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1648. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

« Ces atomes de vie, ces semences premières, sont toujours en égale quantité sur la terre et toujours en mouvement. […] A ces époques de tâtonnements et de délires, avant la vraie civilisation trouvée, que de vies humaines en pure perte dépensées ! […] Le vieillard qui a usé la vie est inquiet et triste. […] « Chaque individu dans l’état sauvage, écrit Chénier, est un tout indépendant ; dans l’état de société, il est partie du tout ; il vit de la vie commune. […] Apercevoir, deviner une fleur ou un fruit derrière la haie qu’on ne franchira pas, c’est là le train de la vie.

1649. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

On sait la vie qu’ils y menèrent, et quels charmants contes pour rire et pour aimer naquirent de leurs loisirs d’été à l’ombre des arbres, au gazouillement des eaux et aux roucoulements des colombes. […] Partout où Laprade voit la vie, il voit l’âme ; partout où il voit l’action, il voit la pensée. […] Cette parenté de l’homme par l’âme, commune avec tous les êtres animés de la nature, est une charité poétique qui caractérise ses poèmes et qui donne à ses descriptions la double vie du temps et de l’éternité. […] Les montagnes du Forez, cette Auvergne du Midi, berceau de son enfance, les scènes de la vie agricole, vrai cadre de toute poésie, les fenaisons, les moissons, les vendanges, les semailles, les mille impressions douces, fortes, tendres, tristes, rêveuses, qui montent au cœur de l’homme agreste dont le goût n’est pas encore blasé par la vie artificielle des cités, tous ces évangiles des saisons qui chantent Dieu par ses œuvres dans le firmament comme dans l’hysope, sont les textes de ces délicieuses compositions. […] On voit, dès les premiers vers de cette éloquente inspiration contre son siècle, que le grand poète partage au fond notre répugnance à employer la grande poésie aux petits usages de la vie civile.

1650. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

La terreur règne deux ans sur leurs cadavres ; c’est une de ces périodes de la vie d’un peuple sur lesquelles aucun voile, jeté comme un linceul, ne peut cacher le sang des milliers de victimes. […] Buchez et Roux, qui a été mon manuel historique, toujours ouvert sur ma table pendant les deux années consacrées par moi à écrire cette histoire, je n’ai pas négligé une seule information verbale possible à obtenir des parents ou des amis des personnages, même odieux, dont j’avais à sonder la vie publique ou la vie intime. […] Je parvins à me faire introduire chez madame Lebas, ce témoin naïf et passionné de vie intime de Robespierre, cette protestation vivante et ardente contre les calomnies (car on calomnie même le crime) des historiens de la Révolution. […] Elle m’accorda un libre accès dans sa retraite et me laissa feuilleter à mon aise, et page par page, sa mémoire présente, intarissable et passionnée sur tous les détails intérieurs ou extérieurs de la vie privée et de la vie publique de Robespierre. Tout ce que j’ai rapporté dans les Girondins sur la vie ascétique, retirée, laborieuse, chaste et pour ainsi dire abstraite de l’idole des Jacobins et du peuple, est textuellement la conversation de madame Lebas.

1651. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Mais, comme Wagner encore, ils ont vu que le drame musical, devant exprimer la vie de personnages réels, ne pouvait pas conserver les formes convenues des vieux opéras. […] Sans doute les grands poètes ont créé une vie plus haute et meilleure que d’autres ne pouvaient le faire : mais le musicien, pour exprimer pleinement par sa musique la vie émotionnelle d’un personnage, doit recréer entièrement ce personnage ; et il est à craindre que les inventions des grands poètes ne puissent pas être revécues aussi entièrement par lui que ses propres inventions. Ainsi nos compositeurs auraient-ils, je crois, tout intérêt à composer eux-mêmes tout leur drame ; alors seulement ils auraient la vision complète de leur personnage, dans toute l’expression de sa vie. […] L’éternel désaccord entre l’idéal et la vie, la recherche toujours inassouvie de visées vaguement pressenties mais jamais reconnues, ont précocement mis un terme à la vie de cet artiste qui par une force irrésistible fut poussé à communiquer son idéal à ses contemporains. […] Plusieurs textes théoriques sont traduits : L’Œuvre d’art de l’avenir (1897), Opéra et Drame (1906), Ma vie (1911).

1652. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Prevost-Paradol a entretenu avec intérêt les lecteurs du Journal des débats (13 août 1858), annonçaient que le patient investigateur était dès lors arrivé à des résultats neufs qui ajoutaient à la connaissance intime de la vie et de l’âme du grand écrivain. […] Il considère cette société antérieure et postérieure à l’individu ; il la voit subsistante, nécessaire, harmonieuse, agissant en mille façons et par toutes sortes d’influences inappréciables, plus mère encore que marâtre, ne retirant à l’homme primitif du côté des forces physiques que pour rendre davantage par le moral à l’homme actuel, et imposant dès lors à quiconque naît dans son sein des devoirs, des obligations qui ne sont point proprement de particulier à particulier, mais qui prennent un caractère commun et général : Car les individus, dit-il, à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents, peuvent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent mon enfance ne meurent point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heureuse habitude, les secours que j’ai trouvés prêts au besoin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publics à l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter mes cendres après ma mort. […] Nous vivons dans le climat et dans le siècle de la philosophie et de la raison ; les lumières de toutes les sciences semblent se réunir à la fois pour éclairer nos yeux et nous guider dans cet obscur labyrinthe de la vie humaine ; les plus beaux génies de tous les âges réunissent leurs leçons pour nous instruire ; d’immenses bibliothèques sont ouvertes au public ; des multitudes de collèges et d’universités nous offrent dès l’enfance l’expérience et la méditation de quatre mille ans ; l’immortalité, la gloire, la richesse et souvent les honneurs sont le prix des plus dignes dans l’art d’instruire et d’éclairer les hommes : tout concourt à perfectionner notre entendement et à prodiguer à chacun de nous tout ce qui peut former et cultiver la raison : en sommes-nous devenus meilleurs ou plus sages ? […] nous en accordons-nous mieux sur les premiers devoirs et les vrais biens de la vie humaine ? […] Ma vie peut être remplie de peines, disait-elle, mais il est affreux de n’être rien ; je crois la souffrance préférable au néant… » Le cardinal n’ajoute rien qui corrige cette opinion du néant après la mort, ni qui avertisse qu’il ne la partageait pas ; c’est qu’il la partageait en effet.

1653. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

La vie polémique et doctrinale de M. de La Mennais se peut diviser déjà en deux parties tranchées durant lesquelles il a poursuivi le même but, mais par deux procédés contraires. Il a été frappé, avant tout, de l’état d’indifférence en matière de religion, de la tiédeur égoïste et de la corruption matérielle de la société ; tout son effort a tendu à rendre la vie et le souffle à ce qu’il voyait comme un cadavre. […] Telle est la vraie unité de la vie et de l’œuvre de M. de La Mennais ; seulement il a employé à cet effet deux méthodes bien opposées. […] Mais la jeunesse, la nouveauté vive triomphe à tout moment par la pensée même ; la franchise du sentiment crée la beauté : ainsi, dans le chapitre de l’Exilé : « J’ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s’étreindre comme s’ils avaient voulu de deux vies ne faire qu’une vie, mais pas un ne m’a serré la main : l’Exilé partout est seul. » Le chapitre de la mère et de la fille n’offre pas une seule couleur nouvelle ; mais Celui qui donne aux fleurs leur aimable peinture, et qui inspira la simplicité de Ruth et de Noémi, a envoyé son sourire sur ces pages.

1654. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Elles consolent, elles soutiennent dans les commencements, et à une certaine saison de la vie des poëtes, contre l’indifférence du dehors ; elles permettent à quelques parties du talent, craintives et tendres, de s’épanouir, avant que le souffle aride les ait séchées. […] Quelques amitiés solides et variées, un petit nombre d’intimités au sein des êtres plus rapprochés de nous par le hasard ou la nature, intimités dont l’accord moral est la suprême convenance ; des liaisons avec les maîtres de l’art, étroites s’il se peut, discrètes cependant, qui ne soient pas des chaînes, qu’on cultive à distance et qui honorent ; beaucoup de retraite, de liberté dans la vie, de comparaison rassise et d’élan solitaire, c’est certainement, en une société dissoute ou factice comme la nôtre, pour le poëte qui n’est pas en proie à trop de gloire ni adonné au tumulte du drame, la meilleure condition d’existence heureuse, d’inspiration soutenue et d’originalité sans mélange. Je me figure que Manzoni en sa Lombardie, Wordsworth resté fidèle à ses lacs, tous deux profonds et purs génies intérieurs, réalisent à leur manière l’idéal de cette vie dont quelque image est assez belle pour de moindres qu’eux. […] On se visite après l’absence, on se retrouve en des lieux divers, on se serre la main dans la vie ; cela procure des jours rares, des heures de fête, qui ornent par intervalles les souvenirs. […] Il y a bien des années déjà, Charles Nodier et Victor Hugo en voyage pour la Suisse, et Lamartine qui les avait reçus au passage dans son château de Saint-Point, gravissaient, tous les trois ensemble, par un beau soir d’été, une côte verdoyante d’où la vue planait sur cette riche contrée de Bourgogne ; et, au milieu de l’exubérante nature et du spectacle immense que recueillait en lui-même le plus jeune, le plus ardent de ces trois grands poëtes, Lamartine et Nodier, par un retour facile, se racontaient un coin de leur vie dans un âge ignoré, leurs piquantes disgrâces, leurs molles erreurs, de ces choses oubliées qui revivent une dernière fois sous un certain reflet du jour mourant, et qui, l’éclair évanoui, retombent à jamais dans l’abîme du passé.

1655. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Walter Scott dans sa Vie de Bonaparte n’a plus même en sa faveur, je ne dirai pas cette excuse, mais cette sorte d’explication qui convenait aux Lettres de Paul : il a été poussé cette fois par quelque chose de plus simple et de plus vulgaire encore que la haine ; chez lui, ç’a été calcul, et non colère. […] Mais ni Cabanis ni Lamettre n’appréciaient dans l’homme cette force souveraine et profonde qui lui donne la vie et l’âme. […] « L’Assemblée (constituante) abolit toutes les distinctions honorifiques, toutes les armoiries, jusqu’aux titres insignifiante de monsieur et de madame, locutions de pure courtoisie, si l’on veut, mais qui, réunies à d’autres semblables, rendent plus douces les relations ordinaires de la vie, et entretiennent cette urbanité de mœurs que les Français désignaient par l’expression heureuse de petite morale. » Notez ce mot en passant, MM. de l’Académie ; et vous tous qui étudiez l’histoire, n’oubliez pas que l’Assemblée constituante abolit les titres de monsieur et de madame. […] Une autre fois, nous aborderons la Vie même de Napoléon ; mais elle ne nous fournira malheureusement pas l’occasion de rétracter notre premier jugement et de faire amende honorable aux pieds du génie qui tant de fois reçut nos hommages sincères. […] Personne ne doutait jusqu’ici que l’auteur des Vies de Dryden et de Swift n’eût le don des comparaisons ingénieuses : seulement on lui supposait assez de goût pour ne pas les prodiguer sans mesure ni les appliquer sans convenance.

1656. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Et c’est là précisément la secrète et pénétrante originalité de ces petits vers, de ces menues ritournelles, de ces rimes caressantes : elles font couler jusqu’à l’âme l’ivresse des couleurs, des formes et des parfums, et l’amour de la vie universelle, toujours un peu triste parce qu’il est toujours inassouvi. […] Ensuite le poète dit la Vie des morts, leur âme éparse dans les arbres, dans les broussailles, dans les sources qui sont leurs yeux, dans les nuages qui sont leur pensée inquiète, dans les astres où flambent leurs anciennes passions, dans la mer, « temple obscur des métamorphoses », dans les parfums, dans le chant nocturne des voix terrestres… Et cependant ce n’est pas tout ce qui reste des morts. « Ce que m’a pris le rêve, mes aspirations vers le juste et le beau, ce que j’ai dit tout bas à la nuit, ce que j’ai vu en fermant les yeux, Ma chair ne saurait plus l’entraîner au tombeau. […] Silvestre ressemble parfois à celle des Védas, et je suis fort tenté de croire que ses vers sont peut-être, dans notre littérature, ce qui se rapproche le plus de ce lyrisme grandiose, éblouissant, vite ennuyeux, débordant d’images toujours les mêmes, où tout l’univers vit d’une vie énorme et confuse, où chaque métaphore, démesurée, est toute prête à devenir un mythe. […] Sans doute, la distance paraît plus grande encore et plus surprenante entre la Vie des morts et Bertrade ou la Pince à sucre, qu’entre les psaumes de Marot et ses épigrammes. […] Puis, certaines fonctions de ce misérable corps, si elles peuvent sembler avilissantes, sont bonnes pourtant par le soulagement et l’aise qu’elles apportent, par l’idée de joyeuse vie animale qu’elles éveillent dans l’esprit, et sont en même temps comiques par le démenti perpétuel qu’elles opposent à l’orgueil de l’homme, à sa prétention de faire l’ange.

