des expédients dont on aimerait mieux que la fortune l’eût affranchi ; mais, en mainte circonstance notable, manquant de tout, lui homme de puissance et de travail, qui ne pouvait se passer à chaque instant de bien des instruments à son usage, lui qui était naturellement de grande et forte vie (comme disait son père), manquant même d’un écu, réduit à mettre jusqu’à ses habits habillés et ses dentelles en gage, il avait résisté à rien écrire qui ne fût dans sa ligne et dans sa visée politique, à prendre du moins les choses dans leur ensemble. […] Les trois principaux personnages en jeu sont la reine, Mirabeau et le comte de La Marck lui-même, ce dernier bien digne d’être associé aux deux autres par son jugement excellent, sa finesse et sa fermeté d’observation, sa connaissance des hommes et des choses, par son dévouement au malheur d’une reine et à l’amitié d’un grand homme, et qui justifie pleinement aujourd’hui aux yeux de la postérité ce qu’il écrivait un jour à Mirabeau : « Dieu ne m’a mis sur la terre que pour aimer et surveiller votre gloire. » Rien, en effet, de plus honorable pour la réputation politique de Mirabeau que le contenu de ces diverses notes et l’esprit général qui les anime. […] On aime à s’entendre tonner quand on éveille tant d’échos. […] Les premières sont surtout destinées à battre en brèche La Fayette que la reine certes n’aimait pas, mais qu’on croyait aux Tuileries l’homme nécessaire. […] J’aime à croire qu’elle ne voudrait pas de la vie sans sa couronne ; mais ce dont je suis bien sûr, c’est qu’elle ne conservera pas sa vie si elle ne conserve pas sa couronne.

1413. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Faisons un peu avec Mlle de Scudéry ce qu’elle-même aimait tant à faire : examinons, distinguons et analysons. […] Mais ce luth lui demandait trop de temps, et, sans y renoncer, elle aima mieux se tourner particulièrement du côté des occupations de l’esprit. […] Un des premiers sujets qu’elle y traite est celui de la Conversation même : Comme la conversation est le lien de la société de tous les hommes, le plus grand plaisir des honnêtes gens et le moyen le plus ordinaire d’introduire non seulement la politesse dans le monde, mais encore la morale la plus pure et l’amour de la gloire et de la vertu, il me paraît que la compagnie ne peut s’entretenir plus agréablement ni plus utilement, dit Cilénie (un de ces personnages qu’elle aime), que d’examiner ce que c’est qu’on appelle conversation. […] Sapho n’était pas au-dessus de toutes ces petites raisons de métier : « Ma foi, dit Tallemant, elle a besoin de mettre toutes pierres en œuvre ; quand j’y pense bien, je lui pardonne. » Petits cadeaux, gratifications, pensions, elle aimait à joindre ces preuves positives à la considération, qui ne lui a jamais manqué. […] Une fille d’un si grand mérite et sans grâce, c’est pourtant désobligeant à peindre, et c’est pénible à montrer ; on aimerait tant à y mettre ce qui lui manque !

1414. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Dieu veuille amener bientôt le moment où elle ne propagera que ce que nous aimons ! […] C’est là un point encore par où il différait de la France, car une des conditions du beau, tel que nous l’aimons en notre libre pays, a toujours été, avant tout, d’être accessible à toute âme honnête, généreuse et populaire. […] Et M. de Maistre énumérait hardiment ces diverses suppositions : « Si la maison de Bourbon est décidément proscrite, il est bon que le gouvernement se consolide en France, il est bon qu’une nouvelle race commence une succession légitime, celle-ci ou celle-là, n’importe à l’univers… J’aime bien mieux Bonaparte roi que simple conquérant. » Si c’est le contraire qui arrive, et si les Bourbons ne sont pas à jamais rejetés, il faut bien qu’on leur prépare les voies du retour, car eux-mêmes ne sont pas gens à rien inventer pour cela : Les Bourbons français, dit M. de Maistre par une appréciation historique d’une parfaite justesse, ne sont certainement inférieurs à aucune race régnante ; ils ont beaucoup d’esprit et de bonté. […] Il avait tenu entre ses mains, à Milan, le livre des Considérations sur la France, et il avait pu y reconnaître en quelques minutes un esprit de race supérieure, et tel qu’il les aimait. […] Il aime à prédire.