1657. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

D’ailleurs, si l’intérêt de badauderie populaire est éveillé et retenu par les récits simplement mondains, évocateurs d’une vie de petits hôtels, de lampes à colonnes et de tous ces surahs, ce n’est pas trop de dire qu’il est captivé par la flatteuse confidence où les met un narrateur complaisant des gestes de personnages historiques. […] La rage les avait mordus de la restauration, de la reconstitution de toutes les époques et de tous les pays, Campbell, Lamb, Southey. — Walter Scott lui-même, si aimable comme descripteur de la vie écossaise, Walter Scott, malgré un succès qui n’est pas prêt de s’arrêter, est un piteux romancier historique, bien inférieur au père Dumas, qui, au moins, bafouillait ingénûment, portière d’une platine infatigable. […] Parmi les conjonctures les plus extrêmes, d’un îlot de déportés jusqu’à un trône de l’Europe orientale et jusqu’à un radeau de naufragés, de définitives figures se mesurent à la vie, apprennent pour les avoir entiers sentis le désastre et le bonheur, et reviennent désemparés et las du jeu d’enfer dont ils ont épuisé toutes les émotions. […] Des circonstances adviennent en son impériale famille à l’occasion desquelles il est avoué, recherché, trouvé dans les bagnes français, ramené en Orient, dans sa gloire, ses honneurs, avec, miracle, la princesse Isabelle, jadis aperçue à Rugen, dès lors adorée sans espoir, qu’une mère chérie lui retrouve et lui donne : le bonheur sans phrase, le bonheur des mains jointes, des extases, de l’impuissance à remercier le Créateur que crée le flux de notre félicité, à qui la vertu de notre reconnaissance veut une personnalité… La vie s’attaque à ce bonheur. […] C’est des amours fous ou criminels, l’oubli de la femme chérie, le droit à changer d’objet que s’arroge l’Amour, et à choisir en aveugle, qu’il faut accepter puisqu’on n’a pas refusé son choix quand il avait fait une première sélection, providentielle ; c’est la sœur de l’épouse qu’on désire, et c’est deux femmes qu’on tue ; et l’envie dans le mal dont on se sent irresponsable de courir le monde et des cieux non témoins, et la lassitude finale de tout ce qu’on peut toucher dans la vie d’inutile, de tragiquement bête, de vaniteusement vain.

1658. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Mais, la génération suivante s’en aperçut : au milieu de ces bibliothécaires qui bannissaient du vers souplesse et spontanéité, qui chassaient de la strophe tout ce qui est vie et poésie, qui s’imaginaient que l’expression nuit à la beauté et qui parlaient, sans même vouloir une alliance de mots hardie, de poésie savante ! […] Les bourgeois comprirent peu ses écritures, mais ils causèrent de sa vie qui, paraît-il, n’était point régulière. […] Il consent à vivre sa vie comme un inéluctable cauchemar. […] Il le dut surtout au calme du séjour qui dilatait son âme ; à la vie assurée et défendue contre les hostilités et les curiosités du dehors. […] Sa vie, hélas !

1659. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Ce sera l’honneur de la critique d’avoir protégé et défendu, obstinément, cette illustre artiste ; tant sur la fin de sa vie elle avait peine à se défendre contre les impatients qui se fatiguent d’entendre dire : — « Aristide est juste », — ou bien : « Mademoiselle Mars est la plus grande artiste de son temps !  […] D’où vient-il, ce gentilhomme qui ne sait ni flatter, ni mentir, ni rien céder à pas une des nombreuses exigences de la vie de chaque jour ? […] Le parterre s’était mis à adopter ce Baron comme le dernier confident des pensées du maître, et jusqu’à la fin de sa vie il l’entoura d’attentions et de respects. […] Ingrate génération, à qui mademoiselle Mars a enseigné à parler et à se taire, à s’habiller, à saluer, à vivre, enfin ; que disons-nous, les moindres choses de la vie ordinaire, cette aimable femme les a apprises à cette génération ; elle leur a appris à entrer dans un salon, à tenir un éventail, à prendre un fauteuil, et les moindres détails de la vie élégante !

1660. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Est-ce un champ stérile pour le génie qu’Adam, Ève, sa famille, la postérité de Jacob, et tous les détails de la vie patriarcale ? […] Il tend vers le Dieu qui lui a rendu la vie, ses bras encore embarrassés de son linceul. […] Il me semble qu’il vaudrait autant ne pas faire les choses à demi, et qu’il n’en coûterait pas plus de rendre la santé avec la vie. […] Quelle vie ! […] Celui qui peut rendre la vie, peut aussi facilement donner la mort… Pas un qui se soit avisé de faire pleurer une des sœurs du ressuscité, de joie ; pas un des parents qui tombe en faiblesse !

1661. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Dans un temps où la poésie du siècle était l’adultère, il fallut les adultères de toute sa vie et son existence de bohème (délicieusement affolante au regard des esprits d’alors) pour qu’on pardonnât à Mme Sand ne n’être pas, en réalité, aussi voyou qu’elle se vantait d’être. […] Elle ne déconcertait point, par les débordements de sa vie, l’hypocrisie d’un parti qui nous a volé Tartuffe, à nous autres dévots, et qui, malgré sa haine du blanc, n’en a pas moins ses sépulcres blanchis ! […] Dans Mme Sand, il y a du xviiie  siècle, même aux dernières années de sa vie quand elle caressait de sa vieille main de douairière, autrefois charmante, les cheveux des jeunes gens, assis au piano, dans son salon de Nohant ! […] Avec cette air vieille fille que le bas-bleuisme endoctrineur lui a donné, Mme André Léo croit, comme les vieilles filles, à l’amour qu’elle confond avec le mariage, dans sa théorie ; menée, malgré elle, à cette conclusion que le but de la vie, c’est le bonheur du cœur, — la grande idée, hélas ! […] Que sont-elles, toutes ces sèches et longues institutrices anglaises, qui sentent leur esclavage et qui tordent leurs malheureuses échines sur le pal qui les embroche, et sur lequel elles tournent, au feu du désir… de n’être plus des institutrices, auprès de cette sybarite de Mme André Léo, qui trouve cette fonction d’institutrice savoureuse et voluptueuse et qui, mêlant l’amour de la science à l’amour chaste de l’amour, crée, dans ses romans, des Abeilards sans catastrophes, lesquels font, en même temps, à leurs maîtresses la classe de l’amour ; puis, après les épousailles, ouvrent une école et sont ensemble pour la vie, conjugalement, institutrices et instituteurs.

1662. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

… Est-il permis de manquer d’intérêt et de vie quand il s’agit du peuple le plus curieux et le moins connu, quoiqu’on en ait immensément parlé, de ce peuple magot et falot qui ressemble aux visions produites par l’opium qu’il fume, et qu’on pourrait appeler le plus fantastique de tous les peuples ? […] Après les grands travaux du Père Du Halde, du Père Grosier, du Père Amyot, du Père Gaubil, et de tant d’autres Pères jésuites, qui firent, pendant un moment, de la Chine une province de leur ordre ; après les livres des voyageurs anglais sur cette Chine logogriphique, aussi difficile à déchiffrer que son écriture ; en présence surtout de ces Pères de la foi, notre Compagnie des Indes de la rue du Bac (comme les appelait un grand écrivain), et dont les observations sont le meilleur de l’érudition contemporaine sur les institutions et les mœurs de la Chine, si deux sinologues, ayant passé toute leur vie dans une Chine intellectuelle qu’ils ont redoublée autour d’eux comme les feuilles d’un paravent, se mettaient à écrire de leur côté une histoire du pays qu’ils n’ont pas cessé d’habiter par l’étude et par la pensée, il y avait lieu de croire, n’est-il pas vrai ? […] Ils ont rapproché des travaux épars çà et là, et ils ont formé de ces détails une espèce de synchrétisme historique où la confusion des faits entassés produit quelque chose de très chinois, car cela manque entièrement de perspective et de cette clarté qui est la vie des livres écrits en français. […] S’il n’y avait ici qu’une préoccupation d’études, qu’une adoration de savant qui finit par faire une idole de l’éternel objet de sa pensée, nous trouverions cela touchant et assez frais, car la pensée a aussi son enfance comme la vie ; et, si ce n’était pas suffisant pour expliquer une admiration si naïve ou si profonde, nous penserions à ces moines du mont Athos qui finirent par voir la lumière incréée, à force de regarder attentivement leur ombilic. […] Enfin, comme intelligence de la race, ils prennent la mesure du plus fort cerveau chinois qui ait jamais existé, ils nous peignent en pied ce Confucius (Koung-fou-Tseu) qu’ils comparent, on ne sait trop pourquoi, à notre glorieux cardinal de Richelieu, lequel n’a pas grand’chose, pourtant, de ce quaker Oriental, dont la haute philosophie ressemble à une Civilité puérile et honnête… Et c’est ainsi qu’ils confirment, au lieu de la détruire, cette grande accusation portée contre la Chine par des esprits sévères auxquels des potiches et des porcelaines, et une originalité grotesque dans les arts et dans la vie, n’ont pas tout fait pardonner !

1663. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

L’auteur du Nouveau Code du Duel, ancien officier supérieur de cavalerie dans l’armée piémontaise, le comte du Verger de Saint-Thomas, qui, en matière de question d’honneur et de duel, a tout à la fois l’expérience et l’autorité, a voulu traiter et réglementer à sa manière ce difficile sujet du duel, si profondément ancré dans nos mœurs qu’il a résisté à toutes les législations, et même aux plus terribles… En ces derniers temps, le comte de Saint-Thomas a été précédé par le comte de Château-Villars, qui a écrit aussi un Code du Duel, et je crois bien que, dans l’avenir, il pourra être suivi de quelque autre codificateur encore ; car le duel, en France, a la vie assez dure pour enterrer plus d’une génération d’ambitieux codificateurs. […] Le point d’honneur devint tout l’honneur ; — et, pour peu qu’un homme mit bravement sa vie au bout d’une épée, il avait assez d’honneur comme cela… Ce n’était pourtant pas assez, en réalité, pour qui pense ; mais c’était l’illusion d’une race si profondément militaire qu’à ses yeux la magie du combat et d’un duel brillant couvre tout encore, fait trembler le châtiment sur la tête du coupable et empêche le mépris, même mérité ! […] Il faut lire dans le livre de Saint-Thomas tout cet édit de 1679, qui donne plus que n’importe quel acte de sa vie la mesure de la grandeur de Louis XIV… Jamais loi ne fut plus complète, plus largement assise, plus bâtie à chaux et à sable, à ce qu’il semblait, puisque c’était Louis XIV qui tenait la truelle ! […] Quand il s’agissait de l’honneur, on n’économisait pas sa vie, on ne la gardait pas pour le service exclusif du pays, et même en face de l’ennemi les officiers et les soldats de la République se battaient très bien entre eux, comme les officiers et les soldats de la Monarchie. […] Mais à une époque où le point d’honneur, qui s’obstine, a perdu néanmoins du rayonnement qu’il avait autrefois, et où l’argent, par exemple, cet instrument de toutes les jouissances et de toutes les corruptions, est plus fort que lui et règne en maître, l’amende peut-être, mais l’amende dans des proportions énormes et ruineuses, — car si elles n’étaient pas énormes l’amende ajouterait la vanité du luxe à la vanité du duel, — pourrait avoir l’efficacité si difficile à trouver et que la confiscation n’eut pas, dans un temps où l’exaltation du point d’honneur dominait toutes les autres considérations de la vie Seulement, qu’on y prenne garde !

1664. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

C’est un livre d’observation mâle et perçante, et, avec la très nette supériorité qu’il atteste, beaucoup plus élevé et beaucoup plus vrai dans son élévation que les idées actuelles, qui, dans la guerre comme partout, d’ailleurs, ne sont plus que le matérialisme envahissant et triomphant sous lequel, dans un temps donné, tout doit immanquablement périr de ce qui est la force et la gloire de la vie ! […] Il a toute sa vie trop touché à l’homme ; il l’a trop manié, trop commandé, surtout dans ces terribles moments où, sous la foudre du danger, il se déchire, s’entrouvre et se montre jusqu’aux racines de son être, pour ne pas le connaître à fond et pour ne pas appuyer sur cette connaissance impitoyable de la nature humaine un système de discipline qui doive la rendre héroïque, de lâche qu’elle est ordinairement devant la mort. L’auteur des Études sur le Combat excepte, il est vrai, un très petit nombre d’âmes, nées impassibles comme le bronze, et rares comme des aérolithes, car elles semblent venir directement du ciel ; mais cet homme de batailles, qui a pratiqué les batailles et qui n’est dupe d’aucune poésie faite après coup, ne croit guère aux héros que sous bénéfice d’inventaire, et sous l’action déterminée et décisive d’une discipline qui crée l’énergie et fait d’un homme cette force qu’on appelle un soldat… Observateur aiguisé par toutes les expériences de sa vie, le colonel Ardant du Picq sait que la puissance des armées est toujours en raison, non seulement directe, mais unique, de la puissance de leur discipline, et il le prouve, par tous les témoignages de l’histoire, chez les peuples que la guerre a le plus illustrés. […] « On domine par la guerre : il lui faut la guerre (à son heure, soit : ses chefs ont le tact de choisir le moment), et elle veut la guerre ; c’est dans son essence ; c’est une de ses conditions de vie comme aristocratie. […] L’avenir semble appartenir à la démocratie, mais, avant que cet avenir soit atteint par l’Europe, qui dit que la victoire, la domination, n’appartiendra pas un long temps à l’organisation militaire, qui périra ensuite faute d’aliments de vie quand, n’ayant plus d’ennemis extérieurs à vaincre, à surveiller, plus à combattre pour sa domination, elle n’aura plus sa raison d’être.

1665. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Les leveurs d’empreinte qui viendront après nous et qui voudront prendre le plâtre de cette grande Morte du xixe  siècle, de cette époque qui aura vécu dans la turbulence et dans l’inquiétude, trouveront sur son front deux caractères ineffaçables, à travers lesquels il sera toujours aisé de la reconnaître : — l’individualisme dans la vie morale, et, dans la vie intellectuelle, la fureur de généraliser. […] Pour cette raison, sans nul doute, la littérature anglaise, plus qu’aucune autre littérature, abonde en biographies, en vies historiques précises, tranchées, prises plus profond et plus fin que l’histoire même. […] Qui ne se rappelle qu’avec sa seule Vie de Nelson Robert Southey fixa définitivement sa fortune et sa gloire ? […] Mais il n’en était pas de même pour Jacques Cœur, Ce grand honnête homme de génie était aussi une haute et robuste vertu, et tranchait bien, par l’ordre de sa vie et la beauté de ses instincts, sur le sombre et sanglant repoussoir des vices et des crimes de son siècle.

1666. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Mais à cela près de cette boutade d’un poète, d’un hypocondriaque sublime, plus capricieux qu’une femme et qu’une nuée, on n’avait pas vu un esprit sérieux et honnête, ayant réfléchi seulement deux minutes sur ce qui constitue la beauté ou la grandeur de la vie, proclamer « le tout-puissant écu » comme la religion philosophique (deux mots qui s’étranglent !) […] Si, pour lui, l’Américain est le plus grand des peuples, le peuple modèle, que tous les autres devraient imiter, c’est qu’il recherche exclusivement « la monnaie », et que toute la vie des hommes et des femmes pivote sur ce « tout-puissant écu », le seul axe du monde moral ! […] Moins scrupuleuses, les Américaines ont accepté le type à titre universel, et c’est pour cela que j’en fais ici une propriété nationale de cet excentrique pays… » Et il ajoute, pour l’apaisement d’un scrupule : « Je ne veux pas dire que les Américaines répugnent au mariage et, occupant le côté officieux de la vie civile, se livrent par profession à l’exploitation de l’homme et changent en rapports de contrebande les relations légitimes des sexes… mais j’avoue que le divorce, sous le régime duquel elles vivent, peut, aux yeux de bien des gens, ressembler aux inconstances des Américaines de Paris… » Et, de fait, il a raison ; elles ont le divorce, les Américaines d’Amérique ! […] Le grand moraliste américain appelle cela : « Apprendre la vie ! […] est le seul but raisonnable de la vie.

1667. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

… Mais sans être madame de Sévigné, quelle femme n’a dans sa vie deux ou trois amoureux ridicules, deux ou trois de ces bonnes potiches à sentiment dont on ornemente son boudoir… et son amour-propre ?… Madame de Sévigné et ses amoureux, ces patiti qu’elle régalait de petites faveurs innocemment perverses, n’a donc rien à faire avec les femmes vertueuses pour de bon du xviie  siècle, avec ces saintes dont l’abbé Maynard, l’éminent auteur du Saint Vincent de Paul, nous écrit en ce moment la vie ; et si Hippolyte Babou, de cette main légère qui est la sienne, nous les môle à madame de Sévigné et à ses amoureux, dans son volume, comme des cartes à jouer qu’on fait se retrouver dans le même paquet, c’est que Babou, qui sait bien ce qu’il fait et qui ne fait que ce qu’il veut, ne veut être aujourd’hui qu’un faiseur de tours de cartes avec l’Histoire. […] Prude, en somme, sous ses airs de page, honnête toute sa vie sans que cela lui coûtât un sou d’effort pour le rester, coquette d’esprit, de coiffure, de corsage, de bras nus abandonnés, qui se donnaient à tous et qui n’ont jamais étreint personne, coquette même de maternité, madame de Sévigné résume en elle deux figures de Molière qui, dédoublées, font la femme française : Elmire et Célimène. […] Enfin, tant que dure cette liaison qui n’est ni chair ni poisson, ni amitié ni amour, et qui a duré la vie de Ménage, le sentiment va et vient de l’amour qu’on désespère à l’amitié qu’on agace ; et il en fut de même avec un bien autre homme que Ménage, avec Bussy, ce capitan, ce monsieur moi, disait Walpole ! […] Lui, l’auteur des Païens innocents, et d’une notice sur le président de Brosses qui est du paganisme coupable, voilà qu’il nous écrit avec le sentiment le plus catholique la vie d’une sainte, et avec la même aisance qu’il eût écrit celle de Ninon !

1668. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste [Le Pays, 24 août 1854.] […] Ces deux livres nous apprennent assurément beaucoup de choses piquantes sur Charles-Quint et les dernières années de sa vie, mais l’important, ils ne le disent pas ! […] Toute sa vie à Yuste donne de tels démentis au parti qu’il avait embrassé, qu’on crut plus d’une fois qu’il se repentait et que le vieux lion, pour ne pas étouffer, allait sortir de son antre ! […] Si le politique Charles-Quint, mi-parti d’Autrichien, de Flamand, de Bourguignon, et dont le génie, mêlé au génie de plusieurs races, était écartelé comme son blason impérial, si ce Charles-Quint ne fut pas un moine et ne songea jamais à l’être, malgré la piété très profonde de toute sa vie, l’Espagne était, elle, qu’on nous passe le mot, une nation moine (una monja), et tellement moine d’éducation, d’habitude et de préjugés, que c’est à l’influence de cette nation cloîtrée dans des mœurs religieuses comme il n’en avait peut-être existé nulle part, que Charles-Quint dut ces impulsions monastiques dont la philosophie a été la dupe, et qui étaient parfaitement contraires à la nature positive et tout humaine de son génie. […] Certes, quand un peuple a de pareilles légendes sur le plus grand et le plus absolu de ses monarques, on peut demander si, pour en expliquer la vie, il est loisible d’oublier l’action de ce peuple et de s’en tenir aux infiniment petits de l’anecdote et des détails personnels… ?

1669. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

Toute sa vie, à cette ravissante femme, ce fut un pastel qui brûlait… Et de tous les hommes, de tous les mauvais sujets du xviiie  siècle, elle aima le plus exécrablement aimable ; car il en fut le plus léger ! […] Pour mon compte, je ne connais point, dans tout le xviiie  siècle, un sentiment qui ressemble à l’amour de Madame de Sabran pour Boufflers, à cet amour malheureux qui, tout le temps de la durée de ses lettres et de sa vie, ne songe pas une seule fois à se reprendre à l’homme qui était véritablement pour elle le Destin… Les éditeurs de ces Lettres donnent à croire dans leur Notice que Madame de Sabran épousa le chevalier de Boufflers en émigration, mais cette fin de son triste roman ne dut rien changer à la nature d’un amour qui était la plaie immortelle d’un flanc qui saigne et qu’on lèche sans pouvoir la cicatriser, et que dis-je ? […] Mais je sais combien les hommes bons, et même les meilleurs dans l’habitude ordinaire de la vie, en amour peuvent être atroces. […] Les deux plis étaient faits, c’est-à-dire les deux blessures, le vase était imbibé… de larmes, et elle dut se débattre toute sa vie dans son sentiment pour cet homme aimé dont la grâce était la plus forte, comme dit Alceste de Célimène. […] … Ses deux enfants, seuls, passent comme deux ombres de lumière rose sur la contemplation éternelle qui est le fond noir de sa vie.

1670. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

quoique tous ces écrits portent à des degrés différents la marque de ce catholicisme qui finît par s’emparer complètement de Donoso Cortès, et le fît naître à force de le féconder, il saute aux yeux que les plus faibles catholiquement de ces écrits sont, au point de vue du talent seul, d’une faiblesse plus que relative… On voit clair comme le jour, à travers ces écrits, ce qu’aurait été toute sa vie Donoso Cortès, sans ce catholicisme maîtrisant et transfigurateur qui fut le ciel pour son talent. […] Il est conséquent à ce qu’on trouve partout, à mainte page de ses œuvres : « L’idéal de la vie, dit-il, c’est la vie monastique. […] V Nous avons dit que l’ouvrage principal de Donoso Cortès, le seul qui lui gardera dans la Postérité cette gloire à laquelle il ne tint point durant sa vie, était son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme, et c’est même le seul ouvrage régulièrement composé qu’il ait laissé parmi ses œuvres. […] Là il déposa tout son effort, toute sa force et sa vie presque.

1671. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Fatalité de la tête orgueilleuse de l’homme qui veut percer tous les mystères : la métaphysique est le jeu d’échecs, enchanté ou maudit, où celui qui y joue une fois est condamné à jouer toujours ; car la partie contre les problèmes de l’être et de la vie ne finit jamais ! […] La sienne, qui n’est pas la leur, produit l’effet le plus inattendu à ceux qui savent que cette variété d’athée était, de sentiment et de doctrine, le pessimiste le plus absolu qui ait jamais existé et qui avait inventé cette raison pour que l’homme ne fût pas supérieur au singe : c’est qu’il n’aurait pu résister à l’horreur de la vie… La morale de Schopenhauer, — bien trop philosophe pour ne pas accrocher à la caisse de son système les deux roues d’une esthétique et d’une morale qui devaient le faire mieux rouler, — l’incroyable morale de cet homme qui ne croit pas au devoir : « bon pour des enfants et les peuples dans leur enfance », est, le croira-t-on ? […] L’homme comprend que la réalité est une illusion, la vie une douleur ; que le mieux pour la volonté est de se nier elle-même, car du même coup tombent l’effort et la souffrance qui en est inséparable. Éclairée par la connaissance de ce monde, la volonté cesse son vouloir, ne veut plus vivre, et se libère par le parfait repos. » C’est l’histoire des fakirs aux Indes, qui passent leur vie à se regarder le bout du nez, pendant que les oiseaux font leurs nids et tout ce qu’ils veulent sur leurs têtes immobiles. […] Ce que nous aurions voulu, c’est le chamfortiste sur les femmes, sur l’amour, sur la vie réelle, sur le monde, le moraliste plutôt que le métaphysicien, le Français plutôt que l’Allemand, et surtout l’Allemand livré à ses arabesques métaphysiques, aussi vaines que celles du bâton d’un fou dans les airs !

1672. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Lorsque, depuis plus de six mois, nous tournons, comme des hannetons, ivres, autour d’un livre unique : la Vie de Jésus, par Renan, et lorsque d’autres écrivains d’une initiative attardée se mettent à pondre à leur tour leurs Vies de Jésus, il est bien évident que l’homme d’esprit qui, en s’y prenant comme il voudra, fera cesser cette vieille et fatigante querelle dont la France intellectuelle est presque fourbue, aura rendu à tout le monde un fameux service ! […] Il est clair, en effet, que s’il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de Fils de Dieu, et qu’alors les Vies de Jésus sont des pléonasmes grossiers. […] Nul moyen donc pour Caro d’éviter l’inévitable auteur de la Vie de Jésus. […] En d’autres termes plus sérieux, nous nous disions, et nous avons toujours pensé, que l’existence de Dieu, créateur du monde, sa providence dans l’histoire, et l’immortalité de l’âme, ces trois vérités de bon sens et d’instinct, n’étaient pas — du moins telles que l’école du spiritualisme moderne a l’habitude de les poser — absolument tout ce qu’il fallait pour apaiser les esprits noblement affamés de certitude, et, ce qui importe bien davantage, pour s’emparer impérieusement de la direction morale de la vie.

1673. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Il jouissait, sybarite intellectuel, de la vie et de la pensée dans son rayonnement solitaire, sans se préoccuper le moins du monde de la longueur de ses rayons. […] Au début de sa vie, il avait publié cette chanson ou cette romance de L’Hirondelle : Hirondelle gentille, Voltigeant à la grille Du cachot noir… etc. […] On l’attribua à Maurice Saint-Aguet, un poète étranglé par la vie, cette étrangleuse de poètes ! […] Sa Muse est née à la même place que la Muse d’Hégésippe Moreau, qui eut aussi l’impérissable accent gai au milieu de toutes les misères de sa vie. […] Et partout, partout, c’est ainsi, en cette masse de poésies entassées dans ce volume qui déborde, et où l’auteur nous a donné toute sa vie poétique en une fois.

1674. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

En publiant le Traité de l’Amour, c’est à ces esprits qu’il s’est associé, et il s’y est associé davantage en confiant à Paulin Limayrac le soin d’apprécier le livre de Stendhal et de nous parler de la vie de l’homme, pour le caractériser et nous faire mieux connaître le talent de l’observateur. […] Mais une fois mort, la Justice, qui est encore, je crois, plus boiteuse que la Prière, atteint enfin ce mausolée immobile, et le douloureux logogriphe de la vie qui n’avait pas de sens trouve enfin son mot quand la vie n’est plus ! […] Quoiqu’il n’ait pas eu à se plaindre de la destinée autant que bien d’autres, plus grands que leur vie, qui passent lentement, qui passent longtemps, qui vieillissent, leur chef-d’œuvre à la main, sans que les hommes, ces atroces distraits, ces Ménalques de l’égoïsme et de la sottise, daignent leur aumôner un regard ; quoique son sort, matériellement heureux, n’ait ressemblé en rien à celui, par exemple, du plus pur artiste qu’on ait vu depuis André Chénier, de cet Hégésippe Moreau qui a tendu à toute son époque cette divine corbeille de myosotis entrelacés par ses mains athéniennes, comme une sébile de fleurs mouillées de larmes, sans qu’il y soit jamais rien tombé que les siennes et les gouttes du sang de son cœur, Beyle, de son vivant, n’eut pas non plus la part qui revenait aux mérites de sa pensée. […] Une fois dans sa vie, dans sa jeunesse encore, quand les hommes de génie se grisent d’eux-mêmes et sont comme les Bacchantes de leurs propres facultés, il voulut procéder de Rabelais qu’il appelait son maître, et il fit un livre dans lequel il l’égala, ces Contes drolatiques 2 qui n’eurent aucun succès, comme l’Amour de Beyle, et qu’un éditeur courageux, Giraud, vient aussi de rééditer.