1415. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Nos mœurs littéraires (sans être excellentes) sont devenues, j’aime à le remarquer, plus convenables et plus dignes. […] Dites : Ce froid rimeur se caresse lui-même ; Au défaut du public, il est juste qu’il s’aime ; Il s’est signé grand homme, et se dit immortel Au Mercure ! […] La Harpe nous est représenté à dîner chez un riche banquier, un peu avant le dessert ; il est dans cette disposition heureuse de cœur et d’estomac qui porte à l’indulgence : rien de ce qu’il aimait n’avait manqué au repas ; il était réconcilié avec les hommes ; il aurait trouvé de l’esprit à Saint-Ange, du jugement à Mercier, de la décence à Rétif, de la douceur de caractère à Blin de Sainmore ; enfin, il aurait accordé du talent à d’autres qu’à lui, quand tout à coup il se lève de table et disparaît : Après une assez longue absence, la maîtresse de la maison le fait chercher : on ne le trouve point. […] On savait que La Harpe avait beaucoup aimé de tout temps les dames, et que ç’avait été un de ses grands faibles. […] Nous sommes devenus difficiles et de haut goût ; nous aimons les choses fortes, fortes en couleur, sinon en nature et en sentiment.

1416. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Ces traits par lesquels Fontenelle aime à terminer ses périodes et ses paragraphes sont trop peu fréquents chez Rollin. […] Je goûte aussi la solitude, La paix du cœur, la douce étude, Les vieux auteurs grecs et romains… C’est ainsi que Fontanes, grand maître de l’Université à son tour, célébrait le souvenir de son humble prédécesseur, en se promenant du côté du château de Colombes d’où Rollin aurait aimé à dater son Histoire. […] Le Peletier (ministre de Louis XIV), à sentir et à aimer plus que jamais la douceur de la vie rustique, depuis que j’ai un petit jardin qui me tient lieu de maison de campagne, et qui est pour moi Fleury et Villeneuve35. […] En les écrivant, Rollin, qui aimait à marcher et à penser toujours sur la trace d’un ancien, se rappelait certainement cette parole de Pline le Jeune sur la maison de campagne que voulait acheter Suétone : Il ne faut à ces messieurs les savants, absorbés comme lui dans l’étude, que le terrain nécessaire pour délasser leur esprit et réjouir leurs yeux. […] Rollin connaissait et aimait beaucoup M. 

1417. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Je suppose, pour ne pas être injuste, qu’on a présent à l’esprit Le Siècle de Louis XIV, l’Histoire de Charles XII, ce qu’il y a d’inspiration chevaleresque dans la tragédie de Tancrède, l’Épître à Horace, Les Tu et les Vous, Le Mondain, Les Systèmes, les jolies stances : Si vous voulez que j’aime encore… ; je suppose qu’on a relu, il n’y a pas longtemps, bon nombre de ces jugements littéraires exquis et naturels, rapides et définitifs, qui sont partout semés dans la correspondance de Voltaire et dans toutes ses œuvres, et, bien assuré alors qu’il ne saurait y avoir d’incertitude sur l’admiration si due au plus vif esprit et au plus merveilleux talent, je serai moins embarrassé à parler de l’homme et à le montrer dans ses misères. […] Le président répond à ses propositions point par point, avec exactitude et précision, en homme d’affaires et en y mêlant de l’homme d’esprit ; il touche très bien l’endroit délicat, et qui fait désirer à Voltaire de n’être pas tout entier à la merci de Genève : « Il faut être chez soi… Il ne faut pas être chez les autres… Vous ne sauriez croire combien cette république me fait aimer les monarchies. » À la réponse précise et catégorique du président, Voltaire semble oublier ce qu’il a proposé lui-même ; il recule, il hésite, et substitue comme par négligence d’autres propositions aux premières. […] Voltaire ne se laisse point tranquilliser, et il n’est point d’humeur à laisser les autres tranquilles : Je lis et je relis votre contrat, et plus je le relis, plus je vois que vous m’avez dicté la loi en vainqueur ; mais j’en suis fort aise ; j’aime à embellir les lieux que j’habite, et je fais à la fois votre bien et mon plaisir. […] J’ai de quoi vivre sans Tourney, et j’aime mieux y laisser croître des ronces que d’y être persécuté. […] Au moment le plus vif de la contestation, il poussera la bouffonnerie et la parodie jusqu’à dire : « J’ai fait le bien pour l’amour du bien même, et le ciel m’en récompensera ; je vivrai longtemps, parce que j’aime la justice. » On ne peut tout dire en détail, et il faut bien en venir à la plus grosse et à la misérable affaire qui fit la rupture.

1418. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Une leçon qui est un homme, un mythe à face humaine tellement plastique qu’il vous regarde et que son regard est dans un miroir, une parabole qui vous donne un coup de coude, un symbole qui vous crie gare, une idée qui est nerf, muscle et chair, et qui a un cœur pour aimer, des entrailles pour souffrir, et des yeux pour pleurer, et des dents pour dévorer ou rire, une conception psychique qui a le relief du fait, et qui, si elle saigne, saigne du vrai sang, voilà le type. […] Les types sont des cas prévus par Dieu ; le génie les réalise — il semble que Dieu aime mieux faire donner la leçon à l’homme par l’homme, pour inspirer confiance. […] sortez, si vous pouvez, de cette prison : aimer ! […] La noirceur aime l’aurore. […] Ô Dieu, ceux que vous aimez, vous ne les laissez pas survivre.

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