1675. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

… Toujours est-il que cette fulminante sensitive qui se rétracte en lui, avec la furie du dégoût, au moindre contact des mains canailles qui à cette heure s’allongent partout et manient tout avec de si indignantes familiarités, se montre aussi parisienne épanouie, dans La Vengeance de Madame Maubrel 27, qu’on l’est dans La Vie parisienne, par exemple, où l’on eût pu très bien publier ce livre si complètement parisien de langage, et qui n’aurait troublé en rien les habitudes de la maison. […] C’est que ce mari, un libertin qui a toute sa vie pratiqué l’inconstance, montre à la main, pour aller plus vite, retourne à ses libertinages… Est-ce assez plat, assez commun, assez parisien, ce dénouement, et assez indigne de Xavier Aubryet, l’auteur des Patriciennes de l’amour !! […] Depuis longtemps, il est tombé de la préoccupation publique par morceaux… Quant à Balzac, qui nous donna tant de choses sur Paris et sur ses mœurs, grandes ou petites, aristocratiques ou canailles, il y mêla de si grandes choses, d’une telle généralité de nature humaine et de pathétique universel, que la préoccupation parisienne, qui l’aurait rapetissé comme un autre si elle avait été seule, disparaissait même dans ses Scènes de la vie exclusivement parisienne, mises en regard des autres Scènes qu’il a tracées avec ce génie et cette volonté encyclopédiques qui devaient embrasser tout entier le monde de son temps. […] Mais pour ce grand homme sans critique, qui ne sut jamais se juger et qui se prit toujours de travers, la grande vie et la grande gloire ne seront pas où il les mettait. […] sa grande vie dans l’avenir et sa grande gloire, ce sera d’avoir créé des caractères et fouillé l’âme qui est infinie jusque dans ses dernières profondeurs, et cela sans petite couleur locale de temps et d’espace, et dans des langages immortels comme l’esprit humain !

1676. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

Dans le Palais du Gin, à côté des mésaventures innombrables et des accidents grotesques dont est semée la vie et la route des ivrognes, on trouve des cas terribles qui sont peu comiques à notre point de vue français : presque toujours des cas de mort violente. […] Pourtant il a, même à cette époque, fait de grandes lithographies très-importantes, entre autres des courses de taureaux pleines de foule et de fourmillement, planches admirables, vastes tableaux en miniature, — preuves nouvelles à l’appui de cette loi singulière qui préside à la destinée des grands artistes, et qui veut que, la vie se gouvernant à l’inverse de l’intelligence, ils gagnent d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre, et qu’ils aillent ainsi, suivant une jeunesse progressive, se renforçant, se ragaillardissant, et croissant en audace jusqu’au bord de la tombe. […] Je voudrais que l’on créât un néologisme, que l’on fabriquât un mot destiné à flétrir ce genre de poncif, le poncif dans l’allure et la conduite, qui s’introduit dans la vie des artistes comme dans leurs œuvres. D’ailleurs, je remarque que le contraire se présente fréquemment dans l’histoire, et que les artistes les plus inventifs, les plus étonnants, les plus excentriques dans leurs conceptions, sont souvent des hommes dont la vie est calme et minutieusement rangée. […] Il y a dans l’idéal baroque que Brueghel paraît avoir poursuivi, beaucoup de rapports avec celui de Grandville, surtout si l’on veut bien examiner les tendances que l’artiste français a manifestées dans les dernières années de sa vie : visions d’un cerveau malade, hallucinations de la fièvre, changements à vue du rêve, associations bizarres d’idées, combinaisons de formes fortuites et hétéroclites.

1677. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire ; mais si l’éloquence consiste à s’emparer fortement d’un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l’étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentiments aux sentiments, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres ; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l’âme, à l’étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l’oreille par une harmonie majestueuse, à n’avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment, à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s’élancer, à s’élever, à descendre, s’élever encore, imitant la nature, qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l’ordre de l’univers par le désordre même ; si tel est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet ? […] D’ailleurs les hommes ordinaires n’ont point de trône à perdre ; mais leur intérêt ajoute à leur pitié, quand un exemple frappant les avertit que leur vie n’est rien. […] Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine ; pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros !  […] Heureux si, averti par ces cheveux blancs, du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d’une voix qui tombe, et d’une ardeur qui s’éteint. » Dans cette péroraison touchante, on aime à voir l’orateur paraître, et se mêler lui-même sur la scène. […] Qui mieux que lui a parlé de la vie, de la mort, de l’éternité, du temps ?

1678. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

La caricature ici n’est plus perpétuelle comme dans les histoires fantastiques de tout à l’heure, elle entre et se joue avec proportion à travers les scènes de la nature et de la vie. […] Cooper lui-même, dans son roman de la Prairie, voulant peindre un homme des villes qui s’est volontairement reporté à la vie des bois, est fidèle à la vérité lorsqu’il unit d’amitié le trappeur à sa carabine. […] « Durant ces vingt années d’usage régulier, ce bâton ne s’est pas raccourci de trois lignes : preuve de la finesse de sa substance, gage de la longue vie qui l’attend. […] Lui-même, dans sa vie, il va éprouver quelque chose de semblable. […] dans cette vie, y aurait-il lieu vraiment à la moindre rouille pour l’esprit, pour le goût ?

1679. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

La vie de Joinville est inconnue jusqu’à l’époque où il accompagna saint Louis dans sa première croisade. […] Sa vie même est celle qu’on menait à cette époque ; une vie d’aventures, qui commence par une jeunesse romanesque. […] Si ses poésies ne mentent pas, cette fois il ne prit pas la vie légèrement. […] Cette dure vie de nos pères trouble nos nerfs ; cette facilité à mourir offense notre tendresse pour la vie ; et ce chroniqueur, qui n’a jamais pleuré, nous intéresse aux malheurs de son temps, comme à des dangers auxquels nous aurions échappé. Sur la fin de sa vie, son imagination ayant perdu de sa vivacité et sa raison s’étant fortifiée, il laisse voir quelque intention de juger les choses qu’il raconte.

1680. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Il se vante toute sa vie d’avoir été invité par lord Ribstone. […] L’instruction continue et dure autant que la vie d’Arthur. […] Ses souvenirs lointains, débris mutilés d’une vie oubliée, ont un charme extrême ; on redevient enfant avec lui. […] J’ai été baptisé dans la religion dont votre père canonisé a donné pendant toute sa vie un si éclatant exemple. […] Celui qui l’ignore ignore la vie ; celui qui n’en a pas joui n’a pas senti la plus haute faculté de l’âme.

1681. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il faudrait, pour son honneur, lui retrancher les douze dernières années de sa vie active. […] Il en tire, selon son habitude, l’occasion d’une petite moralité à l’usage des capitaines ses compagnons qui lui feront l’honneur de lire sa vie : l’important, c’est de chercher dès ses débuts à montrer ce qu’on vaut et ce qu’on peut faire ; ainsi les grands et chefs vous connaissent, les soldats vous désirent et veulent être avec vous, et par ce moyen on a toute chance d’être employé : « Car c’est le plus grand dépit qu’un homme de bon cœur puisse avoir, lorsque les autres prennent les charges d’exécuter les entreprises, et cependant il mange la poule du bonhomme auprès du feu. » M. de Lautrec, à la première occasion, donne à Montluc une compagnie ; celui-ci n’avait guère que vingt ans. […] Montluc s’en revient à pied pendant la plus grande partie du chemin, continuant de porter son bras en écharpe, « ayant plus de trente aunes de taffetas sur lui, parce qu’on lui liait le bras avec le corps, un coussin entre deux ; souhaitant la mort mille fois plus que la vie, car il avait perdu tous ses seigneurs et amis qui le connaissaient. » Il rentre en sa maison, est deux ou trois ans à s’y guérir, et plus tard, quand la guerre se réveille et qu’il reprend le service, il croit avoir tout à faire et à recommencer sa carrière comme le premier jour. […] Il est content quand il peut dire dans une de ces marches hardies : « C’était une belle petite troupe que la nôtre. » Dans les guerres de Piémont, sous le maréchal de Brissac, il avait extrait de sa compagnie, qui était dans une garnison, trente-quatre soldats qui avaient des morions ou casques jaunes (car il avait éprouvé le bon effet, sur le moral, de ces marques distinctives), et qui étaient renommés sous ce nom : « Tant qu’il y aura mémoire d’homme qui fut alors en vie, écrivait-il vingt ans après avec orgueil, il se parlera en Piémont des braves morions jaunes de Montluc : car, à la vérité, ces trente quatre en valaient cinq cents, et me suis cent fois étonné de ce que ces gens firent lors : je pouvais bien dire que c’était petit et bon11. » Je ne voudrais pas avoir l’air de restreindre les mérites et la portée de Montluc. Qui sommes-nous dans le cabinet pour ainsi trancher à l’aise du mérite de ceux dont le sang se verse à chaque instant et dont la vie n’est qu’un continuel sacrifice ?

1682. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Gœthe répondait : « Les extrêmes et les déviations dont je parlais disparaissent peu à peu, et il ne reste que l’avantage d’avoir conquis et une forme plus libre et un fonds plus riche et plus varié ; on n’excluera plus les sujets comme anti-poétiques, on pourra les prendre partout dans le monde et dans la vie. […] Mais cette vie ne m’était pas possible ; ce n’était pas là mon rôle, c’était celui de Théodore Kœrner. […] Ce qui ne m’arrivait pas dans la vie, ce qui ne me brûlait pas les ongles, ce qui ne me tourmentait pas, je ne le mettais pas en vers, je ne l’exprimais pas. […] Sa vie était tout entière dans la passion de chaque jour, et il ne savait pas ce qu’il faisait. […] Sa vie fut celle d’un demi-dieu qui marchait de bataille en bataille et de victoire en victoire.

1683. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Cependant le page Brunamont s’accommode peu de voir son maître jeter son oiseau au vent et détacher de son cou sa trompe ; il rattrape l’oiseau, ramasse la trompe, et s’en va offrir ses services à Madeleine, l’autre sœur de Lazare, bien différente de Marthe, et qui mène joyeuse et galante vie en son château de Magdalon. […] Elle ignore encore le changement de vie de Lazare et se pique de le prendre pour modèle en toute mondanité. […] En la rapprochant du même type conçu au xiie  siècle, tel qu’on le trouve dans un drame liturgique d’un latin farci, où elle est présentée comme une pécheresse vulgaire et une femme de mauvaise vie, baragouinant du mauvais allemand et chantant du latin grossier, on distinguerait un progrès notable de délicatesse. […] Madeleine se célèbre elle-même et sa manière de vivre : « Gracieuse aux uns, aux autres rieuse, jamais je ne me tiens à un seul », dit-elle ; et ses suivantes de l’approuver et de l’applaudir : Vous ne devez point avoir honte De recevoir en votre hôtel Tout homme, pourvu qu’il soit tel Que par lui vous n’ayez diffame pourvu que vous n’en soyez pas compromise. — C’est déjà la maxime relâchée du joli conte de Gertrude, par Voltaire : Les plus honnêtes gens y passèrent leur vie ; Il n’est jamais de mal en bonne compagnie. […] En ce sens, notre vieux Mystère a quelque chance de ne pas être tout à fait oublié : en faisant bon marché de l’œuvre comme art, comme élévation, comme composition, on pourra toujours le consulter pour ces quelques scènes, quand on voudra donner une idée fidèle et piquante de la vie de salon, des habitudes et du ton de la société galante et déjà polie au xve  siècle.

1684. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Tous les prophètes, à sa suite, prédisent et dépeignent à l’avance ce mystère du Messie, et non seulement ils étaient les prophètes de Jésus-Christ, ils en étaient la figure par diverses circonstances de leur propre vie. […] Il s’arrête pour contempler et démontrer cet accord parfait en toute la personne du Sauveur, dans sa vie, dans sa doctrine, dans ses miracles. […] La vie de Jésus, le scandale qu’il cause par sa prédication et sa vertu même, l’attentat commis en sa personne par la Synagogue, sa condamnation et son supplice, sont résumés en une page touchante : « Le Juste est condamné à mort : le plus grand de tous les crimes donne lieu à la plus parfaite obéissance qui fut jamais. » — Autant j’ai pu paraître en garde précédemment, autant je dirai ici en toute conviction que ces pages admirables par la simplicité et la beauté morale de l’expression sont en bonne partie vraies, de quelque côté qu’on les envisage. […] A force de poursuivre tous les perfectionnements qu’a apportés l’Évangile dans la vie humaine et de pousser à bout toutes les conséquences de Jésus-Christ telles qu’il les comprend et qu’il les aime, il excède et il sort de toutes les proportions de l’histoire ; il est dans le dogme, il entre dans les mystères mêmes de la vie future et des récompenses destinées aux élus. […] Ainsi ce Mithridate qui fournit matière à un si beau chapitre chez Montesquieu, n’est pas même nommé chez Bossuet. — A propos du Droit romain, des lois romaines qui ont paru si sages et si saintes que leur majesté a survécu à la ruine même de l’Empire, Bossuet a ce beau mot, souvent cité : « C’est que le bon sens qui est le maître de la vie humaine « y règne partout. » La fin de cette troisième partie peut paraître brusquée.

1685. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Les cinq derniers mois de la vie de Racine97 Lundi 16 août 1866. […] Vuillart (c’est le nom de cet humble ami), nous avons quelques détails de plus, parfaitement authentiques, sur les derniers mois de la vie de Racine, sur les circonstances de sa mort et sur ce qui suivit. […] Je ne m’exagère point l’importance de ces détails dont la plupart ont passé dans la Vie de Racine écrite par son fils ; mais, si l’on n’y doit rien trouver de tout à fait neuf, on sentira du moins une pure et douce saveur originale, je ne sais quel charme d’honnêteté parfaite et d’innocence. […] Après être remonté jusqu’à l’aïeul et bisaïeul du coté de père et de mère, il a suivi Racine pas à pas dès sa naissance, dès son enfance, l’a accompagné dans le cours de ses études, l’a épié et surpris dans ses premiers divertissements, a insisté (et même avec surcroît) sur ses moindres relations de cousinage, les premières occasions prochaines de sa dissipation, et n’a rien laissé passer de vague ni d’indécis, pas plus dans sa vie de famille que dans sa carrière poétique : il a tiré à clair les amours de théâtre et les querelles littéraires. […] Il est en danger, mais si bien disposé qu’il témoigne plus craindre le retour de la santé que la fin de sa vie. — « Je n’ai jamais eu la force de faire pénitence, disait-il confidemment le dernier jour à une personne.

1686. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Acteur consommé, M. de Talleyrand, plus encore qu’aucun autre auteur de Mémoires, aura écrit pour colorer sa vie, non pour la révéler ; s’il avait l’à-propos en tout et savait ce qu’il faut dire, il savait encore mieux ce qu’il faut taire. […] Mais ce n’est point la vie de M. de Talleyrand que sir Henry Bulwer a eu dessein de retracer ; il a choisi exclusivement l’homme public, et chez celui-ci les principaux moments, et pas tous ces moments encore au même degré. […] Disgracié dès lors, jugé impropre au service militaire et à la vie active, sa famille le traita en cadet, le destitua formellement de son droit de primogéniture, et le condamna à l’état ecclésiastique. […] M. de Talleyrand, sommé peu après par le pape de revenir à résipiscence sous peine d’excommunication (et il faut convenir qu’il ne l’avait pas volé) se le tint pour dit, et quitta décidément l’Église pour embrasser la vie séculière. […] Nous reviendrons prochainement, guidé toujours par sir Henry Bulwer, mais un peu moins indulgent que lui, sur cette vie et ce personnage à triple et quadruple fond.

1687. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

La plainte, le désir infini, l’espoir, en cette vie humaine toujours gênée, avaient besoin de se raconter au cœur, de s’articuler plus nettement que par de purs sons qui trop vite échappent. […] La cristallisation régulière fut troublée ; elle l’est toujours dans la vie, dans la grande histoire comme dans la petite. […] Si la vie est le but, pourquoi donc sur les routes Tant de pierres dans l’herbe et d’épines aux fleurs ; Que, pendant le voyage, hélas ! […] Cette donnée de la tradition a été surtout empruntée par Chénier à la fabuleuse Vie d’Homère, attribuée à Hérodote, et à l’Hymme d’Apollon, attribué à Homère lui-même. […] Vie d’Homère, attribuée à Hérodote.

1688. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

Sous le perpétuel écoulement de notre vie phénoménale, qu’est-ce que ce moi qui se dérobe ? […] Échappant aux influences du monde et du collège, nos poètes se trouvèrent affranchis de cette crainte du ridicule, qui paralyse toutes les originalités dans la vie mondaine, et dotés sur les petits secrets de l’art d’écrire de certaines ignorances favorables à la spontanéité de l’expression. […] Il établissait que « tout ce qui est dans la nature est dans l’art » : ainsi le romantisme devenait un retour à la vérité, à la vie. […] La religion, jadis, drainait, canalisait dans la vie individuelle et dans le domaine littéraire, l’émotion et la pensée métaphysiques : quand, par le progrès de la philosophie, elle a cessé de faire son office pour les classes supérieures de la nation, alors tous les sentiments qu’elle enfermait dans certains actes de la vie et certains genres de littérature, ont inondé toute la vie et toute la littérature.

1689. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Il a pu sembler à des jugeurs rapides, à des magistrats, que sa vie ait compté des défaillances graves, parfois même criminelles. […] Et il songea — non, il n’y songea point mais tout se passe comme si… il songea à mettre sa vie dans ses vers. […] Tant que des cœurs sensibles et délicats se heurteront à la femme et à la vie, le poète de Dalila et de La Maison du Berger aura ses fidèles. […] Et aussi longtemps qu’il naîtra des passionnés, des chrétiens, des âmes malades, et qui guérissent et qui retombent, des amoureux de la vie, c’est-à-dire ceux à qui elle donne ses caresses accidentelles et ses contusions chroniques, aussi longtemps il demeurera des confidents et des dévots de Paul Verlaine. […] « C’en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui c’est le premier pas de sa course. » Autre truisme erroné.

1690. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Sous ce titre de Raphaël, M. de Lamartine a détaché de ses Confidences l’événement le plus considérable de sa jeunesse, ce grand événement de cœur qu’on n’a qu’une fois, et qui, dans la sphère de la sensibilité et de la passion, domine toute une vie. […] Après tout, ôtez le ciel d’Italie et le costume de Procida, ce n’est qu’une aventure de grisette, embellie et idéalisée par l’artiste, élevée après coup aux proportions de la beauté, mais une de ces aventures qui ne laissent que trop peu de traces dans la vie, et qui ne se retrouvent que plus tard dans les lointains de la pensée, quand le poète ou le peintre sent le besoin d’y chercher des sujets d’élégie ou de tableau. […] Je l’avais observé sans penser que cette voix tinterait si profond et à jamais dans ma vie. […] » Et, si épris, si enivré que fût son amant, il ne s’exprimait point encore alors comme il fait aujourd’hui : J’ouvrais les bras à l’air, au lac, à la lumière, comme si j’eusse voulu étreindre la nature et la remercier de s’être incarnée et animée pour moi dans un être qui rassemblait, à mes yeux, tous ses mystères, toute sa bonté, toute sa vie, tout son enivrement ! […] Et encore : Il y avait dans nos âmes assez de vie et assez d’amour pour animer toute cette nature, eaux, ciel, terre, rochers, arbres, cèdre et hysope, et pour leur faire rendre des soupirs, des ardeurs, des étreintes, des voix, des cris, des parfums, des flammes, etc., etc.

1691. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Nous avons vu de nos jours un homme de vertu pratique, d’intégrité et de foi, un archevêque de Paris comme l’était Retz, sincèrement ému des malheurs et des erreurs du peuple et de la dissension civile, aller droit avec simplicité au danger, ouvrir les bras et donner sa vie pour le bien de tous : et Retz, retiré vers la fin des troubles dans son cloître Notre-Dame, retranché à l’ombre des tours de sa cathédrale, et abrité, comme il disait, sous le chapeau, hésitait, avec toutes ses lumières et ses générosités mondaines, à faire un acte public qui hâtât l’issue et mît fin à la souffrance universelle. […] Ce n’est, monseigneur, ni votre pourpre, ni la splendeur ou les couronnes de votre maison, c’est quelque chose de plus grand, c’est vous-même, c’est votre vertu qui m’a lâché, et ces liens ne peuvent se rompre, qu’on ne perde ou la vie ou la raison. […] Il gardera son équipage en faveur de sa pourpre ; je suis persuadée avec joie que sa vie n’est point finie. […] Mme de Sévigné conseillait à sa fille de lui écrire également à ce sujet et de rentrer par là en correspondance avec lui : « Quand vous aurez écrit cette première lettre, croyez-moi, ne vous contraignez point ; s’il vous vient quelque folie au bout de votre plume, il en est charmé aussi bien que du sérieux : le fond de religion n’empêche point encore ces petites chamarrures. » C’était mieux pourtant ou pis que des chamarrures que les Mémoires où se complaisait en secret le cardinal de Retz, et qu’il venait d’achever à cette date, pour obéir à Mme de Caumartin, qui lui avait demandé le récit de sa vie. […] Il nous suffit que plusieurs de ses contemporains, et qui l’approchaient de près, aient paru croire à sa persuasion finale du christianisme et d’une autre vie, pour nous imposer la réserve et le respect sur ce point suprême.

1692. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Bossuet ne repousse point les lueurs ni les secours de l’antique philosophie, il n’y insulte point ; selon lui, tout ce qui achemine à l’idée de la vie intellectuelle et spirituelle, tout ce qui aide à l’exercice et au développement de cette partie élevée de nous-mêmes, par laquelle nous sommes conformes au premier Être, tout cela est bon, et toutes les fois qu’une vérité illustre nous apparaît, nous avons un avant-goût de cette existence supérieure à laquelle la créature raisonnable est primitivement destinée. […] Il faut citer ce passage d’une souveraine beauté : Qui voit Pythagore ravi d’avoir trouvé les carrés des côtés d’un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces ; qui voit Archimède attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger ; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle, et d’être la vie de Dieu ; mais (surtout) qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels : qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse. […] Havet, nous autres, hommes d’aujourd’hui, nous sommes, dans notre façon d’entendre la vie, plus raisonnables que Pascal ; mais, si nous voulons pouvoir nous en vanter, il faut être en même temps, comme lui, purs, désintéressés, charitables. »   75.

1693. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

La Révolution vint interrompre cette vie qui était déjà si pleine, et où s’annonçaient des goûts si divers. […] Ces qualités de persévérance, d’attention, de curiosité, et presque d’attachement pour son sujet, qui mènent un habitant de la campagne à passer les journées et une partie des nuits en sentinelle pour observer, sans les effaroucher, ces petits insectes, ne diffèrent pas essentiellement de celles qui dirigent le biographe attentif dans les bibliothèques et à travers les livres, à la piste des moindres faits qui peuvent éclairer l’âme et la vie d’un écrivain préféré. […] Walckenaer, qui est resté modèle dans cette forme développée et pourtant limitée encore, est l’Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine (1820). […] Walckenaer publia en 1840 un ouvrage dont le sujet est cher à tous ceux qui ont retenu quelque chose des études de l’Antiquité, une Histoire de la vie et des poésies d’Horace, en deux gros volumes. […] Les Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné commencèrent à paraître en 1842, et l’auteur, je l’ai dit, corrigeait hier de sa main mourante les épreuves du cinquième volume, qui en demandait un sixième encore.

1694. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

Ponticus, célèbre par le vers épique, Bassus par l’ïambe, furent les compagnons de ma vie. […] Des actes odieux d’Octave, des actes de tyran ou plutôt de bourreau, en souillant ses mains, ne flétrirent pas son nom, et n’empêchèrent pas que, lorsque son ambition assouvie se contenta de l’obéissance, sans prendre les biens et la vie, une acclamation de reconnaissance s’éleva presque dans tout l’empire. […] « Régulus, et les deux Scaurus, et Paul Emile, prodigue de sa glorieuse vie devant le Carthaginois vainqueur, voilà ce que ma reconnaissance redira dans des vers célèbres, et avec eux Fabricius ; « Et lui, et Curius aux cheveux hérissés, la rude pauvreté les enfanta pour la guerre, sur le petit domaine et près du foyer de leurs pères. » Le poëte d’Auguste n’a pas craint ces grandes images, usurpées par l’empire avec l’ancienne gloire de Rome. […] Il fallait oublier beaucoup de la vie première d’Auguste ; et ce qu’on pouvait louer dans la suite avait plus d’utilité que d’éclat : c’était le repos dans la servitude. […] ce petit tableau d’impudence conjugale qu’il trace en quelques vers, cette femme qui se lève de table, à l’ordre du riche et du puissant, non sans la connivence du mari, rappellera trait pour trait une anecdote de la vie d’Auguste189, du pieux réformateur qu’Horace avait entrepris de célébrer.

1695. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Elle aurait pu nous coûter la vie nationale. […] C’est la vie et c’est le salut. […] Aussi son temps lui fit-il la vie dure. […] La prolongation de la vie humaine pourrait être le critérium d’un progrès ; mais il est reconnu que l’industrialisme raccourcit le temps de la vie humaine. […] … — la vie industrielle les défait.

1696. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

Le premier livre contient la vie d’Abélard, les livres suivants sont consacrés à l’analyse et à l’examen de sa philosophie, et deviennent indispensables à l’étude de la scolastique dont ils donnent la clef. […] Mais ce que tous les esprits sérieux liront avec intérêt, c’est le livre qui retrace la vie et le caractère d’Abélard. […] Ces deux cent cinquante pages qui composent la vie d’Abélard suffisent pour classer le livre de M. de Rémusat, quand même le reste serait aussi difficile à étudier qu’un traité de géométrie ou d’algèbre, et que la scolastique elle-même.

1697. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

De votre vie aussi la page est blanche encore, Je voudrais la remplir d’un seul mot : le bonheur. Le livre de la vie est un livre suprême, Que l’on ne peut fermer ni rouvrir à son choix, Où le feuillet fatal se tourne de lui-même ; Le passage attachant ne s’y lit qu’une fois : On voudrait s’arrêter à la page où l’on aime, Et la page où l’on meurt est déjà sous les doigts. […] On peut être embarrassé de peindre le caractère du peuple athénien, et de résumer en quelques traits l’histoire du paysan français, tandis que l’on se tirerait convenablement du portrait du vieillard Dêmos ou de la vie de Jacques Bonhomme.

1698. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « De la peinture. A propos d’une lettre de M. J.-F. Raffaëlli » pp. 230-235

Raffaëlli à Jersey ; l’entretien vint à porter sur les articles que l’on a pu lire dans la Vie Moderne ;  ils se résumaient en somme en une prédilection marquée pour les peintres émotifs, si l’on peut dire ainsi, les peintres donnant une émotion de couleur, et pour leur représentant, M.  […] « La critique du Salon dans la Vie Moderne, dit M.  […] Si l’on se reporte pour la comprendre pleinement à l’étude sur le beau caractéristique qui se trouve à la tête du catalogue déjà cité, on verra qu’en somme M.Raffaëlli, à travers d’ailleurs bien des obscurités et des longueurs, écartant les désignations de classicisme, de réalisme, de romantisme et de naturalisme, posant en principe » qu’esthétiquement toute époque a une notion particulière du beau, que socialement notre époque est caractérisée par un épanouissement, complet de l’individualisme et de l’égalité, qu’ainsi l’unité humaine autonome et libre est le facteur principal de notre vie sociale, on arrive à cette page d’un grand souffle sur la nécessité où est la peinture de travailler à représenter l’homme et toutes sortes d’hommes.

1699. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Si ma poitrine hérissée blesse ta vue, j’ai du bois de chêne, et des restes de feux épandus sous la cendre ; brûle même (tout me sera doux de ta main), brûle, si tu le veux, mon œil unique, cet œil qui m’est plus cher que la vie. […] Oui, je te porterais ou des lis blancs, ou de tendres pavots à feuilles de pourpre : les premiers croissent en été, et les autres fleurissent en hiver ; ainsi je ne pourrais te les offrir en même temps… C’était de la sorte que Polyphème appliquait sur la blessure de son cœur le dictame immortel des Muses, soulageant ainsi plus doucement sa vie, que par tout ce qui s’achète au poids de l’or. […] La lettre A ayant été découverte la première, comme étant la première émission naturelle de la voix, les hommes, alors pasteurs, l’ont employée dans les mots qui composaient le simple dictionnaire de leur vie.

1700. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface »

De même, parce qu’on est habitué à se représenter la vie sociale comme le développement logique de concepts idéaux, on jugera peut-être grossière une méthode qui fait dépendre l’évolution collective de conditions objectives, définies dans l’espace, et il n’est pas impossible qu’on nous traite de matérialiste. […] Il arrive sans cesse qu’une chose, tout en étant nuisible par certaines de ses conséquences, soit, par d’autres, utile ou même nécessaire à la vie ; or, si les mauvais effets qu’elle a sont régulièrement neutralisés par une influence contraire, il se trouve en fait qu’elle sert sans nuire, et cependant elle est toujours haïssable, car elle ne laisse pas de constituer par elle-même un danger éventuel qui n’est conjuré que par l’action d’une force antagoniste. […] Il reste donc que, sans produire le mal qu’il implique, il soutient avec les conditions fondamentales de la vie sociale les rapports positifs que nous verrons dans la suite.

1701. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Quand on a parlé du livre retrouvé de Balzac sur la vie élégante5, comment ne pas penser à un esprit charmant qui a écrit aussi autrefois une Théorie de l’élégance, véritable travail de fée que n’ont point oublié ceux qui aiment toute cette dentelle métaphysique ? […] C’est encore de la vie élégante que ces livres ; mais ce n’en est plus la théorie : c’en est l’histoire. […] Ce sont les hommes comme Eugène Chapus qui pourraient créer dans notre pays ce genre spécial de littérature, à laquelle Balzac préludait si grandement dès 1830 par son Traité de la vie élégante.

1702. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Si chacun peut en dire autant de soi, cela ira bien pour tous. »‌ Vous voyez comment il faudrait très légèrement transformer la phrase pour qu’un de ces grands individus, que Taine traite de fous furieux, la reprît : « Nous ne pouvons pas tous servir l’humanité de la même façon… Marc-Aurèle, Spinoza, Gœthe, c’est très bien… accepter les lois de la nature, c’est parfait… Mais contrarier la nature, l’exalter, c’est un magnifique dressage… » Les grands hommes que je viens de citer sont des forces conservatrices ; elles s’efforcent de maintenir ; elles pourraient enrayer le mouvement vers l’inconnu, qui est la vie même. […] « Le soir de Wagram, a le droit de dire un Bonaparte, j’étais si fatigué que je suis tombé de sommeil, que j’ai dormi couché tout de mon long dans un sillon : j’étais la semence d’une admirable moisson de dévouements, de belles volontés, d’un lyrisme jusqu’alors inconnu… »‌ En vérité, la vie morale embrasse plus de choses que cet homme savant et vénérable n’en reproduisait en lui. […] Reconnaissons bien haut la maîtrise de cet homme et comment sa conception de la .Révolution (qui est une vue incomplète, qui d’autre part déjà avait été élaborée par Tocqueville) est un des grands événements de notre vie mentale.‌

1703. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

Les législateurs de l’Égypte eurent les premiers l’idée d’attacher l’homme fortement à quelque chose qui lui survive, et de l’intéresser encore quand il ne serait plus ; ils virent que l’opinion reste sur la terre, quand l’homme en disparaît, et qu’elle porte à travers les siècles, la renommée et le mépris ; ils soumirent donc l’opinion à la loi : alors la loi atteignit l’homme au fond de la tombe, et l’on redouta quelque chose sur la terre, même au-delà de la vie. […] Qu’as-tu fait du temps et de la vie ? […] Là se dévoilaient les crimes secrets, et ceux que le crédit ou la puissance du mort avait étouffés pendant sa vie ; là, celui dont on avait flétri l’innocence, venait à son tour flétrir le calomniateur, et redemander l’honneur qui lui avait été enlevé.

1704. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Les géants enchaînés sous les monts par la terreur religieuse que la foudre leur inspirait, s’abstinrent désormais d’errer à la manière des bêtes farouches dans la vaste forêt qui couvrait la terre, et prirent l’habitude de mener une vie sédentaire dans leurs retraites cachées, en sorte qu’ils devinrent plus tard les fondateurs des sociétés. […] Ils continrent leurs passions brutales, ils évitèrent de les satisfaire à la face du ciel qui leur causait un tel effroi, et chacun d’eux s’efforça d’entraîner dans sa caverne une seule femme dont il se proposait de faire sa compagne pour la vie. […] Ils pratiquaient la continence, en ce qu’ils se contentaient d’une seule femme pour la vie.

1705. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

O Lucilius, mon vertueux ami, pénétrez-vous de cette maxime, et vous rougirez de la légèreté des hommes qui changent tous les jours la base de leur vie, et qui, prêts à la quitter, ébauchent encore des projets. […] — Ô grand philosophe (s’écrie à son tour Casaubon), je suis bien de ton avis, et je te prendrai plutôt pour conseil que ces miens amis, gens d’ailleurs de vertu et de prudence, qui m’engagent à changer de genre de vie et à embrasser si tard la profession d’enseigner le droit. […] Je suivrai donc ton conseil, ô mon cher docteur, et je ne me hasarderai point à ce qu’on puisse penser que j’ai écourté ma vie par mon inconstance : et certes la vie entière est si courte qu’elle nous interdit d’entamer les longues espérances. […] Ô souverain maître du monde, tu m’as donné, il est vrai, la volonté de diriger ma vie selon tes préceptes ; mais, au moment où je cherche ton propre vouloir, quelquefois je me sens incertain entre les variétés merveilleuses des opinions des hommes. […] Il nous paraît dur de condamner ton ancienne Église comme coupable d’une telle ignorance, qu’il nous faille aujourd’hui croire le contraire de sa foi pour entrer dans le chemin de la vie.

1706. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

La dernière gorge, le dernier passage (puerto) traversé, il dit : « Je n’en passerai plus d’autre en ma vie que celui de la mort. » Lorsqu’enfin, après quelque retard encore et un séjour au château de Jarandilla, il s’installa dans cette habitation claustrale si désirée, le 3 février 1557, accompagné de Quivada majordome, de Gaztelù secrétaire, Van Male aide de chambre, Mathys médecin, Giovanni Torriano horloger ou mécanicien, et de quelques autres serviteurs, quelle vie y mena d’abord Charles-Quint ? […] On l’aurait porté à la bataille comme le vieux doge Dandolo, ou comme à Rocroy le comte de Fuentès, Il ne fut pas mis à l’épreuve, et tous les serments d’achever sa vie dans la retraite, tous les vœux envers le Ciel furent respectés et observés. […] Aussi Charles-Quint, à Saint-Just, racontant et commentant sa propre vie, la jugeant et la regardant du port, du dernier promontoire, comme il est probable qu’il le fit et vraisemblable que Van Male l’ait noté, nous ne l’ayons pas. […] Toute cette fin de vie de Charles-Quint me fait l’effet d’une oraison funèbre en action. […] L’enfant âgé de douze ou treize ans, portant alors le nom de Geronimo et passant pour le page de Quivada, vint quelquefois à Saint-Just dans les derniers mois de la vie de son glorieux père ; mais le vieil empereur le voyait sans faire semblant de le connaître.

1707. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Né de lui-même, formé par des lectures personnelles, par des comparaisons directes, incessantes, et par une rude expérience première des choses de la vie, l’auteur dont nous parlons s’est de bonne heure tracé une route et a obéi à une vocation dont il n’a jamais dévié. […] Champfleury d’avoir été proprement les peintres des paysans et des pauvres gens : « Les Le Nain, dit-il, chantent la vie de famille. […] Champfleury m’a remis heureusement en mémoire le charmant Essai de Charles Lamb, la Vieille porcelaine de Chine, où la légère manie qui y est retracée s’accompagne et se relève de tant de remarques fines, de tant d’observations délicates sur le cœur humain et sur la vie : le tableau entier respire une ironie indulgente et douce. […] Et si, en ressouvenir de toutes ces questions de réalité et de réalisme qui se rattachent à son nom, on voulait absolument de moi une conclusion plus générale et d’une portée plus étendue, je ne me refuserais pas à produire toute ma pensée, et je dirais encore : Réalité, tu es le fond de la vie, et comme telle, même dans tes aspérités, même dans tes rudesses, tu attaches les esprits sérieux, et tu as pour eux un charme. […] C’est bien assez de te rencontrer à chaque pas dans la vie ; on veut du moins dans l’Art, en te retrouvant et en te sentant présente ou voisine toujours, avoir affaire encore à autre chose que toi.

1708. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M.  […] Encore une fois, lui dirai-je, qui vous obligeait de vous hâter ainsi, de brusquer et de bâcler une Vie de La Rochefoucauld, laquelle, si elle n’est pas impossible, reste au moins une œuvre fort difficile et des plus délicates, à la bien exécuter ? […] Dans la vie ordinaire, son commerce est honnête, sa conversation juste et polie : tout ce qu’il dit est bien pensé ; et dans ce qu’il écrit, la facilité de l’expression égale la netteté de la pensée. » Voilà un La Rochefoucauld avant la lettre et jugé par un de ses pairs. […] Que ceux qui, dans leur vie, se sont accoutumés à céder volontiers à des sentiments d’âcre passion ou à des calculs d’intérêt immédiat vous prêtent ces uniques mobiles, peut-on s’en étonner ou s’en plaindre ? […] Le cardinal de Retz, dans le portrait qu’il a donné de La Rochefoucauld, fait une sorte d’allusion confuse et lointaine à cette pièce, quand il dit : « Cet air de honte et de timidité, que vous lui voyez dans la vie civile, s’était tourné dans les affaires en air d’apologie.

1709. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Ces petits amours sont des oiseaux fort farouches ; les grands mots surtout leur font peur. » En général, Michel se fait peu d’illusion sur les femmes ; il sait la vie, il sait ce que valent la plupart du temps ces grandes défenses : « La parole chez les femmes est toujours un mensonge convenu ; on peut facilement la mal traduire et se tromper de ruse. » Mais ici ce n’est pas le cas. […] quelle vie vous faites-vous ? […] Vous croyez à l’histoire, et vous doutez de la vie !  […] Vous aimez l’amour, — l’amour qui se lit dans les livres. » Quand par hasard l’un et l’autre peuvent arracher à leur vie si diversement partagée une heure rapide, une heure de mystère, qu’en fait-on ? […] À côté de la vie qui dans sa jeunesse lui permettait de semblables rêves, il en avait une autre, une double et toute visible.

1710. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Et puis Mme de Staël savait la vie, le grand monde, les vraies fautes, et par cela même était plus contenue et plus chaste en paroles. […] À la fin des Mémoires particuliers qui traitent de son enfance et de sa jeunesse, antérieurement à la vie publique, Mme Roland, dans une apostrophe ardente, s’écriait : Nature, ouvre ton sein ! […] Ce genre de vie serait très austère, si mon mari n’était pas un homme de beaucoup de mérite que j’aime infiniment ; mais, avec cette donnée, c’est une vie délicieuse dont la tendre amitié, la douce confiance, marquent tous les instants ; où elles tiennent compte de tout et donnent à tout un prix bien grand. C’est la vie la plus favorable à la pratique de la vertu, au soutien de tous les penchants, de tous les goûts qui assurent le bonheur social et le bonheur individuel dans cet état de société ; je sens ce qu’elle vaut, je m’applaudis d’en jouir… » Voilà la vie de Mme Roland pendant des années et son intérieur moral, calme, contenu, sain et purifiant ; voilà les tableaux dignes de sa première vie, ceux qu’on ne saurait trop rappeler à son sujet et que je regretterais de voir ternir ; car ils donnent l’expression vraie et fidèle.

1711. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

Un jour, sur la vertu de Mme de Maintenon il pérora longtemps ; il la maintint pure à toutes les époques de sa vie comme une Jeanne d’Arc ; c’était un paradoxe alors. […] Sa vie, vers la fin, était celle d’un original et d’un sage qui veut pourvoir, avant tout, à son indépendance. […] Les matins, il relisait ces auteurs qu’on réimprimait alors et qui sont les maîtres de la vie, La Bruyère, Montesquieu, Don Quichotte, Hamilton, l’abbé Prévost. […] Dans cette vie doucement occupée et où le travail lui-même ne semblait qu’un ornement du loisir, sans autre ambition que celle de cultiver ses goûts et ses amitiés, M. de Féletz, en vieillissant, arriva tout naturellement aux honneurs littéraires. […] Il était aveugle comme Mme Du Deffand, comme Delille, comme celui-ci surtout, en se prêtant aux derniers agréments de la vie.

1712. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Rien n’y est négligé de ce qu’une telle vie renferme d’instructif du côté de la magistrature et de la justice. […] D’Aguesseau naquit en 1668 à Limoges, où son père était alors intendant, un père vénérable dont il nous a retracé la vie ; et il reçut de lui une éducation domestique forte et tendre, qui rencontra le naturel le plus docile et le plus heureux. Dès son enfance, le jeune d’Aguesseau apprit toute chose, il continua d’apprendre toute sa vie, et l’on serait assez embarrassé de dire quelle science, quelle langue et quelle littérature il ne savait pas. […] Évidemment, il s’est quelquefois souvenu en l’écrivant de la Vie d’Agricola par Tacite, mais il se souvient encore plus et avant tout qu’il est fils et chrétien, et c’est ce qui l’inspire. […] C’est dans les pages mêmes du fils qu’il faut apprendre à aimer l’expression modérée, continue et pleine, de cette belle vie antique de M. d’Aguesseau le père ; c’est là qu’il faut voir briller, sous des cheveux de plus en plus blancs, la vertu toujours égale du vieillard dans toute la fleur de sa première innocence.

1713. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Sa vie se partage très nettement en deux parties, avant 1815 et après. […] Quoi qu’il en soit du procédé, on a cette suite de lettres, auquel il s’en est ajouté depuis beaucoup d’autres, et plus anciennes, et plus récentes ; de telle sorte que la vie de Courier se retrouve peinte en entier dans sa correspondance. […] Courier l’eut tel de bonne heure, et tel il le conserva toute sa vie, se souciant plutôt de l’aiguiser que de l’augmenter et de l’élargir. […] , et ne rencontrant pas une seule fois dans sa vie cette victoire en plein soleil qui fait croire à Leuctres et à Mantinée, et qui, même à ne voir que le classique, lui eût expliqué Épaminondas. […] Je ne prétends pas décider auquel des deux moments il eut le plus raison, mais je tiens à bien noter les deux moments dans sa vie.

1714. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Je jouirai toute ma vie de la vue d’un excellent morceau. […] Je me tus et je me reprocherai toute ma vie mon silence et ma patience. […] Ne convenez-vous pas que tout être, surtout animé, a ses fonctions, ses passions déterminées dans la vie ; et qu’avec l’exercice et le tems, ces fonctions ont dû répandre sur toute son organisation une altération si marquée quelquefois, qu’elle ferait deviner la fonction ? […] Si ce que je te disois tout à l’heure est vrai, le modèle le plus beau, le plus parfait d’un homme ou d’une femme, seroit un homme ou une femme supérieurement propre à toutes les fonctions de la vie, et qui seroit parvenu à l’âge du plus entier dévelopement, sans en avoir exercé aucune. […] Par une longue observation, par une expérience consommée, par un tact exquis, par un goût, un instinct, une sorte d’inspiration donnée à quelques rares génies, peut-être par un projet naturel à un idolâtre d’élever l’homme au-dessus de sa condition, et de lui imprimer un caractère divin, un caractère exclusif de toutes les contentions de notre vie chétive, pauvre, mesquine et misérable, ils ont commencé par sentir les grandes altérations, les difformités les plus grossières, les grandes souffrances.

1715. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Je la connais depuis toute ma vie. […] Mais jamais de la vie !  […] Il a dû être très souvent blessé par la vie. […] Ici le théâtre imite la vie et la vie imite le théâtre et ainsi de suite. […] C’est une époque très particulière et comme essentielle de la vie d’Hugo, de sa vie littéraire et de sa vie morale.

1716. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Il n’apporte à son Dieu que les restes d’une vie flétrie et d’un cœur désabusé. […] Ils se trouvent pleins de vie, pleins d’avenir, et je suis bien de leur avis ; l’avenir de notre littérature est immense. […] Il est obligé de nous donner souvent le détail et le menu de la vie humaine, et de nous entretenir, bon gré malgré, de choses simples, naturelles, ordinaires. […] Ce train de vie coûte cher, et pourtant un Anglais qui se respecte ne peut voyager à moins de frais. […] adieu la vie !

1717. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Le mari, M. de Ferriol, receveur-général des finances du Dauphiné, et conseiller, puis président au parlement de Metz, ne joua dans la vie de sa femme qu’un rôle insignifiant et commode. […] Toute cette avant-scène de la vie de Mme du Deffand serait restée inconnue sans le récit d’Aïssé. […] Les lettres qu’on a de lui, écrites à Mme du Deffand (1733-1754), nous le montrent établi dans la vie domestique, à la fois fidèle et consolé. […] Ainsi s’use la vie ; ainsi finissent, quand ils ne meurent pas le jour d’avant la quarantaine, les meilleurs même des chevaliers et des amants. […] Le tendre souvenir que j’en conserve doit vous être un sûr garant que je vous aimerai, ma chère petite, toute ma vie.

1718. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

C’est l’hôte d’un monde ancien et fantastique, qui de loin en loin vient visiter notre vie lasse et désenchantée, traverse notre ombre d’un rayon de lumière et remonte au ciel avec la poésie. […] Si l’on me la vante comme une imitatrice beaucoup plus exacte de la vie réelle, oh n’aura pas besoin de longs développements, car je suis pleinement convaincu de la ressemblance et de la fidélité de ses copies. […] Car nous avons perdu le secret d’Aristophane pour affranchir les personnages publics de leur tragique solennité, et pour les remplir de vie et de liberté comiques. […] « Ô vie humaine, et toi Ménandre ! […] Les pièces finissent en général par le mariage, comme si le sérieux faisait son entrée dans ta vie avec cet événement.

1719. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Nul n’eut dans sa forme plus de couleur, dans sa pensée plus de délicatesse et dans sa vie, si prématurément fauchée, plus d’heureuse harmonie. […] Hugo, c’est la synthèse de tout cela, c’est la Vie. […] Pour moi, Vigny fut celui qui s’harmonise toujours à ma vie intérieure, à toutes les heures, devant tous les paysages. […] Mais les soirs d’austère solitude, où je sens peser sur moi toute la gravité de la vie et les noirs nuages du destin, j’aime Vigny religieusement. […] L’homme, d’ailleurs, est mobile, selon la vie qui l’emporte et ses sens qui le renseignent.

1720. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

À un certain moment de sa vie, il fait le commerce dans les quatre parties du monde. […] Beaumarchais put se retirer la vie sauve et la bourse intacte. […] Qu’elle est douce la vie ! […] C’est en réalité l’œuvre d’une vie entière, et d’une des vies les plus studieuses de ce siècle. […] Plus tard, l’imagination du poète a idéalisé sa vie en la racontant.

1721. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

L’idée qui a présidé à l’ouvrage est celle-ci ; La poésie tire son premier charme des images qu’elle emprunte à la nature ; dans nos tièdes contrées, au sein d’une civilisation toute-puissante, cette nature a peine à se faire jour et n’est pas à l’aise pour se déployer : là seulement où un climat de feu la féconde sans relâche, et où le voisinage de l’homme ne la met point à la gêne, pleine de vie et de jeunesse, elle éclate dans toute sa solennité. […] Si la beauté confie à la colombe messagère le secret qu’elle n’oserait révéler à ses austères gardiens, il ajoute : « Prête à voir l’oiseau charmant s’élever dans les airs, en emportant les vœux de sa tendresse, elle voudrait le retenir, comme on retient un aveu qui va s’échapper. » S’il parle des bouquets mystérieux qui racontent et les tendres inquiétudes et les douces espérances d’une jeune captive : « Messager, dit-il, plus discret que notre écriture, maintenant si connue, son parfum est déjà un langage, ses couleurs sont une idée. » L’ouvrage dont nous venons de rendre compte est suivi d’une espèce de nouvelle historique sur la vie du Camoëns. […] On recueillit à grands frais dans toutes les bibliothèques de l’Europe les détails épars d’une vie qui fut à la fois si malheureuse et si obscure, et après des années de recherches, à la tête des œuvres du poète, reproduites dans tout l’éclat du luxe typographique, l’illustre éditeur put enfin placer l’histoire complète de cette vie tant méditée, magnifique et pieux monument élevé à la mémoire du génie.

1722. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Comment l’affection, le mal sacré de l’art, la science successive de la vie, ont-elles, par degrés, amené en lui cette transformation, ou du moins cette alliance du poète au savant, de celui qui chante à celui qui analyse ? […] Théodore de Banville Dans la vie de tout poète, il y a toujours un grand côté symbolique. […] C’est dans le tranquille accomplissement de ce travail suprême que le poète achevait sa vie et son œuvre. […] Il repousse avec une sorte de pudeur virile la tentation d’amuser les désœuvrés des secrets de sa vie ou des mystères de son cœur… l’art est toujours chez lui, en un sens, philosophique… Chacun de ses poèmes : Moïse, Éloa, n’est, si l’on veut bien le prendre, qu’un admirable symbole… C’est une succession de petits ou de grands drames dont chaque partie se relie par une pensée unique, mais l’artiste, nulle part, ne se sacrifie au penseur ; il garde tous ses droits, nous enivre et s’enivre lui-même de poésie, orne d’une grâce infinie chaque détail.

1723. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

La vie intime de Louis XIII avec la jeune reine n’était d’ailleurs pas sans nuages. […] On l’en contrerait, je crois, plus juste, en l’attribuant à l’esprit du moment, au dégoût généralement répandu pour l’incontinence, l’horreur des scandales, à la profonde appréhension (les conséquences que la vie et la mort de Henri IV avaient répandues dans les âmes délicates. […] Sa vie était toute sédentaire ; son amusement dessiner ou de peindre. […] Ce fut en 1607 que la marquise eut sa cinquième fille, Julie, devenue depuis si célèbre par la passion du duc de Montausier, et sa guirlande, par ses places à la cour, par sa mort, dont la cause est aussi honorable que le reste de sa vie.

1724. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Ici gist Arthénice, exempte des rigueurs Dont la rigueur du sort l’a toujours poursuivie ; Et si tu veux, passant, compter tous ses malheurs, Tu n’auras qu’à compter les moments de sa vie. […] Que si elles avaient le défaut de faire de l’amour un délire de l’imagination, elles eurent aussi le mérite d’élever les esprits et les âmes au-dessus de l’amour d’instinct, et de préparer cet amour du cœur, ce doux accord des sympathies morales si fécond en délices inconnues à l’incontinence grossière, cet amour qui donne tant d’heureuses années à la vie humaine, appelée seulement à d’heureux moments par l’amour d’instinct. […] Petit, dans la vie de Montausier, « venaient y chercher cette noble simplicité et cette liberté honnête qui semblent être bannies du palais des rois. […] Vie de Montausier, par le sieur Petit.

1725. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Les uns ont voulu dire la vie des Choses : les poètes objectifs : d’autres ont analysé leur vie intérieure : les subjectifs. […] Mais empruntant à chacune d’elles ses éléments, surgit la conception — l’unique vraie à mon sens — du Poète : en son âme vibrent les reflets des choses du dehors, et cependant il leur communique sa vie à lui ; lui seul est vraiment, entièrement poète, parce que seul il aura su donner l’idée de l’Être entrevu dans toute sa beauté. […] Et j’arrive à cette conclusion — malgré moi, puisque en dehors de la question — qu’une œuvre ne peut être d’absolue beauté si l’âme n’y transparaît ; à travers la matière, si la vie n’y aime et souffre sous la Forme : la Forme éternellement morne en dépit de sa splendeur, lorsqu’elle s’isole.

1726. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Son genre de vie & son goût pour les belles-lettres le déterminèrent à renoncer à son bénéfice, & à venir fixer son séjour dans la capitale. […] La cruelle aventure de Bicêtre, où l’abbé Desfontaines fut mis en 1725, devint surtout la source de son extrême animosité contre M. de Voltaire, qui le servit bien alors, qui courut à Fontainebleau où la cour se trouvoit, qui employa tout le crédit qu’il avoit à celle de M. le duc, qui réussit enfin à procurer & son élargissement & la discontinuation d’un procès où il s’agissoit de la vie. […] Il dressa promptement une attestation de vie & de mœurs depuis le temps qu’ils avoient eu quelque relation ensemble, & donna l’écrit à M. d’Argenson qui, déjà prévenu par M. de Voltaire, fit valoir l’attestation. […] Malgré tous ses défauts, on a prétendu que d’ailleurs c’étoit un homme doux, affable, poli dans le commerce de la vie.

1727. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Mes petites idées sur la couleur C’est le dessin qui donne la forme aux êtres ; c’est la couleur qui leur donne la vie. […] On a dit que la plus belle couleur qu’il y eût au monde était cette rougeur aimable dont l’innocence, la jeunesse, la santé, la modestie et la pudeur coloraient les joues d’une fille ; et l’on a dit une chose qui n’était pas seulement fine, touchante et délicate, mais vraie : car c’est la chair qu’il est difficile de rendre ; c’est ce blanc onctueux, égal sans être pâle ni mat ; c’est ce mélange de rouge et de bleu qui transpire imperceptiblement ; c’est le sang, la vie qui font le désespoir du coloriste. […] Toute leur vie ils ne font plus que transporter ce coin. […] C’est mon ami Grimm ou ma Sophie qui m’ont apparu, et mon cœur a palpité, et la tendresse et la sérénité se sont répandues sur mon visage ; la joie me sort par les pores de la peau, le cœur s’est dilaté, les petits réservoirs sanguins ont oscillé, et la teinte imperceptible du fluide qui s’en est échappé, a versé de tous côtés l’incarnat et la vie.

1728. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Il ne rougissait point de sa médiocrité en entrant dans la vie. […] La décence de sa conduite, ses traductions de la Bible, ses liaisons particulières avec les hommes pieux, la modestie de sa physionomie, les habitudes régulières de sa vie avaient quelque chose des jeunes lévites. […] Mais trouver le moyen de les corriger sans détruire du même coup, par l’impraticable utopie, toutes les réalités nécessaires à la vie sociale, l’abbé de Lamennais n’y avait jamais pensé, et le Livre du peuple en était la preuve. […] C’est la seule blessure que j’aie jamais reçue dans ma vie, et par une femme à qui je venais offrir mes services. […] Mais sa politique et sa vie eurent bientôt le même terme, il mourut en 1849, aux îles d’Hyères, et laissa ses fils sans fortune.

1729. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Vainement il cherche un collaborateur : soliste perpétuel, il ne peut réussir à s’appareiller ; mais rien ne le décourage, et il voue à sa tâche, à l’œuvre de sa vie, les derniers restes d’une voix qui tombe et d’un sifflet qui s’éteint. […] Le trait suivant peut donner un exemple de son procédé : Hans Sachs dit à David : « Souviens-toi que cette claque est le plus beau jour de ta vie !  […] La révélation matérielle, visible, acquiert le maximum de localisation objective et de vie, de présence extérieure ; d’autre part, la révélation intrasensorielle et subjective devient complètement intérieure. […] Elle écrivit son autobiographie  : Ma vie et mon chant. […] A la fin de sa vie, il défend le végétarisme et combat la vivisection, en particulier dans sa Lettre ouverte au docteur Ernst von Weber, auteur de l’essai sur «  les chambres de torture de la science  », publiée en 1879.

1730. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

« Je n’ai jamais fait dans ma vie qu’une méchanceté », lui disait un jour Rulhière. — « Quand finira-t-elle ?  […] Il avoue pourtant avoir eu dans la vie deux années de douceur et six mois de parfaite félicité. […] Un vieillard, me trouvant trop sensible à je ne sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant, il faut apprendre de la vie à souffrir la vie. L’homme arrive novice à chaque âge de la vie. […] Chamfort a le tort de dire de ces choses extrêmes qu’il ne faut jamais adresser à tout le genre humain en masse, pas plus qu’à un seul homme en particulier ; car, après de telles violences de jugement, on n’a plus qu’à se tourner le dos pour la vie et à ne se revoir jamais.

1731. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Le matin, pour la première fois de sa vie, se trouvant au monde avec un souverain dans sa poche, cet homme, qui ne se couchait jamais, songea à coucher dans un lit. […] Alors, une vie à trois, du matin au soir, pendant quelques jours. […] En entrant sous bois, j’ai tout de suite le silence, mais un silence murmurant de toutes les petites et caressantes voix de la vie et de l’amour, que domine, comme une dièze profonde, la plainte amoureuse du ramier. […] Elle était la fille d’un marchand du faubourg Saint-Antoine, enlevée à 13 ans, et ayant promené sa vie amoureuse dans les quatre coins du monde. […] Elle était un repos, un déliement des affaires, une excuse de paresse, l’endroit où la conversation échappait aux choses de la vie et de la ville, où la pensée prenait sa récréation.

1732. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Comment faire une pareille supposition chez les oiseaux de proie nourris pendant toute leur vie de matières exclusivement musculaires ? […] Pendant la vie, il y a des conditions qui, ainsi que nous le verrons plus tard, empêchent de semblables effets de se produire à travers les membranes. […] On sait, en effet, que le sang est toujours alcalin ; la vie est incompatible avec l’acidité ou même la neutralité de ce liquide. […] Ainsi, en essayant les divers tissus, les uns après les autres, nous avons trouvé que le sucre ne se développait que dans le poumon, et dans le système musculaire, soit de la vie animale, soit de la vie végétative, comme dans le cœur, la tunique de l’intestin, celle de la vessie, etc. […] Il ne faut jamais oublier, en effet, Messieurs, que dans la science de la vie les faits bruts ne sont pas des preuves.

1733. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

De quel droit et dans quel but a-t-on brusquement détourné sa vie ? […] Une vie singulière anime chaque page ; comme un homme, ce style a des gestes. […] C’est possible, mais on n’a pas le droit de transporter, de la vie réelle dans la vie artistique, de pareils phénomènes, sans les expliquer. […] J’étais là, depuis un mois, vivant au grand air, de cette bonne vie fatigante et fortifiante qui est la vie des chasseurs, lorsque, un matin, le facteur m’apporte une livraison de la Revue créole. […] Ces renseignements ne leur suffiront point à faire revivre de leur vie véritable, complète, de leur vie locale, les générations lointaines, dont ils n’étaient pas, dont ils n’ont pas ressenti les passions.

1734. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Il tendit toute sa vie, par amour de l’Église, à se faire l’Église, à absorber, à usurper la Papauté. […] Il a aimé Dieu et l’Église du premier amour de sa vie et à travers tous les sentiments de sa vie, s’il en eut d’autres, ce qui est douteux. […] Or l’amour est une chose si rare et si belle qu’il suffit à la gloire de la vie, et qu’il a suffi à la sienne… Ainsi, l’amour, le croirait-on ? […] — qui puisse faire comprendre qu’il ait toute sa vie voulu la même chose : la gloire de Dieu, son triomphe, son règne, et qu’il ait vengé son honneur — l’honneur de Dieu outragé !  […] même sans la foi religieuse qu’il n’a pas, l’historien n’a point le droit de n’en pas tenir compte dans la vie des hommes dont il écrit l’histoire.

1735. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Hugo, font le total de sa vie de poète, « C’est une âme, dit-il, qui se raconte » là-dedans. […] Pour être publiés avec convenance et noblesse par des hommes sur le tard de la vie, les livres de jeunesse doivent promettre un bien grand génie ou attester une belle candeur. […] Hugo a tué sous lui le dernier de ses admirateurs, et il restera désormais démonté et à pied pour toute sa vie. […] Victor Hugo, qui fait des vers depuis quarante ans, publie deux volumes embrassant toutes les dates de sa vie, il est impossible qu’il n’y en ait pas quelques-uns qui aient trompé le système dépravé du poète. […] Hugo a recommencé de vivre d’une vie plus intense peut-être que ne l’a été sa jeunesse.

1736. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Sitôt que le Français sort du labeur machinal et de la grosse vie physique, même avant d’en être sorti, il cause ; c’est là son achèvement et son plaisir816. […] Suivez ce sentiment du droit dans le détail de la vie politique ; la force du tempérament brutal et des passions concentrées ou sauvages vient lui fournir des armes. […] La vie politique, comme la vie religieuse, surabonde et déborde, et ses explosions ne font que marquer la force de la flamme qui l’entretient. […] Je n’ai point à raconter leurs vies, ni à développer leurs caractères ; il faudrait entrer dans le détail politique. […] Pauvre, inconnu, ayant dépensé sa jeunesse à compiler pour les libraires, il était parvenu, à force de travail et de mérite, avec une réputation pure et une conscience intacte, sans que les épreuves de sa vie obscure ou les séductions de sa vie brillante eussent entamé son indépendance ou terni la fleur de sa loyauté.

1737. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il la cherché toute sa vie. […] C’est ici que Saint-Simon a hésité toute sa vie. […] Il l’a conçue, couvée, et caressée toute sa vie. […] Il s’ôte la vie pour s’affirmer davantage. […] Ils sont graves et lents, et d’une très forte vie intérieure.

1738. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

La censure ne s’acharne pas contre des livres sans vie. […] Ces figures, si nettes et si expressives, communiquent leur vie et leur vérité à cette langue naissante et déjà des formes mûres et des tours définitifs revêtent des idées qui ne cesseront pas d’être vraies. […] Toutefois, il garda jusqu’à la fin les goûts délicats qu’il tenait de Valentine de Milan, sa mère, et ce tour d’esprit, plus léger que vif, qui le portait à rimer tous les incidents de sa vie. […] Les Repues franches, dont il n’est pas l’auteur, mais le héros, sont comme l’Iliade grotesque de sa vie de basochien. […] Enfant du peuple, né dans la pauvreté, poussé au vice par le besoin, toujours dans quelque extrémité fâcheuse, il ne laisse voir dans sa vie que ce qui la rend intéressante pour tous.

1739. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Voilà la vie et la gloire. […] Il a trouvé ces gens-là dans la vie, côte à côte, sous le même toit. […] Si ses enfants sont moins bien nés que ceux de Molière, ils n’en vivent pas moins de la même vie. […] Suzanne, Brid’oison, Marceline, ont aussi reçu le souffle de vie, et sont bien de la maison. […] Voilà ce qui fait la vie des deux comédies de Beaumarchais.

1740. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Je vous dirai bien que ma reconnaissance pour un trait si rare durera autant que ma vie ; mais hélas ! […] se mettre pour toute politique à la place des autres (on était à la veille du Consulat à vie), c’est toujours à recommencer. […] Nous serons en cela fidèle à l’esprit même de l’homme dont presque toute la vie se passa à répandre ses lumières et à verser ses idées au sein de l’amitié. […] Il est peut-être l’homme qui, dans sa vie, a le moins songé à l’effet ; il ne visait qu’à bien voir et à savoir. […] Voulant raconter la vie et les aventures de jeunesse de Lope, M.

1741. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Les lecteurs tout à fait contemporains de l’écrivain de Souvenirs aiment à refeuilleter avec lui au hasard quelques années de leur vie ; ceux qui sont venus plus tard, s’ils ont l’esprit curieux, ouvert, un peu oisif, pas trop échauffé à sa propre destinée, apprennent beaucoup de détails à ces causeries familières et devinent toute une société légèrement antérieure, au sein de laquelle ils s’imaginent volontiers avoir vécu. […] Nous retrouvons, en tête des Souvenirs de madame la comtesse Merlin, ces douze premières années de ma vie qui avaient autrefois débuté timidement, loin du public, et que leur succès dans l’intimité a naturellement encouragés à se prolonger et à se produire. […] Née dans des climats brillants où la terre est pétrie d’une meilleure argile, développée d’abord et grandie en liberté, un peu sauvage, comme elle dit, ayant puisé ses premières idées sur l’hiver dans les romans, nous la voyons, dans le cours de ces volumes, fidèle à ce culte de l’été de la vie, de la jeunesse, de la beauté dont elle aime à couronner en toute occasion ses louanges.

1742. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Sur l’accélération du jeu des cellules corticales De Quincey, Confessions of an Opium-Eater, p. 83 : « Une proche parente me conta un jour que, dans son enfance, étant tombée dans une rivière et ayant manqué périr, elle revit en un moment sa vie entière déployée et rangée devant elle simultanément comme dans un miroir, et qu’elle se trouva la faculté également soudaine d’embrasser ensemble le tout et chaque partie. » De Quincey et divers buveurs d’opium ont constaté sur eux-mêmes cette faculté de vivre mentalement, pendant un rêve de quelques minutes, une vie de plusieurs années et de plusieurs centaines d’années. […] Cependant je ne me rappelle pas un seul événement de ma vie dont j’aie pu apprécier la durée avec plus de certitude, dont les détails soient mieux gravés dans ma mémoire, et dont j’aie la conscience mieux affermie. » Une troisième observation du même genre m’est communiquée par M. 

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